COMITE EUROPEEN DES DROITS SOCIAUX
DECISION SUR LE BIEN-FONDE
Adoption : 8 septembre 2009
Notification : 29 septembre 2009
Publicité : 30 janvier 2010
Fédération européenne des Associations nationales travaillant avec les Sans-abri (FEANTSA)
c. Slovenie
Réclamation n° 53/2008
Le Comité européen des Droits sociaux, Comité d’experts indépendants institué en vertu de l’article 25 de la Charte sociale européenne (« le Comité »), au cours de sa 238e session où siégeaient :
Mme Polonca KONČAR, Présidente
MM. Andrzej SWIATKOWSKI, Vice-Président
Colm O’CINNEIDE, Vice-Président
Jean-Michel BELORGEY, Rapporteur Général
Mme Csilla KOLLONAY LEHOCZKY
M. Lauri LEPPIK
Mmes Monika SCHLACHTER
Birgitta NYSTRÖM
Lyudmilla HARUTYUNYAN
MM. Rüçhan IŞIK
Petros STANGOS
Alexandru ATHANASIU
Luis JIMENA QUESADA
Mme Jarna PETMAN
Assisté de M. Régis BRILLAT, Secrétaire exécutif
Après avoir délibéré le 8 septembre 2009,
Sur la base du rapport présenté par M. Jean-Michel BELORGEY,
Rend la décision suivante adoptée à cette dernière date :
PROCEDURE
1. La réclamation présentée par la Fédération européenne des Associations nationales travaillant avec les Sans-abri (ci-après, « FEANTSA ») a été enregistrée le 28 août 2008. Le Comité européen des Droits sociaux (« le Comité ») a déclaré la réclamation recevable le 2 décembre 2008.
2. Conformément à l’article 7, paragraphes 1 et 2, du Protocole prévoyant un système de réclamations collectives (« le Protocole ») et à la décision du Comité sur la recevabilité de la réclamation, le Secrétaire exécutif a adressé le 12 décembre 2008 le texte de la décision au Gouvernement slovène (« le Gouvernement »), à l’organisation réclamante, aux Etats parties au Protocole, aux Etats ayant ratifié la Charte révisée et aux Etats ayant fait une déclaration en application de son article D§2, ainsi qu’aux organisations internationales d’employeurs et de travailleurs visées au paragraphe 2 de l’article 27 de la Charte de 1961, à savoir la Confédération européenne des Syndicats (CES), Business Europe (ex-UNICE) et l’Organisation internationale des Employeurs (OIE).
3. En application de l’article 31§1 du Règlement du Comité, le Comité a fixé au 20 février 2009 le délai pour la présentation écrite du mémoire du Gouvernement sur le bien-fondé. Ce mémoire a été enregistré le 19 février 2009.
4. Conformément à l’article 31§2 du Règlement, la Présidente a donné à l’organisation réclamante jusqu’au 10 avril 2009 pour soumettre sa réplique au mémoire du Gouvernement. Ladite réplique a été enregistrée le 10 avril 2009.
5. Conformément à l’article 31§3 du Règlement, la Présidente a invité le Gouvernement à répondre, pour le 29 mai 2009 au plus tard, à la réplique de l’organisation réclamante au mémoire du Gouvernement sur le bien-fondé. Cette réponse a été enregistrée le 29 mai 2009.
CONCLUSIONS DES PARTIES
A – L’organisation auteur de la réclamation
6. La FEANTSA demande au Comité de conclure à la violation par la Slovénie des articles 16 et 31 de la Charte sociale européenne révisée, séparément et liés en combinaison avec l’article E, au motif que la Slovénie ne garantit pas un droit au logement effectif pour ses résidents, notamment pour les familles. Elle fait en particulier valoir qu’en soustrayant à l’obligation de vendre, à un prix modique, aux anciens titulaires du droit d’occupation qu’elle abolissait, les logements entrés en possession des entités publiques ex-administratrices, désormais, à titre transitoire, propriétaires, par voie de nationalisation, confiscation ou expropriation, et ce sans offrir aux occupants des garanties de maintien dans les lieux équivalentes à celles d’un achat à prix modique, la loi slovène de 1991 a gravement précarisé quelque 13.000 familles. Elle soutient en outre que les difficultés rencontrées par ces familles pour se maintenir dans les lieux, ou accéder à un logement de substitution, ont été aggravées par la modification des règles de calcul du loyer social, qui ont conduit à une hausse considérable de celui-ci, de l’ordre de 613 % en douze ans, par l’introduction dans la loi de nouveaux motifs d’expulsion, ainsi que par un encadrement extrêmement rigoureux des possibilités de transmission du bail aux descendants de l’occupant principal en cas de décès de celui-ci. A telle enseigne que le nombre de personnes privées de la possibilité d’accéder à un logement suffisant s’est considérablement accru, de même que le nombre des expropriations, et le nombre des sans-abri.
B – Le Gouvernement
7. Le Gouvernement soutient qu’il ne pouvait accorder aux anciens titulaires du droit d’occupation des droits sur les logements acquis par voie de naturalisation ou confiscation qui devaient être restitués à leurs propriétaires, mais qu’il a, dès 1994, mis en place des facilités en vue d’aider les intéressés à acheter l’appartement privatisé, ou un autre. Ces facilités auraient permis à plus de la moitié des personnes anciennement titulaires d’un droit d’occupation sur un appartement d’ores et déjà privatisé (2.566 sur 4.700) de se loger. Le Gouvernement soutient en outre que les motifs d’expulsion admis par la loi sont des motifs légitimes, et que la procédure d’expulsion qui doit être suivie offre toutes garanties. Le niveau auquel sont fixés les loyers sociaux est enfin, selon lui, économiquement justifié, et l’augmentation constatée ne serait pas, en termes réels, supérieure à 128 %, à telle enseigne que les dépenses locatives ne représenteraient, en 2008, que 16,5 % du revenu moyen.
DROIT INTERNE PERTINENT
Constitution de 1991 de la République de Slovénie
8. Le droit au logement qui était inscrit dans l’ancienne Constitution de la République socialiste slovène, ne figure plus dans celle de la République de Slovénie (Ustava Republike Slovenije, Journal officiel n° 33/91, 42/1997, 66/2000, 24/2003, 69/2004, 68/2006). L’actuelle Constitution dispose ce qui suit.
Article 33 (Droit à la propriété privée et droit de succession)
« Le droit à la propriété privée et le droit à la succession sont garantis. »
Article 67 (Propriété)
« La loi fixe les modalités d’obtention et de jouissance d’un bien, de façon à ce que sa fonction économique, sociale et écologique soit garantie.
La loi fixe les modalités et les conditions de succession. »
Article 78 (Logement convenable)
« L’Etat crée les conditions permettant aux citoyens d’obtenir un logement convenable. »
Loi sur le logement
9. L’ancienne loi sur le logement de 1991 (Stanovanjski zakon, Journal officiel n° 181/1991) prévoyait, en ses articles 111 à 114, qu’à l’entrée en vigueur de ce texte, la propriété des logements qui appartenaient auparavant à la collectivité serait transférée à l’Etat, aux municipalités, ainsi qu’à quelques autres entités juridiques. Son article 113, qui concernait les logements jusqu’alors détenus par des personnes privées, disposait que les municipalités deviendraient propriétaires de ces logements acquis par la collectivité dans le cadre d’actes de nationalisation énumérés dans la « loi de dénationalisation ».
10. Aux termes de l’article 147 de la loi sur le logement, toutes les entités juridiques devenues propriétaires de logements appartenant à la collectivité étaient tenues de conclure un bail avec les titulaires du droit d’occupation. Le bail devait être signé, pour une durée indéterminée, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi. De plus, en application de l’article 150, il ne pouvait être assorti que d’un loyer social (non lucratif). Le mode de calcul de ce loyer devait être déterminé par les organes administratifs visés à l’article 11.
11. L’article 141 précisait que le droit d’occupation expirait le jour de la signature du bail.
12. En devenant propriétaires des logements appartenant auparavant à la collectivité, l’Etat et quelques autres entités juridiques se sont trouvés également tenus, conformément à l’article 117, de vendre ces logements aux anciens titulaires du droit d’occupation qui le souhaiteraient. Ceux-ci, ainsi que leurs proches parents, disposaient d’un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la loi sur le logement pour en faire la demande. Par ailleurs, ce même article leur donnait la possibilité d’acquérir le logement à des conditions avantageuses, en leur accordant par exemple une remise de 30% sur le prix du bien et en leur permettant d’étaler le paiement de 90% de cette somme sur 20 ans. Les municipalités étaient quant à elles exemptées de cette obligation de vente.
13. Pour les logements devenus propriété de la collectivité après avoir appartenu à des personnes privées, et dont les municipalités étaient entrées en possession, c’est l’article 125 de la loi sur le logement qui s’appliquait. Selon cette disposition, le bail conclu entre une municipalité et un ancien titulaire du droit d’occupation restait en vigueur même après que la municipalité eut restitué le logement à son précédent propriétaire.
14. Cette disposition garantissait par ailleurs d’autres droits aux anciens titulaires du droit d’occupation qui vivaient dans des logements ayant autrefois appartenu à des personnes privées. Ainsi, lors de la restitution des logements en question, ils étaient en droit de les acquérir à des conditions avantageuses, à condition toutefois que le propriétaire à qui le bien avait été rendu y consente.
15. Quelques autres dispositions de la loi sur le logement, qui étaient d’application générale et concernaient donc tous les baux, sont également à prendre ici en considération. Aux termes de son article 18, par exemple, le locataire qui avait signé un bail pour une durée indéterminée se voyait octroyer un droit de préemption pour l’achat du logement ; néanmoins, le droit de préemption du copropriétaire et de la municipalité primaient sur le sien. L’article 21 prévoyait quant à lui que, au cas où le locataire n’achèterait pas le logement, il ne devait pas en être pénalisé en tant que locataire. Selon l’article 61, le locataire qui quittait un logement était en droit d’obtenir une indemnisation pour compenser les investissements qu’il y avait faits, sous réserve que les travaux aient été nécessaires et réalisés en accord avec le propriétaire – à moins que les parties n’en soient convenues autrement.
16. La loi sur le logement a été modifiée en 1994 (Zakon o spremembah in dopolnitvah stanovanjskega zakona, Journal officiel n° 21/1994). La modification la plus lourde de conséquences a été celle apportée à l’article 125. Le nouvel article offrait des droits et avantages supplémentaires aux anciens titulaires du droit d’occupation qui vivaient dans des logements que les municipalités avaient fini par restituer aux anciens propriétaires. Il disposait notamment que, dans l’hypothèse où le propriétaire refuserait de vendre l’appartement, l’ancien titulaire du droit d’occupation aurait la faculté d’acquérir un logement de substitution à des conditions avantageuses. La remise de 30%, qui n’était auparavant accordée qu’aux anciens titulaires du droit d’occupation ayant choisi d’acheter le logement dans lequel ils vivaient, pouvait être désormais obtenue par tous les acquéreurs d’un logement de substitution. La remise devait être consentie par le propriétaire lui-même ou, en cas de refus, par la municipalité concernée. De plus, les acquéreurs pouvaient également bénéficier d’un prêt de l’Etat.
17. Les modifications apportées à la loi en 2000 (Zakon o spremembah in dopolnitvah stanovanjskega zakona, Journal officiel n° 1/2000) prévoyaient l’application d’un loyer social qui, pour les baux conclus avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, resterait régi par les textes de loi en vigueur jusqu’à cette date. Pour tous les baux qui seraient passés par la suite, le texte prévoyait une hausse du loyer social.
18. La nouvelle loi sur le logement de 2003 (Stanovanjski zakon, Journal officiel n° 69/2003) a instauré quelques motifs supplémentaires de dénonciation du bail par le propriétaire. Tous les baux étaient ici visés, y compris ceux conclus par d’anciens titulaires du droit d’occupation. Pour le reste, le nouveau texte n’a pas modifié de façon substantielle la situation de ces derniers. Ils gardent la possibilité d’acquérir le logement où ils vivaient, avec l’accord du propriétaire, ou d’acheter un logement de substitution. Dans les deux cas, le locataire a droit à divers types de subventions, représentant cette fois près de 75% de la valeur du logement occupé. La loi de 2003 a également maintenu le droit à un prêt de l’Etat, que le locataire peut obtenir en sus des autres aides. Enfin, la loi de 2003 sur le logement prévoit aussi, dans ses dispositions transitoires et finales, qu’elle ne déroge ni aux articles 111 à 133 de l’ancienne loi sur le logement de 1991 concernant la privatisation des logements appartenant à la collectivité, ni à son article 150 qui garantissait aux anciens titulaires du droit d’occupation le droit à un loyer social.
Loi de dénationalisation de 1991
19. Dans la loi de dénationalisation (Zakon o denacionalizaciji, Journal officiel nos 271/1991, 91/1993, 65/1998, 66/2000), figurent les dispositions ci-après:
Article 24
« La restitution d’un bien opérée dans le cadre de la présente loi ne doit avoir aucune conséquence sur la location, le bail ou tout autre lien juridique similaire né d‘une transaction à titre onéreux, sauf disposition contraire convenue par les parties ou prévue par la loi.
Nonobstant le paragraphe précédent, la location, le bail ou tout autre lien juridique similaire fixé ou convenu pour une durée supérieure à dix ans, peut être prolongé de dix années au maximum après que la décision de restitution est devenue définitive, à moins que les parties n’en conviennent autrement.
Le contrat visé au précédent paragraphe ne peut être dénoncé sans l’accord du locataire, si celui-ci est une personne physique qui loue le bien comme lieu principal d’habitation pour sa famille.
Le bail ne peut être dénoncé qu’à la condition que le bailleur indemnise le locataire des sommes qu’il a investies dans le bien et qui ont permis d’en accroître la valeur. Durant cette période, le loyer exigé… ne peut excéder celui prévu par la loi sur le logement.
… »
Article 29
« S’agissant des logements pour lesquels aucun bail ni lien juridique similaire n’a été établi, la personne qui peut prétendre à en obtenir la restitution en aura la propriété et la jouissance.
S’agissant des logements pour lesquels un bail ou autre lien similaire a été conclu, la personne qui peut prétendre en obtenir la restitution en aura la propriété.
Les droits et obligations des propriétaires et locataires des logements visés au paragraphe précédent sont régis par la loi sur le logement. »
Article 60
« …
Une personne morale ou physique qui a investi dans un logement appartenant à la collectivité sera partie à la procédure de restitution pour ce qui concerne la détermination de ses droits au titre de ces investissements.
… »
Jurisprudence de la Cour constitutionnelle
20. Le 21 mars 1996, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt (U-I-119/94) dans lequel elle a estimé que la restitution à leurs anciens propriétaires des logements appartenant à la collectivité s’apparentait à une acquisition originelle de propriété. Elle a considéré que la loi de dénationalisation n’avait pas abrogé rétroactivement les actes juridiques par lesquels les biens avaient été nationalisés, confisqués ou expropriés et qu’elle régissait au contraire les droits de propriété ex nunc. Les restrictions et obligations imposées aux propriétaires à l’égard de leurs locataires, qui détenaient auparavant un droit d’occupation sur lesdits logements, ne pouvaient donc être considérées comme une atteinte à leurs droits de propriété dans la mesure où, avant la restitution du bien en question, ils n’avaient strictement aucun droit de propriété. A l’inverse, les précédents titulaires du droit d’occupation avaient bénéficié d’un droit de préemption sur le logement dans lequel ils vivaient. Il était donc justifié qu’ils conservent ce droit.
21. Dans un arrêt rendu le 26 novembre 1998, la Cour constitutionnelle (Up-29/98) a considéré qu’au regard de la législation de l’ancienne République socialiste de Slovénie, le droit d’occupation était mieux protégé que le droit locatif. Il était accordé pour une durée indéterminée et englobait également les personnes qui vivaient avec le titulaire du droit. Et la Cour de conclure que, le marché des logements appartenant à la collectivité étant très limité, le droit d’occupation relevait davantage d’un droit de propriété que d’un droit locatif.
22. Le 25 novembre 1999, la Cour constitutionnelle a développé son interprétation selon laquelle la privatisation des logements appartenant auparavant à la collectivité, telle que régie par la loi sur le logement et par la loi sur la dénationalisation, s’apparentait à une acquisition originelle d’un bien pour les nouveaux propriétaires. Elle a confirmé qu’aux termes des textes de loi en vigueur dans l’ancienne République socialiste de Slovénie, ces logements n’appartenaient à personne. Elle a par ailleurs répété que les nouveaux propriétaires acquéraient les droits de propriété sur ces logements assortis de toutes les restrictions prévues par la législation applicable en la matière, mais qu’ils pouvaient parfaitement refuser ces droits de propriété. Toutefois, dès lors qu’ils avaient acquis la propriété du bien, toute autre restriction ou obligation qui leur serait imposée reviendrait à les priver de leurs droits de propriété. Les modifications apportées en 1994 à la loi sur le logement, qui ont institué de nouvelles obligations en contraignant par exemple le propriétaire privé ou, en cas de refus, la municipalité compétente, à accorder également la remise de 30 % aux anciens titulaires du droit d’occupation qui se portaient acquéreurs d’un logement de substitution, ont été déclarées contraires à la Constitution.
23. Le 20 février 2003, la Cour constitutionnelle a examiné le recours introduit par un groupe de particuliers propriétaires de logements loués dont ils avaient obtenu la restitution, et qui contestaient les modifications apportées en 2000 à la loi sur le logement au motif qu’elles n’autorisaient de majorer le loyer social que pour les baux conclus après l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions. La Cour a examiné le mémoire du Gouvernement et les travaux préparatoires à la loi sur le logement, dont il ressortait que les augmentations de loyer étaient nécessaires pour tenir compte de ce que le loyer social, calculé selon l’ancienne législation ne couvrait pas les frais d’entretien incombant aux propriétaires des logements. Elle a également relevé dans ces documents que le nouveau mode de calcul du loyer social ne devait s’appliquer qu’aux baux futurs, car tant le législateur que le Gouvernement entendaient protéger les droits acquis des locataires qui avaient déjà conclu des baux assortis d’un loyer social inférieur. La Cour constitutionnelle a considéré que les droits acquis des locataires ne pouvaient justifier une telle ingérence de l’Etat dans les droits de propriété des propriétaires. Elle a estimé que les propriétaires qui louaient des logements avant l’entrée en vigueur desdites modifications étaient désavantagés par rapport à ceux qui n’avaient mis leur logement en location qu’après cette date. Elle a donc abrogé les dispositions aux termes desquelles seuls les baux conclus ultérieurement pouvaient appliquer le nouveau mode de calcul du loyer social.
Jurisprudence de la Cour suprême
24. Par plusieurs décisions, rendues la première en 2005, la dernière le 17 janvier 2008, la Cour suprême slovène, appelée à statuer sur le droit au maintien dans les lieux des membres de la famille du locataire d’un appartement dénationalisé en cas de décès de celui-ci, a confirmé la position des juges du fond privant du bénéfice de la garantie prévue par la loi les ayants droits d’un tel locataire. La Cour constitutionnelle a rejeté la requête introduite contre la décision de 2005 par l’association des locataires de la république de Slovénie.
EN DROIT
25. L’article 16 de la Charte révisée est ainsi libellé:
Article 16 – Droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique
Partie I: « La famille, en tant que cellule fondamentale de la société, a droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée pour assurer son plein développement. »
Partie II: « En vue de réaliser les conditions de vie indispensables au plein épanouissement de la famille, cellule fondamentale de la société, les Parties s’engagent à promouvoir la protection économique, juridique et sociale de la vie de famille, notamment par le moyen de prestations sociales et familiales, de dispositions fiscales, d’encouragement à la construction de logements adaptés aux besoins des familles, d’aide aux jeunes foyers, ou de toutes autres mesures appropriées. »
26. L’article 31 de la Charte révisée est ainsi libellé:
Article 31 – Droit au logement
Partie I : « Toute personne a droit au logement. »
Partie II : En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au logement, les Parties s’engagent à prendre des mesures destinées :
1 à favoriser l’accès au logement d’un niveau suffisant;
2 à prévenir et à réduire l’état de sans-abri en vue de son élimination progressive;
3 à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes.
27. L’article E de la Charte révisée est ainsi libellé:
Article E – Non-discrimination
« La jouissance des droits reconnus dans la présente Charte doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, la santé, l’appartenance à une minorité nationale, la naissance ou toute autre situation. »
Remarques préliminaires sur la portée de l’article 31
28. Le Comité considère de façon constante qu’il résulte du texte même de l’article 31 qu’on ne saurait l’interpréter comme imposant aux Etats parties une obligation de résultat. Il rappelle cependant que les droits énoncés par la Charte sociale sont des droits qui doivent revêtir une forme concrète et effective, et non pas théorique (CIJ c. Portugal, réclamation n° 1/1998, décision sur le bien-fondé du 9 septembre 1999, § 32).
29. Il en résulte que les Etats parties ont l’obligation, pour que la situation puisse être jugée conforme au Traité :
a) de mettre en œuvre des moyens (normatifs, financiers, opérationnels), propres à permettre de progresser réellement vers la réalisation des objectifs assignés par la Charte,
b) de tenir des statistiques dignes de ce nom permettant de confronter besoins, moyens et résultats,
c) de procéder à une vérification régulière de l’effectivité des stratégies arrêtées,
d) de définir des étapes, et de ne pas reporter indéfiniment le terme des performances qu’ils se sont assignées,
e) d’être particulièrement attentifs à l’impact des choix opérés par eux sur l’ensemble des catégories de personnes concernées et singulièrement celles dont la vulnérabilité est la plus grande.
30. En ce qui concerne les moyens propres à progresser réellement vers la réalisation des objectifs assignés par la Charte, le Comité tient à souligner que, pour l’application de la Charte, l’obligation incombant aux Etats parties est non seulement de prendre des initiatives juridiques, mais encore de dégager les ressources et d’organiser les procédures nécessaires en vue de permettre le plein exercice des droits reconnus par la Charte (Autisme Europe c. France, réclamation n° 13/2002, décision sur le bien-fondé du 4 novembre 2003, § 53).
31. Lorsque la réalisation de l’un des droits en question est exceptionnellement complexe et particulièrement onéreuse, l’Etat partie doit s’efforcer d’atteindre les objectifs de la charte à une échéance raisonnable, au prix de progrès mesurables, en utilisant au mieux les ressources qu’il peut mobiliser (Autisme Europe c. France, réclamation n° 13/2002, décision sur le bien-fondé du 4 novembre 2003, § 53).
Remarques préliminaires sur l’interprétation de l’article 31, à la lumière des autres instruments internationaux
32. Le Comité considère que l’article 31 doit être interprété à la lumière des instruments internationaux pertinents qui ont servi de sources d’inspiration à ses rédacteurs ou de concert avec lesquels il a vocation à recevoir application.
33. Il en va ainsi, en premier chef, de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité est particulièrement attentif à ce que les interprétations qu’il développe de l’article 31 soient en phase avec l’interprétation que la cour européenne des droits de l’homme donne des dispositions pertinentes de la Convention.
34. A cet égard, il résulte de plusieurs arrêts de la Cour que toute ingérence d’un Etat dans les relations propriétaires/locataires ne peut être regardée comme contraire à la Convention. Ainsi, dans l’affaire Mellacher et autres c. Autriche, la Cour a-t-elle estimé que les modifications apportées à la législation autrichienne en matière de logement qui se sont traduites par plusieurs restrictions faites aux droits des propriétaires privés concernant les baux existants (les loyers avaient été strictement encadrés et il avait été interdit de résilier les baux existants), n’étaient pas, contrairement aux prétentions des requérants, une expropriation de facto, mais constituaient simplement un moyen de contrôler l’usage de biens en vue de trouver une solution aux problèmes de logement d’un grand nombre d’individus, dans un souci d’utilité publique, l’ingérence étant proportionnée du point de vue de l’équilibre entre l’objectif public poursuivi et les intérêts des propriétaires auxquels il avait été porté atteinte.
35. De même, dans l’affaire Thörs c. Islande, la Cour ayant à se prononcer sur le droit de préemption conféré aux locataires par la législation islandaise en vigueur, à un prix d’achat de surcroît réglementé, a rejeté comme manifestement infondée la requête d’un propriétaire.
36. Ensuite, le Pacte des Nations-Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, constitue une source d’interprétation déterminante. L’article 11 énonce le droit au logement en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie ».
37. Le Comité attache également une grande importance aux observations générales n° 4 et n° 7 du Comité des Nations-Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels. En outre, le Comité suit avec intérêt les travaux du Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à un logement convenable, Miloon Khotari, dont il tire une inspiration féconde.
SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 31 § 1 EN MATIERE DE LOGEMENT D’UN NIVEAU SUFFISANT
A – Argumentation des parties
a. L’organisation auteur de la réclamation
38. La FEANTSA expose ce qui suit : jusqu’en 1991, l’Office slovène des logements sociaux disposait d’environ 230.000 logements gérés par des organismes étatiques, des municipalités, des entreprises publiques et d’autres entités juridiques de droit public. Ces biens étaient aux mains de la collectivité : les administrateurs publics n’en étaient pas propriétaires et l’on considérait qu’ils appartenaient à la société dans son ensemble (« družbena lastnina »). Il s’agissait de logements soit que l’Etat avait fait construire ou reconstruire, soit qu’il avait obtenus par achat, nationalisation, confiscation ou autres formes d’expropriation.
39. Les individus et familles habitaient les logements sociaux sur la base du « droit d’occupation » -droit spécifique à l’ordre juridique des anciennes républiques de la RFSY. Le droit d’occupation s’acquérait par décision administrative, laquelle était suivie d’un contrat de droit civil. La décision administrative et le contrat étaient délivrés et/ou signés pour le compte du titulaire du droit par l’ « administrateur public », c’est-à-dire une entité publique chargée de la gérance de l’immeuble. L’octroi du droit d’occupation était parfois assorti d’une condition : ainsi, son titulaire pouvait être tenu de verser une contribution financière complémentaire spéciale, ou de fournir une contribution en nature (par exemple, l’échange d’un logement plus petit dont il était propriétaire contre un logement social plus grand, ou la réalisation à ses frais de travaux de rénovation).
40. En vertu de la législation et de la jurisprudence propres à toutes les anciennes républiques de la RFSY avant la période de transition, le droit d’occupation garantissait l’usufruit permanent et ininterrompu du logement en question. Au décès de son titulaire, le droit était cédé, conformément à la loi, aux membres de la famille qui vivaient sous ce toit. Le titulaire du droit supportait les charges financières liées à l’entretien du logement –il devait acquitter régulièrement une redevance forfaitaire destinée à couvrir ces frais-. Le droit d’occupation ne pouvait être révoqué que dans trois cas prévus par la loi : (i) mauvais comportement ; (ii) défaut de paiement des charges ; (iii) possession d’un logement équivalent inoccupé. La vente d’un logement occupé était nulle et non avenue, sauf si l’acheteur était le titulaire du droit d’occupation. Selon la jurisprudence nationale et l’opinion formulée par la Cour constitutionnelle, le statut d’un titulaire du droit d’occupation était plus proche de celui d’un propriétaire que d’un locataire (voir, par exemple, l’arrêt de la Cour constitutionnelle de la République de Slovénie n° Up-29/98 rendu le 26 novembre 1998, par. 9 des attendus).
41. En 1991, le droit d’occupation a été aboli. Dans le cadre de la loi de 1991 sur le logement, la propriété des anciens logements sociaux a été transférée aux entités publiques qui les géraient jusqu’alors. A titre de compensation pour la révocation du droit d’occupation, et dans le souci de remédier au problème auquel se sont trouvés confrontés ceux qui le détenaient, le législateur a fait obligation aux entités publiques qui en étaient devenues nouvellement propriétaires de leur vendre ces biens –ou, s’ils étaient décédés, de les vendre aux membres les plus proches de leur famille- dans les deux années suivant l’adoption de ces dispositions. Le prix de vente a été fixé par la loi dans une fourchette de 5 à 10 % de la valeur vénale du bien, les titulaires du droit d’occupation pouvant par ailleurs opter pour un étalement de l’achat sur 20 ans. Au cas où un bien ne pouvait être vendu au motif notamment que l’immeuble devait être démoli, le nouveau propriétaire devait veiller à ce que l’ancien titulaire du droit d’occupation ait la possibilité d’acquérir un autre logement aux mêmes conditions avantageuses. Ce système a permis aux anciens titulaires du droit d’occupation de conserver les logements qui leur avaient été attribués, et de s’adapter au nouveau cadre juridique.
42. L’article 117 de la loi de 1991 prévoyait cependant une exception au dispositif général permettant la conversion du droit d’occupation en droit de propriété : les propriétaires transitoires temporaires (ex-administrateurs) de logements autrefois sociaux qui étaient devenus propriété de l’Etat par voie de nationalisation, confiscation, ou autre forme d’expropriation, n’étaient pas tenus par l’obligation de vendre leurs biens aux titulaires du droit d’occupation. Cette exception concernait environ 13.000 logements.
43. Les titulaires du droit d’occupation ne pouvaient en pareil cas acheter les logements en question, mais la loi de 1991 leur conférait le droit de conclure avec le propriétaire (transitoire) un bail locatif portant sur le bien qui faisait auparavant l’objet de leur droit d’occupation, pour un bail de durée indéterminée et assorti d’un loyer social, à moins qu’un autre logement adéquat ne puisse leur être proposé en remplacement.
44. Une autre loi de 1991, loi de dénationalisation, devait de fait proposer aux anciens propriétaires de biens immobiliers ayant été nationalisés, confisqués ou expropriés par tout autre moyen, les deux options suivantes : restitution in integrum, ou juste indemnisation. Pour les logements où vivaient des titulaires du droit d’occupation, la loi disposait que les anciens propriétaires ou leurs héritiers pouvaient exiger une restitution in integrum, mais qu’ils seraient tenus d’honorer les baux passés avec les locataires en place (article 29 de la loi de dénationalisation). Quelque 9.000 requêtes sollicitant cette forme de restitution ont été déposées.
45. La dénationalisation du secteur du logement a donné lieu à de multiples litiges devant la Cour constitutionnelle slovène. Dans son arrêt n° U-I-95/91 du 10 juillet 1992, la Cour constitutionnelle, saisie par de nombreuses entreprises publiques devenues propriétaires de logement en application de la loi de 1991, a statué sur la question de savoir si l’obligation de vendre ces biens nouvellement acquis aux titulaires du droit d’occupation était acceptable. La Cour a estimé que cette solution juridique était non seulement acceptable et légitime sur le plan constitutionnel, mais aussi nécessaire. Elle a ainsi considéré qu’il s’agissait d’une mesure protégeant l’intérêt public en ce qu’elle résolvait le problème de logement d’un grand nombre de citoyens. La Cour a rappelé que la République de Slovénie se devait d’apporter une réponse à cette question conformément à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et cultures, et qu’une telle solution était le meilleur moyen qui fût pour donner effet à ce droit.
46. S’agissant des anciens titulaires du droit d’occupation empêchés d’acquérir les logements qu’ils habitaient, du fait de leur rétrocession aux propriétaires précédemment expropriés, le même arrêt a estimé qu’ils n’étaient victime d’aucune discrimination, leur situation différant de celle des autres titulaires du droit d’occupation vivant dans des biens devenus propriété de l’Etat par une autre voie, et les droits des anciens propriétaires ou de leurs héritiers devant, dans le cas des logements expropriés, primer sur ceux des locataires en place.
47. En 1994, en vue de remédier aux difficultés concernant les biens immobiliers dénationalisés, divers aménagements ont été apportés à la loi de 1991 :
– s’il décidait de vendre le bien au locataire à des conditions avantageuses pour un montant représentant 5 à 10 % de sa valeur vénale, le propriétaire pouvait demander une subvention non remboursable, financée par des fonds publics, correspondant à environ 5 à 10 % de la valeur vénale du bien vendu ;
– si l’ancien titulaire du droit d’occupation se portait acquéreur d’un autre logement avec ses propres deniers, et quittait le bien dont il était locataire, il pouvait demander une subvention non remboursable, financée par des fonds publics, d’un montant représentant environ 5 à 10 % de la valeur vénale du logement laissé vacant ;
– s’inspirant de la disposition de la loi sur le logement de 1991 qui autorisait, dans certains cas, l’ancien titulaire d’un droit d’occupation à exiger de pouvoir acheter à un propriétaire public, à un prix intéressant, un logement de substitution de celui occupé, une troisième disposition habilitait une personne auparavant détentrice du droit d’occupation sur un bien acquis par voie d’expropriation, à réclamer de la même manière à la collectivité locale l’attribution, et la vente à un prix intéressant, d’un autre logement analogue (le prix de vente étant fixé, comme prévu en 1991, à un montant compris entre 5 et 10 % de la valeur vénale du bien, et le titulaire du droit d’occupation pouvant en outre échelonner le paiement sur vingt ans).
48. Seule la troisième disposition était de nature à répondre à la situation des anciens titulaires d’un droit d’occupation, locataires de logements privatisés. Mais un arrêt U-I-268/96 de la cour constitutionnelle slovène, rendu le 25 novembre 1999, a déclaré cette disposition inconstitutionnelle.
49. A plusieurs reprises, en 1995, puis en 2000, le plafond du loyer social a été revu à la hausse, d’abord à raison de 107 %, puis de 50 %.
50. En 2003, à la suite d’actions intentées par les propriétaires de logements restitués, la Cour constitutionnelle slovène a partiellement abrogé et modifié les dispositions du texte régissant les loyers, de sorte que les locataires constituant le groupe vulnérable ont vu le plafond de leurs loyers réglementés augmenter une nouvelle fois de 37 %. Dans son arrêt U-I-303/00 du 20 février 2003, la Cour a justifié sa décision en indiquant que la protection des droits acquis et l’interdiction de la rétroactivité ne mettaient pas les locataires à l’abri de hausses du loyer. Chaque majoration du loyer devait donc être répercutée de manière uniforme sur les nouveaux comme sur les anciens occupants.
51. En 2003, une nouvelle loi sur le logement-1 (Journal officiel n° 69/2003) est intervenue, aux termes de laquelle :
– le nombre de motifs d’expulsion a été porté de 9 à 13. Parmi les motifs d’expulsion figurent : la hausse du nombre d’occupants du logement sans autorisation du bailleur ; le non-respect des règles d’occupation du logement ; le défaut de nettoyage du logement ; l’absence du locataire pour une durée supérieure à 3 mois ; la possession d’un titre de propriété sur un autre logement par le locataire ou son conjoint/partenaire ;
– une taxe d’aménagement a été intégrée dans le loyer social, la nouvelle hausse cumulée du plafond du loyer atteignant ainsi 60 %, soit, depuis la date de sa première fixation en 1991, une progression totale de 613 % ;
– des conditions plus strictes ont été définies pour la cession du bail en cas de décès du titulaire du droit d’occupation : aux termes des nouvelles dispositions, ce droit est conféré aux seuls occupants du logement concerné qui habitaient avec le locataire à la date de son décès, qui étaient domiciliés à cette adresse et qui ont demandé à signer le bail 90 jours au plus tard après le décès du locataire.
52. En 2005, la Cour suprême slovène a eu à connaître d’une affaire qui portait sur le droit d’un membre de la famille d’un locataire occupant un bien dénationalisé à exiger, au décès de celui-ci, un nouveau bail à loyer social. Infirmant la jurisprudence antérieure, la Cour a estimé que les occupants de tels biens ne pouvaient exiger la prorogation d’un bail à loyer social au décès du locataire ; d’après la Cour, ils ne pouvaient prétendre qu’à un bail, le montant du loyer devant être fixé par le bailleur librement et sans aucune réserve, à peine d’atteinte au droit de la propriété privé que protège la Constitution.
53. Dans ces conditions, le sort des occupants de biens dénationalisés se dégrade peu à peu, et les conflits entre propriétaires et locataires se multiplient. Les rapports du Conseil pour la protection des droits des locataires relevant de la ville de Ljubljana, ainsi que ceux de l’Association nationale des locataires, indiquent que ces locataires vivent sous la pression constante des propriétaires qui s’emploient, par les procédés les plus divers, à leur faire quitter les logements qui viennent de leur être restitués, afin de pouvoir en disposer librement sur le marché.
54. Ceci constitue, de toute évidence, selon la FEANTSA, une violation des prévisions de l’article 31 § 1 de la Charte, en ce que, pour la fraction concernée de la population, il n’existe plus de droit à un logement effectif.
55. La FEANTSA fait état, à l’appui de cette thèse, de nombreux rapports consacrés, depuis 1995, par le Médiateur slovène, au problème des locataires dits « vulnérables » , et singulièrement du rapport spécial (n° 9.1-124/2001 ), publié le 8 janvier 2002, dans lequel le Médiateur a indiqué que les locataires slovènes occupant des biens restitués étaient injustement discriminés par rapport aux autres titulaires du droit d’occupation pour ce qui concerne les logements sociaux, et formulé un certain nombre de propositions de solutions dont il n’a pas été tenu compte eu égard à leur coût.
56. La FEANTSA fait en outre valoir que la Slovénie est le seul Etat successeur de l’ancienne Yougoslavie qui, bien qu’il ait, comme les autres, ratifié l’Accord sur les questions de succession (Journal officiel de la République de Slovénie n° 20 du 8 août 2002 – Traités internationaux) signé à Vienne le 29 juin 2001, dont l’Annexe G (Propriété privée et droits acquis) fait expressément obligation aux Etats de n’avoir recours, dans leur législation interne, à aucune forme de discrimination en matière de protection et de respect des « droits à logement » (‘stanarsko pravo /stanovanjska pravica’), ait totalement sacrifié aux intérêts des anciens propriétaires auxquels ces logements ont été restitués les intérêts des occupants de bonne foi.
57. De retour d’une visite en Slovénie en 2003, le Commissaire européen aux droits de l’homme a, pour sa part, relève encore la FEANTSA, indiqué que les locataires slovènes occupant des biens dénationalisés formaient l’un des deux groupes types de victimes de violations des droits de l’homme subies durant la période de transition. Il a notamment indiqué ce qui suit : « Outre le fait qu’il s’agisse d’une situation unique les privant des avantages offerts à la plus grande majorité de leurs concitoyens dans le cadre de la privatisation des logements municipaux, les locataires ont dû faire face à une situation tout à fait nouvelle dans laquelle leurs droits n’étaient plus garantis et les réalisations de leurs vies étaient remises en question. Car non seulement ils ont vécu, dans la plupart des cas, pendant de nombreuses années dans leurs appartements, mais, de plus, durant des décennies, ils ont effectué des réparations et des améliorations dans les appartements en y investissant, comme s’il s’agissait en toute bonne foi de leurs propres biens. Aujourd’hui, ces locataires, souvent des personnes âgées, vivent très difficilement cette situation pénible et même injuste, en ayant constamment peur de ne plus pouvoir faire face à une possible augmentation de loyer, ou à tout autre pression, sans que les autorités n’arrivent à y apporter une solution équitable. »
b. Le Gouvernement défendeur
58. La défense du Gouvernement, qui se borne pour l’essentiel à reproduire un état de l’enchaînement des lois intervenues en Slovénie, très proche de celle proposée par l’association requérante, nie toute violation de l’article 31.
59. Les dispositions de la loi sur le logement (Uradni list RS, n° 69/03, 18/0-ZVKSES, 47/06-ZEN, 45/08-ZVZEtL et 57/08-SZ-1A) relatives à la situation des locataires de biens dénationalisés, aux loyers sociaux dont ils sont assortis, ainsi qu’au droit de leurs occupants à des aides matérielles au cas où ils quittent ou rachètent le bien, ont été, selon le gouvernement, examinées à plusieurs reprises par la Cour constitutionnelle, qui a expressément souligné dans un arrêt que « les deux catégories d’anciens titulaires d’un droit d’occupation jouissent désormais d’une égalité de statut juridique au regard des baux qui ont remplacé l’ancien droit d’occupation. Par contre, pour ce qui est de la possibilité d’acquérir un appartement sur lequel un locataire détenait le droit en question, l’égalité de statut juridique entre ces deux catégories précitées ne vaut pas : la privatisation de ces logements a déjà été opérée par le biais de la dénationalisation. »
60. Le Gouvernement ajoute que la majorité des occupants des appartements privatisés n’avait pas saisi la possibilité à eux offerte d’accéder à des aides matérielles, mais que 2.566 décisions favorables ont été rendues à l’égard d’occupants désireux de quitter un appartement dénationalisé et/ou de régler définitivement leur problème de logement en achetant ou en construisant une maison (pour un total de 4.700 appartements dénationalisés) ; d’autres dossiers étant en cours d’instruction.
61. Au vu de ces données, le Gouvernement estime qu’il ne devait rester dans les appartements en cause que quelque 1.500 locataires titulaires d’un contrat de bail d’une durée indéterminée assorti d’un loyer social.
62. Selon le Gouvernement, l’allégation selon laquelle la loi sur le logement entraîne des expulsions et favorise l’augmentation du nombre de sans-abri ne reposerait sur rien, et ces douze motifs constitutifs d’une faute que peut invoquer le propriétaire pour intenter une action en justice visant à résilier unilatéralement le contrat de bail, sous réserve d’en avertir préalablement le locataire par écrit, seraient légitimes.
63. La thèse soutenue par les réclamants selon laquelle la loi de 2003 sur le logement a imposé de nouvelles interdictions aux locataires, en particulier celle d’accroître le nombre des membres de leur famille qui partagent leur logement une fois le bail signé, seraient totalement controuvée. La nouvelle loi sur le logement prévoyant tout au contraire que le contrat de bail ne peut être résilié pour cause d’accroissement du nombre des membres de la famille du locataire.
64. Seraient également controuvées les allégations de l’organisation auteur de la réclamation selon lesquelles le bail peut également être résilié en cas d’absence du locataire pour une durée supérieur à trois mois ou pour défaut de nettoyage du logement. A tout le moins ces dispositions contestées ne seraient-elles que d’une application restreinte.
65. Au total, en l’absence de motifs constitutifs d’une faute, le propriétaire ne pourrait résilier le bail qu’à titre exceptionnel et sous réserve que le locataire se voie proposer un logement de remplacement adéquat, les frais de déménagement étant alors à la charge du propriétaire.
66. S’agissant des améliorations apportées à l’appartement par le locataire, le Gouvernement soutient qu’aux termes de la loi, le propriétaire ne peut refuser au locataire le droit de procéder à des aménagements dès lors que ceux-ci sont conformes aux normes techniques en la matière, qu’il est dans l’intérêt personnel du locataire de les réaliser, qu’ils sont effectués aux frais du locataire, qu’ils n’affectent pas les intérêts du propriétaire du logement ni des autres propriétaires de l’immeuble, et qu’ils ne dégradent pas les parties communes ou l’apparence extérieure du bâtiment. Le locataire peut, si le besoin s’en fait sentir, procéder à des travaux de modernisation ou de rénovation de la plomberie, du système électrique, des chauffe-eau, des radiateurs et des appareils sanitaires, apporter des aménagements destinés à réaliser des économies d’énergie et à rendre l’appartement plus fonctionnel, installer une ligne téléphonique, etc. . Le Gouvernement précise que l’article 97 de la loi sur le logement donne au locataire, à son départ, le droit au remboursement de la valeur non amortie des travaux effectués à ses frais, et avec l’accord du propriétaire, pour améliorer le logement.
67. S’agissant du loyer social qu’il définit comme un loyer fixé à l’échelon national, dont le montant est nettement moins élevé que celui pratiqué pour un bien de location commerciale, car il ne couvre que les frais d’entretien liés à l’appartement et aux parties communes de l’immeuble, les frais de gestion, les coûts d’amortissement sur une durée d’utilisation de 60 ans, et les coûts d’immobilisation associés au bien, et est assorti d’un plafond, le Gouvernement affirme qu’il n’inclut aucun élément de la taxe d’aménagement. Il soutient également qu’il ne peut être ajusté en fonction de la situation du bien, sauf si la municipalité a pris un arrêté en ce sens, et que seules deux municipalités l’ont fait.
68. Selon le dire du Gouvernement, l’augmentation du niveau du loyer serait quant au reste très inférieure à celle alléguée par le requérant, de l’ordre de 128 % et non de 613 %, compte tenu de l’inflation. Les dépenses consacrées au loyer ne représentaient au reste, en 2008, que 16,5 % du revenu moyen net à l’échelon national.
69. De plus, les occupants de logements sociaux aux revenus modestes qui, une fois le loyer payé, n’auraient pas de ressources suffisantes pour vivre décemment pourraient prétendre à une subvention locative. La famille a ainsi droit, selon son niveau de revenus, à une aide pouvant aller jusqu’à 80 % du loyer social.
B – Appréciation du Comité
70. Le Comité considère de façon constante que le droit à un logement suffisant doit notamment s’entendre comme un droit juridiquement protégé (Conclusions 2003, France, article 31§1). Le statut concédé avant la loi de 1991 aux occupants de logements sociaux en Slovénie répondait incontestablement, à ses yeux, à cette définition. Les règles fixées par la loi de 1991, en vue de permettre aux anciens titulaires du droit d’occupation qu’elle abolissait d’acquérir, à un prix modique, les logements sur lequel ils jouissaient antérieurement de ce droit, devenus, à titre transitoire, la propriété d’entités publiques, lui paraissent également de nature à assurer aux intéressés une sécurité juridique suffisante dans l’occupation de leur logement. Le Comité estime en revanche que s’agissant des anciens titulaires d’un droit d’occupation sur les logements rétrocédés à leurs propriétaires privés, la combinaison de l’insuffisance des aides à l’acquisition ou l’accession à un logement de substitution, de l’évolution des règles d’occupation et de la hausse des loyers, est, au terme des réformes engagées par le gouvernement slovène, de nature à précariser gravement un nombre significatif de ménages, et à priver ceux-ci de l’exercice effectif de leur droit au logement.
SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 31§3 RESULTANT DU MANQUE D’OFFRE DE LOGEMENT A UN COUT ABORDABLE
71. L’argumentation des parties sur ce terrain ne se distingue pas sensiblement de celle développée sur le terrain de l’article 31§1.
72. Le Comité considère que, en vue d’établir que des mesures sont prises afin de rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes, il appartient aux Etats parties à la Charte de faire apparaître, non quel est le taux d’effort moyen requis de l’ensemble des candidats à un logement, mais que le taux d’effort des demandeurs de logement les plus défavorisés est compatible avec leur niveau de ressources, ce qui n’est manifestement pas le cas s’agissant des anciens titulaires de droit d’occupation, singulièrement des personnes âgées, privées, en même temps que de ce droit, de toute possibilité d’acquisition du logement occupé, ou d’un autre, à un prix modique, ainsi que de toute possibilité de maintien dans les lieux, ou d’accession à un autre logement, en échange d’un loyer raisonnable.
SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE E EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 31§3
73. Sur ce terrain non plus l’argumentation des parties ne se distingue que sensiblement de celle développée sur le terrain de l’article 31§1.
74. Le Comité considère que le sort fait aux anciens titulaires de droit d’occupation de logements acquis par l’Etat par voie de nationalisation ou expropriation, et restitués à leur propriétaire, présente, par rapport au sort fait aux autres occupants de logements entrés par une autre voie dans la propriété publique, un caractère manifestement discriminatoire, aucune différence de situation entre les deux catégories d’occupants ne pouvant être mise en évidence, la différence d’origine des propriétés publiques en cause, dont ils n’avaient d’ailleurs pas nécessairement connaissance, ne leur étant aucunement imputable, et n’exerçant aucune influence sur la nature de leur propre relation avec le propriétaire ou gestionnaire public.
SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 16, ET DE L’ARTICLE E EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 16
75. Le Comité considère qu’eu égard à la portée qu’il a constamment prêtée à l’Article 16 s’agissant du logement de la famille, que les constats de violation de l’article 31, seul ou en combinaison avec l’article E, emportent constat de violation de l’article 16, et de l’article E en combinaison avec l’article 16.
CONCLUSION
76. Par ces motifs, le Comité conclut
– à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 31§1 de la Charte révisée ;
– à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 31§3 de la Charte révisée ;
– par 9 voix contre 5 qu’il y a violation de l’article E de la Charte révisée combiné avec l’article 31§3 ;
– par 13 voix contre 1 qu’il y a violation de l’article 16 de la Charte révisée ;
– par 11 voix contre 3 qu’il y a violation de l’article E de la Charte révisée combiné avec l’article 16.
Jean-Michel BELORGEY
Rapporteur
Polonca KONČAR
Présidente
Régis BRILLAT
Secrétaire exécutif
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Dernière mise à jour le septembre 16, 2021 par loisdumonde
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