Fédération européenne d’associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA) c. Slovénie, réclamation n° 53/2008, décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2009
A. Violation de l’article 31§1 en raison de l’absence de protection du droit au logement
1. Décision du Comité sur le bien-fondé de la réclamation
Le Comité a conclu à la violation de l’article 31§1 de la Charte, au motif que, s’agissant des anciens titulaires d’un « droit d’occupation » sur les logements rétrocédés à leurs propriétaires privés, la combinaison de l’insuffisance des aides à l’acquisition ou l’accession à un logement de substitution, de l’évolution des règles d’occupation et de la hausse des loyers, était, au terme des réformes engagées par le gouvernement slovène, de nature à précariser gravement un nombre significatif de ménages, et à priver ceux-ci de l’exercice effectif de leur droit au logement.
2. Informations fournies par les autorités
Les autorités indiquent, dans une note d’information enregistrée le 15 février 2015, qu’à la suite de la décision du Comité, le Gouvernement a institué un groupe de travail interministériel qui a été mis au fait des problèmes des locataires occupant des biens dénationalisés.
Le Ministre en charge du logement a désigné un nouveau Conseil de l’habitat en 2013. Organe consultatif au sein duquel siègent également des représentants de l’Association slovène des locataires, ledit Conseil est étroitement associé, entre autres activités, à l’élaboration et à l’adoption du programme national en faveur du logement, suit la mise en œuvre des politiques du logement au niveau local et formule des propositions de mesures relevant de la compétence du ministère chargé des questions touchant au logement. L’Association slovène des locataires participe activement à l’établissement du nouveau programme national en faveur du logement, qui a été soumis à l’Assemblée nationale pour examen et adoption.
En 2014, les règles relatives à la location de logements sociaux (liste Uradni RS n° 14/04/34/04/62/02 11/09, 81/11/47/14) ont été modifiées pour permettre aux occupants de biens dénationalisés d’obtenir des logements locatifs beaucoup plus rapidement. Ces règles octroient aux occupants de tels biens un statut qui leur confère un rang de priorité élevé sur la liste des demandeurs en attente d’un logement social.
Dans leur dernier rapport, les autorités rappellent que certains occupants de logements dénationalisés ont introduit une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme contre la République de Slovénie. Dans l’affaire Berger-Krall et autres c. Slovénie, la Cour a rejeté l’ensemble des requêtes des locataires et, le 12 juin 2014, a rendu un arrêt concluant à la non-violation des droits des locataires de biens dénationalisés garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. L’arrêt est devenu définitif en octobre 2014.
Les autorités expliquent par ailleurs qu’elles ne disposent pas des données statistiques demandées concernant le nombre de locataires de biens dénationalisés qui n’ont pas encore été relogés et leur nombre sur les listes d’attente. Elles considèrent cependant que les mesures décrites dans le précédent rapport de la Slovénie sur la mise en œuvre de la Charte ont apporté une solution satisfaisante aux problèmes rencontrés par les locataires de biens dénationalisés. Elles insistent sur le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que leurs droits n’avaient pas été violés.
3. Évaluation du suivi
Le Comité explique qu’il a pris note de l’arrêt Berger-Krall et autres c. Slovénie, dans lequel la Cour a estimé que l’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leurs biens était légale et conforme à l’intérêt général. Un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et celles de la protection des droits fondamentaux des individus ayant été ménagé, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 1 du Protocole n° 1.
Dans cet arrêt, la Cour a reconnu qu’à la suite de la réforme du logement, les requérants avaient certes dû faire face à une dégradation générale de la protection juridique dont ils bénéficiaient auparavant (par exemple, augmentation des loyers, restrictions au droit de transmission du bail à des membres de la famille et diminution de la garantie de maintien dans les lieux). Toutefois, il s’agissait là des conséquences inévitables de la décision du législateur de donner aux anciens propriétaires la possibilité d’une restitution en nature des logements qui avaient été nationalisés après la Seconde Guerre mondiale. La protection des droits des anciens propriétaires ne pouvait que s’accompagner d’une restriction correspondante des droits des occupants. Quoi qu’il en soit, certaines obligations imposées aux requérants dans le cadre des nouveaux baux (ne pas causer de dommage, ne pas perturber les autres résidents, ne pas se livrer à des activités interdites et ne pas sous-louer les appartements) étaient en substance similaires à celles que l’on trouvait dans des relations normales entre propriétaires et locataires.
La Cour a en outre estimé que les requérants jouissaient et continuaient de jouir d’une protection spéciale allant au-delà de celle accordée normalement aux locataires : les contrats de location étaient conclus pour une durée indéterminée et étaient transmissibles au conjoint ou au partenaire de longue date du locataire et le loyer subventionné dont bénéficiaient les requérants continuait d’être bien inférieur aux loyers du marché plus de 22 ans après l’introduction de la réforme du logement, ce qui démontrait que la transition à l’économie de marché avait été menée de façon raisonnable et progressive. De surcroît, aucun des requérants n’avait montré que le niveau de loyer était excessif par rapport à son revenu.
Dès lors, mettant en balance les questions extraordinairement complexes et socialement sensibles que posait la conciliation des intérêts antagonistes des « anciens propriétaires » et des locataires, la Cour a considéré que l’État défendeur avait veillé à assurer une répartition de la charge sociale et financière découlant de la réforme du logement sans dépasser sa marge d’appréciation.
Les considérations qui ont amené la Cour à conclure que les droits des requérants découlant de l’article 1 du Protocole n° 1 n’avaient pas été violés lui ont permis de parvenir à la même conclusion sous l’angle de l’article 8 de la Convention en ce qui concernait les requérants dont les griefs tirés de cette disposition avaient été déclarés recevables. Ceux-ci se sont vu offrir la possibilité de bénéficier de baux pour une durée indéterminée, de les transmettre à leur conjoint et partenaire de longue date et d’occuper les lieux contre le paiement d’un loyer subventionné. Aucun des requérants n’a soumis d’éléments montrant qu’il ne pouvait pas payer le loyer et, quoi qu’il en soit, les locataires défavorisés du point de vue social ou financier pouvaient bénéficier de subventions publiques.
Quant à l’expulsion pour faute introduite par la loi de 1991 sur le logement, les motifs étaient essentiellement les mêmes que ceux prévus traditionnellement dans les contrats de location dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe et ne pouvaient, en soi, passer pour incompatibles avec l’article 8 de la Convention. Les deux autres droits accordés aux anciens propriétaires par la loi de 2003 sur le logement – déplacer un locataire dans un autre logement approprié ou expulser un locataire propriétaire d’un autre logement approprié – étaient justifiés compte tenu de la protection spéciale et renforcée offerte aux personnes dans la situation des requérants et des restrictions correspondantes apportées aux droits des anciens propriétaires, qui étaient contraints d’accepter un contrat de location permanent contre un loyer modique avec des locataires qu’ils n’avaient pas choisis.
Quant aux garanties procédurales dont ont joui les requérants, on ne pouvait nier que ceux-ci avaient eu la possibilité de contester toute décision d’expulsion devant les juridictions internes compétentes, qui avaient compétence sur toutes les questions connexes de fait et de droit. Dès lors, l’ingérence dans l’exercice par les trois requérants concernés du droit au respect de leur domicile était nécessaire dans une société démocratique.
Cependant, le Comité rappelle qu’il examine les informations fournies par les autorités sur la base des articles 16 et 31 de la Charte, qui portent respectivement sur le droit au logement et sur le droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique. Le respect de ces dispositions impose aux États parties de prendre des mesures pour éviter que des personnes vulnérables ne deviennent sans-abri. C’est pourquoi l’obligation de produire des statistiques est particulièrement importante s’agissant du droit au logement en raison de la multiplicité des moyens d’intervention, de l’interaction entre ces différents moyens, ainsi que des effets indésirables qu’ils peuvent générer du fait de cette complexité.
Dans ses Constats adoptés en 2016, le Comité a pris note de l’évolution positive de la situation, mais a demandé des informations complémentaires concernant les mesures prises pour éviter que tous ceux qui détenaient un « droit d’occupation » sur un logement restitué à ses précédents propriétaires ne se retrouvent sans-abri, par exemple des informations sur le nombre de locataires de biens dénationalisés qui n’ont pas encore été relogés, leur nombre sur les listes d’attente, etc. Le Gouvernement indique ne pas disposer de ces informations. Le Comité par conséquent considère que la situation n’a pas encore été rendue conforme à la Charte.
Il procèdera à une nouvelle évaluation de la situation sur la base des informations qui devront lui être soumises en octobre 2019.
B. Violation de l’article 31§3 en raison du manque d’offre de logements à un coût abordable
1. Décision du Comité
Le Comité a conclu à une violation de l’article 31§3 au motif qu’il n’avait pas été démontré que des mesures avaient été prises pour rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposaient pas de ressources suffisantes. En effet, il appartient aux États parties à la Charte de faire apparaître, non quel est le taux d’effort moyen requis de l’ensemble des candidats à un logement, mais que le taux d’effort des demandeurs de logement les plus défavorisés est compatible avec leur niveau de ressources, ce qui n’est manifestement pas le cas s’agissant des anciens titulaires d’un « droit d’occupation », et plus particulièrement des personnes âgées, privées, en même temps que de ce droit, de toute possibilité d’acquisition du logement occupé, ou d’un autre, à un prix modique, ainsi que de toute possibilité de maintien dans les lieux, ou d’accession à un autre logement, en échange d’un loyer raisonnable.
2. Informations fournies par les autorités
Les autorités n’ont fait parvenir aucune information concernant le taux d’effort requis de la part des anciens titulaires d’un « droit d’occupation » pour l’achat ou la location d’un logement.
3. Évaluation du suivi
Aucune information n’ayant été communiquée sur ce point précis, le Comité considère que la situation n’a pas encore été rendue conforme à la Charte.
Il procèdera à une nouvelle évaluation de la situation sur la base des informations qui devront lui être soumises en octobre 2019.
C. Violation de l’article E en combinaison avec l’article 31§3 en raison de la discrimination entre les anciens titulaires d’un « droit d’occupation » et les autres occupants de logements entrés dans la propriété publique
1. Décision du Comité
Le Comité considère que le sort fait aux anciens titulaires d’un « droit d’occupation » de logements acquis par l’État par voie de nationalisation ou expropriation, et restitués à leur propriétaire, présente, par rapport au sort fait aux autres occupants de logements entrés par une autre voie dans la propriété publique, un caractère manifestement discriminatoire, aucune différence de situation entre les deux catégories d’occupants ne pouvant être mise en évidence, la différence d’origine des propriétés publiques en cause, dont ils n’avaient d’ailleurs pas nécessairement connaissance, ne leur étant aucunement imputable, et n’exerçant aucune influence sur la nature de leur propre relation avec le propriétaire ou gestionnaire public.
2. Informations fournies par les autorités
Le Comité prend note des informations générales qui lui ont été communiquées (voir motif A ci-dessus). Aucune information n’a toutefois été fournie par les autorités sur cet aspect spécifique de la réclamation.
3. Évaluation du suivi
Aucune information n’ayant été communiquée sur ce point précis, le Comité considère que la situation n’a pas encore été rendue conforme à la Charte.
Il procèdera à une nouvelle évaluation de la situation sur la base des informations qui devront lui être soumises en octobre 2019.
D. Violation de l’article 16 et de l’article E en combinaison avec l’article 16 en raison de la discrimination entre les anciens titulaires d’un « droit d’occupation » et les autres occupants de logements entrés dans la propriété publique
1.Décision du Comité sur le bien-fondé de la réclamation
Le Comité considère qu’eu égard à la portée qu’il a constamment prêtée à l’article 16 s’agissant du logement de la famille, les constats de violation de l’article 31, seul ou en combinaison avec l’article E, emportent constat de violation également de l’article 16 et de l’article E en combinaison avec l’article 16.
2. Informations fournies par les autorités
Le Comité prend note des informations générales qui lui ont été communiquées ci-dessus.
3. Évaluation du suivi
Aucune information n’ayant été communiquée sur ce point précis, le Comité considère que la situation n’a pas encore été rendue conforme à la Charte.
Il procèdera à une nouvelle évaluation de la situation sur la base des informations qui devront lui être soumises en octobre 2019.
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Dernière mise à jour le septembre 16, 2021 par loisdumonde
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