Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 267
Octobre 2022
Constantin-Lucian Spînu c. Roumanie – 29443/20
Arrêt 11.10.2022 [Section IV]
Article 9
Article 9-1
Manifester sa religion ou sa conviction
Refus ponctuel, en raison du Covid-19, de permettre à un détenu de participer au culte de son Église à l’extérieur de la prison ayant ensuite proposé une assistance religieuse en ligne : non-violation
En fait – Avant le début de la crise sanitaire, les autorités pénitentiaires avaient permis au requérant, détenu, de se rendre à l’église adventiste à l’extérieur de la prison, en application de la règlementation en vigueur. Le 8 juillet 2020, elles lui ont refusé sa demande de s’y rendre tous les samedis pour célébrer le service religieux du sabbat en raison des mesures mises en place pendant la pandémie de Covid-19. Les recours du requérant contre cette décision de refus n’aboutirent pas.
En droit –
Observations préliminaires – Le 8 juillet 2020, date à laquelle les mesures en cause ont été prises, la dérogation des autorités prise en vertu de l’article 15 de la Convention dans le contexte de la crise sanitaire et aux mesures spécifiques liées à la déclaration de l’état d’urgence n’était plus applicable. Ainsi, la Cour prendra en considération pour son examen les seules dispositions de l’article 9.
Article 9 :
Avant le début de la crise sanitaire, les autorités pénitentiaires avaient permis au requérant de se rendre à l’église, en application de la règlementation en vigueur. Le refus opposé par l’administration pénitentiaire à sa demande d’autorisation de se rendre dans une église adventiste de participer au culte religieux constitue une ingérence dans le droit du requérant protégé par l’article 9. Elle était prévue par la loi autorisant l’instauration de restrictions aux sorties des établissements pénitentiaires en raison de la pandémie de Covid-19. Et elle tendait à protéger la santé et l’intégrité des détenus et de toute personne susceptible d’entrer en contact avec eux et, plus généralement, la santé publique. Dans une affaire similaire (Fenech c. Malte), la Cour a déjà imposé aux autorités pénitentiaires l’obligation d’adopter des mesures visant à prévenir les infections dans le contexte de la pandémie de Covid-19, de limiter la propagation du virus une fois que celui-ci est entré dans une prison et de fournir un traitement médical adéquat en cas de contamination. Le droit international reconnaît également que la santé publique peut être invoquée comme motif pour restreindre certains droits.
La restriction ne visait qu’une seule composante de l’exercice du droit du requérant à la liberté de religion à savoir sa participation au culte religieux de son Église à l’extérieur de la prison.
Le requérant avait été autorisé à sortir de la prison avant le début de la crise sanitaire et l’usage de cette faculté n’aurait pas été problématique pour les autorités pénitentiaires à ce moment-là. Toutefois, la restriction en question doit être appréciée à la lumière du contexte en constante évolution de la crise sanitaire. À cet égard, le requérant avait formulé sa demande le 8 juillet 2020, alors que l’état d’alerte était en vigueur et que la législation qui le régissait prévoyait un allégement progressif des conditions imposées auparavant. Le tribunal de première instance s’est limité à constater que l’activité des églises a été suspendue et ces constats ont un caractère plutôt général dans la mesure où il n’a pas examiné la situation de l’église adventiste en question. Son activité était affectée par la crise sanitaire puisque l’accès au service religieux a été soumis à des conditions, voire suspendu, pour tous les coreligionnaires du requérant et les représentants du culte. L’évolution de la situation sanitaire et son imprévisibilité ont dû poser un certain nombre de problèmes aux autorités pénitentiaires pour organiser ou surveiller les activités de nature religieuse des détenus. Dès lors, une large marge d’appréciation doit leur être reconnue, d’autant plus que, en l’espèce, le requérant cherchait à obtenir une autorisation de sortir de la prison et d’entrer en contact avec des personnes extérieures à celle-ci. En effet, l’importance que revêt le principe de la solidarité sociale doit être considérée dans le contexte spécifique du milieu pénitentiaire. Ainsi, le risque de contamination à l’extérieur de la prison et d’introduction du virus dans le cadre fermé de cet établissement a certainement dû avoir un poids important dans la décision des autorités pénitentiaires, à un moment où les mesures de prévention étaient axées sur la prévention des contacts et sur l’isolement ou la quarantaine, entre autres. Il était difficilement envisageable, pour les autorités, de réagir instantanément à cette situation, et à plus forte raison immédiatement après chaque modification de la situation sanitaire.
Des visioconférences permettant la pratique du culte adventiste ont été mises en place dans l’établissement pénitentiaire de détention du requérant qui a été le premier à proposer une assistance religieuse en ligne. Cette solution cadre avec les pratiques qui se sont développées de manière générale pendant la crise sanitaire, et la recommandation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) de compenser toute restriction des contacts avec le monde extérieur par un accès accru à d’autres moyens de communication va dans le même sens. Il s’agit pour la Cour d’un élément important à prendre en considération. Le requérant avait refusé de participer à ces activités en ligne et n’a pas expliqué devant la Cour les raisons de son refus. Or, même si de telles mesures ne peuvent pas pleinement remplacer la participation directe au service religieux, les autorités nationales ont déployé des efforts raisonnables pour contrebalancer les restrictions décidées pendant la pandémie.
Le grief du requérant porte sur une situation ponctuelle. Devant la Cour, l’intéressé n’a pas allégué avoir formulé d’autres demandes relatives à l’exercice de son droit au respect de sa liberté de religion et s’être heurté à un refus. La situation qu’il dénonce ne relève donc pas d’une situation continue qui l’aurait exonéré de l’obligation d’exercer les voies de droit mis à sa disposition par le droit interne ou, du moins, de renouveler ses demandes en fonction de l’évolution de la pandémie.
Au vu des éléments qui précèdent, le refus des autorités pénitentiaires n’a pas été prise sans que celles-ci n’aient tenu compte de la situation individuelle du requérant et de l’évolution de la crise sanitaire. Eu égard à la large marge d’appréciation des autorités nationales dans le contexte spécifique et inédit de cette crise, le droit du requérant de manifester sa religion n’a pas été méconnu.
Conclusion : non-violation (unanimité).
(Voir aussi Terheş c. Roumanie (déc.), 49933/20, 13 avril 2021, Résumé juridique ; Fenech c. Malte, 19090/20, 1er mars 2022, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le octobre 11, 2022 par loisdumonde
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