La présente affaire concerne la condamnation pénale du requérant en raison de ses propos tenus lors d’une manifestation publique. Le 29 mars 2014, le requérant participa à une manifestation publique dans la ville de Yochkar-Ola (république de Mariy-El) dont le but était d’attirer l’attention publique aux problèmes dans la gestion et le financement du réseau routier. Pendant la manifestation, qui rassembla environ 250 personnes, quinze orateurs prirent la parole dont le requérant. Dans ses propos, le requérant a émis des critiques envers le gouverneur de la région, M., en s’exprimant notamment comme suit : PDF, WORD.
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SHEVELEV c. RUSSIE
(Requête no 46173/15)
ARRÊT
STRASBOURG
28 septembre 2021
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Shevelev c. Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :
Darian Pavli, président,
Dmitry Dedov,
Peeter Roosma, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,
Vu la requête (no 46173/15) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Yevgeniy Nikolayevich Shevelev (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 septembre 2015,
Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement »),
Vu les observations des parties,
Vu la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 septembre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne la condamnation pénale du requérant en raison de ses propos tenus lors d’une manifestation publique.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1954 et réside à Medvedovo. Il a été représenté par Me S.I. Kuzevanova, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté initialement par M. M. Galperine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Vinogradov, son successeur dans cette fonction.
4. Le 29 mars 2014, le requérant participa à une manifestation publique dans la ville de Yochkar-Ola (république de Mariy-El) dont le but était d’attirer l’attention publique aux problèmes dans la gestion et le financement du réseau routier. Pendant la manifestation, qui rassembla environ 250 personnes, quinze orateurs prirent la parole dont le requérant. Dans ses propos, le requérant a émis des critiques envers le gouverneur de la région, M., en s’exprimant notamment comme suit :
« Vous vous souvenez, il y a un an ou un an et demi, un grand panneau publicitaire était installé ici [avec le slogan] « De bonnes routes dans [la république] de Mariy‑El ‑ c’est le programme principal de Russie Unie », alors, il semble que c’est là le grand problème, ils s’en fichent de nos routes, ils se sont fait construire des bureaux, [on voit les annonces] de location de bureaux publiés dans le journal gratuit « Gorod », ils ont fait déloger les gens, ont fait construire des bureaux et les mettent en location.
[ci-après, les propos litigieux]
A l’instar des vory v zakone[1] qui placent leur smotriashchiy[2] pour contrôler la ville de Yochkar-Ola, les voleurs au-dessus de la loi ont placé leur smotriashchiy [M.] avec ses hommes de main, ils vont piller le budget [de la république] et ils s’en fichent de nous ; tant que le pouvoir sera détenu par Russie Unie il n’y aura aucun changement, mais si (…) ils [sentiront] la menace de perdre leur pouvoir, leur fauteuil confortable, leur part du gâteau avec du beurre, c’est seulement à ce moment qu’ils commenceront à bouger » («Как воры в законе ставят своего смотрящего за г. Йошкар-Ола, так и воры над законом поставили своего смотрящего [М.] со своими подручными, распилят они наш бюджет и наплевать им на нас, и пока у власти будет Единая Россия, я думаю, перемен никаких не будет, а вот если мы (….) у них будет угроза потерять свою власть, свое мягкое кресло, свой пирог с маслом, лишь только тогда они начнут шевелиться»).
5. Le requérant fut poursuivi pour diffamation sur le fondement de l’article 128.1 § 2 du code pénal (paragraphe 10 ci‑dessous) en raison des propos litigieux prononcés lors de la manifestation du 29 mars 2014. L’affaire pénale à son encontre fut transmise pour jugement au juge de paix de la circonscription judiciaire no 12 de la ville de Yochkar-Ola (« le juge de paix »).
6. Par un jugement du 26 novembre 2014, le juge de paix reconnut le requérant coupable de diffamation et le condamna à une amende de 20 000 roubles russes (RUB) ainsi qu’à 7 350 RUB de frais et dépens. Tenant compte du montant de la retraite perçue par le requérant, le juge de paix échelonna le paiement de l’amende à raison de 2 000 RUB par mois. Pour conclure à la culpabilité du requérant, il s’appuya principalement sur les éléments suivants :
‒ l’enregistrement vidéo du discours du requérant tenu lors de la manifestation 29 mars 2014 ;
‒ les déclarations de M., qui affirmait que la comparaison de ses activités à celles de smotriashchiy était attentatoire à son honneur et à sa réputation ;
‒ les déclarations de quelques témoins présents lors de la manifestation du 29 mars 2014 relatives à son déroulement ;
‒ un rapport d’expertise linguistique, qui concluait que les propos litigieux du requérant contenaient « une information négative sur le chef de la république [M.] et sur son activité » en raison de l’utilisation du mot smotriashchiy à l’égard de ce dernier et de la comparaison de son activité à celle des représentants des milieux criminels.
7. Dans son jugement du 26 novembre 2014, le juge de paix se prononça entre autres comme suit :
« Après avoir analysé le discours que E. N. Shevelev a tenu pendant la manifestation, le tribunal conclut que, en exprimant son opinion subjective à l’égard de la victime, [une opinion qui] correspondait prétendument à la réalité, E. N. Shevelev a passé outre les limites de son droit d’exprimer son opinion subjective. Les renseignements disséminés par l’accusé sont sciemment mensongers, puisque E. N. Shevelev avait confirmé qu’il n’était pas au courant de faits [quelconques] relatifs au comportement illicite de [M.][ ;] ces renseignements sont clairement injurieux pour la victime, portent atteinte à son honneur, à sa dignité et à sa réputation, et contiennent une affirmation d’un comportement indigne de sa part, sortant du cadre [de comportement] généralement accepté, dans l’exercice de son activité professionnelle ».
8. Par un arrêt du 4 février 2015, le tribunal de la ville de Yochkar-Ola confirma en appel le jugement du 26 novembre 2014, faisant siennes les conclusions de la juridiction de première instance.
9. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Par une décision du 27 mars 2015, la cour suprême de la république de Mariy-El, statuant en formation de juge unique, refusa de transmettre le pourvoi à son présidium pour examen.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
10. L’article 128.1 du code pénal est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. La diffamation [клевета], c’est-à-dire la diffusion de renseignements que l’on sait faux [заведомо ложных сведений], qui portent atteinte à l’honneur et à la dignité d’une personne ou à sa réputation, est passible de (…)
2. Une diffamation proférée dans un discours public, une œuvre publique ou dans les médias est passible d’une amende d’un montant maximal d’un million de roubles ou d’un montant allant jusqu’à un an de salaire ou de tout autre revenu de la personne condamnée, ou de travaux d’intérêt général d’une durée pouvant aller jusqu’à deux cent quarante heures. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
11. Le requérant voit dans la condamnation pénale dont il a fait l’objet une atteinte à son droit à la liberté d’expression. Il invoque l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (…)
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
12. La Cour note que le requérant a saisi la Cour dans les six mois après la décision rendue par la juridiction de cassation le 27 mars 2015 (paragraphe 9 ci‑dessus). Elle rappelle avoir trouvé que la procédure de cassation devant les juridictions pénales telle qu’elle existait après le 31 décembre 2014 ne constituait pas une voie de recours à épuiser (Kashlan c. Russie (déc.), no 60189/15, § 29, 19 avril 2016). La Cour estime toutefois qu’il ne peut être reproché au requérant d’avoir fait usage d’un recours à une époque où elle ne s’était pas encore prononcée sur la compatibilité de celui-ci avec l’article 35 de la Convention (Kruglov et autres c. Russie, nos 11264/04 et 15 autres, § 119, 4 février 2020). Par conséquent, elle considère que, ayant introduit sa requête le 2 septembre 2015, le requérant a respecté le délai de six mois prévu par cette disposition.
13. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
14. Le requérant soutient que sa condamnation au pénal pour diffamation a constitué une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Selon lui, son discours concernait un sujet d’intérêt général, à savoir l’état des routes dans la république de Mariy-El. Il soutient qu’il n’a jamais affirmé que M. avait commis des infractions pénales. Le requérant avance que le caractère brusque de ses expressions n’était qu’un moyen stylistique pour attirer l’attention du public. Pour lui, les juridictions nationales n’ont pas effectué une mise en balance de son droit à la liberté d’expression et celui de M. à la protection de sa réputation conformément aux standards de la Cour. Le requérant estime surtout que sa condamnation au pénal et l’infliction d’une amende couplée au remboursement des frais et dépens constituaient une mesure disproportionnée, surtout, eu égard au montant de sa pension mensuelle qui s’élevait à 11 758 RUB à l’époque des faits.
15. Le Gouvernement admet que la sanction infligée au requérant à l’issue de la procédure pénale dirigée contre lui a constitué une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit à la liberté d’expression. Il estime cependant que cette ingérence était prévue par la loi, qu’elle visait la protection des droits d’autrui, plus précisément la réputation de M., et qu’elle poursuivait donc bien un but légitime reconnu par l’article 10 § 2 de la Convention.
16. Selon le Gouvernement, les juridictions ont correctement mis en balance le droit du requérant à la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention et le droit de M. au respect de son honneur et de sa réputation découlant de l’article 8 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
17. La Cour renvoie aux principes généraux maintes fois réaffirmés par elle depuis l’arrêt Handyside c. Royaume‑Uni (7 décembre 1976, série A no 24) et rappelés récemment dans les affaires Morice c. France ([GC], no 29369/10, §§ 124‑127, CEDH 2015), et Medžlis Islamske Zajednice Brčko et autres c. Bosnie-Herzégovine ([GC], no 17224/11, §§ 75‑77, 27 juin 2017).
18. Elle observe que les parties conviennent que l’infliction d’une sanction pénale au requérant s’analyse en une ingérence dans l’exercice par celui-ci de son droit à la liberté d’expression. Elle note ensuite que cette ingérence était bien prévue par la loi, en l’occurrence par l’article 128.1 du code pénal (paragraphe 10 ci‑dessus). Elle constate que la mesure incriminée avait pour but la protection de la réputation de M., et qu’elle poursuivait bien un intérêt légitime au sens de l’article 10 § 2 de la Convention. Il reste donc à déterminer si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
19. La Cour rappelle que, lorsqu’elle examine la question de savoir si une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression était « nécessaire », elle vérifie si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (Morice, précité, § 124). Ce faisant, elle doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 de la Convention et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (ibidem).
20. La Cour rappelle également que dans de nombreuses affaires dirigées contre la Russie elle a déjà conclu à la violation de l’article 10 de la Convention au motif que les juridictions nationales n’avaient pas appliqué lesdits principes au niveau interne (voir, parmi d’autres, Krassoulia c. Russie, no 12365/03, §§ 33‑46, 22 février 2007, Porubova c. Russie, no 8237/03, §§ 39‑51, 8 octobre 2009, Cheltsova c. Russie, no 44294/06, §§ 69‑101, 13 juin 2017, et Margulev c. Russie, no 15449/09, §§ 33‑55, 8 octobre 2019). Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour estime que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.
21. En effet, la Cour note que les juridictions internes n’ont pas cherché à savoir dans quel contexte le requérant avait formulé les propos litigieux ni en quelle qualité il avait agi. Elle relève que l’intéressé a pris parole lors de la manifestation afin d’attirer l’attention du public sur l’état du réseau routier dans la république de Mariy-El. La Cour considère qu’un tel sujet relève indubitablement de l’intérêt général. Elle rappelle à cet égard que tout individu qui s’engage dans le débat public bénéficie des mêmes garanties et a les mêmes obligations que l’article 10 de la Convention offre aux journalistes (Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 90, CEDH 2005‑II). La marge d’appréciation dont disposaient les autorités pour juger de la « nécessité » de la sanction prononcée contre le requérant était, par conséquent, particulièrement restreinte.
22. La Cour relève que les juridictions internes n’ont pas non plus élucidé la question de la qualité de la personne visée par les propos litigieux. Elle estime que M., en tant que chef de l’exécutif de la république de Mariy‑El, était inévitablement exposé à un contrôle attentif de ses faits et gestes et devait donc faire preuve de plus de tolérance à l’égard des critiques.
23. La Cour observe ensuite que les juridictions internes ne se sont pas clairement prononcées sur la question de savoir si les propos litigieux du requérant constituaient une déclaration de fait ou un jugement de valeur. En effet, d’un côté, le juge de paix a indiqué que, dans ses propos tenus lors de la manifestation du 29 mars 2014, le requérant a « exprimé son opinion subjective », et de l’autre, il a considéré que, ce faisant, il avait diffusé « des renseignements (…) sciemment mensongers » (paragraphe 7 ci‑dessus). À cet égard, la Cour rappelle la distinction qu’il convient d’opérer entre déclarations de fait et jugements de valeur : si la matérialité des premières peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Toutefois, même lorsqu’une déclaration équivaut à un jugement de valeur, elle doit se fonder sur une base factuelle suffisante, faute de quoi elle serait excessive (Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, §§ 42‑43, CEDH 2001-II).
24. En l’occurrence, la Cour estime que le passage litigieux contenait essentiellement un jugement de valeur dont la véracité ne pouvait être établie. Certes, la comparaison de M. à des représentants de milieux criminels était un moyen brusque d’exprimer son opinion. Toutefois, la Cour rappelle que même si tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général est tenu au respect de la réputation et des droits d’autrui, il lui est cependant permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation (Mamère c. France, no 12697/03, § 25, CEDH 2006‑XIII). La Cour note que l’article 128.1 du code pénal requiert que les déclarations diffamatoires soient faites en connaissance de leur fausseté, ce qui est un seuil élevé qui ne devrait normalement s’appliquer qu’aux déclarations de fait susceptibles d’être fausses. La déclaration litigieuse selon laquelle le gouverneur était « smotriashchiy » suivait les déclarations du requérant concernant l’incapacité du gouvernement régional à réparer les routes alors qu’il dépensait de l’argent pour construire des immeubles de bureaux qui étaient ensuite mis en location (paragraphe 4 ci‑dessus). La Cour considère donc qu’il existait une base factuelle suffisante pour le jugement de valeur exprimé par le requérant et qu’il n’était pas abusif.
25. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en compte (voir, notamment, Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 79, 29 mars 2016). Elle rappelle que, par sa nature même, une sanction pénale en général produit immanquablement un effet dissuasif quant à l’exercice de la liberté d’expression, compte tenu notamment des effets de la condamnation et des retombées durables de toute inscription au casier judiciaire (Önal c. Turquie (no 2), no 44982/07, § 42, 2 juillet 2019). Or elle constate qu’en l’espèce le requérant a été déclaré coupable d’une infraction pénale et condamné à une amende dont le montant était loin d’être insignifiant, ce qui, en soi, confère à la mesure un degré élevé de gravité (Lindon, Otchakovsky-Laurens et July [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 59, CEDH 2007‑IV). Bien que le juge de paix ait ordonné le paiement échelonné de l’amende pour tenir compte de la situation financière du requérant (voir, a contrario, Pirogov c. Russie [comité], no 27474/08, § 47, 14 janvier 2020), la Cour estime que cet élément n’est pas suffisant pour diminuer le degré de la gravité de la sanction. La Cour n’est pas convaincue, compte tenu des circonstances de l’espèce, que les déclarations litigieuses du requérant puissent être considérées comme suffisamment graves pour appeler une sanction pénale.
26. Compte tenu de l’absence d’une mise en balance adéquate et conforme aux critères établis dans sa jurisprudence entre les intérêts en jeu, elle juge qu’il n’a pas été démontré que la mesure litigieuse, qui revêtait un caractère pénal, était proportionnée aux buts légitimes visés et qu’elle était « nécessaire dans une société démocratique ».
27. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
28. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
29. Le requérant réclame 27 350 roubles russes (RUB) pour préjudice matériel, soit le montant de l’amende et des frais et dépens auxquels il a été condamné à l’issue du procès pénal dirigé contre lui. Il réclame en outre 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.
30. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande, qu’il qualifie d’infondée et d’excessive.
31. La Cour estime qu’il existe un lien de causalité suffisant entre le dommage matériel allégué et la violation constatée sur le terrain de l’article 10 de la Convention (Terentyev c. Russie, no 25147/09, § 29, 26 janvier 2017). Il y a donc lieu d’ordonner le remboursement de la somme mise à la charge du requérant, à savoir 330 EUR. La Cour estime par ailleurs que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de sa condamnation au pénal pour diffamation. Par conséquent, elle décide qu’il y a lieu de lui octroyer 7 500 EUR pour préjudice moral.
B. Frais et dépens
32. Le requérant demande également 1 800 EUR pour ses frais et dépens engagés devant la Cour, dont 1 650 EUR pour ses frais de conseil et 150 EUR pour ses frais de traduction.
33. Le Gouvernement indique que le requérant n’a soumis à la Cour aucune preuve démontrant le versement effectif des sommes réclamées par lui.
34. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En ce qui concerne la demande relative aux frais de conseil pour la procédure devant elle, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour alloue au requérant 1 650 EUR, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt. En ce qui concerne la demande relative aux frais de traduction, elle constate que le requérant n’a produit aucune preuve du versement effectif de la somme réclamée. Elle rejette donc les prétentions du requérant à ce titre.
C. Intérêts moratoires
35. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 330 EUR (trois cent trente euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii. 1 650 EUR (mille six cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 septembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Olga Chernishova Darian Pavli
Greffière adjointe Président
___________
[1] Littéralement « voleur dans la loi », chef criminel respectant le code de conduite informel
[2] Littéralement « celui qui regarde », membre d’une organisation criminelle chargé de contrôler une zone ou un territoire particulier
Dernière mise à jour le septembre 28, 2021 par loisdumonde
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