Willems et Gorjon c. Belgique – 74209/16, 75662/16, 19431/19 et al. (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 254
Août-Septembre 2021

Willems et Gorjon c. Belgique – 74209/16, 75662/16, 19431/19 et al.

Arrêt 21.9.2021 [Section III]

Article 37
Article 37-2
Réinscription au rôle

Rejet par la Cour de cassation de la demande en réouverture de la procédure rendant vain les engagements du Gouvernement contenus dans sa déclaration unilatérale : réinscription au rôle

Article 6
Procédure pénale
Article 6-1
Accès à un tribunal

Formalisme excessif de la Cour de Cassation ayant décidé de l’irrecevabilité des pourvois en l’absence de la mention par l’avocat de son attestation requise : violation

En fait – Les requérants introduisirent chacun une requête devant la Cour alléguant que le rejet de leurs pourvois en cassation contre l’arrêt les ayant condamnés au pénal avait constitué un formalisme excessif et les avait privés de leur droit d’accès à la Cour de cassation.

Par sa déclaration du 5 septembre 2017, le Gouvernement a reconnu « que le rejet par la Cour de cassation des pourvois des requérants comme étant irrecevables au motif que l’avocat signataire n’avait pas mentionné être titulaire de l’attestation de formation requise n’a pas garanti le respect de leur droit d’accès à un tribunal tel que prévu par l’article 6 de la Convention ». Il s’est en outre engagé à verser à chacun des requérants la somme de 8 000 euros, somme qui couvrirait le préjudice moral ainsi que les frais et dépens.

Par sa décision du 13 mars 2018, la Cour a pris acte de la déclaration du Gouvernement, en indiquant qu’elle pouvait réinscrire les requêtes au rôle dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale.

Le 7 novembre 2018, la Cour de cassation déclara les demandes de réouverture introduites par les requérants à la suite de la décision de radiation de la Cour du 13 mars 2018 sans fondement et dit n’y avoir pas lieu à ordonner la réouverture de la procédure. La haute juridiction a aussi considéré qu’exiger que la qualité d’avocat attesté soit ainsi prouvée ne posait pas de problème en termes de droit d’accès à un tribunal. Son arrêt du 1er juin 2016 déclarant les pourvois irrecevables était donc conforme aux exigences de la Convention.

Le 28 mai 2019, la Cour accéda à la demande des requérants et réinscrit leur affaire au rôle.

Dans le même temps, les requérants saisirent la Cour de nouvelles requêtes, se plaignant que l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2018 les avait mis dans l’impossibilité d’obtenir la réouverture des procédures pénales dirigées contre eux et les avait donc privés de leur droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

En droit

Article 37 § 1 : La présente affaire soulève la question de savoir quels sont les effets de la déclaration faite par le Gouvernement et de la décision de la Cour prenant acte de cette déclaration. La particularité de la déclaration litigieuse est qu’elle a été faite par le Gouvernement, mais que sa mise en œuvre dépendait en partie d’une décision à prendre par un organe du pouvoir judiciaire, en l’espèce la Cour de cassation. Celle-ci a estimé qu’elle n’était liée ni par la déclaration unilatérale du Gouvernement ni par la décision de la Cour qui en avait pris acte.

Quant à la déclaration unilatérale du Gouvernement, la Cour de cassation a considéré que « le principe de la séparation des pouvoirs implique que le pouvoir judiciaire n’est lié ni par l’interprétation que l’administration donne de la Convention ni par son affirmation suivant laquelle un juge aurait méconnu celle-ci ». Même si la notion de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire a pris une importance particulière dans la jurisprudence de la Cour, il s’agit en l’espèce d’un principe général de droit interne belge auquel la Cour de cassation se réfère. La détermination du contenu exact de ce principe relève de la marge d’appréciation dont disposent les États contractants. Il n’appartient pas à la Cour de s’immiscer dans cette question de droit interne. Elle ne peut que prendre acte de la position adoptée par la Cour de cassation et en tirer les conséquences qui s’imposent sous l’angle de la Convention.

Quant à la décision de la Cour prenant acte de la déclaration unilatérale, la Cour de cassation a considéré que « la décision de radiation du 13 mars 2018 n’est pas revêtue de l’autorité de la chose interprétée. La Cour européenne ne décide pas que l’article 425 § 1er alinéa 2 du code d’instruction criminelle (CIC) méconnaît le droit d’accès à un tribunal. Elle n’interdit pas d’exiger que la preuve de l’attestation prévue par cet article soit fournie par une mention portée dans les écrits de procédures visés aux articles 423 et 429 dudit code et déposés dans les formes prescrites par ceux-ci ».

Il est vrai que dans sa décision, la Cour n’a pas examiné les griefs des requérants aux fins de déterminer s’ils étaient recevables et fondés, et elle n’a pas pris de décision à cet égard. Sur ce point, sa décision n’avait donc pas l’autorité de la chose jugée ou de la chose interprétée. La Cour a toutefois examiné « la nature des concessions figurant dans la déclaration unilatérale, le caractère adéquat de l’indemnité proposée et la question de savoir si le respect des droits de l’homme exige qu’elle poursuive l’examen de la requête conformément aux critères susmentionnés ».

Certes, la décision du 13 mars 2018 ne constituant pas un arrêt constatant une violation de la Convention, elle ne tombe pas sous l’empire de l’article 46 de la Convention. Néanmoins, dans l’esprit d’une responsabilité partagée des États et de la Cour pour le respect des droits de la Convention, les requérants sont en droit d’attendre des autorités nationales, y compris des juridictions nationales, qu’elles donnent effet de bonne foi à tout engagement pris par le Gouvernement dans des déclarations unilatérales et a fortiori dans des règlements amiables. Cette attente sera d’autant plus forte que les questions juridiques en jeu font partie de la jurisprudence établie de la Cour concernant l’État défendeur ou d’autres principes généralement applicables. De plus, en l’espèce, il y a des parallèles entre la décision précitée et un arrêt constatant une violation.

Lorsqu’elle constate une violation de la Convention, la Cour n’a pas compétence pour ordonner la réouverture d’une procédure interne. Toutefois, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, la Cour peut indiquer qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée. Cependant, les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un État défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 46 dépendent nécessairement des circonstances particulières de la cause. En particulier, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer les modalités et la forme d’un nouveau procès éventuel. L’État défendeur demeure libre de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation de placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour et avec les droits de la défense.

En l’espèce, dans sa décision du 13 mars 2018, la Cour s’est référée à sa jurisprudence sous l’article 46 selon laquelle « la réouverture de la procédure devant les juridictions nationales est le moyen le plus approprié, sinon le seul, d’assurer la restitutio in integrum et de redresser les violations du droit à un procès équitable ». Elle a également constaté que le droit interne ne s’opposait pas par principe à une réouverture de la procédure en cas de radiation de l’affaire de son rôle sur base d’une déclaration unilatérale du Gouvernement.

Les requérants ayant demandé la réouverture de la procédure pénale menée contre eux, il incombait aux organes compétents, en l’espèce la Cour de cassation, de tirer les conséquences dans l’ordre juridique interne de la déclaration unilatérale du Gouvernement et de la décision de la Cour qui en avait pris acte. Cette tâche s’inscrivait dans le partage des responsabilités entre les autorités nationales et la Cour en ce qui concerne la garantie du respect des droits et libertés définis dans la Convention et ses protocoles, et plus particulièrement dans la responsabilité primaire des autorités nationales à cet égard.

Or, en l’espèce, la Cour de cassation s’est livrée à un examen du grief dirigé par les requérants contre son arrêt du 1er juin 2016. Elle a conclu qu’il n’apparaissait pas de cet examen que cet arrêt soit contraire sur le fond à la Convention ni qu’il soit entaché d’une violation résultant d’une erreur ou d’une défaillance grave.

Le rejet par la Cour de cassation de la demande en réouverture de la procédure a pour effet que les engagements du Gouvernement contenus dans sa déclaration unilatérale sont restés sans effet utile dans l’ordre juridique interne. Il s’agit là d’une « circonstance exceptionnelle » qui a conduit la Cour, le 28 mai 2019, à réinscrire les requêtes initiales au rôle, à la demande des requérants. La Cour est ainsi appelée à examiner la recevabilité et le bien-fondé des griefs initiaux des requérants dirigés contre l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2016. Elle examinera ces griefs à la lumière notamment des considérations développées par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 novembre 2018, poursuivant ainsi le « dialogue judiciaire » que la haute juridiction a entamé avec ce dernier arrêt.

Article 6 § 1 : L’avocat des requérants disposait de l’attestation requise pour introduire des pourvois en cassation au moment où il avait formé ceux des requérants. Il a été reproché aux requérants d’avoir commis une erreur procédurale en ne prouvant pas la qualité d’avocat attesté de leur représentant par la mention de sa possession dans les écrits auxquels la Cour de cassation pouvait avoir égard.

Les termes de l’article 425 § 1er alinéa 2 du CIC n’imposent pas qu’il apparaisse des pièces de la procédure que l’avocat est titulaire de l’attestation de la formation requise. Ni le site internet de la Cour de cassation ni le règlement de la formation ne contient d’information au sujet d’une telle exigence. De plus, au moment où leur avocat a formé les pourvois – soit dix jours après l’entrée en vigueur des modifications apportées à l’article 425 § 1er alinéa 2 du CIC – et pendant les deux mois qui ont suivi, aucune autre décision n’est intervenue qui aurait permis de prévoir la nécessité d’indiquer que leur avocat était titulaire de l’attestation.

Cela étant dit, un élément qui pèse lourdement dans l’appréciation de la proportionnalité de la sanction est que le site internet de la Cour de cassation explique que la liste des avocats titulaires de l’attestation peut être consultée sur les sites internet respectifs des ordres des barreaux des avocats et contient un lien direct vers lesdits sites. En d’autres termes, la Cour de cassation fournissait elle-même la possibilité de rechercher par une simple consultation via son propre site internet si la règle nouvellement introduite pour accéder à son office était respectée en l’espèce.

Dans ces circonstances, au vu des conséquences qu’a entraînées l’irrecevabilité des pourvois en cassation pour les requérants – lesquels n’ont pas pu dans le contexte d’un procès pénal faire entendre leurs moyens de cassation par la haute juridiction interne –, lorsqu’elle a ainsi sanctionné l’erreur procédurale commise par eux, la Cour de cassation a rompu le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des exigences procédurales entourant l’introduction d’un pourvoi en cassation et, d’autre part, le droit d’accès au juge, faisant ainsi preuve d’un formalisme excessif en ce qui concerne les exigences procédurales entourant la recevabilité des pourvois en cassation.

Dans la mesure où les requérants se plaignent du refus même de la réouverture de la procédure, il s’agit de griefs nouveaux et détachables de ceux qui ont été invoqués dans leurs requêtes initiales. Toutefois, eu égard à sa décision concernant la procédure initiale devant la Cour de cassation, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’en examiner la recevabilité ni le bien-fondé.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 46 : Lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée. Pour autant encore que de besoin, l’article 442bis du CIC ouvre la possibilité d’une réouverture de la procédure menée contre un condamné, en ce qui concerne la seule action publique, s’il a été établi par un arrêt définitif de la Cour que la Convention a été violée. La mise en œuvre de cette possibilité en l’espèce sera examinée, le cas échéant, par la Cour de cassation au regard du droit national et des circonstances particulières de la présente affaire.

Article 41 : demande de dommage matériel rejetée.

(Voir aussi Jeronovičs c. Lettonie [GC], 44898/10, 5 juillet 2016, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le septembre 21, 2021 par loisdumonde

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