Décision sur le bien-fondé : Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège, Réclamation Collective n° 74/2011

Comité européen des Droits sociaux

DECISION SUR LE BIEN-FONDE
Adoption : 2 juillet 2013
Notification : 17 juillet 2013
Publicité : 16 octobre 2013
Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège
Réclamation n° 74/2011

Le Comité européen des Droits sociaux, comité d’experts indépendant institué en vertu de l’article 25 de la Charte sociale européenne (« le Comité »), au cours de sa 265e session où siégeaient :

Luis JIMENA QUESADA, Président
Monika SCHLACHTER, Vice-Président
Petros STANGOS, Vice-Président
Lauri LEPPIK
Birgitta NYSTRÖM
Rüçhan IŞIK
Alexandru ATHANASIU
Jarna PETMAN
Giuseppe PALMISANO
Karin LUKAS
Eliane CHEMLA
Jozsef HAJDU
Marcin WUJCZYK

Assisté de Régis BRILLAT, Secrétaire Exécutif,

Après avoir délibéré le 18 mars, 19 mars et le 2 juillet 2013,

Sur la base du rapport présenté par Jarna PETMAN,

Rend la décision suivante adoptée à cette dernière date :

PROCEDURE

1. La réclamation soumise par le Fellesforbundet for Sjøfolk (le « FFFS ») a été enregistrée le 27 septembre 2011.

2. Le syndicat auteur de la réclamation allègue que la loi norvégienne sur les gens de mer (den norske sjømannslov) du 30 mai 1975 (n° 18) ; « la loi sur les gens de mer »), imposant une retraite obligatoire aux marins lorsqu’ils atteignent l’âge de 62 ans, s’interprète comme une interdiction de travail injustifiée et une suppression discriminatoire du droit des gens de mer à travailler comme marins, en violation des articles 1§2 (droit au travail) et 24 (droit à la protection en cas de licenciement) lus seuls ou en combinaison avec l’article E (non-discrimination) de la Charte sociale européenne (« la Charte »).

3. Le Comité a déclaré la réclamation recevable le 23 mai 2012.

4. En application de l’article 7§§1 et 2 du protocole prévoyant un système de réclamations collectives (« le Protocole ») et à la suite de la décision du Comité sur la recevabilité de la réclamation, le Secrétaire exécutif a adressé le 31 mai 2012 le texte de la décision au Gouvernement norvégien (« le Gouvernement »), au FFFS, aux Parties au Protocole et aux Etats ayant fait une déclaration au titre de l’article D§2 de la Charte, ainsi qu’aux organisations visées à l’article 27§2 de la Charte.

5. En application de l’article 26 de son Règlement, le Comité a fixé au 12 juillet 2012 le délai pour la présentation du mémoire du Gouvernement sur le bien-fondé. À la demande du Gouvernement, le délai a été prorogé au 8 septembre. Le mémoire du Gouvernement sur le bien-fondé a été enregistré le 7 septembre 2012.

6. Le délai fixé pour la réplique du FFFS sur le bien-fondé était le 29 novembre 2012. La réplique du FFFS au mémoire a été enregistrée le 28 novembre 2012.

7. Le 23 janvier 2013, le Gouvernement a communiqué des conclusions supplémentaires sur le bien-fondé de la réclamation. Le 12 février 2013, ces conclusions ont été complétées par des informations supplémentaires. Le 18 février 2013, le syndicat auteur de la réclamation a communiqué ses observations sur ces informations supplémentaires.

CONCLUSIONS DES PARTIES

A – Le syndicat auteur de la réclamation

8. Le syndicat auteur de la réclamation demande au Comité de conclure que la situation de la Norvège n’est pas conforme aux articles 1§2 et 24 lus seuls ou en combinaison avec l’article E, en raison de l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer qui dispose que les marins peuvent être licenciés uniquement au motif qu’ils ont atteints l’âge de 62 ans.

9. Le FFFS allègue que l’âge limite fixé dans la législation s’interprète comme une interdiction injustifiée du droit des marins à travailler et une limitation de leur droit à la protection en cas de licenciement.

B – Le Gouvernement défendeur

10. Le Gouvernement demande au Comité de déclarer la réclamation non fondée en tous ses aspects.

11. Le Gouvernement allègue que la disposition contestée de la loi sur les gens de mer est conforme aux instruments juridiques internationaux pertinents, y compris la Charte, et demande au Comité de constater qu’il n’y a pas violation desdits articles.

DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

12. L’article 19§1 de la loi sur les gens de mer, alinéas 1 et 7, dispose :

« Protection contre les licenciements injustifiés

1. Un marin ne peut être licencié à moins que le licenciement ne soit dûment fondé sur des facteurs liés à la compagnie de navigation ou au marin lui-même.

[…]

7. Un préavis de licenciement avant que le marin n’ait atteint l’âge de 62 ans et au seul motif qu’il a droit à une pension d’âge conformément à la loi du 3 décembre 1948 alinéa 7 sur l’assurance-pensions des gens de mer, ne saurait être considéré comme dûment fondé. Le départ avant l’âge de 62 ans peut cependant être stipulé à l’avance dans la convention collective salariale. »

13. L’article 15§7, alinéa 4, de la loi du 17 juin 2005 (n° 62) relative à l’environnement de travail, aux heures de travail et à la protection de l’emploi, etc. (« la loi sur l’environnement de travail ») prévoit la disposition de portée générale suivante :

« Protection contre les licenciements abusifs

4) Avant l’âge de 70 ans, le licenciement prononcé au seul motif que l’intéressé a atteint l’âge de la pension en application de la loi sur l’assurance nationale ne peut être considéré comme objectivement justifié […]. »

14. Dans un arrêt du 18 février 2010, la Cour suprême norvégienne a confirmé qu’en vertu de l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer, les marins norvégiens peuvent se voir notifier leur licenciement sans autre justification objective que le fait qu’ils ont atteint l’âge de 62 ans (« affaire Kystlink » ; Rt (Recueils norvégiens de jurisprudence) 2010-202; § 70).

15. Dans cet arrêt, la Cour suprême a notamment pris note que la Directive de l’Union européenne (Directive (2000/78/CE) du Conseil du
27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, JOCE L 303/16, 2.12.2000) a été transposée en droit norvégien au moyen de la loi sur les gens de mer. La Cour suprême a conclu qu’après 62 ans, un marin ne bénéficie plus des mesures générales de protection contre le licenciement. Sur la base de son appréciation des travaux préparatoires de la loi sur les gens de mer et de son analyse des obligations internationales de la Norvège, elle a également déclaré que cette mesure n’était pas contraire à l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge introduite dans la loi sur les gens de mer lors de la mise en œuvre de la Directive susmentionnée. Pour la Cour suprême, on devait supposer que le législateur national avait choisi expressément de maintenir la limite d’âge de 62 ans dans la législation nationale. Cette décision était légitime au vu de la large marge d’appréciation laissée aux Etats dans la mise en œuvre de la Directive.

16. S’agissant de la compatibilité de la limite d’âge avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »), la Cour suprême a observé que la disposition contestée de la loi sur les gens de mer était conforme à la Convention, le droit au travail ne pouvant pas se déduire de l’article 11 de la Convention ou de l’article 1 de son Protocole facultatif. La Cour suprême a également considéré que l’âge limite était conforme au raisonnement de la Commission des droits de l’homme des Nations unies dans l’affaire Love c. Australie (voir paragraphe 34-36), parce que l’on peut l’interpréter comme s’appuyant sur « des critères raisonnables et objectifs » au sens de cette décision.

17. Dans un arrêt ultérieur rendu dans « l’affaire de l’hélicoptère » (Rt (Recueils norvégiens de jurisprudence) 2010-127) du 12 février 2012, cependant, la Cour suprême a dit que l’âge de départ obligatoire à la retraite de 60 ans imposé aux pilotes d’hélicoptère par la convention collective était contraire à l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge. Dans son appréciation, la Cour suprême a tenu notamment compte du fait que l’âge limite ne pouvait pas se fonder sur des considérations de santé, puisque les pilotes se soumettent à des contrôles médicaux obligatoires et que par conséquent il ne pouvait être démontré que l’âge limite de 60 ans avait été fixé pour des raisons dues à l’état de santé. En outre, la Cour suprême a constaté que les dispositions nationales prévoyant des exceptions à l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge pourraient ne plus être conformes aux dernières évolutions du droit, et notamment du droit de l’Union européenne. A cet égard, elle a rappelé en particulier la décision de la Cour européenne de justice dans l’affaire Prigge (voir paragraphe 33). Lorsque la législation nationale et internationale autorise les pilotes à travailler jusqu’à l’âge de 65 ans à condition qu’ils satisfassent aux impératifs de santé, aucune exception valide à l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge ne peut être instaurée par voie de convention collective. La Cour suprême a noté que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Kystling, il n’y avait pas eu de choix délibéré en relation avec l’âge obligatoire de départ à la retraite des pilotes d’hélicoptère et conclu que la limite d’âge de 60 ans pour les pilotes constituait une violation de l’interdiction de la discrimination.

18. Le 1er novembre 2012, un Comité norvégien constitué par décret royal du 18 novembre 2011, a soumis son rapport au ministère de l’Industrie et du commerce, assorti de propositions pour une nouvelle loi sur le travail à bord des navires (Norges offentlige utredninger NOU2012:18. Rett om bord – ny skipsarbeidslov, disponible à l’adresse : www.publikasjoner.dep.no). Le Comité devait notamment évaluer la possibilité de modifier la disposition sur la limite d’âge fixée à 62 ans dans l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer (NOU2012:18, p. 152), du point de vue spécifique de l’objectif global qui était de maintenir plus longtemps dans la vie active un plus grand nombre de gens (§ 12.3.7; pp. 152, 161).

19. Eu égard à cette possibilité en particulier, le Comité norvégien a noté (traduction non officielle à partir de l’anglais) :

« La loi sur les gens de mer 19§1, dernier paragraphe, indique explicitement que la dénonciation du contrat de travail avant l’âge de 62 ans uniquement parce qu’un marin a droit à une pension en vertu de la loi sur l’assurance-pensions des gens de mer ne saurait être considérée comme un motif valable de licenciement. Sauf preuve du contraire, la disposition est considérée comme devant créer une situation où le droit à la retraite constitue une raison valable suffisante pour justifier le licenciement après l’âge de 62 ans (§ 12.3.7; p. 161). »

« La loi sur l’environnement de travail §§ 15-13a est quelque peu différente de l’article 19§1, septième paragraphe de la loi sur les gens de mer. Le premier paragraphe [de la loi sur l’environnement de travail] dispose explicitement qu’il peut être mis fin à la relation de travail quand l’employé atteint l’âge de 70 ans. Par ailleurs, il est clair qu’une limite d’âge inférieure à 70 ans peut être fixée pour d’autres raisons. Ces limites d’âge doivent cependant être fondées sur des faits et ne pas porter atteinte à la liberté de chacun de manière excessive (§ 12.3.7; p. 161). »

« La majorité des gens de mer ont droit à une pension à partir de 60 ans, en vertu de l’article 4 de la loi sur l’assurance-pensions des gens de mer. Cette loi, associée à l’article 19§1 de la loi sur les gens de mer a incité de nombreuses entreprises […] à adopter des régimes internes qui prévoient la mise à la retraite d’office des marins de 62 ans (§ 12.3.7; p. 161) ».

20. Le Comité norvégien prend note des travaux préparatoires de la loi sur l’assurance-pensions des gens de mer, qui fait référence aux exigences de la profession de marin. En raison de ces exigences, il a été considéré ‘approprié’ de fixer à 62 ans la limite d’âge dans la loi sur les gens de mer. Concernant la situation juridique actuelle, le Comité note néanmoins que « les limites d’âge telles que fixées dans l’article 19§1 de la loi sur les gens de mer sont considérées comme une discrimination directe qui est, pour commencer, proscrite par la Directive et [l’interdiction de la discrimination inscrite à] l’article 33 de la loi sur les gens de mer (§ 12.3.7; p. 161). »

21. De même, il relève que « bien que l’Accord sur l’EEE ne couvre pas la Directive-cadre, la Norvège s’est politiquement engagée à mettre en place des dispositions légales qui garantissent un niveau de protection égal à celui offert par la Directive. Il ressort clairement de la jurisprudence que les tribunaux norvégiens doivent examiner séparément la question de savoir si un âge limite constitue dans les faits une différence de traitement ou une discrimination illicite, en se référant aux mêmes sources de droit que celles qui auraient été appliquées si l’affaire avait été portée devant le Tribunal de l’UE (§ 12.3.7; p. 161) ».

22. De la même manière, le Comité constate que bien que l’arrêt Kystlink autorise la limite d’âge de 62 ans, « l’arrêt démontre qu’il paraît douteux qu’il existe aujourd’hui dans la navigation des conditions spéciales qui justifient une limite d’âge inférieure pour naviguer ». Il considère en outre possible que « la limite d’âge soit jugée contraire aux normes internationales » et considère que « pour le Comité, il est clair que la pratique judiciaire – en Norvège comme dans l’Union européenne – a évolué depuis le verdict Kystlink […]. » (§ 12.3.7; p. 162). Le Comité considère également que :

« Dans la navigation, un éventail de professions ne sont pas soumises à des exigences d’âge légales fixées pour des raisons de santé et de sécurité. Pour les postes qui exigent un certificat médical, prendre sa retraite lorsque ces exigences ne peut plus être respectées fait partie de la profession. De l’avis du Comité, l’arrêt montre qu’une limite d’âge générale de 62 ans dans la navigation actuelle ne s’inscrit pas nécessairement dans la Directive. Bien que l’appréciation au titre de l’article 6§1 de la Directive puisse être quelque peu différente s’il y a choix délibéré du législateur, le Comité estime qu’il est aujourd’hui difficile de justifier une limite d’âge générale qui soit inférieure pour la navigation que pour d’autres domaines d’activité. »

23. Par ces motifs, le Comité norvégien:

« […] recommande par conséquent le relèvement de la limite d’âge générale obligatoire à 70 ans. Parallèlement, le Comité propose une ouverture explicite à des limites d’âge inférieures pour différentes raisons, dans le cadre de l’interdiction de la discrimination. Les limites d’âge inférieures peuvent être stipulées dans la convention collective ou dans les régimes internes des entreprises. Aujourd’hui, la légalité de ces limites dépend aussi de la question de savoir si elles sont objectivement justifiées et ne sont pas excessivement interventionnistes […] (§ 12.3.7; p. 162). »

« Le Comité propose également que cette disposition soit élaborée en conformité avec les §§15-13a de la loi sur l’environnement de travail. Le texte indiquera clairement, en relation avec la protection contre la discrimination fondée sur l’âge, que les limites d’âge inférieures circonstancielles sont autorisées (§ 12.3.7; p. 163). »

TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

I. Le Conseil de l’Europe

24. Dans sa Résolution 1793(2011) intitulée « Pour une longévité positive: valoriser l’emploi et le travail des seniors », l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe conclut ce qui suit :

« L’Assemblée note que nombre de personnes en âge de travailler et d’apporter une contribution active à la société sont soit au chômage soit «inactives», en particulier les plus de 50 ans, et que la mondialisation et l’intensification de la concurrence affectent l’environnement professionnel et la qualité du travail confié aux travailleurs seniors. Ces derniers font face également à un certain nombre d’obstacles pour demeurer en poste ou réintégrer le marché du travail […] » (§3).

25. S’agissant de la discrimination à raison d’âge, l’Assemblée parlementaire encourage les Etats membres du Conseil de l’Europe « à examiner les orientations suivantes qui leur sembleraient appropriées […] [et à] adopter des lois interdisant la discrimination fondée sur l’âge et supprimer les barrières du marché de l’emploi, et doter les seniors des capacités d’entrer, de rester ou de retourner dans le monde du travail, en fonction de leurs capacités et de leur volonté de travailler; […]” (§6.1.1).

26. Dans sa Recommandation 1796 (2007) sur « la situation des personnes âgées en Europe », l’Assemblée parlementaire dispose que :

« L’âge d’une personne n’est plus un indicateur pour déterminer l’état de sa santé, sa prospérité ou son statut social et il est plus que nécessaire de modifier les approches et les stéréotypes vis-à-vis de l’âge, et d’adapter les politiques en conséquence, notamment en ce qui concerne l’âge limite du départ à la retraite. L’allongement de l’espérance de vie a également des répercussions importantes sur les régimes de protection sociale dans les Etats membres du Conseil de l’Europe (§4). »

« L’Assemblée rappelle à cet égard une des conclusions de la 2e Assemblée mondiale des Nations Unies sur le vieillissement, qui s’est tenue à Madrid en 2002, selon laquelle les personnes d’un certain âge devraient avoir la possibilité de travailler aussi longtemps qu’elles le souhaitent ou le peuvent, dans des emplois gratifiants et productifs. (§5). »

« Malheureusement, les personnes âgées sont encore trop souvent confrontées à des discriminations, que ce soit dans la vie courante ou la vie professionnelle. Cette discrimination se manifeste dans l’emploi […]” (§6).

27. Dans sa Résolution 1502 (2006) « La cohésion sociale face aux défis démographiques », l’Assemblée parlementaire encourage vivement les Etats membres du conseil de l’Europe à « promouvoir le vieillissement actif en donnant la possibilité de travailler plus longtemps à ceux qui sont en bonne santé et qui en expriment le souhait, […] » (§8.3.3).

II. Droit de l’Union européenne

28. La Directive (2000/78/CE) du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JOCE L 303/16, 2.12.2000; « la Directive ») interdit la discrimination pour des raisons d’âge. Le quatorzième considérant de la Directive se lit ainsi :

« La présente directive ne porte pas atteinte aux dispositions nationales fixant les âges de la retraite. »

29. L’article 2 de la Directive définit comme suit la discrimination directe :

« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par «principe de l’égalité de traitement» l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

30. L’article 6 de la Directive définit ainsi la « Justification des différences de traitement fondées sur l’âge » :

« 1. Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a) la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection; […]»

31. La Cour de justice de l’Union européenne (« la Cour de justice ») a abordé à plusieurs reprises la question de la discrimination fondée sur l’âge en relation avec la retraite. Dans la plupart des affaires portées devant la Cour de justice, l’âge limite de la retraite était supérieur à 62 ans (i.e. Palacios de la Villa v. Cortefiel Servicios SA, Recueil de jurisprudence 2007,
page I-08531 ; Torsten Hörnfeldt v. Posten Meddelande AB, OJ C 287, 22.9.2012, p. 11–12 ; Gisela Rosenbladt c. Oellerking Gebäudereinigungsges. mbH, JO C 346, 18.12.2010).

32. La Cour de justice a confirmé que, même si les Etats membres ainsi que, le cas échéant, les partenaires sociaux au niveau national disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser, la marge d’appréciation dont disposent les États membres ne saurait avoir pour effet de vider de sa substance la mise en œuvre du principe de non-discrimination en fonction de l’âge (affaire C-144/2004, Werner Mangold c. Rüdiger Helm, Recueil de la jurisprudence 2005, page I-09981, §63; affaire C-341/2008, Domnica Petersen c. Berufungsausschuss für Zahnärzte für den Bezirk Westfalen-Lippe, JO C 179, 3.7.2010, p. 4-4, §§68, 73,74; Gisela Rosenbladt, op. cit., §§41,44 ; Ingeniørforeningen I Danmark c. Region Syddanmark, JO C 346, 18.12.2010, p. 7–7, § 33; affaire C-388/2007,The Incorporated Trusteed of the National Council on Ageing (Age Concern England) c. Secretary of State for Business, Enterprise and Regulatory Reform, OJ C 102, 1.5.2009, p. 6–7, §25 ; Palacios de la Villa, op. cit., §71).

33. De plus, dans l’affaire Prigge (Reinhard Prigge, Michael Fromm, Volker Lambach v. Deutsche Lufthansa AG, OJ C 319, 29.10.2011, p. 4–4), la Cour de justice a estimé que lorsque les réglementations nationale et internationale permettent aux pilotes de continuer à travailler jusqu’à l’âge de 65 ans, l’interdiction de piloter après l’âge de 60 ans n’est pas nécessaire à la réalisation de l’objectif de sécurité (§63), ni ne constitue une mesure proportionnée (§73). La Cour a par ailleurs fait observer que les raisons pour lesquelles les pilotes seraient considérés comme ne possédant plus les capacités physiques pour exercer leur profession dès l’âge de 60 ans ne sont pas explicitées (§74).

III Droit des Nations Unies

a. Le Comité des droits de l’homme

34. Dans sa décision dans l’affaire Love c. Australie (CCPR/C/77/D/983/2001; Communication n° 983/2001, Constatations adoptées le 28 avril 2003), le Comité des droits de l’homme a interprété le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (New York, 16 décembre 1966, Recueil des traités des Nations unies, vol. 999, p. 171 et vol. 1057, p. 407; « le PIDCP ») et débattu d’une situation où les contrats de travail de l’auteur de la réclamation, qui avait été recruté comme pilote de ligne, avait été rompu lorsqu’il avait atteint l’âge de 60 ans. Bien qu’il ait atteint l’âge légal de la retraite, il continuait d’avoir une licence de pilote valide et un certificat médical.

35. Le Comité des droits de l’homme a noté que des régimes de départ obligatoire à la retraite peuvent être notamment motivés par le souci de protéger les travailleurs en limitant le temps consacré au travail dans leur vie, surtout lorsqu’il existe des régimes complets de sécurité sociale qui garantissent la subsistance des personnes qui ont atteint cet âge. Des raisons liées à la politique de l’emploi peuvent aussi infléchir la législation ou la politique en la matière (§8.2).

36. Le Comité des droits de l’homme a également fait référence aux normes de sécurité internationales établies par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qu’il considère être largement acceptées au niveau national et international et qui, à l’époque, fixaient une limite d’âge de 60 ans pour les pilotes. Considérant que le but de cet âge de départ obligatoire à la retraite était de maximiser la sécurité du personnel navigant, le Comité des droits de l’homme n’a pas pu considérer que la distinction relative à l’âge ne s’appuyait pas sur des considérations objectives et raisonnables en violation de l’article 26 du PIDCP (§§ 4.12, 8.2, 8.3).

37. Dans sa décision dans l’affaire Albareda et autres c. Uruguay (CCPR/C/103/D/1637/2007; Communications n° 1757, 1765/2008, Constatations adoptées le 24 octobre 2011), le Comité des droits de l’homme a cependant examiné la question de la discrimination contre des fonctionnaires publics fondée sur l’âge. D’après le Gouvernement, la disposition attaquée trouvait son origine dans la volonté d’empêcher que le bon accomplissement des fonctions publiques attachées au poste de secrétaire ne soit compromis à cause de la perte des réflexes, des pertes de mémoire, etc., qui se produisent habituellement après l’âge de 60 ans. Dans sa décision, le Comité des droits de l’homme a considéré que le fait d’imposer un âge de départ obligatoire à la retraite pour une profession donnée ne constituait pas en soi une discrimination fondée sur l’âge. Le Gouvernement n’avait pas suffisamment expliqué pourquoi l’âge affectait les performances d’une catégorie administrative de fonctionnaires mais pas de l’autre. Compte tenu de tout ce qui précède, le Comité avait conclu que les faits dont il est saisi faisaient apparaître une discrimination fondée sur l’âge des auteurs, en violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

b. Organisation Internationale du Travail

38. Actuellement, l’article 4, paragraphes 1 et 2 de la Convention sur l’examen médical des gens de mer (adoption : 29 juin 1946, entrée en vigueur: 17 août 1955 ; ratifiée par la Norvège le 17 février 1955) comprend la disposition suivante sur l’examen médical des gens de mer :

« 1. L’autorité compétente déterminera, après consultation des organisations d’armateurs et de gens de mer intéressées, la nature de l’examen médical à effectuer et les indications qui devront être portées sur le certificat.

2. Pour la détermination de la nature de l’examen, il sera tenu compte de l’âge de la personne visée ainsi que de la nature du travail à exécuter. »

39. L’article 2 paragraphe 1 de la Convention sur la continuité de l’emploi (gens de mer) (adoption : 28 octobre 1976, entrée en vigueur : 3 mai 1979 ; ratifiée par la Norvège le 24 janvier 1979), est libellé comme suit :

« 1. Dans chaque Etat Membre où il existe une activité maritime, il incombe à la politique nationale d’encourager tous les milieux intéressés à assurer aux gens de mer qualifiés, dans la mesure du possible, un emploi continu ou régulier et, ce faisant, de fournir aux armateurs une main-d’œuvre stable et compétente.”

40. Les dispositions de l’organisation internationale du travail (« OIT ») sur l’examen de santé des gens de mer ont été révisées et renforcées dans la Convention du travail maritime de 2006 (adoption : 23 février 2006). La Convention a été ratifiée par la Norvège le 10 février 2009 et entrera en vigueur le 20 août 2013.

c. Organisation Maritime Internationale

41. L’Organisation maritime internationale (« OMI ») a établi des règles relatives à l’examen médical des gens de mer dans la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (adoption : 7 juillet 1978 ; entrée en vigueur :28 avril 1984 ; « Convention STCW »), telle qu’amendée.

42. Les normes internationales ont récemment été compilées dans les Directives relatives aux examens médicaux des gens de mer (Organisation internationale du travail, Organisation maritime internationale, ILO/IMO/JMS/2011/12, Genève, 2011), dont les annexes comprennent les dispositions internationales pertinentes de l’OMI, de l’OIT et de l’Organisation mondiale de la santé.

43. D’après les Directives, les normes qu’elles contiennent ont été mises au point dans le but de « parvenir à ce que les certificats médicaux délivrés aux gens de mer soient un indicateur valable de l’aptitude médicalement constatée de l’intéressé à s’acquitter des fonctions qui lui sont attribuées » (Partie 1, § 6).

44. En ce qui concerne les qualités exigées du personnel, le paragraphe 51 comprend les dispositions suivantes :

« vi) Les marins doivent être en mesure de s’adapter aux conditions de vie et de travail à bord, y compris aux exigences des fonctions de quart devant être assurées à des heures diverses du jour et de la nuit, aux mouvements du navire en cas de mauvais temps, à la nécessité de vivre et travailler dans un espace limité, gravir des échelles, lever des charges et, d’une manière générale, travailler par toutes sortes de temps (voir annexe C, tableau B-I/9, pour des exemples de capacités physiques pertinentes).

vii) Les marins doivent être en mesure de vivre et travailler au contact étroit de leurs pairs pendant de longues périodes et dans des conditions parfois éprouvantes. Ils doivent être capables de supporter le fait d’être coupés de leur famille et de leurs amis et, dans certains cas, de leur milieu culturel. »

45. En vertu du paragraphe 57, sous-paragraphe xii, l’examen médical doit prendre en considération l’âge et l’expérience du marin examiné, ainsi que la nature des tâches qu’il doit accomplir et le type d’exploitation du navire et la nature des chargements.

46. Enfin, en dehors de l’OMI, l’article 94 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay, 10 décembre 1982, Recueil des traités des Nations unies, vol. 1833, p. 3) prévoit la règle suivante sur la responsabilité de l’Etat du pavillon en matière de politique sociale et de travail.

« Obligations de l’Etat du pavillon

1. Tout Etat exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans [le domaine] […] social sur les navires battant son pavillon.

2. En particulier tout Etat ;

[…]

b) exerce sa juridiction conformément à son droit interne sur tout navire battant son pavillon, ainsi que sur le capitaine, les officiers et l’équipage pour les questions d’ordre […] social concernant le navire.

3. Tout Etat prend à l’égard des navires battant son pavillon les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer, notamment en ce qui concerne :

[…]

b) la composition, les conditions de travail et la formation des équipages, en tenant compte des instruments internationaux applicables;

[…].”

EN DROIT

Remarques liminaires

47. Le Comité relève que, selon le syndicat auteur de la réclamation, la situation de la Norvège n’est pas conforme aux articles 1§2 et 24 lus seuls ou en combinaison avec l’article E, en raison de l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer qui dispose que les marins peuvent être licenciés à l’âge de 62 ans.

48. Il relève en outre que la réclamation porte, en particulier, sur l’aptitude des travailleurs âgés à poursuivre leur travail. À cet égard, le Comité rappelle que l’objet de l’article 23 de la Charte, qui prévoit le droit des personnes âgées à la protection sociale, ne concerne pas le domaine de l’emploi. Par conséquent, il examine les questions de discrimination dans l’emploi fondées sur l’âge, principalement au titre des articles 1§2 et 24 (Conclusions 2009, Irlande).

49. Il constate que les griefs concernent, en substance, le droit à la protection en cas de licenciement, garanti par l’article 24 de la Charte, ainsi que le droit à la non-discrimination dans l’emploi, garanti par l’article 1§2.

50. Le Comité prend note de la substance des allégations présentées par le FFFS et considère, au vu des arguments avancés par les parties, que la réclamation pose la question de savoir si le fait que le droit interne prévoit un âge limite pour une catégorie donnée de travailleurs au sujet de la suppression des garanties contre le licenciement, constitue un traitement discriminatoire contraire à l’article 24 ou à l’article 1§2 de la Charte, ou à ces deux dispositions.

51. S’agissant de l’article 1§2, le Comité rappelle qu’en matière de discrimination dans l’emploi, il n’y a pas lieu de combiner ledit article à l’article E, étant donné que l’article 1§2 interdit à lui seul toute discrimination exercée à l’égard des travailleurs dans l’emploi (voir paragraphe 82). Pour ce qui est de l’article 24 en revanche, le Comité estime par conséquent que les arguments des parties ne soulèvent pas de question particulière sous l’angle de l’article E de la Charte. Il suffit donc d’examiner ledit article seul.

52. Quant aux modifications en cours de la législation objet du litige, le Comité rappelle qu’il ne prend en compte les aménagements des textes de loi qu’à la condition que la nouvelle législation ait pris effet à la date à laquelle le Comité rend sa décision (voir Conseil européen des syndicats de police c. Portugal, réclamation n° 11/2000, décision sur le bien-fondé du 21 mai 2002 §52). Le Comité constate que le Parlement n’a été jusqu’ici saisi d’aucune proposition et que les modifications législatives n’ont toujours pas pris effet. Il fonde donc sa décision sur la loi sur les gens de mer en vigueur à la date de sa décision.

53. Enfin, le Comité se réfère aux remarques formulées par les instances internationales quant à la nécessité de prévoir un âge plus élevé pour les salariés qui souhaitent continuer à travailler (voir paragraphes 24-27). Il note que l’objet de la présente réclamation affecterait d’abord et avant tout les gens de mer désireux de continuer à travailler à 62 ans.

VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 24 DE LA CHARTE

54. L’article 24 de la Charte se lit ainsi :

« Partie I

24. Tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement. »

« Partie II

Article 24 – Droit à la protection en cas de licenciement

En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :

a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude

ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement

ou du service ;

[…] ».

55. L’Annexe à la Charte sociale européenne révisée inclut la disposition suivante:

« Partie II

Article 24

1. Il est entendu qu’aux fins de cet article le terme « licenciement » signifie la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur.

[…]

3. Aux fins de cet article, ne constituent pas des motifs valables de licenciement notamment :

[…]

d. la race, la couleur, le sexe, l’état matrimonial, les responsabilités familiales, la grossesse, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale ;

[…] »

A – Argumentation des parties

1. Le syndicat auteur de la réclamation

56. Le FFFS allègue qu’aux termes de la loi sur les gens de mer, un marin qui a atteint l’âge de 62 ans et a droit à la pension légale des gens de mer ne bénéficie plus des mesures générales de protection contre le licenciement.

57. En conséquence, le FFFS considère que l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer est discriminatoire sur le fondement de l’âge. Pour le syndicat, la disposition est discriminatoire à la fois par rapport aux marins employés sur les navires battant pavillon d’un autre Etat et par rapport aux personnes qui exercent d’autres professions en Norvège. Le FFFS invoque qu’un marin de nationalité norvégienne est protégé contre les licenciements jusqu’à l’âge de 70 ans s’il est employé sur un bateau qui bat pavillon danois par exemple. De plus, en Norvège, les marins sont discriminés à cause de leur âge par rapport aux salariés d’autres catégories professionnelles, l’âge de départ obligatoire à la retraite étant fixé à 65 ans dans des professions plus éprouvantes, comme les pilotes ou les ouvriers pétroliers.

58. Les armateurs appliquant strictement la limite d’âge, à l’exception de quelques compagnies de moindre taille, le FFFS considère que la limite d’âge s’interprète de fait comme une mise à la retraite d’office. Il considère également que le droit à une pension ne saurait être l’équivalent du droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris, être à la retraite n’étant pas comparable avec le fait d’avoir un emploi.

59. Le FFFS soutient que le Gouvernement n’a fourni aucune justification objective pour défendre la limite d’âge. En particulier, il n’a pas apporté la preuve que l’état de santé des marins se détériorerait de manière significative après 62 ans. A cet égard, il observe que chaque année tous les marins de plus de 50 ans doivent passer un contrôle médical approfondi pour pouvoir continuer à travailler en mer. Les licencier à 62 ans, quel que soit le résultat du check-up, n’est pas conforme à l’objectif de l’examen médical approfondi.

60. Le FFFS allègue également que l’article 19§1, alinéa 7, de la loi sur les gens de mer est un dispositif dépassé, adopté lors de la mise en place en Norvège d’un système de pension à part pour les marins. Il note qu’en Norvège l’espérance de vie a progressé d’une dizaine d’années depuis la promulgation initiale de la disposition concernée et que l’état de santé des travailleurs seniors s’est elle aussi considérablement améliorée. De la même manière, la demande de marins reste élevée alors que travailler sur des bateaux est devenu plus sûr et plus simple aujourd’hui.

61. S’agissant de la pratique norvégienne, le FFFS allègue que l’avis formulé par la Cour suprême sur l’âge de la retraite obligatoire des gens de mer dans l’affaire de l’hélicoptère (voir paragraphe 17) montre qu’en matière de droits à une pension, les arguments économiques pèsent moins lourds que le droit au travail en tant que tel. Le syndicat auteur de la réclamation considère en outre que la pratique susmentionnée de la Cour de justice (voir paragraphe 31-33; en particulier les affaires Gisela Rosenbladt et Torsten Hörnfeldt) ne concernent pas directement la présente réclamation, aucun des arrêts ne portant sur le refus du droit de travailler en mer. Par rapport aux professions exercées sur terre, ce refus constitue une atteinte bien plus grave, puisqu’il restreint la capacité des marins à travailler en mer. De plus, le FFFS souligne que les limites d’âge examinées dans les deux affaires étaient de 65 et 67 ans et donc bien plus élevées que dans la présente affaire.

62. S’agissant des activités du Comité national, le FFFS considère que sa proposition de porter l’âge de départ obligatoire à la retraite à 70 ans vérifie la violation alléguée de la Charte par la Norvège.

63. Au vu de ce qui précède, le FFFS allègue que la limite d’âge inférieure fixée à l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer n’est pas objectivement justifiée, mais constitue une atteinte inutile et excessive au droit au travail des gens de mer et à leur droit à la protection en cas de licenciement et qu’à ce titre elle est contraire aux articles 1§2 de la Charte lus seuls ou en combinaison avec l’article E de la Charte.

2. Le Gouvernement défendeur

64. Le Gouvernement soutient que la limite d’âge inférieure prévue par l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer, actuellement en vigueur, est conforme à la Charte.

65. Concernant le contexte historique de la législation, le Gouvernement indique que le Parlement en 1948 a fondé la limite d’âge inférieure des marins sur des facteurs liés aux conditions de travail spéciales et variables, au fait que les marins ne pouvaient pas bénéficier de mesures sociales comparables à celles des autres citoyens et au rôle économique vital du secteur maritime pour la Norvège. Ces avantages sociaux étaient aussi censés favoriser la stabilité de la profession de marins et leur nécessaire recrutement.

66. Lors des travaux préparatoires de la loi sur les gens de mer de 1948, la limite d’âge se justifiait au regard de la pénibilité et des risques inhérents à la profession, ainsi que de la nécessité de posséder des qualités physiques et mentales particulièrement fortes. Les salariés plus âgés étaient souvent évincés par les jeunes.

67. Lorsque l’âge de départ à la retraite a été porté à 62 ans dans les années 1980, référence a par ailleurs été faite dans les travaux préparatoires aux conditions de travail incomparables sur terre et en mer, à la vie en communauté 24 heures sur 24 en mer et au fait qu’une personne jugée incapable de travailler en mer pour des raisons d’âge pouvait continuer de travailler à terre.

68. La justification de la limite d’âge a été examinée en relation avec la transposition en 2006 de la Directive 2000/78/CE par la Norvège. Là encore, elle se justifiait par la nature et la fatigue inhérentes à la profession, ainsi que par le fait que les marins qui partent à la retraite à 62 ans sont économiquement indépendants, puisqu’ils ont droit à une pension à 60 ans. Le Gouvernement observe en outre que la limite d’âge inférieure a été approuvée par toutes les parties prenantes lors des consultations publiques sur la procédure législative.

69. Le Gouvernement rappelle que la limite d’âge résulte d’un choix délibéré du législateur. Par conséquent, la situation des marins est différente de celle de l’affaire nationale de l’hélicoptère, dont a eu à connaître la Cour suprême, ainsi que de celle abordée dans l’affaire of Prigge, sur laquelle s’est penchée la Cour de Justice (voir paragraphes 17 et 33), où des limites d’âge inférieures avaient été fixées dans des conventions collectives en dérogation des limites d’âge plus élevées prévues dans la législation nationale.

70. S’agissant des visites médicales des marins en particulier, le Gouvernement se réfère au rapport du Comité national (voir paragraphe 18) et considère que l’appréciation de l’aptitude d’un marin âgé à continuer à travailler en mer ne dépend pas uniquement d’un certificat médical valide. Sauf avis contraire, « le travail à bord de certains navires, par exemple les hors-bords, requiert un degré de vigilance et des capacités de réaction qui chez beaucoup de personnes diminuent avec l’âge ».

71. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement considère que la limite d’âge inférieure de la retraite pour les marins s’inscrit dans une réglementation spéciale sur la profession de marin, qui comprend des règles strictes en matière de santé, des conditions plus clémentes en matière d’incapacité et un âge d’ouverture du droit à pension moins élevé. Ces réglementations visent toutes à garantir la santé et la sécurité en mer, ainsi que les exigences opérationnelles de la navigation.

72. Le Gouvernement considère, par conséquent, que la limite d’âge de 62 ans reste fondée sur des considérations d’emploi et de politique sociale légitimes. Ces buts légitimes servent l’intérêt général et, en tant que tels, ils sont de nature différente des raisons individuelles relevant de la situation individuelle d’un employeur.

73. Au regard de la grande diversité des âges de départ à la retraite en vigueur dans les Etats membres, le Gouvernement fait valoir que les Parties à la Charte jouissent d’une grande marge d’appréciation pour fixer l’âge de départ à la retraite, aussi longtemps que les limites d’âge se justifient objectivement et raisonnablement par un but légitime, comme c’est le cas dans la présente réclamation.

74. Le Gouvernement reconnaît qu’une fois atteint l’âge de la retraite, un employeur a le droit de licencier un marin uniquement pour des raisons d’âge, de sorte que la limite d’âge s’interprète comme une réduction substantielle de la protection de l’emploi. Si le contrat de travail d’un marin prend fin à cet âge, rien ne l’empêche de conclure un autre contrat d’embauche en tant que marin. « Le dispositif des retraites » ne fait donc pas obligation de prendre la retraite.

75. Le Gouvernement considère que l’article 19§1, alinéa 7 de la loi sur les gens de mer ne s’interprète en aucune manière comme une mise à la retraite d’office des gens de mer, puisque d’après les données des registres de l’administration norvégienne chargée du travail et du bien-être, 430 marins de plus de 62 ans travaillaient sur des navires au 1er janvier 2013. Au
1er janvier 2011, ils étaient 319.

76. Le Gouvernement soutient également que dans certains cas, la fin automatique de la relation de travail est aussi autorisée à 68 ans, 65 ans, 63 ans ou 60 ans pour des raisons liées à la santé, à la sécurité ou à des exigences professionnelles. Par ailleurs, plusieurs lois spéciales, à l’instar des conventions collectives et individuelles, prévoient des dispositions sur les âges spéciaux de départ à la retraite. Ces âges spéciaux s’appliquent dans des domaines tels que la santé, la police, l’armée, les services pénitentiaire, ferroviaire et aérien.

77. D’après la loi sur l’environnement de travail de 2005 cependant, un employeur ne peut mettre fin à une relation de travail uniquement pour des raisons d’âge qu’à partir du moment où l’employé a atteint 70 ans. À cet égard, le Gouvernement se réfère aux Conclusions du Comité de 2008 sur la Norvège, dans lesquelles le Comité a considéré cette situation conforme à l’article 24 de la Charte (Conclusions 2008, Norvège).

78. Le Gouvernement observe qu’à l’origine, l’âge de départ à la retraite des marins était de 60 ans et qu’il était identique à l’âge d’ouverture des droits à pensions. Suite à une harmonisation de la législation sur la navigation avec la loi sur l’environnement de travail dans les années 1980, l’âge de départ à la retraite des marins a été porté à 62 ans.

79. Le Gouvernement souligne qu’un éventuel licenciement à l’âge de 62 ans ne devrait pas être considéré comme étant disproportionné uniquement parce qu’il peut entraîner une baisse de revenu à partir du moment où le marin touche une pension et non plus un salaire. Le Gouvernement soutient que les marins concernés ont droit à une pension et que par conséquent ils continuent de « gagner leur vie » au sens dudit article. A cet égard, le Gouvernement allègue que l’annexe à la Charte ne mentionne ni l’âge ni l’ouverture des droits à une pension parmi les raisons ne justifiant pas un licenciement en vertu de cet article. Ils peuvent donc constituer des motifs valables de licenciement.

80. Enfin, la loi sur les gens de mer est en cours de révision et un projet de loi révisée devrait être déposé au Parlement au printemps 2013. Le Gouvernement note néanmoins que « nul ne peut prévoir l’issue de ce processus en ce qui concerne le dispositif des retraites ».

81. Le Gouvernement conclut que la disposition contestée de la loi sur les gens de mer est conforme à l’article 24 de la Charte, ainsi qu’à son l’article 1§2.

B – Appréciation du Comité

82. S’agissant de l’article 24 de la Charte, le Comité rappelle que, d’une manière générale, les conditions du droit du travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris, de même que toute discrimination en la matière, sont examinées dans le cadre de l’article 1§2 de la Charte. Néanmoins, lorsqu’un licenciement est uniquement dicté par l’âge du salarié, le Comité considère que les faits de la cause peuvent constituer une restriction du droit à la protection en cas de licenciement et, dès lors, relever de l’article 24 de la Charte.

83. Une série de dispositions de la Charte exigent des mesures de protection plus strictes contre le licenciement pour certains motifs. Parmi ces dispositions figurant l’article 1§2, dans sa partie consacrée à la protection contre le licenciement. La plupart des motifs concernés sont énumérés dans l’Annexe à l’article 24 comme étant des motifs non valables de licenciement (Conclusions 2008, Malte).

84. Le Comité rappelle avoir indiqué que l’âge ne saurait constituer un motif valable de licenciement, sauf si ce dernier est, au regard du droit interne, objectivement et raisonnablement justifié par un but légitime – politique légitime de l’emploi, objectifs du marché de l’emploi, ou encore nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service – et à condition que les moyens de réaliser ce but soient appropriés et nécessaires (Conclusions 2008, Lituanie).

85. Le Comité souligne qu’il a adopté l’observation interprétative ci-après concernant l’âge et cessation d’emploi (Conclusions 2010, Introduction générale):

«Le Comité rappelle que, conformément à l’Annexe à la Charte, aux fins de l’article 24 le terme « cessation d’emploi », signifie la cessation d’emploi à l’initiative de l’employeur. Par conséquent, les situations où un âge de retraite obligatoire est fixée par la loi, à la suite de laquelle la relation de travail cesse de plein droit par l’effet de la loi, ne relèvent pas du champ d’application de cette disposition.

Le Comité rappelle que l’article 24 fixe de manière limitative les motifs pour lesquels un employeur peut mettre fin à une relation d’emploi. Deux types de motifs sont considérés comme étant valables : d’une part, ceux liés à l’aptitude ou à la conduite du travailleur et, d’autre part, ceux fondés sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise (raisons économiques).

Le Comité considère que, au regard de l’article 24, le licenciement à l’initiative de l’employeur au motif que le travailleur a atteint l’âge normal d’admission à la retraite (âge à partir duquel une personne est en droit de percevoir une pension) sera contraire à la Charte, sauf si le licenciement est dûment justifié par l’un des motifs valables expressément établis par cette disposition de la Charte. »

86. Se référant à cette observation interprétative, le Comité rappelle que les situations où un âge de départ obligatoire à la retraite est prévu par la loi, mettant ainsi fin, d’office et de plein droit, à la relation d’emploi, sont exclues du champ d’application de l’article 24. Néanmoins, les situations où un salarié peut être licencié à l’initiative de l’employeur au seul motif qu’il a atteint l’âge d’admission à la retraite sont jugées contraires à la Charte. Le Comité note qu’en vertu de ce qui précède, la limite d’âge générale de 70 ans inscrite dans la loi sur l’environnement de travail ne relève pas du champ d’application de l’article 24 en ce qu’il constitue l’âge de départ obligatoire à la retraite auquel la relation d’emploi cesse d’exister. Il observe que la loi sur les gens de mer n’impose à aucun employeur de mettre fin à un contrat d’emploi, mais ôte au salarié toute protection contre un licenciement de cette nature.

87. Le Comité prend note des arguments avancés à cet égard par les parties à la réclamation, à savoir celui de la FFFS selon lequel la règle en matière de départ à la retraite est rigoureusement appliquée par la grande majorité des entreprises de transport maritime, et celui du Gouvernement selon lequel un marin relevant du champ d’application de la disposition relative au départ à la retraite est bel et bien libre de continuer à travailler. Il ressort des observations des parties ainsi que du rapport du Comité norvégien (voir par. 19) que cette possibilité est, dans les faits, utilisée par bon nombre d’employeurs. Cela étant, tous n’y ont pas recours, puisqu’il a été établi que 430 marins âgés de 62 ans ou plus sont toujours employés à bord de navires norvégiens. Il est donc établi que la limite d’âge actuellement en vigueur n’équivaut pas, dans les faits, à une rupture automatique de la relation d’emploi pour les gens de mer.

88. La conformité de la limite d’âge au regard de l’article 24 dépend de l’existence ou non d’une obligation de justifier la dénonciation du contrat de travail en invoquant l’un des motifs valables énoncés dans cet article. Le Comité observe que le libellé des dispositions litigieuses de la loi sur les gens de mer autorise le licenciement des marins concernés à l’âge de 62 ans, indépendamment de leur capacité ou de leur comportement, et quelles que soient les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service.

89. Le Comité observe que, dès lors que le droit interne n’exige aucun motif autre que l’âge pour justifier le licenciement, la disposition litigieuse relève clairement du champ d’application de l’article 24.

90. Il ressort plus particulièrement des arguments avancés par le Gouvernement que la décision de fixer un âge de départ à la retraite plus bas (62 ans) pour les gens de mer a été prise sur la base de diverses considérations touchant à la politique de l’emploi, en fonction de certaines exigences pratiques, et dans le but aussi de garantir la santé et la sécurité des marins (voir paragraphes 64 à 67). Le comité ne voit aucune raison de mettre en doute la légitimité de ces considérations. Il estime en outre que les éléments comme ceux invoqués dans la présente réclamation relèvent de la marge d’appréciation laissée aux Etats parties.

91. Le Comité considère qu’une disposition établissant un âge de départ obligatoire à la retraite, si légitime en soit le but, doit aussi s’avérer nécessaire à la réalisation du but poursuivi. Ici encore, le Comité prend note à cet égard des multiples buts et objectifs spécifiques de la législation dont fait état le Gouvernement. Pour ce qui est du but qui consiste à garantir la santé et la sécurité des gens de mer, le Comité prend note de l’argumentation des parties concernant les conditions dans lesquelles se déroule le travail en mer, conditions qui ont été invoquées pour justifier l’anticipation du départ à la retraite. Il observe ici qu’une description actualisée des qualités physiques et mentales requises pour exercer le métier de marin figure dans les Lignes directrices définies conjointement par l’OIT et l’OMI (voir paragraphe 42). Même si les contraintes physiques et le risque du travail en mer ont plus que vraisemblablement diminué ou changé depuis 1948, le Comité note que la description que fait le Gouvernement du travail en mer correspond dans l’ensemble à ce qui est indiqué dans ces Lignes directrices.

92. De l’avis du Comité, cela n’a toutefois guère d’importance pour le règlement du présent litige. Au vu de la réglementation internationale susmentionnée relative aux examens médicaux des gens de mer (voir paragraphes 41 à 46), , il incombe aux instances responsables de l’Etat du pavillon de garantir que lesdits examens soient suffisamment approfondis pour pouvoir établir avec certitude que l’intéressé remplit toutes les conditions physiques et mentales requises pour s’acquitter des tâches qui lui sont confiées à bord du navire sur lequel il est employé. Il doit notamment être tenu compte de l’âge du marin et de la nature des tâches à effectuer. Le Comité note que le Gouvernement n’a produit aucun élément tendant à démontrer la prétendue dégénérescence de la santé des marins à l’âge précis de 62 ans.

93. Le Comité souscrit sur ce point à l’argument avancé par l’organisation réclamante, à savoir qu’il est contradictoire de soumettre les gens de mer de plus de 50 ans à un bilan de santé annuel très complet et d’amenuiser considérablement leur protection contre le licenciement à l’âge de 62 ans, quel que soit le résultat du dernier bilan de santé. Il estime que puisque qu’un certificat d’aptitude médicale à l’exercice de certains types de tâches devant être effectuées à bord d’un navire peut être délivré à un marin ayant atteint l’âge de 62 ans et puisque ce marin peut être réembauché en vertu d’un nouveau contrat de travail pour exercer les tâches confiées aux marins quel soit leur âge, la limite d’âge de 62 ans ne peut être jugée nécessaire à la réalisation des objectifs recherchés.

94. Bien que le Gouvernement fasse valoir que les dispositions de loi litigieuses aient pour but de garantir les exigences opérationnelles du transport maritime, le Comité note que ces exigences ne sont pas précisées. Il observe cependant que le personnel navigant doit être capable de s’acquitter de ses tâches en toutes circonstances en mer afin de veiller à ce que le navire demeure opérationnel et parfaitement sûr. Dans le droit fil de ce qu’il a indiqué plus haut à propos des examens médicaux, le Comité estime toutefois que si tous les marins sont – ainsi qu’il est régulièrement établi par les certificats médicaux appropriés – capables de s’acquitter des tâches particulières qui leur sont confiées à bord, le navire devrait demeurer opérationnel. La différence de traitement ne peut donc être fondée sur des exigences opérationnelles.

95. S’agissant du rôle économique vital du secteur maritime pour la Norvège, le Comité observe que le Gouvernement n’a pas développé cet argument plus avant. Selon le Gouvernement, les marins d’un certain âge ont tendance à être évincés par des collègues plus jeunes. L’organisation réclamante affirme en outre que ce secteur reste demandeur d’une main-d’œuvre qualifiée, argument que le Gouvernement ne conteste pas. Le Comité note que, dans la mesure où aucune des deux parties n’a fourni de précisions sur ce point, il ne dispose pas d’informations appropriées sur cette question et ne l’examinera pas plus avant.

96. En ce qui concerne l’argument qui consiste à favoriser le nécessaire recrutement de gens de mer plus jeunes dans la profession, le Gouvernement soutient que la possibilité de prendre sa retraite à l’âge de 62 ans, alliée à un âge d’admission à pension inférieur (60 ans,) devrait créer des conditions sociales favorables censées contribuer au recrutement dans la profession. Le raisonnement initial qui remonte à 1948 a été repris en 2006. Le Comité constate une fois encore qu’il n’a reçu ni informations précises ni données statistiques qui lui permettraient de savoir si cette politique a été une réussite. Il n’est donc pas en mesure de se prononcer sur la validité de cet argument.

97. Fondant son appréciation sur les considérations qui précèdent, le Comité estime que le Gouvernement n’a pas présenté d’arguments suffisamment précis pour justifier la différence de traitement. Il ne lui a été soumis aucun élément démontrant en quoi la limite d’âge de 62 ans répondrait à des exigences professionnelles essentielles de nature à justifier la retraite anticipée des gens de mer, dans les circonstances actuelles. Le Comité dit, par conséquent, que la limite d’âge ne repose pas sur des motifs objectifs. En outre, il n’est pas démontré qu’il n’aurait pas été possible d’atteindre les buts poursuivis par des moyens moins radicaux. Le Comité dit, par conséquent, que la limite d’âge affecte de manière disproportionnée les droits des gens de mer qui relèvent de son champ d’application et que la loi sur les gens de mer n’exige aucun motif valable, au sens de l’article 24, à leur licenciement.

98. Enfin, pour ce qui est de l’argument du Gouvernement selon lequel l’Annexe à la Charte n’interdit pas le licenciement fondé sur l’ouverture des droits à pension – laquelle ne figure pas parmi les motifs ne justifiant pas la rupture de la relation d’emploi -, le Comité se réfère aux Conclusions susmentionnées, aux termes desquelles les motifs prohibés de discrimination ne sont pas tous énoncés dans l’Annexe (voir paragraphe 82).

99. Le Comité dit que la disposition litigieuse autorise le licenciement direct à raison de l’âge, et qu’elle ne garantit donc pas effectivement le droit des gens de mer à la protection en cas de licenciement, et ce indépendamment de la question de savoir si les intéressés seront admis au bénéfice d’une pension lorsqu’il aura été mis fin à leur relation de travail.

100. Au vu de ce qui précède, le Comité dit que l’article 19§1, alinéa 7, de la loi sur les gens de mer constitue une violation de l’article 24 de la Charte.

VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1§2 DE LA CHARTE

101. L’article 1§2 de la Charte se lit ainsi :

« Partie I

1. Toute personne doit avoir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement entrepris. »

« Partie II

Article 1 – Droit au travail

En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les Parties s’engagent :

[…]

2. à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris. »

A – Conclusions des parties

1. Le syndicat auteur de la réclamation

102. Les arguments du FFFS ont été présentés au titre de l’article 24.

2. Le Gouvernement défendeur

103.

104. Les arguments du Gouvernement ont été présentés au titre de l’article 24.

B – Appréciation du Comité

105. Le Comité rappelle que cette disposition oblige les Etats qui l’ont acceptée à protéger de façon efficace le droit pour les personnes qui travaillent de gagner leur vie par un travail librement entrepris. Cette obligation implique notamment l’élimination de toute discrimination dans l’emploi quel que soit le statut juridique de la relation professionnelle (Syndicat national des professions du tourisme c. France, réclamation n° 6/1999, décision sur le bien-fondé du 10 octobre 2000, §24; Conseil quaker pour les affaires européennes (QCEA) c. Grèce, réclamation n° 8/2000, décision sur le bien-fondé du 25 avril 2001, § 20). L’article 1§2 couvre également des questions liées à l’interdiction du travail forcé (Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme c. Grèce, réclamation n° 7/2000, décision sur le bien-fondé du 5 décembre 2000, par. 17) ainsi que certains autres aspects du droit de gagner sa vie par un travail librement entrepris (Conclusions XVI-1, tome 1). Le Comité estime que la présente réclamation soulève surtout des questions qui touchent au premier aspect dudit article.

106. Le Comité réitère qu’au regard de l’article 1§2, le droit interne doit interdire toute discrimination dans l’emploi à raison, notamment, de l’âge (Conclusions XVIII-1; Conclusions 2006, Norvège; Conclusions 2008, Lituanie, Conclusions 2008, Pays-Bas). La législation doit couvrir aussi bien la discrimination directe que la discrimination indirecte (Autisme-Europe c. France, réclamation n° 13/2002, décision sur le bien-fondé du 4 novembre 2003, par. 52).

107. Le Comité se réfère, par ailleurs, à sa précédente conclusion selon laquelle les actes et dispositions discriminatoires prohibés par l’article 1§2 peuvent concerner tous les aspects du recrutement et les conditions d’emploi en général, y compris le licenciement (Conclusions XVI-1, Autriche; Conclusions 2008, Azerbaïdjan). Il peut être dérogé à l’interdiction de la discrimination pour des exigences professionnelles essentielles ou pour permettre la mise en place de mesures d’intervention positive (Conclusions 2006, Bulgarie ; Conclusions 2008, Azerbaïdjan).

108. Sur la notion de discrimination, le Comité rappelle avoir précédemment considéré qu’une différence de traitement entre des personnes se trouvant dans des situations comparables constitue une discrimination contraire à la Charte si elle ne poursuit pas un but légitime et ne repose pas sur des motifs objectifs et raisonnables (Syndicat national des professions du tourisme c. France, cité plus haut, § 25).

109. S’agissant de savoir si l’on peut considérer, en l’espèce, que l’on se trouve en présence de catégories professionnelles qui sont dans des situations comparables, le Comité note que le FFFS estime que la disposition litigieuse est discriminatoire, en premier lieu pour les gens de mer employés à bord de navires immatriculés dans un Etat où l’âge de départ obligatoire des marins à la retraite est plus élevé. Le Comité répète, à ce sujet, que l’examen des réclamations collectives n’implique aucune comparaison entre les Etats parties qui ont ratifié la Charte (Commission internationale de juristes c. Portugal, réclamation n° 1/1998, décision sur le bien-fondé du 9 septembre 1999, par. 24). Le Comité fait cependant observer sur ce point qu’aucune règlementation internationale relative à l’âge souhaitable de départ à la retraite, à l’image de celle à laquelle le Comité des droits de l’homme a fait allusion dans l’affaire Love c. Australie pour les pilotes, n’a été portée à sa connaissance. Le Comité se limitera donc à examiner la situation de la Norvège.

110. En Norvège, tous les travailleurs sont en droit de travailler jusqu’à l’âge normal d’admission à pension, qui est de 70 ans, certaines exceptions étant toutefois prévues – 65 ans, par exemple, pour les pilotes et les ouvriers employés dans le secteur du pétrole. Pour les gens de mer, l’âge au-delà duquel ils peuvent être licenciés au motif qu’ils ont atteint la limite d’âge a été fixé à 62 ans. L’organisation auteur de la réclamation soutient que la loi sur les gens de mer est discriminatoire pour ces salariés par rapport à d’autres professions en Norvège où les salariés peuvent continuer à travailler sans que leur protection dans l’emploi soit en quoi que ce soit modifiée à l’âge de 62 ans. Selon la FFFS, les gens de mer sont plus particulièrement discriminés par rapport aux employés qui travaillent dans des secteurs d’activité comme les pilotes ou les ouvriers employés dans le secteur du pétrole. De l’avis du Comité, ces deux catégories de personnel, en particulier les pilotes chevronnés et les ouvriers expérimentés employés dans le secteur du pétrole, peuvent être considérées comme comparables aux gens de mer aux fins de la présente réclamation. Le Comité admet que ces différentes catégories de personnels travaillent dans des situations qui peuvent être assez similaires en termes de difficultés professionnelles et d’efforts physiques.

111. Le Comité estime que l’application de la disposition litigieuse de la loi sur les gens de mer qui leur impose de quitter l’emploi qu’ils occupent à l’âge de 62 ans a pour effet de soumettre les marins qui relèvent de son champ d’application à un traitement moins favorable que d’autres personnes qui peuvent continuer à travailler en Norvège sans que ce droit soit soumis à des restrictions après 62 ans. Il considère, par conséquent, que la loi sur les gens de mer établit une différence de traitement entre ces catégories de travailleurs, fondée sur l’âge.

112. S’agissant de la substance de la disposition litigieuse, le Comité note que l’article 19 de la loi sur les gens de mer comporte des règles relatives à la protection contre les licenciements injustifiés et fixe à 62 ans l’âge au-delà duquel les gens de mer peuvent être licenciés sans autre motif que l’âge. Telle qu’elle est libellée, la disposition litigieuse ne prévoit pas d’âge inférieur de départ à la retraite. En outre, selon des informations communiquées par le Gouvernement, 430 marins au total avaient pu, au 1er janvier 2013, continuer à travailler en mer bien qu’ils aient atteint la limite d’âge contestée.

113. Le Comité remarque cependant qu’il ne dispose d’aucune information quant au nombre total de marins qui ne sont plus employés dans la profession des gens de mer à l’âge de 62 ans et au-delà, de sorte qu’il lui est impossible de comparer le chiffre cité à celui des marins qui ne conservent pas leur emploi. Qui plus est, selon le Comité norvégien, le texte de loi litigieux, conjugué à la loi en vigueur sur l’assurance-pensions, « a incité de nombreuses entreprises […] à adopter des régimes internes qui prévoient la mise à la retraite d’office des marins de 62 ans » (voir paragraphe 19). Le Comité estime qu’il existe suffisamment d’éléments démontrant qu’un nombre important de marins sont, dans les faits, licenciés à l’âge de 62 ans, en application de la disposition litigieuse. Ce point n’a pas été contesté par le Gouvernement.

114. Le Comité rappelle que l’objet et le but de la Charte, instrument de protection des droits de l’homme, consistent à protéger des droits non pas théoriques mais effectifs (Commission internationale de juristes c. Portugal, op. cit., §32). Il considère par conséquent que, même si la disposition en question ne constitue pas, dans son libellé, une règle établissant un âge de départ obligatoire à la retraite pour les gens de mer, elle est souvent appliquée comme telle.

115. Le Comité dit que le fait de fixer, dans la législation nationale, une limite d’âge pour une catégorie déterminée de travailleurs en ce qui concerne les garanties dont ils jouissent en matière de protection contre le licenciement constitue une discrimination dès lors que cette limite d’âge n’est pas suffisamment justifiée. Il appartient, dès lors, au Comité de déterminer si la différence de traitement constituait une discrimination contraire à la Charte – si, en d’autres termes, elle poursuivait un but légitime et reposait sur des motifs objectifs et raisonnables compte tenu de la situation particulière de la catégorie de travailleurs à laquelle elle s’applique. Le Comité rappelle, à cet égard, que les Etats jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique, mais qu’il appartient au Comité de décider, en dernier lieu, si la distinction entre dans la marge d’appréciation (Confédération française démocratique du travail (CFDT) c. France, réclamation n° 50/2008, décision sur le bien-fondé du 9 septembre 2009, § 39).

116. Au regard de l’article 1§2 de la Charte, les personnes âgées ne peuvent être privées de la protection effective du droit de gagner sa vie par un travail librement entrepris. Le Comité dit, en particulier, qu’au-delà de la question des droits à pension (qui, sans être directement en jeu dans la présente réclamation, constituent un élément important de la protection sociale censé garantir aux personnes âgées un niveau de vie décent), on ne saurait dissocier les droits des personnes âgées sur le lieu de travail et la protection contre la discrimination – surtout celle fondée sur l’âge.

117. Cet aspect du droit de gagner sa vie par un travail librement entrepris concorde également avec l’un des principaux objectifs de l’article 23, à savoir permettre aux personnes âgées de rester membres à part entière de la société et, par conséquent, de ne subir aucun ostracisme en raison de leur âge. Partant de ce point de vue, le Comité a considéré qu’il fallait reconnaître à toute personne active ou retraitée le droit de participer aux divers domaines d’activité de la société, en ce comprises les mesures visant à permettre aux personnes âgées de continuer à travailler ou à les y encourager (Conclusions XIII-5, Finlande, p. 323). Parmi ces mesures figurent le recul de l’âge de départ à la retraite ou la possibilité de prendre une retraite anticipée afin d’exercer un autre emploi ou une activité non salariée. Les instruments adoptés en la matière par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (voir paragraphes 24 à 27 supra) vont à cet égard dans le même sens que la Charte.

118. Le Comité se réfère à son constat sous l’angle de l’article 24, à savoir que les arguments sur lesquels se fonde la limite d’âge ne constituent pas une justification suffisante pour expliquer, de nos jours, (voir paragraphe 96) la différence de traitement, laquelle a pour effet d’empêcher des travailleurs qualifiés de poursuivre l’exercice de l’activité de leur choix aussi longtemps que des travailleurs employés dans d’autres professions. Pour ces mêmes

raisons, il considère que l’âge de départ obligatoire à la retraite affecte de manière disproportionnée les droits des gens de mer qui relèvent du champ d’application de la disposition litigieuse et qu’au regard de l’article 1§2, cette différence de traitement constitue une discrimination contraire au droit à la non-discrimination dans l’emploi garanti par ledit article.

119. Au vu de ce qui précède, le Comité estime que la discrimination établie constitue une violation du droit effectif d’un travailleur à gagner sa vie par un travail librement entrepris, comme le prévoit l’article 1§2 de la Charte.

CONCLUSION

Par ces motifs, le Comité conclut

– à l’unanimité qu’il y a une violation de l’article 24 de la Charte ;

– à l’unanimité qu’il y a une violation de l’article 1§2 de la Charte.

Jarna PETMAN
Rapporteur

Luis JIMENA QUESADA
Président

Régis Brillat
Secrétaire exécutif

Documents connexes

3e évaluation du suivi: Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège, réclamation n° 74/2011, décision sur le bien-fondé du 2 juillet 2013, Resolution ResChS(2013)17

Résolution CM/ResChS(2013)17, Réclamation collective n° 74/2011, Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège

Evaluation du suivi : Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège, Réclamation Collective n° 74/2011

Décision sur la recevabilité : Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège, Réclamation Collective n° 74/2011

Décision sur le bien-fondé : Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège, Réclamation Collective n° 74/2011

2ème évaluation du suivi (2017): Fellesforbundet for Sjøfolk (FFFS) c. Norvège, réclamation n° 74/2011

Dernière mise à jour le septembre 17, 2021 par loisdumonde

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *