La requête concerne la procédure d’éloignement du requérant S, ressortissant russe, tchétchène, originaire du Daghestan, vers la Fédération de Russie. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint, en cas de mise à exécution de la mesure d’éloignement vers la Fédération de Russie, d’être exposé à des traitements contraires à cette disposition, notamment en tant que personne originaire du Nord Caucase soupçonnée de faits de terrorisme et d’être liée à la rébellion tchétchène.
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE S c. FRANCE
(Requête no 18207/21)
ARRÊT
Art 3 • Expulsion • Absence d’une appréciation ex nunc par les autorités de la situation personnelle du requérant tchéchène au regard du risque encouru allégué en cas de renvoi vers la Fédération de Russie
STRASBOURG
6 octobre 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire S c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambrecomposée de :
Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen,
Mykola Gnatovskyy, juges,
Catherine Brouard-Gallet, juge ad hoc,
et de Victor Soloveytchik, greffierde section,
Vu :
la requête (no 18207/21) dirigée contre la République française et dont un ressortissant russe, M. S (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 12 avril 2021,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 3 de la Convention et de déclarer irrecevable le surplus de la requête,
la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant,
la décision de ne pas communiquer la présente requête à la Fédération de Russie eu égard aux considérations de la Cour dans l’affaireI c. Suède(no 61204/09, §§ 40‑46, 5 septembre 2013),
la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour (« le règlement »),
les observations des parties,
le déport de M. Mattias Guyomar, juge élu au titre de la France (article 28 du règlement de la Cour) et la décision de la présidente de la chambre de désigner Mme Catherine Brouard-Gallet pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 b) du règlement),
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 septembre 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne la procédure d’éloignement du requérant S, ressortissant russe, tchétchène, originaire du Daghestan, vers la Fédération de Russie. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint, en cas de mise à exécution de la mesure d’éloignement vers la Fédération de Russie, d’être exposé à des traitements contraires à cette disposition, notamment en tant que personne originaire du Nord Caucase soupçonnée de faits de terrorisme et d’être liée à la rébellion tchétchène.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1980 au Daghestan (Fédération de Russie). Il a été représenté par Me D. Roilette, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les faits qui seraient survenus en Russie d’après le requérant
4. Plusieurs mois après avoir refusé de rejoindre des amis dans les rangs de l’insurrection tchétchène, le requérant fut arrêté, en 2004, par des hommes masqués en raison de ces relations. Interpellé, interrogé et torturé à plusieurs reprises en détention, il fut contraint d’avouer sous la torture sa participation à des opérations rebelles au Daghestan. Libéré à la faveur d’une amnistie, il fut ensuite victime de harcèlement et de racket de la part des agents du service fédéral de la sécurité de la Fédération de Russie afin qu’il collabore. Refusant de coopérer, il vécut alors dans la clandestinité et rejoignit un campement d’un groupe rebelle au sein duquel il vécut durant trois ans, sans combattre. Blessé lors d’une attaque de l’armée russe en juillet 2008, il prit la fuite. Il fut déclaré mort dans la presse russe. Il vécut alors six mois en Azerbaïdjan puis en Ukraine.
B. Les faits survenus en France avant la saisine de la Cour
5. En décembre 2013, le requérant entra irrégulièrement en France. Le 25 septembre 2014, celui-ci – se présentant sous l’identité de K.T., ressortissant russe né en Tchétchénie – et son épouse déposèrent une demande d’asile. Le 11 août 2015, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) rejeta leur demande d’asile.
6. Le 21 juin 2016, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) rejeta le recours du requérant et de son épouse contre la décision de l’OFPRA. Elle considéra que leurs déclarations n’avaient pas permis d’établir les circonstances de l’engagement de l’un de leurs proches dans un groupe rebelle, ainsi que l’acharnement dont ils auraient été victimes de la part des autorités. Elle releva le fait que le requérant s’était exprimé avec difficulté sur les circonstances dans lesquelles il aurait été accusé d’avoir apporté une aide logistique à un groupe rebelle. Elle considéra que les déclarations du requérant étaient demeurées vagues s’agissant des circonstances de son enlèvement puis de son arrestation par la police.
7. Le 23 mai 2017, le requérant – se présentant sous son identité S, ressortissant russe, d’origine tchétchène né au Daghestan – sollicita auprès de l’OFPRA le réexamen de sa demande d’asile. Il indiqua avoir déposé sa première demande d’asile en 2014 sous une fausse identité en invoquant des faits qui ne correspondaient pas à son vécu par crainte d’être identifié au sein de la communauté tchétchène en France par des individus partisans de RamzanKadyrov. Son épouse sollicita également le réexamen de sa demande d’asile.
8. Leurs demandes de réexamen furent déclarées irrecevables par l’OFPRA le 31 mai 2017. L’OFPRA releva que le requérant indiquait avoir été arrêté en 2004 par des hommes masqués en raison de ses liens avec des combattants tchétchènes et avoir été détenu pendant plus d’un mois en étant victime de mauvais traitements. Il releva également qu’il indiquait que sa famille avait été interrogée à son sujet et que leur situation s’était dégradée à partir de janvier 2017. Le requérant fournissait à l’appui de sa demande une attestation de l’ONG Memorial datée de décembre 2016 relative à son parcours. L’OFPRA estima que S invoquait des faits antérieurs à la dernière décision de la CNDA de juin 2016 concernant son identité et son parcours, des faits qu’il ne pouvait donc pas ignorer lors de ses précédentes auditions. Enfin, l’OFPRA considéra que ses déclarations écrites et les éléments produits dans le cadre de sa demande de réexamen ne permettaient pas d’établir que les craintes invoquées vis-à-vis de la communauté tchétchène en France permettaient de justifier le choix du requérant de ne pas avoir porté ces éléments à la connaissance de l’OFPRA et de la CNDA lors de l’examen de la demande initiale.
9. Le 12 février 2018, la CNDA reconnut aux époux le statut de réfugié. S’agissant du requérant, elle considéra que ses déclarations :
« relatives aux circonstances dans lesquelles les membres de l’association Mémorial se seraient présentés au domicile parental dans le cadre d’une enquête diligentée sur son parcours étayées par l’attestation établie (…) par cet organisme et les persécutions dont auraient par la suite été victimes les membres de sa famille, postérieures à la précédente décision de la cour, apparaissaient probantes et susceptibles de modifier l’appréciation du bien-fondé ou de la crédibilité de sa demande, au regard des critères prévus pour prétendre à une protection internationale ».
10. Elle considéra que ses déclarations avaient permis d’établir son identité, son parcours et les persécutions auxquelles il serait exposé en cas de retour en raison de ses liens avec les insurgés. Sur le bénéfice de l’asile, la CNDA releva que le requérant avait été arrêté en 2004 lorsque plusieurs de ses amis avaient rejoint la rébellion en raison de ses liens avec eux, qu’il avait été arbitrairement détenu, interrogé sur ses amis et menacé par les autorités cherchant à obtenir sa collaboration. Elle considéra que les propos relatifs aux mauvais traitements subis en détention étaient corroborés par de nombreuses informations publiques. Elle considéra enfin que les propos du requérant relatifs au fait qu’il avait rejoint le camp de ses amis combattants en 2005 et au fait qu’il avait eu un rôle d’intendant au sein de son camp n’étaient pas apparus invraisemblables.
11. Le 1er juin 2018, le directeur général de l’OFPRA déposa un recours en révision devant la CNDA contre les décisions du 12 février 2018. Ce recours était fondé sur le fait que l’OFPRA avait reçu une note du préfet du Morbihan selon laquelle le requérant était inscrit au fichier des personnes recherchées (FPR) ; était connu sous l’identité principale de S. et sous une autre identité de « [K.] » ; était affilié à un groupe islamiste radical dit Émirat du Caucase au sein duquel il entretenait des relations avec des membres répartis dans différents États de l’Union européenne et organisait des réseaux de soutien logistique et financier en vue de préparer des actions terroristes.
12. Le 8 mars 2019, la CNDA prescrivit une mesure d’instruction auprès du directeur de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Elle posa les questions suivantes :
« – Est-il possible d’indiquer à la Cour si [S] a combattu entre 2005 et 2013, avant sa venue en France, quel rôle aurait-il joué au sein de ce groupe et où il opérait ?
– Pourriez-vous nous préciser si « [K.] » était son nom de combattant en Tchétchénie ou s’il utilisait cette identité pour cacher la réalité de ses activités hors de la Fédération de Russie ?
– Concernant les activités [du requérant] en France, la note signale qu’il entretient des relations avec des membres répartis dans différents États de l’Union européenne et organise des réseaux de soutien logistique et financier en vue de préparer des actions terroristes. Seriez-vous en mesure d’apporter des indications complémentaires ?
– [Le requérant] fait-il l’objet d’une mesure de contrôle administratif ou judiciaire depuis son arrivée en France ?
– Pourriez-vous apporter de nouvelles précisions sur le choix de placer l’intéressé dans la catégorie « TE » (opposition à l’entrée en France) dès lors qu’il semble résider en France depuis 2013 ».
13. Le 6 mai 2019, la DGSI répondit à la demande de la CNDA :
« (…) [S] est un ressortissant russe, entré clandestinement en France le 28 décembre 2013.
Le 25 septembre 2014, l’intéressé déposait une demande d’asile politique auprès de la préfecture de Vannes (56) sous l’identité [K.T.].
Le 11 août 2015, l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) rejetait la demande d’asile de S. [présentée sous l’identité K.T.].
Cette décision était confirmée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) le 21 juin 2016.
Néanmoins, le 23 mai 2017, [S] demandait le réexamen de sa demande d’asile ;demande que l’Office français des réfugiés et apatrides rejetait comme irrecevable le 31 mai 2017. [S] présentait toutefois un recours contre cette décision le 5 septembre 2017.
Finalement, le 12 février 2018, la Cour nationale du droit d’asile lui a accordé le statut de réfugié.
Par une requête enregistrée le 17 juin 2018, le Directeur de l’Office français des réfugiés et apatrides a formé un recours en révision, en application des articles L. 711‑4, L. 711-5 et R. 733 du code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile, contre la décision de la Cour nationale du droit d’asile reconnaissant à [S] la qualité de réfugié.
1. Sur les activités de [S.] avant son entrée sur le territoire national
Selon des informations issues de la coopération internationale, le ressortissant russe [S] était un membre actif de l’organisation « Émirat Islamique du Caucase ».
Nota : L’organisation Émirat Islamique du Caucase (EIC) a été créée en 2007. Cette organisation séparatiste islamiste visait à l’instauration de la charia (loi islamique) dans plusieurs régions du Caucase du nord. Affiliée à l’organisation terroriste Al Qaïda, le groupe a été dissous à la mort de son émir en avril 2015. En juin 2015, les survivants de cette organisation ont prêté allégeance à l’organisation terroriste État islamique donnant naissance à la Wilaya (province) du Caucase.
Au sein de cette organisation, il a participé à des attaques contre des représentants du pouvoir et des membres des forces de police russes. Aussi, une enquête pénale a été ouverte par les autorités russes contre [S] pour des faits de participation aux activités d’une formation armée illégale, de participation à une association criminelle, de trafic illégal d’armes, d’attentat à la vie contre un membre des forces pénales.
Nous ne disposons pas d’élément complémentaire, autres que ceux-ci, quant à sa participation aux combats armés.
2. Sur l’alias [K.]
Nous vous informons que nous n’avons pas d’élément complémentaire, autre que ceux en votre possession, concernant l’alias [K.] utilisé par [S].
3. Sur le soutien logistique et financier que [S] est susceptible d’entretenir en Europe
De même, nous ne disposons pas d’élément complémentaire concernant les activités actuelles de [S].
Néanmoins, il convient de souligner qu’en tant qu’ancien combattant, [S] a évolué sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes où il a acquis une expérience militaire de terrain telle que la maîtrise des techniques de combat et le maniement des armes.
Au regard de ces éléments, [S] est susceptible de constituer un groupe à vocation terroriste en vue de commettre ou de fomenter une action violente.
Dès lors, au regard de son profil d’ex-combattant et de son inclination à dissimuler aux autorités françaises son identité, la présence sur le sol français [de S] constitue une menace grave pour la sûreté de l’État.
Conclusion :
Au vu de l’ensemble de ces éléments et conformément à l’article L. 711-4 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), il convient de mettre fin au statut de réfugié obtenu par [S]. »
14. Le 28 juin 2019, la CNDA déclara ses décisions du 12 février 2018 reconnaissant la qualité de réfugié au requérant et à son épouse nulles et non avenues au motif que ces décisions avaient résulté d’une fraude et qu’ils n’avaient apporté aucun élément sérieux et consistant permettant de démontrer le bien-fondé de leurs craintes en cas de retour en fédération de Russie. Devant la CNDA, le requérant contesta utiliser l’identité secondaire de « K. », être affilié à un groupe islamiste radical et entretenir des relations avec des membres de groupes radicaux. La CNDA releva que la valeur probante de la fiche portant inscription du requérant au FPR, faisant état en des termes précis et circonstanciés de l’usage d’un troisième patronyme « K. » et d’une affiliation à un groupe islamiste radical, ne saurait être remise en cause. Elle indiqua que les craintes des requérants auraient été analysées différemment si le profil du requérant et son parcours avaient été portés à la connaissance de la CNDA. Statuant donc sur les recours des époux dirigés contre les décisions du 31 mai 2017, déclarant irrecevables leurs demandes de réexamen, la CNDA les rejeta. Elle releva que :
« […] les faits mentionnés à l’appui de leur demande de réexamen sont antérieurs à la précédente décision de la Cour, du 21 juin 2016, à l’exception de l’attestation délivrée par l’organisation Mémorial du 20 décembre 2016, des témoignages de compatriotes en date des 18 et 24 juillet 2016 et des persécutions dont auraient fait l’objet le père et le frère du requérant le 6 janvier 2017 de la part des autorités. Si le requérant mentionne s’être trouvé lors de son arrivée en France dans une situation de vulnérabilité l’ayant empêché de révéler sa véritable identité, il n’a toutefois fourni aucune information utile ou élément tangible permettant d’établir une telle situation. De plus, l’attestation de Mémorial et les témoignages sollicités par les requérants pour les besoins de la cause auprès de proches et rédigés en des termes convenus, sont insuffisants, à eux seuls, pour pallier les lacunes de leurs explications à ce sujet. En particulier, aucune information n’a été apportée lors de l’audience concernant la méthode et les modalités de l’enquête diligentée par Mémorial, en particulier les vérifications opérées par l’ONG concernant les faits rapportés par l’attestation versée au dossier laquelle semble se borner à reproduire les déclarations du père du requérant et n’est pas accompagnée d’une copie de la pièce d’identité du signataire […]. Au demeurant, les faits datés qui sont rapportés par cette attestation sont antérieurs à la décision de la Cour du 21 juin 2016. En outre, il est relevé qu’à l’appui de leur première demande d’asile, les requérants avaient également produit une attestation d’une ONG, Independant International HR Group du 18 avril 2016 certifiant la réalité de récits dont leur demande de réexamen ont démenti la véracité. Invités par ailleurs à revenir sur la situation du père et du frère [du requérant], les [époux] ont tenu un discours peu consistant. Notamment, le récit de l’interpellation de son frère et des conditions ayant prévalu à sa libération est demeuré très sommaire et dépourvu d’éléments circonstanciés pour pouvoir admettre la réalité de ces faits. Dans ces conditions, les faits et éléments présentés par les [époux] ne sont pas susceptibles de modifier l’appréciation portée sur le bien-fondé de leur demande et, par suite, n’augmentent pas de manière significative la probabilité qu’ils justifient des conditions requises pour prétendre à une protection ».
15. Le 23 mars 2020, le Conseil d’État considéra que les moyens soulevés n’étaient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi en cassation du requérant et de son épouse.
16. Le requérant et son épouse demandèrent la délivrance d’un titre de séjour à la préfecture du Morbihan au regard de l’ancienneté de leur séjour et de leurs attaches en France. Le 9 novembre 2020, le préfet du Morbihan rejeta leur demande de titre de séjour, obligea les époux à quitter le territoire dans un délai de trente jours, fixa la Russie comme pays de destination, demanda aux époux de remettre l’original de leur passeport contre un récépissé et de se présenter deux fois par semaine au commissariat. S’agissant de l’appréciation du risque encouru sous l’angle de l’article 3 de la Convention, cette décision, après un rappel des procédures de demande d’asile du requérant, fut motivée comme suit :
« […] Considérant que la présente décision ne contrevient pas aux stipulations de l’art. 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les époux n’ayant pas apporté suffisamment d’éléments permettant d’établir des craintes en cas de retour dans le pays d’origine […] ».
17. Par arrêtés du 17 décembre 2020, le préfet assigna le requérant et son épouse à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Ces derniers demandèrent l’annulation des décisions du préfet et invoquèrent, s’agissant de la décision fixant la Russie comme pays de destination, la méconnaissance de l’article 3 de la Convention.
18. Selon le Gouvernement, le requérant est en fuite depuis le 13 janvier 2021. Le représentant du requérant confirme que son client vit dans la clandestinité.
19. Le 21 janvier 2021, le préfet adressa une demande de réadmission du requérant aux autorités russes comportant la mention suivante :
« B. INDICATIONS PARTICULIERES CONCERNANT LA PERSONNE TRANSFEREE
[…] 2. Raisons de considérer l’intéressé comme particulièrement dangereux
(par exemple, présomption de délit grave ; comportement agressif) :
Dossier signalé. Prévoir escorte à l’arrivée
[…] »
20. Le 2 février 2021, le tribunal administratif de Rennes rejeta les recours contre les arrêtés portant éloignement. S’agissant du moyen tiré de l’article 3 de la Convention, il releva que :
« (…) si au cours de l’audience les requérants ont attiré en des termes généraux l’attention du tribunal sur les risques auxquels ils seraient exposés en cas de retour en Russie, ils n’apportent à l’appui de leurs allégations, aucun élément de nature à justifier les risques actuels, personnels et sérieux qui pèseraient sur eux. Si les requérants ont également invoqué les décisions du 12 février 2018 de la Cour nationale du droit d’asile leur reconnaissant la qualité de réfugié ils ne produisent aucun autre élément de nature à remettre en cause les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d’asile qui ont conduit finalement à ne pas leur reconnaître la qualité de réfugié en retenant l’existence d’une fraude et l’absence de fondement des craintes qu’ils invoquaient. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision d’éloignement méconnaîtrait les dispositions et stipulations précitées doit être écarté. »
21. Le 31 mars 2021, le tribunal administratif de Rennes rejeta leur recours aux fins d’annulation des décisions de refus de titre de séjour.
C. Les faits survenus en France postérieurement à la saisine de la Cour
22. Le 7 avril 2021, le requérant et son épouse, saisirent la Cour d’une demande de mesure provisoire afin d’obtenir la suspension de leur éloignement vers la Russie.
23. Le 12 avril 2021, la Cour (le juge de permanence) décida de suspendre l’examen de la demande de mesures provisoires présentée par le requérant et son épouse jusqu’à la réception d’informations de la part des parties.
24. À une date indéterminée, l’épouse du requérant et leurs enfants quittèrent la France et se rendirent en Belgique afin de solliciter l’asile.
25. Le 19 avril 2021, la Cour (juge de permanence) décida d’indiquer au Gouvernement de suspendre la mesure d’éloignement du requérant en Russie jusqu’au 29 avril 2021 inclus et l’invita à fournir des renseignements supplémentaires. S’agissant de l’épouse du requérant et ses cinq enfants, la Cour décida, eu égard aux circonstances, de ne pas indiquer au Gouvernement la mesure provisoire sollicitée.
26. Le 29 avril 2021, la Cour (juge de permanence) décida de proroger jusqu’à nouvel ordre la mesure provisoire indiquée à l’égard du requérant en application de l’article 39 du règlement de la Cour.
27. Le 14 septembre 2021, saisi par l’épouse du requérant, le Conseil du contentieux des étrangers, juridiction belge, suspendit son transfert en France au titre du règlement UE no 604/2013 dit Dublin III.
28. Le 17 septembre 2021, la Cour, saisie par la requérante le 14 septembre 2021, décida de ne pas indiquer au Gouvernement la mesure provisoire tendant à empêcher le renvoi de la requérante et de ses cinq enfants vers la Fédération de Russie.
29. Par deux arrêts du 11 mars 2022, la cour administrative d’appel de Nantes rejeta les requêtes du requérant contre le jugement du 2 février 2021 et contre le jugement du 31 mars 2021 du tribunal administratif de Rennes. Dans son arrêt portant sur le recours contre le jugement du 2 février 2021, s’agissant du moyen tiré de l’article 3 de la Convention, la cour administrative d’appel releva que :
« 15. [Le requérant et son épouse] font valoir qu’ils sont tchétchènes originaires du Daghestan. Selon des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, certaines catégories de la population du Nord Caucase, notamment du Daghestan, sont considérés » à risque « , notamment les membres de la lutte armée de la résistance tchétchène, les personnes considérées par les autorités comme tels, leurs proches, les personnes les ayant assistés d’une manière ou d’une autre ou encore les personnes soupçonnées de faits de terrorisme. Selon des rapports internationaux, les pratiques de mauvais traitements et de tortures par les forces de l’ordre dans la région du Caucase du Nord sont répandues ainsi que la violation des droits de l’homme. En particulier, les réfugiés tchétchènes renvoyés par la France vers la Fédération de Russie font l’objet d’enlèvements et de tortures à leur arrivée en Russie.
16. Toutefois, si [le requérant et son épouse] se prévalent des décisions de la CNDA du 12 février 2018 qui leur avaient reconnu le statut de réfugié, la commission nationale les a déclarées nulles et non avenues, par une autre décision du 28 juin 2019, qui a été confirmée par une décision du Conseil d’État du 13 mars 2020. Selon la décision du 28 juin 2019, la protection internationale accordée aux requérants avait été obtenue sur la foi de fausses déclarations ou de fausses pièces soumises dans l’intention d’induire la Cour en erreur et il était établi que ces éléments frauduleux avaient eu une influence directe et déterminante sur l’appréciation de la réalité du besoin de protection tel qu’il avait été reconnu dans les décisions octroyant la protection internationale aux intéressés. À ce titre, la CNDA a retenu que les requérants avaient sciemment introduit une première demande d’asile sous un faux état civil concernant [S] et que des éléments significatifs des motifs de sa présence en France ont continué à être dissimulés au regard de la fiche portant inscription de ce dernier au fichier des personnes recherchées jointe au courrier du préfet du Morbihan du 16 mars 2018, dont la valeur probante ne pouvait être remise en cause et qui faisait état en des termes précis et circonstanciés de l’usage d’un troisième patronyme, [K], d’une affiliation à un groupe islamiste radical, et de l’organisation de réseaux de soutien logistique et financier en vue de préparer des actions terroristes. La CNDA a ensuite examiné si les intéressés apportaient des faits ou des éléments nouveaux se rapportant à leur situation personnelle ou à la situation dans leur pays d’origine, pour pouvoir prétendre à une protection internationale. Cette protection leur a été cependant refusée après que la Cour eût notamment constaté que les pièces produites par les intéressés pour justifier leurs craintes (attestation de » Mémorial » et différents témoignages) avaient été sollicitées par les requérants pour les besoins de la cause auprès de proches et rédigées en des termes convenus et que la véracité des récits attestée par l’organisation non gouvernementale (ONG) » Independant International HR Group » du 18 avril 2016, avait été démentie dans leur demande de réexamen. Dans la présente instance, les requérants n’apportent aucun élément nouveau tendant à établir qu’ils seraient personnellement exposés à des risques de traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations et de l’article L. 513-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne peut être que rejeté. »
30. Dans son arrêt portant sur le recours contre le jugement du 31 mars 2021, s’agissant du moyen tiré de l’article 3 de la Convention, la cour administrative d’appel releva que :
« 7. [Le requérant et son épouse] font valoir que, selon des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, certaines catégories de la population du Nord Caucase, notamment du Daghestan, sont considérés » à risque « , notamment les membres de la lutte armée de la résistance tchétchène, les personnes considérées par les autorités comme tels, leurs proches, les personnes les ayant assistés d’une manière ou d’une autre ou encore les personnes soupçonnées de faits de terrorisme. Selon des rapports internationaux, les pratiques de mauvais traitements et de tortures par les forces de l’ordre dans la région du Caucase du Nord sont répandues ainsi que la violation des droits de l’homme. En particulier, les réfugiés tchétchènes renvoyés par la France vers la Fédération de Russie font l’objet d’enlèvements et de tortures à leur arrivée en Russie. Les requérants indiquent être tchétchènes originaires du Daghestan et qu’ils ont fui la Fédération de Russie à cause des tortures qu’ils ont subies et des poursuites pénales pour terrorisme engagées à leur encontre par les autorités russes. Ils soutiennent que, dans ces conditions, ils se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité alors qu’ils ont cinq jeunes enfants, ce qui les empêche d’être éloignés vers leur pays d’origine et qu’ils justifient, par suite, de considérations humanitaires au sens des dispositions précitées.
8. Toutefois, si [le requérant et son épouse] se prévalent des décisions de la CNDA du 12 février 2018 qui leur avaient reconnu le statut de réfugié, la commission nationale les a déclarées nulles et non avenues, par une autre décision du 28 juin 2019, qui a été confirmée par une décision du Conseil d’État du 13 mars 2020. Selon la décision de la CNDA du 28 juin 2019, la protection internationale accordée aux requérants avait été obtenue sur la foi de fausses déclarations ou de fausses pièces soumises dans l’intention d’induire la Cour en erreur et il était établi que ces éléments frauduleux avaient eu une influence directe et déterminante sur l’appréciation de la réalité du besoin de protection tel qu’il avait été reconnu dans les décisions octroyant la protection internationale aux intéressés. À ce titre, la CNDA a retenu que les requérants avaient sciemment introduit une première demande d’asile sous un faux état civil concernant S et que des éléments significatifs des motifs de sa présence en France ont continué à être dissimulés au regard de la fiche portant inscription de ce dernier au fichier des personnes recherchées jointe au courrier du préfet du Morbihan du 16 mars 2018, dont la valeur probante ne pouvait être remise en cause et qui faisait état en des termes précis et circonstanciés de l’usage d’un troisième patronyme, [K], d’une affiliation à un groupe islamiste radical, et de l’organisation de réseaux de soutien logistique et financier en vue de préparer des actions terroristes. La CNDA a ensuite examiné si les intéressés apportaient des faits ou des éléments nouveaux se rapportant à leur situation personnelle ou à la situation dans leur pays d’origine, pour pouvoir prétendre à une protection internationale. Cette protection leur a été cependant refusée après que la Cour eût notamment constaté que les pièces produites par les intéressés pour justifier leurs craintes (attestation de » Mémorial » et différents témoignages) avaient été sollicitées par les requérants pour les besoins de la cause auprès de proches et rédigées en des termes convenus et que la véracité des récits attestée par l’organisation non gouvernementale (ONG) » Independant International HR Group » du 18 avril 2016, avait été démentie dans leur demande de réexamen. Dans la présente instance, les requérants n’apportent aucun élément nouveau tendant à établir qu’ils seraient personnellement exposés à des risques de traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à l’article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à l’article L. 513-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les requérants, à qui la reconnaissance du statut de réfugié a été définitivement refusée, ne saurait utilement se prévaloir des stipulations des articles 1er et 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du I. de l’article 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il suit de là qu’en l’absence d’établir que leur admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L.313-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne peut être que rejeté. »
II. LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
1. L’obligation de quitter le territoire
31. L’article L. 511-1, I, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dans sa version applicable au moment des faits dispose que :
« I. ― L’autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n’est pas membre de la famille d’un tel ressortissant au sens des 4o et 5o de l’article L. 121-1, lorsqu’il se trouve dans l’un des cas suivants :
[…]
3o Si la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé à l’étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ;
[…]
La décision énonçant l’obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n’a pas à faire l’objet d’une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3o et 5o du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l’indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III.
Pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l’étranger rejoint le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l’Union européenne avec lequel ne s’applique pas l’acquis de Schengen où il est légalement admissible. Toutefois, lorsqu’il est accompagné d’un enfant mineur ressortissant d’un autre État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse dont il assure seul la garde effective, il ne peut être tenu de rejoindre qu’un pays membre de l’Union européenne ou appliquant l’acquis de Schengen. L’obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l’étranger est renvoyé en cas d’exécution d’office. »
32. L’article L. 512-3, alinéa 2, du CESEDA dans sa version applicable au moment des faits prévoit que :
« L’obligation de quitter le territoire français ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n’a été accordé, avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n’ait statué s’il a été saisi. L’étranger en est informé par la notification écrite de l’obligation de quitter le territoire français. »
2. La décision fixant le pays de renvoi
33. L’article L. 513-2 du CESEDA dans sa version applicable au moment des faits prévoit que :
« L’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement est éloigné :
1o À destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s’il n’a pas encore été statué sur sa demande d’asile ;
2o Ou, en application d’un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ;
3o Ou, avec son accord, à destination d’un autre pays dans lequel il est légalement admissible.
Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. »
34. L’autorité administrative qui prend un arrêté fixant le pays de destination en vue d’éloigner un étranger a ainsi l’obligation de vérifier que la mesure n’expose pas l’étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu’à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention (Conseil d’État, Préfet du Val-d’Oise, 4 novembre 1996, no 159531).
35. Le Conseil d’État précise que si l’administration est en droit de prendre en considération les éventuelles décisions prises par l’OFPRA ou la CNDA au titre de l’asile, les appréciations portées par ces instances dans ce cadre ne lient pas l’autorité administrative et sont sans influence sur l’obligation qui est la sienne de vérifier, au vu du dossier dont elle dispose, que les mesures qu’elle prend ne méconnaissent pas l’article 3 de la Convention. Ainsi, le juge administratif annule une décision d’éloignement vers un pays, bien que la demande d’admission du statut de réfugié ait été refusée, s’il estime sérieux et avérés les motifs de croire que l’intéressé s’y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne (Conseil d’État, 1er décembre 1997, no 184053).
3. La demande d’admission exceptionnelle au séjour
36. L’article L. 313-14 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, inséré dans la sous-section 7 consacrée à l’admission exceptionnelle au séjour, prévoit que :
« La carte de séjour temporaire mentionnée à l’article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1o et 2o de l’article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 313-2. […] »
37. S’agissant d’une demande d’admission exceptionnelle, le Gouvernement souligne que l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire. Le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint en la matière.
4. La fin de la protection internationale du réfugié
38. L’article L. 711-4 du CESEDA dans sa version applicable au moment des faits, énonce que :
« L’Office français de protection des réfugiés et apatrides met fin, de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité administrative, au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l’une des clauses de cessation prévues à la section C de l’article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951, précitée. Pour l’application des 5 et 6 de la même section C, le changement dans les circonstances ayant justifié la reconnaissance de la qualité de réfugié doit être suffisamment significatif et durable pour que les craintes du réfugié d’être persécuté ne puissent plus être considérées comme fondées.
L’office met également fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité administrative, au statut de réfugié lorsque :
1o Le réfugié aurait dû être exclu du statut de réfugié en application des sections D, E ou F de l’article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951, précitée ;
2o La décision de reconnaissance de la qualité de réfugié a résulté d’une fraude ;
3o Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l’article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951, précitée. »
39. L’article L. 711-5 du CESEDA dans sa version applicable au moment des faits prévoit que :
« Dans les cas prévus aux 1o et 2o de l’article L. 711-4, lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié résulte d’une décision de la Cour nationale du droit d’asile ou du Conseil d’État, la juridiction peut être saisie par l’office ou par le ministre chargé de l’asile en vue de mettre fin au statut de réfugié. Les modalités de cette procédure sont fixées par décret en Conseil d’État. »
40. L’article L. 711-6 du CESEDA dans sa version applicable au moment des faits prévoit que :
« Le statut de réfugié est refusé ou il est mis fin à ce statut lorsque :
1o Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ;
2o La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d’État, des États dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française. »
41. L’article R. 733-36 du CESEDA dans sa version applicable au moment des faits prévoit que :
« La cour peut être saisie d’un recours en révision dans les cas prévus aux articles L. 711-5 et L. 712-4.
Le recours est exercé dans le délai de deux mois après la constatation des faits de nature à justifier l’exclusion du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire ou à caractériser une fraude.
[…] »
42. Dans une décision du 28 mars 2022 (no 450618), le Conseil d’État a par ailleurs précisé le contrôle attendu de l’administration sur la situation d’un étranger ayant conservé la qualité de réfugié et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement :
« 9. Il appartient à l’étranger qui conteste son éloignement de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 15 avril 2021 de la Cour européenne des droits de l’homme K.I. contre France (no 5560/19), le fait que la personne ait la qualité de réfugié est un élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités. Dès lors, la personne à qui le statut de réfugié a été retiré, mais qui a conservé la qualité de réfugié, ne peut être éloignée que si l’administration, au terme d’un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, conclut à l’absence de risque pour l’intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination. »
5. Les avis émis par la CNDA au titre de l’article L. 731-3 du CESEDA
43. L’article L. 731-3 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose ce qui suit :
« La Cour nationale du droit d’asile examine les requêtes qui lui sont adressées par les réfugiés visés par l’une des mesures prévues par les articles 31, 32 et 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et formule un avis quant au maintien ou à l’annulation de ces mesures. En cette matière, le recours est suspensif d’exécution. Dans ce cas, le droit au recours doit être exercé dans le délai d’une semaine dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ».
44. Par ailleurs, le second alinéa de l’article R. 733-40 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose que :
« La formation collégiale formule un avis motivé sur le maintien ou l’annulation de la mesure dont l’intéressé fait l’objet. Cet avis est transmis sans délai au ministre de l’intérieur et au ministre chargé de l’asile. »
6. Le référé suspension et le référé liberté
45. Le premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative dispose que :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. »
46. L’article L. 521-2 du code de justice administrative dispose quant à lui que :
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
7. L’absence de caractère suspensif du recours en appel
47. L’article R. 811-14 du code de justice administrative prévoit que :
« Sauf dispositions particulières, le recours en appel n’a pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par le juge d’appel dans les conditions prévues par le présent titre. »
B. LE DROIT DE L’UE
48. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (no5560/19, §§ 71-72, 15 avril 2021) concernant les articles pertinents de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
49. Les dispositions pertinentes de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte) (JOUE L 337/9) se lisent ainsi :
« Article 14 – Révocation, fin du statut de réfugié ou refus de le renouveler
1. En ce qui concerne les demandes de protection internationale introduites après l’entrée en vigueur de la directive 2004/83/CE, les États membres révoquent le statut de réfugié octroyé par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler lorsque le réfugié a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l’article 11.
2. Sans préjudice de l’obligation faite au réfugié, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de déclarer tous les faits pertinents et de fournir tous les documents pertinents dont il dispose, l’État membre qui a octroyé le statut de réfugié apporte la preuve, au cas par cas, de ce que la personne concernée a cessé d’être ou n’a jamais été un réfugié au sens du paragraphe 1 du présent article.
3. Les États membres révoquent le statut de réfugié de tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler, s’ils établissent, après lui avoir octroyé le statut de réfugié, que :
a) le réfugié est ou aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 12 ;
b) des altérations ou omissions de faits dont il a usé, y compris l’utilisation de faux documents, ont joué un rôle déterminant dans la décision d’octroyer le statut de réfugié.
4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler,
a) lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve ;
b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre.
5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu’une telle décision n’a pas encore été prise.
6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s’appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu’elles se trouvent dans l’État membre. »
C. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX
1. La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés
50. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (précité, §§ 80-81), concernant les dispositions pertinentes de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
2. Traités du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme
51. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (précité, §§ 82-84) concernant les traités du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme.
3. La situation en Fédération de Russie et en particulier dans le Caucase septentrional
52. À la date de l’examen de l’affaire par la Cour, la Fédération de Russie n’est plus membre du Conseil de l’Europe. Elle demeure une Haute Partie Contractante à la Convention jusqu’au 16 septembre 2022 (W c. France, no 1348/21, § 49, 30 août 2022, non définitif).
53. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (précité, §§ 85-91) quant aux sources relatives à la situation dans la région du Caucase du nord. D’autres sources pertinentes à la présente affaire sont présentées ci-dessous.
a) L’accès à l’information
54. Selon le classement mondial de la liberté de la presse pour l’année 2022 élaboré par Reporters sans frontières (RSF), la Fédération de Russie est à la 155ème place sur 180[1]. Pour l’année 2021, cet État se trouvait à la 150ème place[2]. Dans l’analyse Europe-Asie centrale de ce classement pour l’année 2020, RSF qualifie la Tchétchénie de « véritable trou noir de l’information »[3].
55. Le 18 mars 2021, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe déclarait que les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie devraient faire l’objet d’une enquête, et non d’une dissimulation[4]. Elle concluait cette déclaration par :
« Les autorités russes ont bien conscience des lacunes en matière de protection des droits de l’homme en Tchétchénie. Comme je l’ai déjà indiqué, l’impunité en cas de violation grave des droits de l’homme est caractéristique de la situation dans la région, et des informations alarmantes concernant des enlèvements, des cas de détention illégale, des actes de torture et d’autres atteintes aux droits de l’homme qui s’y produisent continuent de nous parvenir régulièrement. Les autorités russes se sont engagées à respecter l’esprit et la lettre des normes internationales en matière de droits de l’homme. Il est temps qu’elles comblent l’écart entre cette promesse et la sombre réalité en Tchétchénie. »
56. Le 13 février 2019, la Commissaire avait déjà constaté que le recours abusif à la législation anti-terroriste en Fédération de Russie restreignait la liberté des médias et la liberté d’expression[5]. En 2016, cette institution déclarait annuler sa visite en Russie en raison de restrictions inacceptables imposées à son programme[6]. Il en résulte que la dernière visite dans ce pays ayant donné lieu à la publication d’un rapport date de l’année 2011[7].
b) L’organisation dénommée « Émirat du Caucase »
57. L’organisation dénommée « Émirat du Caucase » est née en 2007 au sein du mouvement séparatiste nationaliste de « La République tchétchène d’Itchkérie »[8]. Concernant ses activités politiques et ses cibles, le Center for International Security and Cooperation de l’université de Stanford[9] mentionne :
« The Caucasus Emirate does not consider the current governing bodies in the North Caucasus, put in place by the Russian Federation, to be legitimate. It considers itself to be the only legitimate governing body in the North Caucasus and, as such, only recognizes leaders selected from within the Caucasus Emirate throughout the vilayets of the North Caucasus.
[…]
The Caucasus Emirate targets Russian security forces and other Russian appointed officials that oppose the establishment of an Islamic caliphate in the North Caucasus. »
58. D’après cette même source, il s’agit d’une organisation désignée comme terroriste par, entre autres, la Fédération de Russie et les États-Unis.
59. Le rapport du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) de 2019 sur la situation sécuritaire au Daghestan[10] précise que :
« La plupart des organisations rebelles daghestanaises se sont intégrées en 2006-2007 dans le mouvement rebelle plus large, d’inspiration islamiste, qui portait le nom d’Émirat du Caucase et s’est rapidement étendu à l’ensemble du Nord-Caucase.
[…]
Comme nous le verrons plus loin, l’Émirat du Caucase est menacé dans son existence, et ses effectifs ont fortement diminué. Les personnes qui rejoignent le mouvement rebelle le font de plus en plus sous la bannière de l’organisation État islamique (EI), dont la force de frappe au Daghestan reste limitée. Un centre de recherches polonais, le Center for EasternStudies (CES), a relevé en 2018 qu’il n’y avait plus aucun mouvement rebelle de quelque importance actif au Daghestan, où la sécurité s’est considérablement améliorée par rapport à la décennie précédente6.
[…]
Sur le plan idéologique, une interprétation extrêmement rigoriste de l’islam (du Coran) constitue la principale motivation de la plupart des rebelles. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les rebelles n’adhèrent plus à un projet nationaliste ou ethnique depuis 2010. Leur conviction religieuse repose sur le principe d’un monothéisme absolu (tawhid), dont l’instauration nécessite le renversement du pouvoir actuel. Ce projet se traduit également par un fort sentiment antirusse. Cette idéologie a amené en 2006-2007 une grande partie des rebelles daghestanais à s’intégrer dans l’Émirat du Caucase, qui était à l’époque actif dans l’ensemble du Nord-Caucase23.
[…]
L’organisation de défense des droits de l’homme Memorial a plusieurs fois déclaré que les violations des droits de l’homme et l’arbitraire dont font preuve les forces de l’ordre dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, sont parmi les facteurs les plus importants qui incitent la population à rejoindre le mouvement rebelle de l’Émirat du Caucase26.
[…]
On Kavkaz cite M. Shamilov, vice-président de la Commission pour l’observation sociale du Daghestan, qui explique que les Daghestanais sont en partie poussés à rejoindre l’EI par la brutalité des opérations anti-terroristes au Daghestan33. HRW a relevé de même en 2015 que le non-respect de la loi et le climat d’impunité à l’égard des exactions au Daghestan semblaient contribuer à la popularité croissante de l’EI auprès des jeunes daghestanais34. »
c) Le recours à la torture et aux mauvais traitements dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le Caucase du nord
60. Le rapport précité du CGRA[11], en se référant à de nombreuses sources, fait état du recours à la torture et aux mauvais traitements de la part des forces de l’ordre au Daghestan :
« Il ressort de nombreuses sources, parmi lesquelles l’organisation Memorial, le ministère néerlandais des Affaires étrangères, Amnesty International, l’ICG, le quotidien daghestanais indépendant NovoeDelo, HRW et le Département d’État américain, que les forces de l’ordre commettent régulièrement des exactions dans leur lutte contre le mouvement rebelle. Elles font souvent preuve d’arbitraire, n’hésitent pas à recourir à la torture, à l’intimidation, à la falsification et à la fabrication de preuves, et bien souvent elles ne respectent pas la loi. Par ailleurs, les forces de l’ordre ouvrent parfois le feu sans discernement sur des maisons où pourraient se cacher des rebelles, arrêtent et détiennent des personnes de manière illégale, les soumettent à des techniques d’interrogatoire illégales (torture, pression psychologique) et, dans les cas les plus extrêmes, elles se rendent coupables d’exécutions extrajudiciaires. Les forces de l’ordre ne sont que rarement ou jamais poursuivies pour de tels faits et bénéficient d’une impunité presque totale75. En 2017, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, parmi lesquelles HRW et Amnesty International (AI), ont rédigé une lettre conjointe dans laquelle elles dénonçaient le fait qu’aucune mesure n’avait encore été prise dans le Nord-Caucase, y compris au Daghestan, pour lutter contre l’impunité dont jouissent certains fonctionnaires76.
Dans son rapport de 2018, le Médiateur (Ombudsman) du Daghestan a écrit qu’en 2017 elle avait encore été saisie de plusieurs cas de mauvais traitements en détention préventive77.
Le rapport du ministère néerlandais des Affaires étrangères de 2012 sur le Nord-Caucase a en outre relevé que des viols étaient commis dans le Nord-Caucase sur des détenus, hommes et femmes, mais que le sujet était tabou et que les victimes osaient rarement en parler78. En 2014, CaucasianKnot a évoqué le cas d’une femme qui aurait subi un viol en garde à vue. La victime a porté plainte mais la plainte n’a pas été examinée correctement, selon Caucasian Knot79.
En 2014, l’International Crisis Group (ICG) a rapporté que les pratiques illégales, la corruption et l’incompétence sont très répandues dans les forces de l’ordre, ce qui ébranle fortement la confiance de la population.L’ICG fait également remarquer que l’efficacité des forces de l’ordre est mesurée surtout de manière quantitative, en fonction du nombre d’arrestations et d’affaires résolues, ce qui favorise des pratiques illégales telles que la torture et la fabrication de preuves80. En mars 2014, le journal Chernovika cité un rapport du bureau du procureur daghestanais, selon lequel les services de police daghestanais avaient commis en 2013 de nombreuses irrégularités, telles que la falsification de preuves et la manipulation de statistiques81. Dans son rapport de février 2015, le Médiateur du Daghestan a relevé que les forces de l’ordre du Daghestan se rendaient parfois coupables de falsification de preuves. Le Médiateur a également précisé qu’il avait dénoncé en vain depuis 2006 le problème des suspects directement placés en détention provisoire à l’issue de leur garde à vue, sans aucune possibilité de contacter leur avocat ou une autre personne82. Dans son rapport de 2018, le Médiateur du Daghestan a relevé que les membres des forces de l’ordre ne respectaient pas les règles de procédure pénale, ce qui portait atteinte aux droits des victimes et des suspects. En 2017, le Médiateur a reçu 152 plaintes de civils concernant les forces de l’ordre (contre 141 en 2016). Il s’agit notamment de plaintes pour des arrestations et des procès injustifiés, ainsi que pour des refus de la police de traiter une plainte. Le Médiateur a également mentionné avoir reçu plusieurs plaintes pour des cas de suspects privés d’avocat83. L’organisation Memorial note en 2018 que la torture est toujours couramment pratiquée au Daghestan par les forces de l’ordre, généralement pour obtenir des aveux84.
Le 7 février 2018, une importante opération anti-corruption a eu lieu au Daghestan à l’initiative du nouveau dirigeant de la République, Vladimir Vasil’ev. Des hommes des services centraux du FSB, du comité d’enquête et de la Rosgvardiyaavaient été envoyés au Daghestan pour mener à bien cette opération, alors qu’au même moment une partie de la police du Daghestan était envoyée en dehors des villes. Le porte-parole du MVD daghestanais a déclaré à cette occasion qu’il n’était pas inhabituel que l’on fasse venir au Daghestan des hommes d’autres régions, que cela se faisait depuis 200285. Le journal Chernovika écrit que de plus en plus de rapports mettaient en lumière des lacunes et des infractions commises par les forces de l’ordre daghestanaises, également mises en cause dans le cadre de l’opération anti-corruption de Vasil’ev. Au moment de finaliser le présent COI Focus, l’impact de cette opération est encore difficile à évaluer86. »
61. Une synthèse des préoccupations d’Amnesty international concernant le renvoi de demandeurs d’asile Tchétchènes vers la Russie et notamment le risque de refoulement, rapporte, en janvier 2022[12] :
« SITUATION DES DROITS HUMAINS DANS LE CAUCASE DU NORD
Amnesty International reçoit régulièrement des informations faisant état de disparitions forcées et de cas de torture et autres mauvais traitements dans le Caucase du Nord, et en particulier en Tchétchénie. L’organisation a documenté plusieurs de ces cas au cours des dernières années. De plus, de nombreux cas d’enlèvements, d’exécutions extrajudiciaires et de torture présumés, dont notamment le cas dit des 275, ont été révélés par des médias indépendants russes et par des blogueurs6. Ces violations des droits humains s’inscrivent souvent – mais pas uniquement – dans le cadre d’activités prétendument antiterroristes menées par des agents chargés de l’application des lois dans le Caucase du Nord. Amnesty International a reçu à plusieurs reprises des informations provenant de toute la région et indiquant que certaines personnes avaient été visées en raison de leur appartenance présumée à des groupes armés. Selon des allégations crédibles, les preuves retenues contre elles reposaient sur des « aveux » ou des témoignages incriminants d’autres personnes extorqués sous la torture et les mauvais traitements.
Le recours à la torture est fréquent, continuel et répandu en Tchétchénie et dans toute la Fédération de Russie, et les victimes ne bénéficient pour l’instant d’aucun recours effectif.
De nombreux prévenus dénoncent auprès des tribunaux des actes de torture ou d’autres mauvais traitements et reviennent sur leurs déclarations. Néanmoins, les tribunaux rejettent généralement les recours formés par la défense en vue d’obtenir que ces preuves soient déclarées irrecevables. Aux termes de la loi (article 235 du Code de procédure pénale russe), dans le contexte d’une procédure pénale, il appartient au procureur de prouver l’irrecevabilité d’allégations étayées. Cependant, en pratique, il semble que les allégations de torture présentées par le prévenu n’ont aucun poids si elles n’ont pas été confirmées dans le cadre d’une procédure pénale distincte.
Face aux nombreux obstacles juridiques et pratiques rencontrés, il s’avère quasiment impossible pour une personne en détention d’engager une telle procédure. Dans de nombreux cas signalés à Amnesty International dans le cadre desquels une contribution symbolique avait été accordée en lien avec des allégations de torture présentées par des prévenus, dont certaines étaient étayées par des preuves solides et crédibles, soit le parquet avait refusé d’engager des poursuites pénales, soit l’affaire avait été rapidement classée sans suite en raison d’un « manque de preuves » ou de « l’absence d’infraction en flagrant délit ».
Il est presque impossible pour les personnes en détention d’étayer leurs allégations de torture par des preuves car elles disposent d’un accès très limité à des professionnels de la santé, voire en sont totalement privées. Amnesty International a également reçu des informations indiquant que des agents chargés de l’application des lois avaient soumis des professionnels du corps médical à des manœuvres d’intimidation et de harcèlement en vue de les empêcher de constater des blessures qu’ils avaient infligées. Les professionnels du corps médical qui travaillent dans les institutions pénitentiaires sont affiliés à l’administration pénitentiaire et manquent dès lors d’indépendance. Ils n’ont souvent pas non plus les qualifications requises pour pouvoir documenter la torture et les autres mauvais traitements.
Dans ses Observations finales concernant le sixième rapport périodique de la Fédération de Russie, le Comité des Nations unies contre la torture a également constaté « l’absence d’enquête efficace » sur les graves violations des droits humains en Tchétchénie et dans la région du Caucase du Nord, notamment les cas de torture, d’enlèvements, de disparitions forcées, de détention arbitraire et d’exécutions extrajudiciaires commis par des représentants de l’État, citant en exemple l’affaire de l’exécution extrajudiciaire de 27 hommes à Grozny7. Il a également souligné que sur plus d’une centaine d’affaires de disparitions forcées en Tchétchénie entre 2012 et 2015 sur lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a rendu des arrêts, seulement deux affaires ont fait l’objet d’investigations à ce jour8.
Présenté le 20 décembre 2018, le rapport du Rapporteur de l’OSCE désigné en vertu du mécanisme de Moscou pour enquêter sur les violations des droits humains et l’impunité en République tchétchène de la République de Russie met en lumière le même schéma généralisé de violations des droits humains.
En particulier, le Rapporteur a déclaré que « ces éléments apportent une confirmation claire quant aux allégations de violations très graves des droits humains en République tchétchène. Cela concerne en particulier les allégations de harcèlement et de persécution, d’arrestation et de détention arbitraire ou illégale, de torture, de disparition forcée et d’exécution extrajudiciaire. » Le Rapporteur a ajouté : « Non seulement aucun progrès n’a été constaté en ce qui concerne la situation juridique relative aux recours utiles et par conséquent le problème de l’impunité, mais la situation s’est aggravée, tandis que le climat d’intimidation s’est imposé à tel point que presque personne en Tchétchénie ne se sent désormais libre d’évoquer les questions de droits humains. Les organisations de défense des droits humains et les médias d’investigation, au lieu d’être protégés, font face à diverses formes de harcèlement et d’attaques qui ne font l’objet d’aucune enquête. Cela confirme le sentiment général de non-droit et l’impression selon laquelle l’appareil d’État répressif dispose d’une liberté totale d’action car il est protégé par l’impunité9. »
62. Cette synthèse fait état de plusieurs cas de personnes expulsées de pays européens, dont la France, vers la Russie, victimes de disparition forcée et torturées à leur arrivée en Tchétchénie. L’association indique notamment :
« Amnesty International reçoit régulièrement des informations faisant état d’affaires pénales forgées de toutes pièces en Tchétchénie, notamment en vertu de l’article 208 du Code pénal de la Fédération de Russie (« organisation ou participation aux activités d’un groupe illégal armé »), de l’article 222 (« acquisition, transfert, distribution, stockage, transport ou possession illégale d’armes à feu, pièces ou munitions ») et de l’article 222.1 (« acquisition, transfert, distribution, stockage, transport ou possession illégale d’explosifs »). À plusieurs reprises, des personnes originaires de Tchétchénie ayant passé plusieurs années en dehors de la Fédération de Russie ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, de torture et autres mauvais traitements et ont été emprisonnées à l’issue d’un procès inéquitable à leur retour (généralement, un renvoi forcé) en Russie. Dans certains cas, tels que celui d’AzamatBaïdouïev et de Magomed Gadaev évoqués ci-dessus, il s’agissait de personnes qui avaient quitté la Russie pour solliciter une protection internationale. »[13]
« Amnesty International a eu connaissance de plusieurs cas de personnes originaires du Caucase du Nord qui s’étaient installées ailleurs en Fédération de Russie, souvent dans des zones éloignées, et avaient par la suite été arrêtées et transférées dans le Caucase du Nord où elles avaient été placées en détention et accusées d’appartenir à un groupe armé illégal ou de posséder des armes. Elles auraient été victimes de torture et d’autres mauvais traitements au cours de l’enquête. Tel que mentionné ci-dessus, selon des informations crédibles, ces accusations sont souvent fondées sur des « aveux » ou des témoignages incriminants d’autres personnes extorqués sous la torture ou d’autres mauvais traitements. De même, dans plusieurs cas signalés, des personnes ont été victimes brièvement de disparition forcée dans le Caucase du Nord avant que les autorités ne signalent leur placement en détention à Moscou en tant que membres présumés de groupes armés illégaux. Pendant cette période, leurs familles ne disposaient d’aucune information relative à leur sort et ces personnes auraient été soumises à des interrogatoires sans avoir pu consulter un avocat. »[14]
63. Dans son rapport sur les droits humains dans le monde de 2021, Human Rights Watch[15] indiquait, concernant la lutte antiterroriste en Russie, que :
« Courts issued guilty verdicts in several terrorism or extremism cases marred by allegations of torture, dubious expert analysis, and reliance on secret witnesses ».
64. Ce même rapport pointe le défaut d’investigations lors de la dénonciation de mauvais traitements par les victimes.
65. Le rapport intitulé Country Reports on Human Rights Practices for 2021 publié par le département d’État américain[16] fait état de l’usage de la torture et de mauvais traitements par les forces de l’ordre dans le cadre de la lutte antiterroriste en Russie :
“Torture and Other Cruel, Inhuman, or Degrading Treatment or Punishment
Although the constitution prohibits such practices, numerous credible reports indicated law enforcement officers engaged in torture, abuse, and violence to coerce confessions from suspects, and authorities only occasionally held officials accountable for such actions.
There were reports of deaths because of torture (see section 1.a., above).
Physical abuse of suspects by police officers was reportedly systemic and usually occurred within the first few days of arrest in pretrial detention facilities. Reports from human rights groups and former police officers indicated that police most often used electric shocks, suffocation, and stretching or applying pressure to joints and ligaments because those methods were considered less likely to leave visible marks. The problem was especially acute in the North Caucasus. According to the Civic Assistance Committee, prisoners in the North Caucasus complained of mistreatment, unreasonable punishment, religious and ethnic harassment, and inadequate provision of medical care.
[…]
There were reports of the FSB using torture against young “anarchists and antifascist activists” who were allegedly involved in several “terrorism” and “extremism” cases.
In the North Caucasus region, there were widespread reports that security forces abused and tortured both alleged militants and civilians in detention facilities.
[…] Arbitrary or Unlawful Interference with Privacy, Family, Home, or Correspondence
[…]
The law requires relatives of terrorists to pay the cost of damages caused by an attack, which human rights advocates criticized as collective punishment. Chechen Republic authorities reportedly routinely imposed collective punishment on the relatives of alleged terrorists, including by expelling them from the republic.”
66. Dans son rapport annuel 2021/22 sur la situation des droits humains dans le monde, Amnesty International fait état, concernant la Fédération de Russie[17] :
« TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
La torture et les autres mauvais traitements en détention constituaient toujours des pratiques endémiques et il était rare que les responsables de tels actes soient traduits en justice.
[…]
Les frères SalekhMagamadov et Ismaïl Issaïev ont été enlevés par la police en février, à Nijni Novgorod, pour être ensuite conduits en Tchétchénie, où ils ont été placés en détention provisoire sur la foi d’accusations mensongères d’assistance à groupe armé. Tous deux se sont plaints d’avoir été torturés et, plus généralement, maltraités, mais les autorités tchétchènes ont refusé d’ouvrir une enquête judiciaire sur leurs allégations.
En octobre, Maxime Ivankine, condamné à 13 ans d’emprisonnement pour participation aux activités d’une organisation « terroriste » fictive baptisée « le Réseau », a confié à ses avocats avoir « avoué » sous la torture un double meurtre, pendant son transfert vers un pénitencier situé dans une autre région.
[…]
DISPARITIONS FORCÉES
De nouvelles informations ont fait état de disparitions forcées, en particulier en Tchétchénie. On ignorait notamment ce qu’était devenu Salman Tepsourkaïev, modérateur de 1ADAT, une chaîne Telegram. Critique à l’égard des autorités, cet homme avait disparu en 2020. Une vidéo publiée plus tard par une source anonyme l’a montré en train d’être torturé. »
67. Le rapport 2021 de la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale[18] note :
« In the North Caucasus, security forces acted with impunity, arresting or kidnapping persons suspected of even tangential links to Islamist militancy as well as for secular political opposition. Chechen leader Ramzan Kadyrov oversaw or condoned egregious abuses based on his religious views, including against women and members of the lesbian, gay, bisexual, transgender, and intersex (LGBTI) community. Chechens routinely appear in humiliating televised confessions in which they must publicly apologize for a variety of offenses, including witchcraft, insulting Islam, and criticizing Kadyrov, in a ritual reminiscent of customary political and religious practice in the region. One young critic of the leader was kidnapped and forced to confess on video before sitting naked on a glass bottle. Chechen Minister of Information and Press AkhmedDudaev advocates such policies, recently accusing two LGBTI bloggers arrested in April for insulting religion of aiding Islamist militants. Police across the North Caucasus have broadly targeted and harassed attendees at regional mosques, demanding their personal information and subjecting them to questioning. One mosque in Dagestan has been targeted so regularly that government raids are referred to as part of Friday services. Rather than effectively combatting violent extremism, these practices create resentment and lead some individuals to seek information about Islam from disreputable online sources. »
d) La liste des personnes recherchées établie par Rosfinmonitoring
68. Rosfinmonitoring, service d’intelligence en matière financière des autorités russes, a établi une liste, mise à jour le 1er avril 2022, des organisations et des personnes au regard desquelles il existe des informations sur leur implication dans des activités extrémistes ou terroristes[19]. Le requérant figure sur cette liste.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
69. Le requérant considère qu’un éloignement vers la Fédération de Russie l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Cet article est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
a) Le Gouvernement
70. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes à défaut, d’une part, d’avoir saisi la CNDA de la requête prévue à l’article L. 731-3 du CESEDA, et d’autre part, d’avoir formé un référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative ou un référé-suspension prévu par l’article L. 521-1 de ce même code. S’agissant des procédures en référé, il rappelle que l’introduction d’un de ces recours n’est pas en elle-même suspensive de l’éloignement mais qu’en pratique les autorités françaises suspendent la mesure jusqu’à ce que le juge des référés statue. Il ajoute que l’appel contre la décision du tribunal administratif du 2 février 2021 (voir paragraphe 20 ci-dessus) était pendant.
b) Le requérant
71. Le requérant fait valoir que la procédure de demande d’avis devant la CNDA ne donne pas lieu à des avis conformes dont l’exécution serait obligatoire et, que par conséquent, il ne s’agit pas d’une voie de recours effective. S’agissant des deux procédures en référé susmentionnées, le requérant fait valoir qu’au vu de l’imminence du renvoi, il ne saurait être attendu qu’il use d’une voie qui ne lui garantissait pas de manière absolue que son éloignement serait suspendu. Il rappelle la jurisprudence de la Cour sur l’épuisement des recours lorsque plusieurs voies de recours sont disponibles. Concernant la procédure en appel devant la cour administrative d’appel, il relève que l’article R. 811-14 du code de justice administrative dispose qu’elle est dépourvue de caractère suspensif.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
72. La Cour a déjà eu l’occasion de rappeler que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 69, 25 mars 2014).
73. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (Vučković et autres,précité, § 70). Cette obligation impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Vučković et autres,précité, § 71). Cependant rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Vučković et autres,précité, § 73).
74. Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès. Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Vučković et autres,précité, § 74).
75. Cela étant, la Cour a fréquemment souligné qu’il faut appliquer la règle de l’épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Vučković et autres,précité, § 76). Elle a de plus admis que cette règle ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de l’État contractant concerné, mais également du contexte dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant. Il lui faut dès lors examiner si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de la cause, le requérant a fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 116, CEDH 2007‑IV).
76. En particulier, lorsqu’il s’agit d’un grief selon lequel l’expulsion de l’intéressé l’exposera à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, compte tenu de l’importance que la Cour attache à cette disposition et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 ainsi qu’une célérité particulière. Dans ce cas, l’effectivité requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, § 82,CEDH 2012). Lorsqu’un tel recours existe, le requérant est normalement appelé à l’épuiser (A.M. c. France, no 12148/18, § 64, 29 avril 2019).
77. La Cour rappelle que l’obligation pour un requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour. Cependant, il ressort d’une jurisprudence bien établie que la Cour tolère que le dernier échelon d’un recours soit atteint après le dépôt de la requête mais avant qu’elle se prononce sur la recevabilité de celle-ci (SelahattinDemirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 193, 22 décembre 2020).
78. La Cour a déjà retenu, dans une affaire relative à l’expulsion d’un requérant vers son pays d’origine, dans laquelle l’intéressé invoquait une violation de l’article 3 de la Convention, que si la saisine de l’OFPRA ne constituait certes pas le dernier échelon de la voie de recours offerte par la demande d’asile, elle en constituait toutefois, dans le cas du requérant, le premier et dernier échelon ayant un effet suspensif. Dans les circonstances très particulières de l’espèce, la Cour a regardé les voies de recours internes comme épuisées (A.M. c. France, précité, §§ 68-83).
b) Application au cas d’espèce
79. En premier lieu, la Cour relève que la procédure d’avis devant la CNDA, instituée par les dispositions de l’article L. 731-3 du CESEDA dans leur rédaction applicable en l’espèce (voir paragraphe 43 ci-dessus), a certes un effet suspensif de l’éloignement mais que cet effet ne perdure toutefois que jusqu’au moment où la CNDA rend son avis. Ainsi que l’indiquent les dispositions de l’article R. 733-40 du CESEDA (voir paragraphe 44 ci-dessus), l’avis est transmis sans délai au ministre de l’Intérieur et au ministre chargé de l’asile. L’administration n’est toutefois pas liée par cet avis et peut décider de mettre à exécution la décision d’éloignement. Il en résulte que cette procédure ne peut être regardée comme ayant pour effet direct d’empêcher l’exécution d’une décision d’éloignement vers un pays donné. Elle ne peut donc être considérée comme présentant l’effectivité requise qui impliquerait d’imposer son épuisement au requérant avant toute saisine de la Cour (R c. France, no 49857/20, § 86, 30 août 2022, non définitif).
80. En deuxième lieu, la Cour, écartant l’argument du Gouvernement selon lequel le référé-liberté et le référé-suspension auraient un effet suspensif en « pratique », a déjà jugé que ces deux recours n’étaient pas des voies de recours effectives pour faire valoir un grief tiré de l’article 3 de la Convention en l’absence d’un effet suspensif de plein droit (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, §§ 65-67, CEDH 2007-II).
81. En l’espèce, laissant de côté les demandes d’asile puis de réexamen dans lesquelles le requérant a exposé ses craintes en cas de retour en Russie, le requérant a fait un recours en annulation contre la décision portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Le requérant a donc utilisé au moins une voie de droit apparemment effective et suffisante, il ne saurait donc se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui ne présentaient guère plus de chances de succès et étaient dépourvues en droit de caractère suspensif.
82. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le requérant a satisfait à l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes prévues par l’article 35 § 1 de la Convention. Il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception du Gouvernement. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
i. Sur la situation générale dans la région du Nord Caucase et les profils à risque
83. Le requérant soutient que les rapports internationaux démontrent les violations systémiques des droits de l’homme commises dans le cadre d’opérations antiterroriste au Daghestan. Il ajoute qu’aucun Tchétchène n’est en sécurité en Russie et que RamzanKadyrov ne distingue pas les Tchétchènes en fonction de leur lieu de résidence.
84. Il fait également valoir que, selon la Cour, les rapports internationaux, montrent que certaines catégories de population, de Tchétchénie ou du Daghestan sont particulièrement à risque, telles que les membres de la lutte armée de résistance tchétchène, les personnes considérées par les autorités comme tels, leurs proches, les personnes les ayant assistés d’une manière ou d’une autre ainsi que les civils contraints par les autorités à collaborer avec elles (R.V. c. France, no 78514/14, 7 juillet 2016, et M.V. et M.T.c. France, no 17897/09, 4 septembre 2014). Le requérant cite plusieurs rapports d’organisations internationales et non gouvernementales faisant état d’exécutions extrajudiciaires, d’enlèvements, de disparitions forcées, d’usage de la torture et de mauvais traitements de la part d’agents étatiques en Russie, et particulièrement dans le Caucase du Nord, dans le cadre de la lutte antiterroriste et contre les insurgés. Ces rapports critiquent l’absence d’enquête efficace sur ces violations et font état de cas d’accusations fallacieuses de faits de terrorisme. Concernant les risques encourus par des Tchétchènes éloignés par les autorités françaises vers la Fédération de Russie, le requérant se réfère à une déclaration conjointe du 25 mai 2021, du Comité Tchétchénie, d’Amnesty International France et de la Ligue des droits de l’Homme, appelant la France à arrêter de renvoyer les Tchétchènes vers la Russie.
ii. Sur la situation personnelle du requérant
85. Le requérant soutient que la France a violé l’article 3 de la Convention en lui retirant le statut de réfugié et en décidant son renvoi vers la Russie sans avoir dument examiné les risques de torture et de traitements inhumains et dégradants. Le requérant fait aussi valoir qu’il bénéficie toujours de la qualité de réfugié. Il allègue que les informations et pièces qui lui avaient permis d’être reconnu comme réfugié n’ont jamais été remises en cause et qu’il peut se prévaloir de la décision de reconnaissance du statut de réfugié après révélation de sa véritable identité. Il ajoute que les éléments relatifs à cette véritable identité, ayant motivé le « retrait » pour fraude, étaient connus de la CNDA lors de sa décision du 12 février 2018.
86. S’agissant du second élément constituant la supposée fraude, à savoir la dissimulation de ses activités de soutien à des organisations terroristes, il réfute ces accusations, et à les supposer fondées, il indique qu’il s’agirait d’un indice supplémentaire de risque de torture en cas de renvoi.
87. Faisant référence à la jurisprudence de la Cour (K.I. c. France, no 5560/19, § 127, 15 avril 2021, R.V.c. France, précité, § 53, M.V. et M.T.c. France, précité, § 40), il soutient qu’en tant que personne originaire du Nord-Caucase, dont elle-même ou l’un de ses proches, est soupçonnée ou condamnée pour des faits de terrorisme, il est particulièrement exposé à un risque de torture en Russie. Il allègue que la CNDA a tenu pour établi qu’il était accusé par les autorités russes d’appartenir à la résistance tchétchène ce que confirment la note de la DGSI et des sources publiques. Par ailleurs, il fait aussi valoir qu’il a fui la Fédération de Russie en raison d’actes de torture et de fausses accusations pénales à son encontre et que par conséquence il y a de forts indices de nouveaux risques en cas de retour (J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, §§ 99-102, 23 août 2016). Il rappelle qu’en tant personne appartenant à la communauté tchétchène, il n’est en sécurité nulle part en Russie.
88. Par ailleurs, il ajoute que la mention « dossier signalé. Prévoir escorte à l’arrivée » figurant dans la rubrique « raison de considérer l’intéressé comme particulièrement dangereux » de la demande de réadmission aux autorités russes donne à penser qu’il sera arrêté dès son arrivée sur le territoire russe, soumis à tortures et à un procès fallacieux. D’autre part, il nie l’existence de l’alias « K. », identité non confirmée par la note blanche de la DGSI.
89. Enfin, il se plaint de l’appréciation faite par le préfet et le tribunal administratif qui ont conclu à l’absence de risque en cas de retour en Russie.
b) Le Gouvernement
i. Sur la situation générale dans la région du Nord Caucase et les profils à risque
90. Le Gouvernement observe que la Fédération de Russie ne présente pas une situation générale de violence telle que tout renvoi vers cet État serait prohibé. Il ajoute que si plusieurs rapports d’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales et d’agences gouvernementales permettent d’établir que même si les ressortissants russes d’origine tchétchène peuvent faire l’objet de discriminations et de suspicion de la part des autorités russes, il n’en ressort pas une pratique systématique de persécution à raison de leur origine telle qu’elle empêcherait tout éloignement vers ce pays.
91. Les rapports consultés par le Gouvernement font état d’une situation générale dégradée pour les Tchétchènes en Tchétchénie et font état de profils risquant d’être exposés à des persécutions de la part des autorités, tels que les opposants politiques, les personnes appartenant à la communauté LGBTI ou bien les défenseurs des droits de l’homme. Selon le Gouvernement, ces rapports n’évoquent cependant pas de risque majeur de répression dans la République du Daghestan, hormis pour les journalistes et les minorités sexuelles. Il ajoute que si les personnes ayant eu des liens avec une mouvance terroriste peuvent effectivement attirer l’attention des autorités russes, comme dans tout autre État, il ne ressort pas de ces rapports que ces personnes sont susceptibles d’être exposées quasi-systématiquement à de mauvais traitements.
92. Le Gouvernement en conclut que le risque généralisé de mauvais traitements en tant qu’individu appartenant à un groupe à risque n’est pas avéré et, partant, que le risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention doit faire l’objet d’un examen individuel.
ii. Sur la situation personnelle du requérant
93. À titre liminaire, le Gouvernement rappelle que s’il appartient à l’ethnie tchétchène, le requérant est originaire du Daghestan, et les rapports consultés ne font état d’aucun fait de persécution à l’égard de personnes soupçonnées de liens avec la mouvance terroriste au Daghestan.
94. En premier lieu, le Gouvernement relève que le requérant ne saurait se prévaloir de la qualité de réfugié qui ne lui a pas été reconnue par la CNDA. En deuxième lieu, le Gouvernement soutient que les organes de l’asile et juridictions administratives ont procédé à un examen conforme aux exigences procédurales de la Cour pour conclure à l’absence de risque de traitement inhumain et dégradant résultant d’un renvoi vers la Russie. En troisième lieu, il soutient que le requérant n’a apporté, au soutien de ses requêtes devant les juridictions internes et devant la Cour, aucun élément étayé et suffisamment probant permettant d’établir l’existence d’un risque réel et avéré pour sa vie ou pour sa sécurité en Russie. En dernier lieu, il précise que les autorités françaises n’ont transmis aucune information aux autorités russes au sujet tant de la procédure d’asile, que des soupçons de lien avec l’Émirat du Caucase pesant sur le requérant, ou même de son parcours en France.
95. Observant que le requérant est en fuite depuis le 13 janvier 2021, le Gouvernement précise que les modalités pratiques de son éloignement n’ont pas été définies. Enfin, le Gouvernement conclut que le requérant n’a pas démontré devant la Cour qu’il était exposé au moment de son expulsion vers la Russie à un risque personnel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
i. Le caractère absolu des obligations découlant de l’article 3
96. La Cour rappelle que les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 111, 23 mars 2016)
97. La Cour souligne qu’elle a une conscience aiguë de l’ampleur du danger que représente le terrorisme pour la collectivité et, par conséquent, de l’importance des enjeux de la lutte antiterroriste. Elle est de même parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent actuellement les États pour protéger leur population de la violence terroriste (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 79, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 137, CEDH 2008, et K.I. c. France, précité, § 118). Devant une telle menace, elle considère qu’il est légitime que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme, qu’elle ne saurait en aucun cas cautionner (O.D. c. Bulgarie, no 34016/18, § 45, 10 octobre 2019, et K.I. c. France, précité, § 118).
98. Il convient toutefois de rappeler que la protection offerte par l’article 3 de la Convention présente un caractère absolu. Pour qu’un éloignement forcé envisagé soit contraire à la Convention, la condition nécessaire – et suffisante – est que le risque pour la personne concernée de subir dans le pays de destination des traitements interdits par l’article 3 soit réel et fondé sur des motifs sérieux et avérés, même lorsqu’elle est considérée comme présentant une menace pour la sécurité nationale pour l’État contractant (Saadi, précité, §§ 140‑141 etK.I. c. France, précité, § 119). En effet, l’article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4, et d’après l’article 15 § 2 il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999‑V etJ.K. et autres c. Suède[GC], no 59166/12, § 77, 23 août 2016). Il en est de même y compris dans l’hypothèse où le requérant a des liens avec une organisation considérée comme terroriste (K.I. c. France, précité, § 119).
i. Date de l’appréciation par la Cour
99. Lorsque le requérant n’a pas encore été expulsé, la date à retenir pour l’appréciation doit être celle de l’examen de l’affaire par la Cour. Une évaluation complète et ex nunc est requise lorsqu’il faut prendre en compte des informations apparues après l’adoption par les autorités internes de la décision définitive. Dès lors que la responsabilité que l’article 3 fait peser sur les États contractants dans les affaires de cette nature tient à l’acte consistant à exposer un individu au risque de subir des mauvais traitements, l’existence de ce risque doit s’apprécier principalement par référence aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment du renvoi. Cette réserve montre que le principe de l’évaluation ex nunc a pour finalité principale de fournir une garantie lorsqu’un laps de temps notable s’est écoulé entre l’adoption de la décision interne et l’examen par la Cour du grief de violation de l’article 3 exposé par le requérant, et donc lorsque la situation dans le pays de destination a peut-être évolué en ce qu’elle se serait détériorée ou améliorée (Khasanov et Rakhmanov c. Russie[GC], nos 28492/15 et49975/15, § 107, 29 avril 2022).
100. La Cour souligne que, dans des affaires de ce type, tout constat relatif à la situation générale dans un pays donné et à sa dynamique ainsi que tout constat relatif à l’existence de tel ou tel groupe vulnérable procède par essence d’une appréciation factuelle ex nunc à laquelle elle se livre sur la base des éléments disponibles (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 107).
ii. Champ de l’appréciation : situation générale et circonstances individuelles
101. L’arrêt de Grande Chambre Khasanov et Rakhmanov(précité), expose la méthodologie à suivre pour l’appréciation du risque de mauvais traitements en cas d’éloignement d’étrangers.
102. En particulier, l’appréciation du risque doit se concentrer sur les conséquences prévisibles du renvoi de la personne concernée vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres à l’intéressé. Il faut rechercher si, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Si l’existence d’un tel risque est établie, le renvoi du requérant emporterait nécessairement violation de l’article 3, que le risque émane d’une situation générale de violence, d’une caractéristique propre à l’intéressé, ou d’une combinaison des deux (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 95).
103. Le point de départ dans cette démarche est l’analyse de la situation générale dans le pays de destination. À cet égard, et s’il y a lieu, la Cour examinera s’il existe une situation générale de violence dans ce pays. Toutefois, une situation générale de violence n’est en principe pas à elle seule de nature à entraîner une violation de l’article 3 en cas d’expulsion vers le pays en question, sauf si la violence est d’une intensité telle que tout renvoi dans ce pays emporterait une pareille violation. La Cour n’adopterait pareille approche que dans les cas de violence générale les plus extrêmes où l’intéressé courrait un risque réel de subir des mauvais traitements du seul fait que son retour dans le pays en question l’exposerait à cette violence (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 96).
104. Dans les affaires où un requérant allègue faire partie d’un groupe systématiquement exposé à des mauvais traitements, la Cour considère que la protection de l’article 3 de la Convention entre en jeu lorsque l’intéressé démontre, éventuellement en s’appuyant sur les sources disponibles, qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la pratique en question existe et qu’il appartient au groupe visé (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 97).
105. Les allégations de cette nature ne s’apprécient pas de la même façon que, d’une part, celles se rapportant à une situation générale de violence dans tel ou tel pays et, d’autre part, celles se rapportant aux circonstances individuelles (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 98).
106. La première étape de cette démarche consiste à examiner si l’existence d’un groupe systématiquement exposé à des mauvais traitements a été établie, question qui relève du volet de l’analyse du risque consacré à la « situation générale ». Les requérants qui appartiendraient à un groupe vulnérable ciblé doivent évoquer non pas la situation générale mais l’existence d’une pratique ou d’un risque accru de mauvais traitements visant le groupe auquel ils disent appartenir. L’étape suivante consiste pour eux à établir qu’ils appartiennent chacun au groupe concerné, sans qu’ils aient besoin de faire état d’autres circonstances individuelles ou caractéristiques distinctives (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 99).
107. Dans les cas où, nonobstant l’existence d’une crainte de persécutions pouvant être bien fondée en raison de certaines circonstances aggravant les risques, on ne peut pas établir qu’un groupe est systématiquement exposé à des mauvais traitements, les requérants sont tenus de démontrer l’existence d’autres caractéristiques distinctives particulières qui les exposeraient à un risque réel de mauvais traitements, faute de quoi la Cour conclura à l’absence de violation de l’article 3 de la Convention (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 100).
b) Application au cas d’espèce
i. Sur la situation générale prévalant dans la région du Nord Caucase
108. Concernant la situation générale dans la région du Nord-Caucase, la Cour a déjà estimé que, bien que soient rapportées de graves violations des droits de l’homme en Tchétchénie, la situation n’était pas telle que tout renvoi en Fédération de Russie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention (K.I. c. France, précité, § 126 et, R c. France, précité, § 121, non définitif).
109. De plus, au vu des rapports internationaux précités (voir paragraphes 53-67 ci‑dessus), la Cour ne voit pas de raison de remettre en cause une telle conclusion et considère que la protection offerte par l’article 3 de la Convention ne peut entrer en jeu que si le requérant est en mesure d’établir qu’il existe des motifs sérieux de croire que son renvoi en Fédération de Russie entraînerait, dans le cas particulier de l’espèce, un risque réel de traitements regardés comme prohibés par l’article 3 de la Convention.
ii. Sur la situation des personnes considérées comme des membres de la lutte armée de la résistance tchétchène et des personnes soupçonnées ou condamnées pour des faits de terrorisme
110. La Cour estime que quand bien même il ressort des rapports précités que peuvent être particulièrement à risque certaines catégories de la population du Nord Caucase et plus spécialement de Tchétchénie, d’Ingouchie ou du Daghestan, telles que les membres de la lutte armée de la résistance tchétchène, les personnes considérées par les autorités comme tels, leurs proches, les personnes les ayant assistés d’une manière ou d’une autre, les civils contraints par les autorités à collaborer avec elles ainsi que les personnes soupçonnées ou condamnées pour des faits de terrorisme (K.I. c. France, précité § 127), elle n’est pas d’avis qu’il s’agirait de groupes systématiquement exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, notamment pour la dernière catégorie évoquée (R c. France, précité, § 122, non définitif).
111. La Cour estime en conséquence que l’appréciation du risque pour le requérant doit se faire sur une base individuelle tout en gardant à l’esprit le fait que les personnes présentant un profil correspondant à l’une des catégories susmentionnées peuvent être plus susceptibles que les autres d’attirer l’attention des autorités (R c. France, précité, § 123, non définitif).
iii. Sur la situation personnelle du requérant
112. À titre préliminaire, comme le relève le Gouvernement, en l’espèce la CNDA a confirmé la décision d’irrecevabilité de la demande de réexamen de la demande d’asile du requérant, rendue par l’OFPRA le 31 mai 2017, à l’issue d’une procédure en révision pour fraude. Dans sa décision du 28 juin 2019 (voir paragraphe 14 ci-dessus), la CNDA a déclaré nulle et non avenue la décision de reconnaissance de la qualité de réfugié du requérant en date du 12 février 2018. La présente affaire se distingue donc de l’affaire K.I. c. France, précitée, portant sur un retrait du statut de réfugié en application de l’article L. 711-6 CESEDA alors applicable. Le requérant ne saurait se prévaloir de cette qualité de réfugié.
113. La Cour rappelle que les juridictions internes sont mieux placées pour apprécier la crédibilité du requérant puisqu’elles ont eu la possibilité de le voir, de l’entendre et d’apprécier son comportement (F.G. c. Suède, précité, § 118).
114. En l’espèce, la Cour constate que si la fraude commise pouvait être légitimement sanctionnée, la question de savoir si le requérant risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention demeure distincte compte tenu du caractère absolu des droits garantis par cette disposition. À cet égard, la Cour relève que le 2 février 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le recours du requérant dirigé contre l’arrêté préfectoral fixant la Fédération de Russie comme pays de destination (voir paragraphe 20 ci‑dessus) après une analyse, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, des risques allégués par le requérant en cas d’exécution de la mesure d’éloignement, sans prendre en compte de rapports internationaux sur la situation dans le pays de renvoi. La Cour note que la cour administrative d’appel dans ses arrêts du 11 mars 2022 mentionne que « selon des rapports internationaux, les pratiques de mauvais traitements et de tortures par les forces de l’ordre dans la région du Caucase du Nord sont répandues ainsi que la violation des droits de l’homme » (voir paragraphes 29-30 ci-dessus).
115. Par ailleurs, le 28 juin 2019, la CNDA a rejeté son recours contre la décision d’irrecevabilité de sa demande de réexamen de demande d’asile au terme de la procédure en révision initiée par l’OFPRA (voir paragraphe 14 ci-dessus). La Cour observe que, dans sa décision, la CNDA ne fait pas mention de la note de la DGSI à son attention en date du 6 mai 2019, note qu’elle a pourtant elle-même sollicitée. Le tribunal administratif de Rennes et la cour administrative d’appel de Nantes, ne font pas plus référence à cette note dans leurs décisions du 2 février 2021 et du 11 mars 2022. Cette note de la DGSI mentionne pourtant que « selon des informations issues de la coopération internationale », le requérant était un membre actif de l’organisation Émirat du Caucase ;qu’il a participé à des attaques contre les autorités russes et qu’une enquête pénale a été ouverte à son encontre pour des faits de « participation aux activités d’une formation armée illégale, de participation à une association criminelle, de trafic illégal d’armes, d’attentat à la vie contre un membre des forces pénales » (voir paragraphe 13 ci-dessus). Si le requérant nie les informations contenues dans cette note, et en particulier le fait d’avoir été un combattant, il affirme devant la Cour avoir vécu pendant trois ans au sein d’un campement rebelle (voir paragraphe 4 ci-dessus).
116. En outre, la note des renseignements français précitée précise que les informations contenues dans cette note sont issues de la « coopération internationale » sans que la source précise des informations ne soit mentionnée. À cet égard, la Cour note que le requérant est inscrit sur la liste de personnes impliquées dans des activités de terrorisme établie par l’organisme Rosfinmonitoring, service d’intelligence en matière financière des autorités russes (voir paragraphe 68 ci-dessus). Bien que porté à sa connaissance dans le recours contre la décision du tribunal administratif du 2 février 2021, la cour administrative d’appel ne semble pas prendre en compte cet élément dans ses arrêts du 11 mars 2022 (voir paragraphes 29-30 ci‑dessus).
117. D’autre part, la demande de laissez-passer consulaire établie par les autorités françaises et à destination des autorités russes, porte la mention suivante « individu signalé. Prévoir escorte » (voir paragraphe 19 ci-dessus). La Cour relève également que le requérant a versé une attestation de l’organisation Memorial établie le 20 décembre 2016 faisant état d’un entretien entre un membre de cette organisation et le père du requérant. Cette attestation rapporte, entre autres, la détention du requérant, accusé d’avoir participé à une organisation terroriste, son séjour au sein d’un campement illégal, les multiples perquisitions au domicile familial, la fuite du territoire russe du requérant, ainsi que l’actualité des recherches le visant (voir paragraphe 9 ci-dessus). Cette attestation doit toutefois être lue en tenant compte de ce que le requérant avait déjà produit un autre document similaire préparé par une ONG qui s’est révélé peu fiable (voir paragraphe 14 ci‑dessus).
118. Enfin, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le fait que le requérant puisse présenter un profil correspondant à l’une des catégories particulièrement à risque doit être particulièrement pris en compte par les autorités internes lorsqu’elles examinent la réalité du risque que celui-ci allègue subir en cas d’expulsion (K.I. c. France, précité, § 127). Or, si la cour administrative d’appel a relevé cette circonstance dans les écritures du requérant, elle ne semble pas l’avoir examiné expressément (voir paragraphes 29-30 ci‑dessus).
119. En conclusion, et eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il y aurait une violation de l’article 3 de la Convention en son volet procédural si le requérant était renvoyé en Russie en l’absence d’une appréciation ex nunc par les autorités françaises du risque qu’il allègue encourir en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi.
II. ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
120. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt ne deviendra définitif que a) lorsque les parties auront déclaré ne pas demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ;ou b) à l’expiration d’un délai de trois mois, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ;ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre aura rejeté une demande de renvoi formée en vertu de l’article 43 de la Convention.
121. Elle considère que, jusqu’à ce moment et à moins qu’elle ne prenne une nouvelle décision à cet égard, la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement (paragraphe 26 ci‑dessus) doit continuer de s’appliquer (voir ci-dessous le dispositif de l’arrêt).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
122. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
123. Le requérant demande 50 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi en raison du retrait de son titre de séjour – ce qui l’a privé d’allocations sociales – ainsi que de sa vie en clandestinité et du départ de sa femme et de ses enfants en Belgique, afin de se soustraire aux mesures d’éloignement édictées en France à leur encontre.
124. Le Gouvernement fait valoir que, le requérant soulevant, pour la première fois devant la Cour, au stade de la demande de satisfaction équitable, un grief tiré de la violation de l’article 3 de la Convention fondée sur ses conditions de vie en France, ce grief doit être déclaré irrecevable. S’agissant du bien-fondé de la demande de satisfaction équitable, le Gouvernement estime que la situation alléguée est imputable au comportement du requérant et que le préjudice moral n’est pas démontré. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que si la Cour devait conclure à la méconnaissance de la Convention, ce constat de violation pourrait, à lui seul, constituer une satisfaction suffisante pour le requérant. À titre infiniment subsidiaire, il demande à la Cour de rapporter la somme demandée à 2 000 EUR.
125. La Cour estime que le constat, que le renvoi en Russie du requérant constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, représente une satisfaction équitable suffisante.
B. Frais et dépens
126. Le requérant réclame 5 400 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagé aux fins de la procédure menée devant la Cour au titre de la demande de mesure provisoire, de l’introduction de la requête et de la présentation de ses observations. La représentante du requérant demande que la somme octroyée par la Cour à ce titre soit versée directement sur son compte bancaire.
127. Le Gouvernement conteste ce montant en raison du caractère imprécis des factures présentées.
128. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 5 400 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt. Cette somme est à verser directement sur le compte bancaire de la représentante du requérant (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 288, 15 décembre 2016).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit que, les juridictions internes n’ayant pas suffisamment évalué les risques de mauvais traitements auxquels serait exposé le requérant, le renvoi de l’intéressé vers la Fédération de Russie, s’il venait à être mis en œuvre, emporterait violation de l’article 3 de la Convention en son volet procédural ;
3. Dit que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral subi par le requérant ;
4. Décide d’indiquer au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement qu’il reste souhaitable dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure que le requérant ne soit pas expulsé jusqu’à ce que le présent arrêt soit devenu définitif ou jusqu’à nouvel ordre ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 400 EUR (cinq mille quatre cents euros), sur le compte bancaire de sa représentante, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Síofra O’Leary
Greffier Présidente
__________
[1] Reporters sans frontières (RSF), Classement mondial de la liberté de la presse 2022 : la nouvelle ère de la polarisation | RSF, publié le 03.05.2022, consulté le 10.05.2022.
[2] RSF, Classement mondial de la liberté de la presse 2021 : le journalisme est un vaccin contre la désinformation, bloqué dans plus de 130 pays | RSF, publié le 20 avril 2021, consulté le 10.05.2022.
[3] RSF, Classement RSF 2020 : Europe de l’Est et Asie centrale, la stabilité dans une région cadenassée | RSF, publié le 19.04.2020, consulté le 10.05.2022.
[4] Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie devraient faire l’objet d’une enquête, et non d’une dissimulation – View (coe.int),publié le 18.03.2021, consulté le 10.05.2022.
[5] Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Fédération de Russie : le recours abusif à la législation anti-terroriste restreint la liberté des médias et la liberté d’expression – View (coe.int), publié le 19.02.2019, consulté le 10.05.2022.
[6] Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Russie : le Commissaire annule sa visite dans le pays en raison de restrictions inacceptables imposées à son programme – View (coe.int), publié le 11.10.2016, consulté le 10.05.2022.
[7] Conseil de l’Europe, Report on visit to the Russian Federation – View (coe.int), consulté le 10.05.2022.
[8] Gordon H. Hahn, “Getting the Caucasus Emirate Right”, Centre for Strategic and International Studies, 1er septembre 2011, disponible sur https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiB7JHqldX3AhU5IMUKHVCUCcwQFnoECAcQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.csis.org%2Ffiles%2Fpublication%2F110930_Hahn_GettingCaucasusEmirateRt_Web.pdf&usg=AOvVaw0vMdioK24wyyOAUfSaus9L, consulté le 10.05.2022 ;
Center for International Security and Cooperation, Stanford University, Mapping Militant Organizations, “Chechen Republic of Ichkeria.” Stanford University, modifié en août 2018, https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/chechen-republic-ichkeria, consulté le 10.05.2022.
[9] Center for International Security and Cooperation, Stanford University, Mapping Militant Organizations, “Caucasus Emirate.”, modifié en août 2018,https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/caucasus-emirate, consulté le10.05.2022.
[10] CGRS-CEDOCA – Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (Belgique), COI unit: Daghestan. Situation sécuritaire, 4 mars 2019,
https://www.cgra.be/sites/default/files/rapporten/coi_focus_dagestan_situation_securitaire_20190304.pdf, consulté le 10.05.2022.
[11] Ibidem, pp. 12-14.
[12] Amnesty International, Synthèse des préoccupations d’Amnesty International concernant le renvoi de demandeurs d’asile tchétchènes vers la Russie, et notamment le risque de refoulement, janvier 2022, disponible sur https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/33137662-98b1-45ad-acc6-2b8be844be91_SYNTH%C3%88SE+DES+PR%C3%89OCCUPATIONS+D%E2%80%99AMNESTY+INTERNATIONAL+CONCERNANT+LE+RENVOI+DE+DEMANDEURS+D%E2%80%99ASILE+TCH%C3%89TCH%C3%88NES+VERS+LA+RUSSIE.pdf, consulté le 19.04.2022.
[13] Idem, p. 6
[14] Ibidem, p.7
[15] Human Rights Watch, Rapport Mondial 2021, Russia Events of 2020, World Report 2021: Russia | Human Rights Watch (hrw.org), publié le 13 janvier 2021, consulté le 10.05.2022.
[16] U.S.Department of State, Bureau of Democracy, Human rights and Labor, 2021 Country Reports on Human Rights Practices: Russia, Russia – United States Department of State, publié le 12.04.2022, consulté le 10.05.2022.
[17] Amnesty International rapport 20211/22 « La situation des droits humains dans le monde », pp. 413/414, https://www.amnesty.org/en/location/europe-and-central-asia/russian-federation/report-russian-federation/, publié le 29.03.2022, consulté le 10.05.2022.
[18] USCIRF – US Commission on International Religious Freedom: United States Commission on International Religious Freedom 2021 Annual Report; USCIRF – Recommended for Countries of Particular Concern (CPC): Russia, avril 2021
https://www.ecoi.net/en/file/local/2052982/Russia+Chapter+AR2021.pdf, consulté le 10.05.2022.
[19] Rosfinmonitoring, https://fstec.ru/component/attachments/download/1740, liste mise à jour le 01.04.22, consulté le 10.05.2022.
Dernière mise à jour le octobre 11, 2022 par loisdumonde
Laisser un commentaire