Loquifer c. Belgique (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 253
Juillet 2021

Loquifer c. Belgique79089/13, 13805/14 et 54534/14

Arrêt 20.7.2021 [Section III]

Article 6
Procédure civile
Article 6-1
Accès à un tribunal

Absence de recours judiciaire pour contrôler la suspension par le Conseil supérieur de la Justice d’un de ses membres non-magistrat : article 6 applicable ; violation

En fait – La requérante était un membre « non-magistrat » du Conseil supérieur de la Justice (CSJ). Suite à son inculpation pénale, elle fut suspendue par l’assemblée générale du CSJ de toutes ses fonctions. Et la suspension fut prolongée pour une période totale de près de deux ans. La requérante allègue l’absence de recours judiciaire pour contester les décisions prises par le CSJ.

En droit – Article 6 § 1 :

1. Applicabilité

La question de l’applicabilité du volet civil de l’article 6 § 1 est déterminée par les critères énoncés dans l’arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], tels qu’ils ont notamment été appliqués à des litiges concernant des magistrats (Baka c. Hongrie [GC] et Denisov c. Ukraine [GC]).

a) Sur l’existence d’une contestation relative à un droit :

Il ne fait pas de doute qu’une contestation concernant l’exercice par la requérante de son mandat de membre du CSJ a surgi avec la décision de l’assemblée générale du CSJ de suspendre la requérante de toutes ses fonctions au sein du CSJ. Cette contestation était réelle et sérieuse, la requérante contestant la légalité de la mesure prise à son encontre.

Selon le code judiciaire, la requérante était élue au CSJ pour un mandat renouvelable de quatre ans. Le droit interne lui conférait ainsi, en principe, le droit d’exercer son mandat jusqu’à son terme. En outre, la requérante était élue comme membre du bureau pour toute la durée de son mandat de membre du CSJ.

La mesure provisoire litigieuse avait pour objet et pour effet d’empêcher la requérante d’exercer ses fonctions au sein du CSJ, et ce aussi longtemps qu’il n’y avait pas de décision définitive au pénal, ce qui a en fait résulté en une suspension pour une durée de près de deux ans. Cette mesure était ainsi déterminante pour le droit en jeu.

b) Sur le caractère civil du droit en cause :

La requérante était élue membre du CSJ pour une durée déterminée, et elle ne pouvait pas être révoquée par l’organe qui l’avait désignée, le Sénat ; elle exerçait ses fonctions sous l’autorité de l’assemblée générale du CSJ, qui avait le pouvoir de mettre fin à son mandat ; pour l’exercice des fonctions de membre du bureau, elle recevait une rémunération. En outre, la mesure de suspension prise par l’assemblée générale était basée sur le fait que l’inculpation de la requérante était considérée comme nuisant au bon fonctionnement du CSJ. Eu égard à ces éléments, du point de vue de la qualification des droits et obligations en cause, le litige entre la requérante et le CSJ était un litige professionnel, portant sur la façon dont la requérante exerçait ou pouvait continuer à exercer ses fonctions au sein du CSJ. Il opposait la requérante à l’assemblée générale, organe chargé de veiller au bon fonctionnement de l’institution et qui à ce titre pouvait exercer un certain contrôle sur la requérante. En dépit du fait que la requérante exerçait ses fonctions au sein d’une institution dont l’indépendance est garantie par la Constitution, le litige professionnel interne présentait, comme des « conflits ordinaires du travail », des éléments « civils » suffisamment importants pour faire entrer en jeu la présomption selon laquelle le droit en cause était un droit « de caractère civil ».

En outre, le droit national n’exclut pas expressément l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de personnes en question.

Et il n’existe pas un lien spécial de confiance et de loyauté entre la requérante et l’État qui pourrait justifier que l’application de l’article 6 soit exclue pour le litige entre la requérante et le CSJ.

Il résulte de ce qui précède qu’il y avait bien une « contestation » sur un « droit » de « caractère civil ». Par conséquent, la requérante devait, dans le cadre de la procédure de suspension de ses fonctions au sein du CSJ, bénéficier de la protection offerte par l’article 6 § 1.

Conclusion : article 6 § 1 applicable.

2. Fond

Conclusion : violation (six voix contre une).

Article 41 : 12 000 EUR pour préjudice moral ; demande de dommage matériel rejetée.

(Voir aussi Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], 63235/00, 19 avril 2007, Résumé juridique ; Baka c. Hongrie [GC], 20261/12, 23 juin 2016, Résumé juridique ; Paluda c. Slovaquie, 33392/12, 23 mai 2017, Résumé juridique ; Denisov c. Ukraine [GC], 76639/11, 25 septembre 2018, Résumé juridique ; Camelia Bogdan c. Roumanie, 36889/18, 20 octobre 2020, Résumé juridique).

Dernière mise à jour le juillet 20, 2021 par loisdumonde

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