Les deux requêtes initiales concernent le formalisme excessif allégué résultant du rejet par la Cour de cassation des pourvois introduits par les requérants contre l’arrêt les ayant condamnés au pénal (requêtes nos 74209/16 et 75662/16). Les deux requêtes nouvelles concernent le refus de la Cour de cassation de rouvrir la procédure pénale malgré la déclaration unilatérale formulée par le Gouvernement sur base de laquelle la Cour a rayé les affaires précitées du rôle (nos 19431/19 et 19653/19). Les requérants invoquent l’article 6 § 1 de la Convention (droit d’accès à un tribunal).
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE WILLEMS ET GORJON c. BELGIQUE
(Requêtes nos 74209/16 et 3 autres – voir liste en annexe)
ARRÊT
Art 37 § 1 • Rejet par la Cour de cassation de la demande en réouverture de la procédure rendant vain les engagements du Gouvernement contenus dans sa déclaration unilatérale • Circonstance exceptionnelle conduisant à la réinscription au rôle des requêtes initiales
Art 6 § 1 (pénal) • Accès à un tribunal • Formalisme excessif de la Cour de Cassation ayant décidé de l’irrecevabilité des pourvois en l’absence de la mention par l’avocat de son attestation requise
STRASBOURG
21 septembre 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Willems et Gorjon c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Georgios A. Serghides, président,
Paul Lemmens,
Dmitry Dedov,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu :
les requêtes initiales nos 74209/16 et 75662/16 dirigées contre le Royaume de Belgique et dont deux ressortissants de cet État, Mme C. Willems et M. Y. Gorjon (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 décembre 2016,
les décisions de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’accès à un tribunal, et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus,
la décision du 13 mars 2018 de rayer ces requêtes du rôle de la Cour,
les nouvelles requêtes nos 19431/19 et 19653/19 dirigées contre le Royaume de Belgique, et dont les requérants ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention le 3 avril 2019,
la décision du 28 mai 2019 de réinscrire les requêtes initiales au rôle (article 37 § 2 de la Convention et article 43 § 5 du règlement),
les décisions de porter à la connaissance du Gouvernement les griefs soulevés par les nouvelles requêtes concernant l’accès à un tribunal,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 août 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. Les deux requêtes initiales concernent le formalisme excessif allégué résultant du rejet par la Cour de cassation des pourvois introduits par les requérants contre l’arrêt les ayant condamnés au pénal (requêtes nos 74209/16 et 75662/16). Les deux requêtes nouvelles concernent le refus de la Cour de cassation de rouvrir la procédure pénale malgré la déclaration unilatérale formulée par le Gouvernement sur base de laquelle la Cour a rayé les affaires précitées du rôle (nos 19431/19 et 19653/19). Les requérants invoquent l’article 6 § 1 de la Convention (droit d’accès à un tribunal).
EN FAIT
2. Les requérants sont nés respectivement en 1971 et en 1966 et résident à Gesves. Ils sont représentés par Me T. Maudoux, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.
4. Les requérants ainsi que d’autres co-prévenus furent poursuivis devant le tribunal correctionnel de Namur du chef de diverses infractions liées à une évasion de la taxe sur la valeur ajoutée.
5. Par un jugement du 27 juin 2012, le tribunal correctionnel sursit à statuer dans l’attente de la fin de l’instruction de la plainte avec constitution de partie civile déposée par le second requérant à l’encontre des auteurs du procès-verbal initial pour faux et usage de faux.
6. Saisie par un appel du ministère public, la cour d’appel de Liège, réformant le jugement entrepris, dit les poursuites recevables par un arrêt interlocutoire du 12 septembre 2013.
7. Le 18 décembre 2014, par un second arrêt interlocutoire, la cour d’appel constata que l’action publique n’était pas prescrite en ce qui concernait les requérants et ordonna la réouverture des débats.
8. Par un arrêt du 27 janvier 2016, la cour d’appel acquitta les requérants de certaines préventions et prononça une simple déclaration de culpabilité pour les autres préventions retenues à leur charge. Elle ordonna toutefois la confiscation de certains montants, s’élevant à un total de 70.668,33 euros pour la requérante et à un total de 284.408,59 euros. Le requérant était en outre condamné, solidairement avec d’autres condamnés, au paiement en faveur de l’État belge de montants de respectivement 380.373 euros et 374.950 euros.
9. Le conseil des requérants, qui s’était vu délivrer l’attestation de la formation en cassation en matière pénale (voir l’article 425 § 1er alinéa 2 du code d’instruction criminelle (« CIC »), paragraphe 30 ci-dessous) le 22 janvier 2016, forma des pourvois en cassation le 10 février 2016.
10. Dans leurs mémoires déposés à l’appui des pourvois, se fondant sur l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignaient notamment que la cour d’appel avait écarté les moyens par lesquels le second requérant invoquait l’irrecevabilité des poursuites.
11. Par un arrêt du 1er juin 2016, la Cour de cassation déclara les pourvois irrecevables au motif qu’il n’apparaissait pas des pièces déposées dans le délai de deux mois prévu à l’article 429 alinéa 2 du CIC (paragraphe 30 ci-dessous) que l’avocat était titulaire de l’attestation de formation requise. La Cour de cassation ajouta que pour ce même motif, il n’y avait pas lieu d’examiner les mémoires déposés.
12. Les requérants introduisirent chacun une requête devant la Cour alléguant que le rejet de leurs pourvois avait constitué un formalisme excessif et les avait privés de leur droit d’accès à la Cour de cassation. Il s’agit des requêtes nos 74209/16 et 75662/16.
13. Ces requêtes furent communiquées au Gouvernement le 19 janvier 2017. Les parties étaient invitées à répondre à la question suivante :
« Le rejet, par la Cour de cassation, du pourvoi en cassation des requérants résulte‑t‑il, en l’espèce, d’un formalisme excessif ayant constitué une violation du droit d’accès à un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention ? En particulier, ce rejet était-il prévisible pour les intéressés (voir Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000‑I) et proportionné au but poursuivi ? »
14. Après l’échec des tentatives de règlement amiable, par une lettre du 5 septembre 2017, le Gouvernement informa la Cour qu’il envisageait de formuler une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par les requêtes. Il invita en outre la Cour à rayer celles-ci du rôle en application de l’article 37 de la Convention.
15. La déclaration était ainsi libellée :
« Le Gouvernement reconnaît que le rejet par la Cour de cassation des pourvois des requérants comme étant irrecevables au motif que l’avocat signataire n’avait pas mentionné être titulaire de l’attestation de formation requise n’a pas garanti le respect de leur droit d’accès à un tribunal tel que prévu par l’article 6 de la Convention.
Compte tenu de la reconnaissance de la violation, le Gouvernement demande la radiation de l’affaire en contrepartie du versement à chacun des requérants de la somme de 8.000 euros – jugée conforme à la jurisprudence et à la pratique habituelles de la Cour.
Cette somme, qui couvrira le préjudice moral ainsi que les frais et dépens, sera payée dans les trois mois suivant la date de notification de la décision de la Cour rendue conformément à l’article 37 § 1er (c) de la Convention.
(…) »
16. Par des lettres des 6 octobre et 7 décembre 2017, les requérants indiquèrent qu’ils n’étaient pas satisfaits des termes de la déclaration unilatérale notamment au motif que l’accord qui pourrait en être déduit quant à une « réparation amiable » était de nature à compromettre la recevabilité d’éventuelles demandes en réouverture de la procédure pénale. Il était essentiel, pour eux, que ces demandes ne puissent leur être refusées au motif qu’ils auraient accepté une réparation amiable par le biais d’une déclaration unilatérale. Ils se référaient à cet égard à l’article 442bis du CIC (paragraphe 37 ci-dessous).
17. Invité à soumettre des informations sur l’incidence d’une déclaration unilatérale quant à la possibilité d’obtenir la réouverture d’une procédure judiciaire, le Gouvernement indiqua, par une lettre du 30 octobre 2017 :
« (…) [L]a réouverture d’une procédure pénale est recevable sur la base du règlement amiable comme de la déclaration unilatérale lorsque la violation de la Convention crée un doute sérieux sur le résultat de la procédure. (…)
La modification introduite à l’article 442bis par la loi du 5 février 2016 ne vise pas à ce que tout règlement amiable ou déclaration unilatérale puisse exclure le requérant des droits que le droit interne met à sa disposition. Une exclusion ne doit pouvoir être décidée par la Cour de cassation que si la transgression a un caractère purement formel. Dans sa version antérieure, l’article 442quinquies du code d’instruction criminelle donnait d’ailleurs déjà à la Cour de cassation le pouvoir de faire cette vérification puisqu’il était dit qu’elle examine l’incidence, sur la fiabilité de la condamnation, des errements de la procédure. Les termes du dernier alinéa de l’article 442bis modifié visent à mettre le pouvoir judiciaire à l’abri d’une volteface du condamné qui voudrait obtenir un nouveau procès après y avoir renoncé, tout en ayant déjà été indemnisé pour un dommage non substantiel.
L’accord qui serait exprimé par les requérants quant à une réparation amiable ou la déclaration unilatérale ne sont dès lors pas de nature à compromettre la recevabilité de demandes en réouverture de la procédure pénale. »
18. Par une lettre du 18 décembre 2017, le Gouvernement précisa encore que :
« (…) c’est la Cour de cassation elle-même – compétente pour l’examen de la recevabilité de toute requête en réouverture – qui précise qu’un accord des requérants quant à une réparation amiable ou une déclaration unilatérale ne serait pas de nature à compromettre la recevabilité de demandes en réouverture de la procédure pénale. »
19. Par une décision adoptée le 13 mars 2018 par un comité de la Cour, les requêtes nos 74209/16, et 75662/16 furent jointes et les affaires furent rayées du rôle, la Cour ayant pris acte de la déclaration unilatérale formulée par le Gouvernement belge.
20. En ce qui concerne le désaccord des parties quant à l’interprétation de l’article 442bis du CIC, la Cour s’exprima en ces termes :
« 18. À ce sujet, la Cour rappelle d’abord qu’elle a déjà considéré que la réouverture de la procédure devant les juridictions nationales est le moyen le plus approprié, sinon le seul, d’assurer la restitutio in integrum et de redresser les violations du droit à un procès équitable (voir, par exemple, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 126, CEDH 2006-II).
19. En ce qui concerne la présente affaire, la Cour, observant que l’appréciation de l’octroi d’une réouverture relève en tout état de cause du pouvoir de la Cour de cassation, estime qu’il ne peut pas être déduit des termes de la déclaration unilatérale que ceux-ci ne satisfont par principe pas aux conditions de recevabilité prévues par l’article 442bis CIC, in fine, en cas de radiation de l’affaire du rôle sur la base de ladite déclaration. Ainsi, les allégations des requérants ne peuvent être retenues par la Cour pour rejeter la déclaration unilatérale. »
21. S’agissant ensuite des griefs soulevés par les requérants, la Cour indiqua ce qui suit :
« 20. La Cour a établi dans un certain nombre d’affaires, dont celles dirigées contre la Belgique, sa pratique en ce qui concerne les griefs tirés de la violation du droit d’accès à un tribunal (voir, récemment, Miessen c. Belgique, no 31517/12, §§ 63-66, 18 octobre 2016, et références citées).
21. Eu égard à la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu’au montant de l’indemnisation proposée – qui est conforme aux montants alloués dans des affaires comparables (voir, notamment, Helft c. Belgique (déc.), no 788/08, 10 mai 2011) –, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen des requêtes (article 37 § 1 c)).
22. En outre, à la lumière des considérations qui précèdent, et eu égard en particulier à sa jurisprudence claire et abondante relative au droit d’accès à un tribunal (voir paragraphe 20, ci-dessus), la Cour estime que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen des requêtes (article 37 § 1 in fine).
(…)
24. Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, les requêtes pourraient être réinscrites au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008). »
22. Le 5 septembre 2018, les requérants introduisirent devant la Cour de cassation des requêtes en réouverture de la procédure sur pied des articles 442bis et suivants du CIC. Se référant à l’article 442quinquies du CIC (paragraphe 38 ci-dessous), les requérants faisaient valoir que la contrariété avec la Convention touchait en l’espèce la procédure suivie devant la Cour de cassation et soutenaient que constituait une conséquence négative très grave et actuelle justifiant la réouverture de la procédure le fait pour les requérants que l’arrêt du 1er juin 2016 de la Cour de cassation avait eu pour conséquence que leur déclaration de culpabilité et les peines de confiscation étaient devenues définitives.
23. Le Gouvernement s’acquitta du paiement des sommes proposées à la faveur de la déclaration unilatérale.
24. Par un arrêt du 7 novembre 2018 (P.18.0949.F-P.18.0950.F), la Cour de cassation déclara les demandes de réouverture introduites à la suite de la décision de radiation de la Cour du 13 mars 2018 sans fondement et dit n’y avoir pas lieu à ordonner la réouverture de la procédure.
25. A l’appui de sa décision, la Cour de cassation estima dans un premier temps que ni la déclaration unilatérale ni la décision de la Cour ne s’imposaient à elle, pour les motifs suivants :
« 2. La décision du [13 mars 2018] s’est bornée à prendre acte de la déclaration du Gouvernement belge selon qui l’exigence de la mention d’avocat attesté dans les écrits de la procédure ne garantit pas le respect du droit d’accès à un tribunal.
(…)
3. Le principe de la séparation des pouvoirs implique que le pouvoir judiciaire n’est lié ni par l’interprétation que l’administration donne de la Convention ni par son affirmation suivant laquelle un juge aurait méconnu celle-ci.
4. La décision de radiation du [13 mars 2018] n’est pas revêtue de l’autorité de la chose interprétée. La Cour européenne ne décide pas que l’article 425, § 1er, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle méconnaît le droit d’accès à un tribunal. Elle n’interdit pas d’exiger que la preuve de l’attestation prévue par cet article soit fournie par une mention portée dans les écrits de procédures visés aux articles 423 et 429 dudit code et déposés dans les formes prescrites par ceux-ci. »
26. Dans un second temps, la Cour de cassation considéra que les conditions de la réouverture n’étaient en tout état de cause pas réunies en l’espèce, et ce pour les motifs suivants :
« 5. Le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu. Il se prête à des limitations pourvu que celles-ci
– ne restreignent pas l’accès au juge à un point tel que le recours s’en trouve atteint dans sa substance même,
– tendent à un but légitime,
– respectent un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
6. La qualité d’avocat attesté est prouvée par la simple mention de sa possession dans les écrits auxquels la Cour peut avoir égard. Il s’ensuit qu’elle ne l’est pas lorsque cette mention est inexistante. Ce dispositif satisfait aux trois critères énoncés ci-dessus.
L’avocat doit indiquer, dans l’acte de pourvoi ou dans le mémoire, qu’il détient l’attestation lui permettant d’introduire cette procédure. La preuve de l’attestation est donc considérée comme étant rapportée par la seule affirmation de sa possession. Réduit à sa plus simple expression, pareil mode de preuve ne saurait être considéré comme portant atteinte au droit de se pourvoir en cassation : la recevabilité du recours n’est tributaire, en effet, que d’une manifestation de la volonté de celui qui l’introduit et de la traduction de cette volonté dans l’écrit.
Le but de ce formalisme minimal est légitime. Il s’agit d’éviter que la Cour ne soit encombrée par des pourvois irrecevables ou manifestement mal fondés, et de lui épargner également les recherches en fait qui la distrairaient du jugement des affaires régulièrement déférées à sa juridiction.
L’attestation de formation visée par l’article 425, § 1er, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle est une condition de recevabilité du pourvoi. Il n’est donc pas hors de proportion de permettre à la Cour la vérification, selon un mode simplifié, du respect de cette formalité. En jugeant que la preuve en est rapportée par la seule déclaration de l’auteur du pourvoi, la Cour accorde à celui-ci un crédit dont elle ne peut, nulle part ailleurs, trouver l’équivalent. L’identité des avocats attestés et la date de leurs certificats ne sont rapportées que dans des listes dont l’absence de tout caractère authentique ou officiel ne permet pas de garantir la fiabilité.
Il n’apparaît dès lors pas, de l’examen des demandes, que l’arrêt de la Cour du 1er juin 2016 soit contraire sur le fond à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni que cet arrêt soit entaché d’une violation résultant d’une erreur ou d’une défaillance graves.
Partant, une des conditions d’application de l’article 442quinquies, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, fait défaut. »
27. Par courrier du 15 mars 2019, les requérants demandèrent à la Cour la réinscription de leur affaire au rôle. Le 28 mai 2019, la Cour accéda à la demande des requérants de réinscrire les requêtes initiales au rôle sur fondement de l’article 37 § 2 de la Convention.
28. Dans le même temps, les requérants saisirent la Cour de nouvelles requêtes (nos 19431/19 et 19653/19), se plaignant que l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2018 les avait mis dans l’impossibilité d’obtenir la réouverture des procédures pénales dirigées contre eux et les avait donc privés de leur droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
29. Les nouvelles requêtes furent communiquées au Gouvernement le 29 août 2019 et les questions suivantes posées aux parties :
« 1. Les requérants continuent-ils à subir les conséquences de la violation reconnue par le Gouvernement dans la déclaration unilatérale, dont la Cour a pris acte, dans sa décision de radiation du 13 mars 2018 ? En d’autres termes, ont-ils encore la qualité de « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention à la suite de la manière dont les engagements pris par le Gouvernement dans ladite déclaration ont été mis en œuvre ?
2. La décision de la Cour du 13 mars 2018, prise sur la base de l’article 37 § 1 de la Convention, s’opposait-elle à ce que la Cour de cassation examine ensuite, dans le cadre de la procédure en réouverture, s’il y avait violation ou non de l’article 6 § 1 de la Convention en l’espèce ?
3. Eu égard aux termes de la déclaration unilatérale, dont la Cour a pris acte, dans sa décision du 13 mars 2018, et aux circonstances spécifiques des affaires en l’espèce, peut-on considérer que l’État défendeur s’est acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 6 § 1 de la Convention d’assurer aux requérants un droit d’accès à un tribunal (les principes généraux sur ce terrain figurent dans Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, §§ 64-70, 5 juillet 2016) ? »
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
I. Recevabilité du pourvoi en cassation en matière pénale
30. Telles que modifiées par la loi du 14 février 2014 relative à la procédure devant la Cour de cassation en matière pénale, les dispositions pertinentes du CIC se lisent comme suit :
Article 425
« § 1er. Sans préjudice du § 2, la déclaration de pourvoi est faite par le ministère public ou l’avocat au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Elle est signée par le ministère public ou l’avocat ainsi que par le greffier et inscrite dans le registre destiné à cet effet.
L’avocat doit être titulaire d’une attestation de formation en procédure en cassation visée par le livre II, titre III. Le Roi fixe les critères auxquels la formation doit répondre.
§§ 2-3. (…)
Article 429
« Hormis le ministère public, le demandeur en cassation ne peut indiquer ses moyens que dans un mémoire signé par un avocat, titulaire de l’attestation visée à l’article 425, § 1er, alinéa 2, et remis au greffe de la Cour de Cassation, quinze jours au plus tard avant l’audience.
Il ne peut toutefois produire de mémoires ou de pièces autres que les désistements, les actes de reprise d’instance, les actes qui révèlent que le pourvoi est devenu sans objet et les notes visées à l’article 1107 du Code judiciaire, après les deux mois qui suivent la déclaration de pourvoi en cassation.
Le défendeur en cassation ne peut indiquer sa réponse que dans un mémoire signé par un avocat, titulaire de l’attestation visée à l’article 425, § 1er, alinéa 2 et remis au greffe de la Cour de Cassation, au plus tard huit jours avant l’audience.
Sauf l’exception visée à l’article 427, alinéa 1er, le mémoire du demandeur est communiqué par courrier recommandé ou par voie électronique à la partie contre laquelle le pourvoi est dirigé et le défendeur lui communique de la même manière son mémoire en réponse. La preuve de l’envoi est déposée au greffe dans les délais prévus aux alinéas 1er à 3. Ces formalités sont prescrites à peine d’irrecevabilité.
Le greffier constate la remise par les parties de mémoires ou de pièces en indiquant la date de réception.
Il délivre récépissé au déposant s’il en est requis. »
31. L’article 425, à l’exception de l’alinéa 2 du § 1er, deuxième phrase, et l’article 429 nouveaux sont entrés en vigueur le 1er février 2016. L’article 425 § 1er alinéa 2, deuxième phrase, est entré en vigueur le jour où l’arrêté d’exécution de la loi du 14 février 2014 (arrêté royal du 10 octobre 2014) est entré en vigueur, à savoir le 20 novembre 2014.
32. Le règlement de la formation en cassation dans les affaires pénales mis sur pied en application de l’article 2 § 2 de l’arrêté royal du 10 octobre 2014 fixant les critères relatifs à la formation prévue à l’article 425 § 1er alinéa 2 du CIC mentionne ce qui suit :
« La commission de formation conservera une liste des avocats auxquels l’attestation a été délivrée et remettra cette liste et chaque adaptation à la Cour de Cassation, de la manière déterminée par la Cour de Cassation. La liste pourra être consultée par le public sur les sites Web de l’Ordre des Barreaux flamands et de l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone. »
33. Sur le site internet de la Cour de cassation figuraient au moment où les pourvois en cause en l’espèce ont été formés, et figurent toujours, les informations et liens suivants :
« La déclaration de pourvoi et les mémoires doivent en règle, être signés par un avocat. Celui-ci ne doit pas nécessairement être membre du barreau de cassation. En revanche, il doit être titulaire d’une attestation de formation à la technique de cassation en matière pénale. La liste des avocats titulaires de cette attestation est accessible via les liens suivants : [sites respectifs de l’Ordre des Barreaux flamands et de l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone] (…) »
34. Le rapport annuel 2016 de la Cour de cassation explique comme suit l’introduction par la loi du 14 février 2014 de l’obligation pour l’avocat intervenant lors d’un pourvoi en matière répressive d’être titulaire d’une attestation de formation en procédure en cassation :
« Depuis le 1er février 2016, l’avocat intervenant lors d’un pourvoi en matière répressive doit être titulaire d’une attestation de formation en procédure en cassation dont les critères sont fixés par le Roi (art. 425, § 1er, al. 2, C.i.cr.). Cette formation se justifie en raison du caractère « technique et spécifique » de la procédure en cassation. Cette exigence de formation n’a pas été jugée inconstitutionnelle. En effet, le droit d’être assisté par un avocat ne signifie pas que des conditions de recevabilité ne puissent être instaurées dans des matières très complexes justifiant l’exigence d’une expérience spécifique. En imposant l’exigence d’une attestation de formation en cassation, le législateur a adopté une mesure en rapport avec les objectifs légitimes de la réforme visant tant à empêcher l’afflux de pourvois en cassation manifestement non fondés en matière pénale, qu’à garantir, dans le souci des intérêts du justiciable et du bon fonctionnement de la justice, une haute qualité aux écrits de procédure devant la Cour de cassation. Cette mesure est pertinente et elle n’entraîne aucune discrimination. À partir du moment où cette formation est ouverte à tout avocat intéressé et que les mesures nécessaires sont prises afin de permettre à un nombre suffisant d’avocats de la suivre, cette exigence ne peut être considérée comme apportant une limitation disproportionnée à l’accès à la justice.
L’arrêté royal du 10 octobre 2014 fixant les critères de la formation prévue à l’article 425, § 1er, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle détermine le contenu de la formation ainsi que les conditions pour délivrer l’attestation prévue par ledit article 425, § 1er, alinéa 2, précité.
La formation est organisée au moins une fois par année judiciaire par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (ci-après O.B.F.G.) et l’Orde van Vlaamse Balies (ci-après O.V.B.). Elle est accessible aux avocats inscrits régulièrement au tableau, sur la liste des avocats qui exercent leur profession sous le titre professionnel d’un autre État membre de l’Union européenne ou sur la liste des stagiaires (art. 1er de l’arrêté royal du 10 octobre 2014).
Trois catégories d’avocats sont réputées être titulaires de l’attestation visée à l’article 425, § 1er, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle (art. 3 de l’arrêté royal du 10 octobre 2014) :
– les avocats qui se voient délivrer cette attestation ;
– les avocats à la Cour de cassation ;
– les avocats qui sont lauréats de l’examen organisé par l’Ordre des avocats à la Cour de cassation.
La Cour juge irrecevable – voire même manifestement irrecevable – le pourvoi formé après le 31 janvier 2016 par un avocat dont il n’apparaît pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, déposées dans le délai de deux mois prévu à l’article 429, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle, qu’il soit titulaire de l’attestation visée à l’article 425, § 1er, alinéa 2, du même code, ou dispensé de cette attestation en qualité de lauréat de l’examen organisé par l’Ordre des avocats à la Cour de cassation, conformément à l’article 3 de l’arrêté royal du 10 octobre 2014.
Il n’existe pas actuellement de jurisprudence uniforme quant à la question de savoir si la qualité d’avocat titulaire de l’attestation doit apparaître tant dans le chef de l’avocat qui forme le pourvoi en cassation en qualité de conseil du demandeur que de celui qui signe la déclaration de pourvoi à sa place (« loco »).
La Cour a jugé qu’aucune force majeure ne pouvait être déduite de l’ignorance dans laquelle le demandeur se trouvait au regard de la formation suivie par son conseil dans le cadre de l’examen organisé par l’Ordre des avocats à la Cour de cassation.
Cette obligation a une portée générale et s’applique à toutes les procédures sauf si une loi particulière y déroge (ce qui est le cas en matière de détention préventive). »
II. Demandes de réouverture d’une procédure pénale
A. Dispositions légales
35. La loi du 1er avril 2007 a introduit un article 442bis dans le CIC qui était ainsi formulé :
« S’il a été établi par un arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou des protocoles additionnels, ci-après « la Convention européenne », ont été violés, il peut être demandé la réouverture, en ce qui concerne la seule action publique, de la procédure qui a conduit à la condamnation du requérant dans l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme ou à la condamnation d’une autre personne pour le même fait et fondée sur les mêmes moyens de preuve. »
36. Dans l’arrêt Hakimi c. Belgique (no 665/08, §§ 17-30, 29 juin 2010 ; voir également Castellino c. Belgique, no 504/08, 25 juillet 2013) la Cour a refusé de rayer l’affaire du rôle sur la base de la déclaration unilatérale proposée par le Gouvernement au motif que l’article 442bis limitait la possibilité de réouverture de la procédure aux violations de la Convention procédant d’un arrêt de la Cour.
37. C’est dans ce contexte que l’article 442bis a été complété par la loi du 5 février 2016 modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice. Il se lit dorénavant comme suit :
Article 442bis
« S’il a été établi par un arrêt définitif de la Cour européenne des Droits de l’Homme que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou des protocoles additionnels, ci-après « la Convention européenne », ont été violés, il peut être demandé la réouverture, en ce qui concerne la seule action publique, de la procédure qui a conduit à la condamnation du requérant dans l’affaire devant la Cour européenne des Droits de l’Homme ou à la condamnation d’une autre personne pour le même fait et fondée sur les mêmes moyens de preuve.
Il en est de même en cas de décision ou d’arrêt par lequel la Cour européenne des Droits de l’Homme prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties et aux termes duquel le gouvernement belge reconnaît pareille violation, conformément à l’article 39 de la Convention européenne, ou par lequel elle prend acte de la déclaration unilatérale de reconnaissance de ladite violation, conformément à l’article 37, § 1er, de la Convention européenne, et décide, par voie de conséquence, de rayer l’affaire du rôle.
La demande en réouverture est irrecevable lorsque le gouvernement apporte la preuve que le condamné a marqué son accord sur une réparation amiable, que cet accord a été exécuté et que le constat de violation n’est pas de nature à créer un doute sérieux quant au résultat de la procédure attaquée. »
38. Les autres dispositions pertinentes du CIC sont ainsi formulées :
Article 442ter
« Le droit de demander la réouverture de la procédure appartient :
1o au condamné ;
2o si le condamné est décédé, si son interdiction a été prononcée ou s’il se trouve en état d’absence déclarée, à son conjoint, à la personne avec qui il cohabite légalement, à ses descendants, à ses ascendants, à ses frères et sœurs ;
3o au procureur général près la Cour de cassation, d’office ou à la demande du Ministre de la Justice. »
Article 442quater
« § 1er. La Cour de cassation connaît des demandes de réouverture.
§ 2. La Cour en est saisie, soit par un réquisitoire du Procureur général près la Cour de cassation, soit par une requête signée d’un avocat inscrit au barreau depuis plus de dix ans. Le réquisitoire ou la requête contient un exposé détaillé des faits et mentionne la cause de réouverture.
La demande est introduite dans les six mois de la date à laquelle l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme est devenu définitif.
La demande est irrecevable s’il n’est pas satisfait aux conditions posées aux alinéas précédents.
§ 3. Si le condamné est décédé, si son interdiction a été prononcée ou s’il se trouve en état d’absence déclarée, la Cour de cassation nomme un curateur à sa défense, lequel le représentera. La Cour de cassation ou le juge auquel l’affaire a été renvoyée désigne également un curateur si le requérant décède pendant l’examen de la cause. »
Article 442quinquies
« Lorsqu’il ressort de l’examen de la demande soit que la décision attaquée est contraire sur le fond à la Convention européenne, soit que la violation constatée est la conséquence d’erreurs ou de défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux existe quant au résultat de la procédure attaquée, la Cour de cassation ordonne la réouverture de la procédure, pour autant que la partie condamnée ou les ayants droit prévus à l’article 442ter, 2o, continuent à souffrir des conséquences négatives très graves que seule une réouverture peut réparer.
Dans les cas où la Cour de cassation a rendu la décision attaquée, elle examine la demande de réouverture dans une composition différente. »
B. Jurisprudence de la Cour de cassation
39. La Cour de cassation s’est prononcée dans plusieurs arrêts, dont l’arrêt du 7 novembre 2018 qu’elle a rendu dans la présente affaire (paragraphes 24-26 ci-dessus), sur les conséquences à tirer d’une décision de radiation rendue par la Cour entérinant une déclaration unilatérale du Gouvernement belge.
40. Elle s’est prononcée une première fois à propos d’une demande de réouverture de la procédure pénale en cause dans l’affaire Goyens et Robben c. Belgique que la Cour avait rayée du rôle sur pied de l’article 37 § 1er de la Convention ((déc.), no 47739/08, 13 mars 2018) à la suite d’une déclaration unilatérale du Gouvernement formulée dans les mêmes termes que dans la présente espèce. La Cour de cassation (Cass. 2 octobre 2018, P.18.0770.N) conclut à la réouverture de la procédure pour les motifs suivants :
« Il résulte de la déclaration unilatérale précitée du gouvernement belge et de son appréciation par la Cour européenne par la décision précitée du 18 mars 2018, telle que communiquée le 5 avril 2018, qu’en déclarant irrecevable le mémoire des demandeurs au seul motif qu’il avait été signé par une personne dont la qualité n’était pas mentionnée, alors qu’il ressortait de la lecture conjointe du mémoire et de la lettre d’accompagnement signée par Me K. B. que ce mémoire émanait effectivement de Me K. B., la Cour de cassation a violé le droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention.
La violation ainsi constatée de l’article 6 de la Convention consécutivement à une erreur ou à une défaillance dans la procédure est d’une gravité telle qu’un doute sérieux existe quant au résultat de la procédure attaquée. En effet, la Cour de cassation aurait pu statuer autrement qu’elle l’a fait par arrêt du 1er avril 2008 si elle avait pris connaissance des moyens développés dans le mémoire des demandeurs.
S’étant vu ordonner de rétablir, à leur charge, les lieux en leur pristin état, ainsi qu’il est décrit précédemment, sous peine d’une astreinte de 125,00 euros par jour, les demandeurs continuent à souffrir des conséquences négatives très graves de la procédure attaquée, que seule une réouverture peut réparer.
Les conditions visées aux articles 442bis et 442quinquies, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle sont réunies. Il y a lieu de rouvrir la procédure et de retirer l’arrêt P.07.1829.N dans la mesure précisée ci-après. »
41. La Cour de cassation s’est prononcée dans les mêmes termes que ceux en cause en l’espèce (paragraphes 24-26 ci-dessus) à propos de la décision de la Cour de rayer du rôle l’affaire Van Eekert et Lavrijsen ((déc.), no 33262/15, 16 juin 2020) qui concernait le droit à un procès d’une durée raisonnable (Cass. 17 novembre 2020, P.20.0884.N.).
42. Enfin, le 24 février 2021, la Cour de cassation a ordonné la réouverture de la procédure en ce qui concerne l’action publique à la base de l’affaire Stitou c. Belgique (no 63073/14). Dans cette affaire il y avait eu un premier arrêt de la Cour de cassation, du 23 avril 2014. Puis, une requête devant la Cour avait été rayée du rôle par une décision qui avait pris acte de la déclaration unilatérale du Gouvernement reconnaissant que, « à défaut d’assistance par avocat [du] requérant à tous les stades préalables au procès pénal », il y avait eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c), de la Convention (Ejupi et autres c. Belgique, (déc.), nos 12851/13, 63073/14 et 23713/15, 9 juillet 2020). La Cour de cassation (Cass. 24 février 2021, P.20.1180.F) conclut à la réouverture de la procédure et au retrait de son arrêt du 23 avril 2014 pour les motifs suivants :
« A. Sur la demande en réouverture de la procédure :
1. L’article 442bis du Code d’instruction criminelle permet au condamné de demander la réouverture de la procédure, notamment lorsque la violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales fait l’objet d’une déclaration de reconnaissance par le gouvernement de l’État qui en est accusé, que la Cour prend acte de cette reconnaissance et qu’elle décide par voie de conséquence de rayer l’affaire du rôle.
Selon le premier alinéa de l’article 442bis susdit, la réouverture ne peut être demandée qu’en ce qui concerne les débats relatifs à l’action publique.
L’incompatibilité de la décision attaquée avec la Convention donne lieu à réouverture si la partie condamnée continue à souffrir de conséquences négatives très graves que seule une réouverture peut réparer.
(…)
5. En soulignant les lacunes et les incohérences des déclarations auto-justificatrices faites par le prévenu sans l’assistance d’un avocat, les juges d’appel ont mis en évidence des éléments dont la Cour ne peut pas exclure qu’ils aient servi à corroborer leur conviction acquise par ailleurs sur la base de l’enquête de téléphonie, de l’argent trouvé en possession du prévenu et de la voiture à bord de laquelle il a été intercepté.
Cette mise en évidence, s’agissant de déclarations faites sans avocat par une personne privée de liberté et placée ainsi dans une situation de particulière vulnérabilité, constitue l’usage que prohibe l’article 6.1 de la Convention dans l’interprétation qu’en donne la Cour européenne.
6. Pour refuser sa censure, l’arrêt de la Cour du 23 avril 2014 limite la prohibition susdite aux déclarations auto-incriminantes. Cette position est contraire sur le fond à l’article 6.1.
7. La mention, dans le casier judiciaire du requérant, de la condamnation encourue le 3 décembre 2013, ainsi que l’assujettissement du condamné au régime de la libération conditionnelle, peuvent être considérés comme une conséquence négative très grave et actuelle justifiant la réouverture de la procédure, au sens de l’article 442quinquies, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle.
8. La demande de réouverture de la procédure est dès lors fondée en tant seulement qu’elle vise la décision rendue sur l’action publique. Il y a lieu, partant, de statuer par voie de dispositions nouvelles sur le pourvoi que S. S. a dirigé le 17 décembre 2013 contre l’arrêt du 3 décembre 2013 de la cour d’appel de Bruxelles, le nouvel examen du pourvoi ne pouvant cependant pas inclure la décision rendue sur les actions civiles.
B. Sur le pourvoi :
9. Invoquant la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 47bis, § 6, du Code d’instruction criminelle, le demandeur reproche à l’arrêt dont pourvoi de déclarer les préventions établies en se fondant sur des déclarations qu’il a faites, durant sa garde à vue, sans l’assistance d’un avocat.
10. Quoique les déclarations litigieuses soient auto-justificatrices, leur disqualification par les juges d’appel à l’effet de corroborer leur conviction, constitue l’usage que l’article 6.1 prohibe.
À cet égard, le moyen est fondé. »
LE DROIT EUROPÉEN
43. La Recommandation no R (2000) 2 du Comité des Ministres aux États membres sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour est ainsi formulée :
« Le Comité des Ministres (…),
(…)
Notant que, sur la base de l’article 46 de la Convention, les Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour européenne des Droits de l’Homme (« la Cour ») dans les litiges auxquels elles sont parties et que le Comité des Ministres en surveille l’exécution ;
Ayant à l’esprit que, dans certaines circonstances, l’engagement susmentionné peut impliquer l’adoption de mesures, autres que la satisfaction équitable accordée par la Cour conformément à l’article 41 de la Convention et / ou des mesures générales, afin que la partie lésée se retrouve, dans la mesure du possible, dans la situation où elle était avant la violation de la Convention (restitutio in integrum) ;
Prenant note du fait qu’il appartient aux autorités compétentes de l’État défendeur de déterminer quelles mesures sont les plus appropriées pour réaliser la restitutio in integrum, en tenant compte des moyens disponibles dans le système juridique national ;
Ayant toutefois à l’esprit que – ainsi que le montre la pratique du Comité des Ministres relative au contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour – il y a des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture d’une procédure s’est avéré être le moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum ;
Encourage notamment les Parties contractantes à examiner leurs systèmes juridiques nationaux en vue de s’assurer qu’il existe des possibilités appropriées pour le réexamen d’une affaire, y compris la réouverture d’une procédure, dans les cas où la Cour a constaté une violation de la Convention, en particulier lorsque :
i. la partie lésée continue de souffrir des conséquences négatives très graves à la suite de la décision nationale, conséquences qui ne peuvent être compensées par la satisfaction équitable et qui ne peuvent être modifiées que par le réexamen ou la réouverture, et
ii. il résulte de l’arrêt de la Cour que
a. la décision interne attaquée est contraire sur le fond à la Convention, ou
b. la violation constatée est causée par des erreurs ou défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux est jeté sur le résultat de la procédure interne attaquée. »
EN DROIT
I. JONCTION DES REQUÊTES
44. Eu égard au lien entre les requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.
II. REMARQUES LIMINAIRES SUR LA PORTÉE DE LA DÉCLARATION UNILATÉRALE DU GOUVERNEMENT ET DE LA DÉCISION DE LA COUR PRENANT ACTE DE CELLE-CI, ET SUR LA PORTÉE DU CONTRÔLE DE LA COUR APRÈS LA RÉINSCRIPTION DES REQUÊTES AU RÔLE
45. Eu égard aux motifs de la décision de la Cour de cassation du 7 novembre 2018 rejetant les demandes des requérants de réouverture de la procédure pénale, la Cour estime utile de préciser la portée de la déclaration unilatérale du Gouvernement du 5 septembre 2017 et de la décision de la Cour du 13 mars 2018 qui en a pris acte et rayé les requêtes initiales du rôle, et de rappeler la portée du contrôle à exercer par la Cour après avoir décidé de réinscrire ces requêtes au rôle.
A. Considérations générales
46. L’article 37 de la Convention est ainsi libellé :
« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure
a) que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou
b) que le litige a été résolu ; ou
c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.
Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.
2. La Cour peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient. »
1. La radiation d’une requête du rôle sur base d’une déclaration unilatérale
47. La Cour rappelle tout d’abord que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive (Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2003‑VI, et De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 134, 23 février 2017).
48. La Cour rappelle ensuite que, parmi les facteurs qui entrent en jeu lorsqu’il s’agit de décider de rayer du rôle tout ou partie d’une requête en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale, figurent la nature des griefs formulés, la nature et la portée des mesures éventuellement prises par le gouvernement défendeur dans le cadre de l’exécution des arrêts rendus par la Cour dans des affaires antérieures, et l’incidence de ces mesures sur l’affaire examinée, la nature des concessions formulées dans la déclaration unilatérale, en particulier la reconnaissance d’une violation de la Convention et l’engagement de verser une réparation adéquate pour une telle violation, l’existence d’une jurisprudence pertinente « claire et complète » à cet égard – en d’autres termes, le point de savoir si les questions soulevées sont analogues à celles déjà tranchées par la Cour dans des affaires précédentes –, les modalités du redressement que le gouvernement défendeur entend offrir au requérant et la question de savoir si ces modalités permettent ou non d’effacer les conséquences d’une violation alléguée (Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, § 64, 5 juillet 2016 ; voir dans le même sens Aviakompaniya A.T.I., ZAT c. Ukraine, no 1006/07, § 27, 5 octobre 2017).
49. Si la Cour est satisfaite des réponses apportées aux questions ci‑dessus, elle vérifie que les conditions énoncées à l’article 37 § 1 alinéa premier c) et alinéa 2 de la Convention sont remplies (à savoir, qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de tout ou partie de la requête et que le respect des droits de l’homme n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de la requête). Si ces conditions sont réunies, elle décide alors de rayer du rôle tout ou partie de la requête (Jeronovičs, précité, § 64).
50. À cette fin, elle examine minutieusement les engagements pris par le gouvernement dans sa déclaration unilatérale et, le cas échéant, en interprète le contenu à la lumière de sa jurisprudence (ibid.). Elle anticipe également la possibilité de vérifier le respect par le gouvernement de ses engagements (ibid., § 68).
2. L’engagement de l’État par le gouvernement défendeur
51. La Cour rappelle qu’au regard de la Convention, seule se trouve en cause la responsabilité internationale de l’État défendeur, quelle que soit l’autorité nationale à laquelle est imputable le manquement allégué à la Convention dans le système interne (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 146, CEDH 2004‑II). La Cour ne saurait avoir pour interlocuteurs plusieurs autorités ou juridictions nationales (ibid., § 149 ; voir également Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 498, CEDH 2005‑III). Le gouvernement, qui représente l’État devant la Cour, est donc habilité à prendre des engagements liant l’État en tant que tel sur le plan international (voir, mutatis mutandis, Basra c. Belgique (déc.), no 47232/17, § 13, 10 juillet 2018). Il incombe au gouvernement de s’assurer, avant de prendre de tels engagements, que le droit interne lui permet de les prendre.
3. La réinscription de la requête au rôle
52. Même lorsqu’elle accepte une déclaration unilatérale et décide de rayer du rôle tout ou partie d’une requête, la Cour se réserve le droit de réinscrire celle-ci (ou, le cas échéant, une partie de celle-ci) au rôle, conformément à l’article 37 § 2 de la Convention (Jeronovičs, précité, § 67).
53. Après la décision de radiation, la Cour peut être amenée à superviser la mise en œuvre des engagements du gouvernement et à examiner s’il existe des « circonstances exceptionnelles » (article 43 § 5 de son règlement) justifiant la réinscription de la requête au rôle (Jeronovičs, précité, § 69 ; pour un exemple, Alexentseva et autres c. Russie (déc.), nos 75025/01 et 18 autres, 23 mars 2006).
B. Le cas d’espèce
54. En l’espèce, par sa déclaration du 5 septembre 2017, le Gouvernement a reconnu « que le rejet par la Cour de cassation des pourvois des requérants comme étant irrecevables au motif que l’avocat signataire n’avait pas mentionné être titulaire de l’attestation de formation requise n’a pas garanti le respect de leur droit d’accès à un tribunal tel que prévu par l’article 6 de la Convention ». Il s’est en outre engagé à verser à chacun des requérants la somme de 8 000 euros, somme qui couvrirait le préjudice moral ainsi que les frais et dépens (paragraphe 15 ci-dessus).
55. Par sa décision du 13 mars 2018, la Cour a pris acte de la déclaration du Gouvernement. Se référant aux doutes des requérants quant à la possibilité d’obtenir une réouverture de la procédure interne sur la base de la déclaration unilatérale et aux informations fournies par le Gouvernement, la Cour a d’abord rappelé que la réouverture de la procédure constituait un moyen approprié d’assurer la restitutio in integrum et de redresser les violations du droit à un procès équitable (paragraphe 18 de la décision précitée, cité au paragraphe 20 ci-dessus). Puis, elle a noté qu’en l’espèce, il ne pouvait pas être soutenu que les termes de la déclaration unilatérale « ne satisfont par principe pas aux conditions de recevabilité prévues par l’article 442bis CIC, in fine, en cas de radiation de l’affaire du rôle sur la base de ladite déclaration ». Elle reconnaissait toutefois « que l’appréciation de l’octroi d’une réouverture relève en tout état de cause du pouvoir de la Cour de cassation » (paragraphe 19 de la décision précitée, cité au paragraphe 20 ci‑dessus). En d’autres mots, la Cour estimait qu’une réouverture de la procédure n’était pas exclue par les conditions de recevabilité prévues par l’article 442bis du CIC, mais que la réouverture effective dépendait d’une décision de la Cour de cassation. Celle-ci disposait à cet égard d’un certain pouvoir d’appréciation, eu égard aux critères fixés à l’article 442quinquies du CIC (paragraphe 38 ci-dessus). À la fin de sa décision, la Cour a indiqué qu’elle pouvait réinscrire les requêtes au rôle dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale (paragraphe 24 de la décision précitée, cité au paragraphe 21 ci-dessus).
56. La présente affaire soulève la question de savoir quels sont les effets de la déclaration faite par le Gouvernement et de la décision de la Cour prenant acte de cette déclaration (paragraphe 45 ci-dessus). La particularité de la déclaration litigieuse est qu’elle a été faite par le Gouvernement, mais que sa mise en œuvre dépendait en partie d’une décision à prendre par un organe du pouvoir judiciaire, en l’espèce la Cour de cassation. Celle-ci a estimé qu’elle n’était liée ni par la déclaration unilatérale du Gouvernement ni par la décision de la Cour qui en avait pris acte (considérants 3 et 4 de l’arrêt du 7 novembre 2018, cités au paragraphe 25 du présent arrêt).
57. Quant à la déclaration unilatérale du Gouvernement, la Cour de cassation a considéré que « le principe de la séparation des pouvoirs implique que le pouvoir judiciaire n’est lié ni par l’interprétation que l’administration donne de la Convention ni par son affirmation suivant laquelle un juge aurait méconnu celle-ci » (considérant 3, cité au paragraphe 25 ci-dessus).
58. Même si la notion de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire a pris une importance particulière dans la jurisprudence de la Cour (voir, par exemple, Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 165, 23 juin 2016, Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 196, 6 novembre 2018, et Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 207, 1er décembre 2020), il s’agit en l’espèce d’un principe général de droit interne belge auquel la Cour de cassation se réfère. La détermination du contenu exact de ce principe relève de la marge d’appréciation dont disposent les États contractants (Mugemangango c. Belgique [GC], no 310/15, § 138, 10 juillet 2020). Il n’appartient pas à la Cour de s’immiscer dans cette question de droit interne (ibid., § 71). Elle ne peut que prendre acte de la position adoptée par la Cour de cassation et en tirer les conséquences qui s’imposent sous l’angle de la Convention.
59. Quant à la décision de la Cour prenant acte de la déclaration unilatérale, la Cour de cassation a considéré que « la décision de radiation du [13 mars 2018] n’est pas revêtue de l’autorité de la chose interprétée. La Cour européenne ne décide pas que l’article 425, § 1er, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle méconnaît le droit d’accès à un tribunal. Elle n’interdit pas d’exiger que la preuve de l’attestation prévue par cet article soit fournie par une mention portée dans les écrits de procédures visés aux articles 423 et 429 dudit code et déposés dans les formes prescrites par ceux-ci » (considérant 4, cité au paragraphe 25 ci-dessus).
60. Il est vrai que dans sa décision précitée, la Cour n’a pas examiné les griefs des requérants aux fins de déterminer s’ils étaient recevables et fondés, et elle n’a pas pris de décision à cet égard. Sur ce point, sa décision n’avait donc pas l’autorité de la chose jugée ou de la chose interprétée. La Cour a toutefois « [examiné] la nature des concessions figurant dans la déclaration unilatérale, le caractère adéquat de l’indemnité proposée et la question de savoir si le respect des droits de l’homme exige qu’elle poursuive l’examen de la requête conformément aux critères susmentionnés » (voir Jeronovičs, précité, § 69).
61. Certes, la décision du 13 mars 2018 ne constituant pas un arrêt constatant une violation de la Convention, elle ne tombe pas sous l’empire de l’article 46. Néanmoins, la Cour estime important de souligner que, dans l’esprit d’une responsabilité partagée des États et de la Cour pour le respect des droits de la Convention, les requérants sont en droit d’attendre des autorités nationales, y compris des juridictions nationales, qu’elles donnent effet de bonne foi à tout engagement pris par le Gouvernement dans des déclarations unilatérales et a fortiori dans des règlements amiables. Cette attente sera d’autant plus forte que les questions juridiques en jeu font partie de la jurisprudence établie de la Cour concernant l’État défendeur ou d’autres principes généralement applicables. De plus, et cela étant dit, en l’espèce, il y a des parallèles entre la décision précitée et un arrêt constatant une violation.
62. Lorsqu’elle constate une violation de la Convention, la Cour n’a pas compétence pour ordonner la réouverture d’une procédure interne (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 89, CEDH 2009, et Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 48, 11 juillet 2017). Toutefois, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, la Cout peut indiquer qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005‑IV, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 126, CEDH 2006-II, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 89, Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 79, CEDH 2010, et Moreira Ferreira (no 2), précité, §§ 49 et 50, a)). Cependant, les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un État défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 46 de la Convention dépendent nécessairement des circonstances particulières de la cause (Öcalan, précité, § 210, Sejdovic, précité, § 126, et Moreira Ferreira (no 2), précité, § 50, a)). En particulier, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer les modalités et la forme d’un nouveau procès éventuel. L’État défendeur demeure libre de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation de placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour et avec les droits de la défense (Sejdovic, précité, § 127, et Moreira Ferreira (no 2), précité, § 50, b)).
63. En l’espèce, dans sa décision précitée du 13 mars 2018, la Cour s’est référée à sa jurisprudence sous l’article 46 de la Convention selon laquelle « la réouverture de la procédure devant les juridictions nationales est le moyen le plus approprié, sinon le seul, d’assurer la restitutio in integrum et de redresser les violations du droit à un procès équitable » (paragraphe 18 de la décision précitée, cité au paragraphe 20 ci-dessus, avec référence à Sejdovic, précité, § 126). Elle a également constaté que le droit interne belge ne s’opposait pas par principe à une réouverture de la procédure en cas de radiation de l’affaire de son rôle sur base d’une déclaration unilatérale du Gouvernement (paragraphe 19 de la décision précitée, cité au paragraphe 20 ci‑dessus ; comparer avec des affaires où la Cour a refusé de rayer l’affaire du rôle au motif qu’une déclaration unilatérale ne constituait pas une base suffisamment certaine pour obtenir la réouverture de la procédure interne, par exemple Aviakompaniya A.T.I., ZAT, précité, §§ 36-41, Romić et autres c. Croatie, nos 22238/13 et 6 autres, §§ 84-87, 14 mai 2020, et Keskin c. Pays-Bas, no 2205/16, §§ 30‑32, 19 janvier 2021).
64. Les requérants ayant demandé la réouverture de la procédure pénale menée contre eux, il incombait aux organes belges compétents, en l’espèce la Cour de cassation, de tirer les conséquences dans l’ordre juridique interne de la déclaration unilatérale du Gouvernement et de la décision de la Cour qui en avait pris acte. Cette tâche s’inscrivait dans le partage des responsabilités entre les autorités nationales et la Cour en ce qui concerne la garantie du respect des droits et libertés définis dans la Convention et ses protocoles, et plus particulièrement dans la responsabilité primaire des autorités nationales à cet égard (voir paragraphe 61 ci-dessus, et notamment Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, § 250).
65. La Cour constate qu’en l’espèce la Cour de cassation, en application de l’article 442bis alinéa 2 du CIC, a admis la demande en réouverture de la procédure. Statuant sur le bien-fondé de celle-ci, après avoir énoncé qu’elle n’était pas liée par la déclaration du Gouvernement et que la Cour, dans sa décision de radiation, n’avait pas elle-même constaté une violation de la Convention, la Cour de cassation s’est livrée à un examen du grief dirigé par les requérants contre son arrêt du 1er juin 2016. Elle a conclu qu’il n’apparaissait pas de cet examen que cet arrêt soit contraire sur le fond à la Convention ni qu’il soit entaché d’une violation résultant d’une erreur ou d’une défaillance grave, au sens de l’article 442quinquies du CIC.
66. Le rejet par la Cour de cassation de la demande en réouverture de la procédure a pour effet que les engagements du Gouvernement contenus dans sa déclaration unilatérale sont restés sans effet utile dans l’ordre juridique interne. Il s’agit là d’une « circonstance exceptionnelle » qui a conduit la Cour, le 28 mai 2019, à réinscrire les requêtes initiales au rôle, à la demande des requérants. La Cour est ainsi appelée à examiner la recevabilité et le bien-fondé des griefs initiaux des requérants dirigés contre l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2016. Elle examinera ces griefs à la lumière notamment des considérations développées par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 novembre 2018, poursuivant ainsi le « dialogue judiciaire » que la haute juridiction a entamé avec ce dernier arrêt.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DANS LA PROCÉDURE INITIALE
67. Les requérants se plaignent que l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2016 les a privés de l’exercice de leur droit de se pourvoir en cassation en raison d’un formalisme excessif. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Portée de l’examen par la Cour
68. La Cour rappelle que dans sa décision de radiation du 13 mars 2018 (paragraphes 19-21 ci-dessus), elle n’a pas examiné la recevabilité ni le bien-fondé des griefs soulevés par les requêtes initiales. Elle n’a donc pas épuisé sa juridiction à leur égard.
69. À la suite de la réinscription de ces requêtes au rôle (paragraphe 27 ci-dessus), la Cour est de nouveau saisie des griefs que les requérants ont formulés dans leurs requêtes initiales dans la mesure où ils n’ont pas été déclarés irrecevables lors de la communication des requêtes au Gouvernement.
70. La Cour rappelle (paragraphe 66 ci-dessus) qu’elle examinera lesdits griefs, dirigés contre l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2016 (paragraphe 11 ci-dessus), tels qu’ils étaient formulés dans les requêtes initiales, mais en tenant compte des motifs donnés par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 novembre 2018 (paragraphes 24-26 ci-dessus).
B. Sur la recevabilité
71. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
C. Sur le fond
1. Thèses des parties
72. Les requérants se plaignent que le rejet, par la Cour de cassation, de leurs pourvois au seul motif que l’avocat signataire n’avait pas mentionné qu’il était titulaire de la formation requise par la loi n’était pas prévisible. Ni les dispositions légales ni le règlement de la formation ne prévoient que le signataire d’un mémoire en cassation doit en plus mentionner qu’il est titulaire de la formation en cause. De plus, à la date à laquelle le pourvoi a été formé, et pendant les deux mois qui ont suivi, aucune décision ou publication n’est venue faire état de cette exigence procédurale supplémentaire. Il n’était donc nullement déraisonnable de penser que la Cour de cassation s’était vue communiquer par la commission de formation une liste des avocats auxquels l’attestation avait été délivrée. L’argument de la Cour de cassation déduit du risque d’imprécision de la liste n’est pas pertinent puisqu’en pareille circonstance une erreur pourrait donner lieu à une rétractation de l’arrêt d’irrecevabilité.
73. Les requérants estiment en outre que la sanction d’irrecevabilité retenue par la Cour de cassation était manifestement hors de proportion avec les buts visés de sécurité juridique et de bonne administration de la justice.
74. Le Gouvernement renvoie, pour expliquer l’obligation pour l’avocat intervenant lors d’un pourvoi en matière répressive d’être titulaire d’une attestation de formation en procédure en cassation, au contenu du rapport annuel de 2016 de la Cour de cassation (paragraphe 34 ci-dessus), ainsi qu’à l’analyse faite par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 novembre 2018 (paragraphes 24-26 ci-dessus).
75. Le Gouvernement fait en particulier valoir que l’exigence de la Cour de cassation selon laquelle la qualité d’avocat attesté doit être mentionnée dans les pièces auxquelles elle peut avoir égard repose sur les motifs suivants : cette qualité doit pouvoir être vérifiée ou au moins apparaître dans les pièces de la procédure sous peine de priver de toute portée l’exigence légale d’une attestation; la Cour de cassation est sans pouvoir pour vérifier les éléments de fait, et ne peut pas se fier aux listes établies par les ordres des barreaux car elles sont évolutives et non exemptes d’erreur, et peuvent être source de confusion en cas d’homonymes ; il s’agit d’une règle de base qui est portée à la connaissance des avocats au cours de la formation ; l’exigence est peu rigoureuse, la Cour de cassation se contentant de la mention de l’attestation, que ce soit dans une pièce ou dans le mémoire, sans en exiger la preuve. Eu égard à la jurisprudence de la Cour, une exigence si minimaliste ne saurait passer pour un formalisme excessif ayant privé les requérants de leur droit d’accès à un tribunal.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
76. La Cour rappelle les principes généraux relatifs au droit d’accès à un tribunal en matière civile (Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, §§ 112‑116, 15 mars 2018, et Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, §§ 76‑79, 5 avril 2018 ; voir aussi Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 49-58, 20 octobre 2011, et Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c Roumanie [GC], no 76943/11, §§ 84‑90 et 116, 29 novembre 2016).
77. En particulier, la Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal doit être concret et effectif et non pas théorique et illusoire. L’effectivité de l’accès au juge suppose qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits (Paroisse gréco‑catholique Lupeni et autres, précité, § 86).
78. La Cour rappelle qu’elle accorde une importance particulière au point de savoir si les règles portant restriction de l’accès à un tribunal et, en particulier, les modalités d’exercice d’un recours sont prévisibles aux yeux du justiciable (voir, mutatis mutandis, Zubac, précité, § 87, et, dans le même sens, Arrozpide Sarasola et autres c. Espagne, nos 65101/16 et 2 autres, § 106, 23 octobre 2018, et Vermeersch c. Belgique, no 49652/10, § 58, 16 février 2021).
79. Le droit d’accès aux tribunaux n’étant toutefois pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Cependant, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse gréco‑catholique Lupeni et autres, précité, § 89, Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 115, 15 mars 2018, Zubac, précité, § 78, et Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 195, 25 juin 2019).
80. En ce qui concerne l’accès à une juridiction supérieure, la Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6. À cet égard, pour déterminer la proportionnalité de restrictions légales appliquées à l’accès aux juridictions supérieures, la Cour se montre particulièrement attentive à trois critères, à savoir i) la prévisibilité des modalités d’exercice du pourvoi, ii) le point de savoir qui doit supporter les conséquences négatives des erreurs commises au cours de la procédure et iii) la question de savoir si les restrictions en question peuvent passer pour révéler un « formalisme excessif » (Zubac, précité, §§ 85 et 109).
b) Application des principes au cas d’espèce
81. En l’espèce, par son arrêt du 1er juin 2016, la Cour de cassation a déclaré irrecevables les pourvois introduits par les requérants contre l’arrêt de la cour d’appel de Liège qui les avait déclarés coupables de plusieurs infractions pénales et leur avait infligé des peines de confiscation à ce titre. Le motif de cette décision tenait à ce qu’il n’apparaissait pas des pièces déposées par les requérants à l’appui de leurs pourvois que leur représentant était titulaire de l’attestation de formation en cassation visée à l’article 425 § 1er alinéa 2 du CIC. Pour le même motif, la Cour de cassation n’a pas examiné les mémoires déposés par le même avocat (paragraphe 11 ci-dessus).
82. Invitée à la suite de la décision de radiation de la Cour du 13 mars 2018 à rouvrir la procédure pénale dont se plaignaient les requérants, la Cour de cassation a considéré, dans son arrêt du 7 novembre 2018, qu’exiger que la qualité d’avocat attesté soit ainsi prouvée ne posait pas de problème en termes de droit d’accès à un tribunal. Selon la Cour de cassation, cette exigence vise à éviter l’encombrement de son rôle par des pourvois irrecevables ou manifestement mal fondés, ainsi que des recherches en fait qui la distrairaient du jugement des affaires régulièrement déférées à sa juridiction. Rendre ainsi tributaire la recevabilité du recours de la seule affirmation dans l’acte de pourvoi ou dans le mémoire de la possession de l’attestation doit être regardé, de l’avis de la haute juridiction, comme un formalisme minimal proportionné à cet objectif. L’arrêt du 1er juin 2016 était donc conforme, selon la Cour de cassation, aux exigences de la Convention (paragraphes 24-26 ci-dessus).
83. La Cour observe que le problème soulevé en l’espèce concerne une condition de recevabilité des pourvois en cassation en matière pénale. Il n’est pas contesté devant elle que la condition relative à la qualité de l’avocat représentant un demandeur en cassation, qui s’applique depuis le 1er février 2016, date de l’entrée en vigueur de la loi ayant modifié l’article 425 § 1er alinéa 2, du CIC sur ce point, était remplie par l’avocat des requérants. Celui-ci avait en effet suivi la formation à la procédure en cassation, s’était vu délivrer l’attestation le 22 janvier 2016, et disposait de l’attestation requise pour introduire des pourvois en cassation au moment où il avait formé ceux des requérants, le 10 février 2016.
84. La Cour constate qu’il a été reproché aux requérants d’avoir commis une erreur procédurale en ne prouvant pas la qualité d’avocat attesté de leur représentant par la mention de sa possession dans les écrits auxquels la Cour de cassation pouvait avoir égard.
85. Sans contester que l’exigence d’une attestation pour introduire une procédure en cassation poursuit en soi un objectif de bonne administration de la justice, les requérants se plaignent que l’application de cette exigence en l’espèce et l’irrecevabilité de leurs pourvois qui en a résulté étaient imprévisibles et disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi.
86. La Cour note à cet égard que les termes de l’article 425 § 1er alinéa 2 du CIC n’imposent pas qu’il apparaisse des pièces de la procédure que l’avocat est titulaire de l’attestation de la formation requise (paragraphe 30 ci-dessus). Elle constate en outre que ni le site internet de la Cour de cassation ni le règlement de la formation ne contient d’information au sujet d’une telle exigence (paragraphes 32-33 ci-dessus). De plus, les requérants font valoir, sans être contesté par le Gouvernement, qu’au moment où leur avocat a formé les pourvois – soit dix jours après l’entrée en vigueur des modifications apportées à l’article 425 § 1er alinéa 2 du CIC – et pendant les deux mois qui ont suivi, aucune autre décision n’est intervenue qui leur aurait permis de prévoir la nécessité d’indiquer que leur avocat était titulaire de l’attestation.
87. Cela étant dit, un élément qui pèse lourdement dans l’appréciation de la proportionnalité de la sanction appliquée aux requérants pour non-respect de l’exigence formelle précitée est que le site internet de la Cour de cassation explique que la liste des avocats titulaires de l’attestation peut être consultée sur les sites internet respectifs des ordres des barreaux des avocats et contient un lien direct vers lesdits sites. En d’autres termes, la Cour de cassation fournissait elle-même la possibilité de rechercher par une simple consultation via son propre site internet si la règle nouvellement introduite pour accéder à son office était respectée en l’espèce.
88. Dans ces circonstances, au vu des conséquences qu’a entraînées l’irrecevabilité des pourvois en cassation pour les requérants – lesquels n’ont pas pu dans le contexte d’un procès pénal faire entendre leurs moyens de cassation par la haute juridiction interne –, la Cour estime que lorsqu’elle a ainsi sanctionné l’erreur procédurale commise par eux, la Cour de cassation a rompu le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des exigences procédurales entourant l’introduction d’un pourvoi en cassation et, d’autre part, le droit d’accès au juge (voir, mutatis mutandis, Walchli c. France, no 35787/03, § 36, 26 juillet 2007, et Evaggelou c. Grèce, no 44078/07, § 24, 13 janvier 2011), faisant ainsi preuve d’un formalisme excessif en ce qui concerne les exigences procédurales entourant la recevabilité des pourvois en cassation (voir, mutatis mutandis, Walchli, précité, § 36).
89. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DANS LA PROCÉDURE EN RÉOUVERTURE DE LA PROCÉDURE INITIALE
90. Les requérants se plaignent que l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2018 les a mis dans l’impossibilité d’obtenir la réouverture des procédures pénales dirigées contre eux et les a de la sorte privés de leur droit d’accès à cette juridiction. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention précité.
91. Dans la mesure où les requérants se plaignent de l’effet du refus de réexaminer les pourvois en cassation qu’ils ont introduits en 2016, c’est‑à‑dire le maintien de l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2016, leur grief tiré d’une violation de l’article 6 § 1 coïncide en réalité avec le grief qu’ils avaient déjà invoqué dans leurs requêtes initiales devant la Cour. Ce grief a été examiné ci-dessus (paragraphes 67-89 ci-dessus).
92. Dans la mesure où les requérants se plaignent du refus même de la réouverture de la procédure, en alléguant une méconnaissance de la déclaration unilatérale du Gouvernement et de la décision de la Cour rayant les affaires initiales de son rôle, il s’agit de griefs nouveaux et détachables de ceux qui ont été invoqués dans leurs requêtes initiales. Toutefois, eu égard à sa décision concernant la procédure initiale devant la Cour de cassation (paragraphe 89 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la recevabilité ni le bien-fondé du grief dirigé contre les raisons sur lesquelles est fondé le refus de réouverture de la procédure initiale.
93. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief dirigé contre le refus de réouverture de la procédure initiale.
V. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION
94. L’article 46 de la Convention est ainsi libellé :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.
(….) »
95. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Réouverture de la procédure pénale interne
96. En ce qui concerne la procédure initiale les requérants considèrent que le moyen le plus adéquat de procéder à la réparation de la violation de l’article 6 § 1 serait qu’un examen au fond de leurs pourvois initiaux puisse avoir lieu par le biais de la procédure de réouverture organisée par les articles 442bis et suivants du CIC.
97. Le Gouvernement en convient.
98. La Cour rappelle que lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (paragraphe 63 ci-dessus). Elle constate, pour autant encore que de besoin, que l’article 442bis du CIC ouvre la possibilité d’une réouverture de la procédure menée contre un condamné, en ce qui concerne la seule action publique, s’il a été établi par un arrêt définitif de la Cour que la Convention a été violée (paragraphe 37 ci‑dessus).
99. La mise en œuvre de cette possibilité en l’espèce sera examinée, le cas échéant, par la Cour de cassation au regard du droit national et des circonstances particulières de la présente affaire (Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 200, 9 novembre 2018).
B. Dommage et frais et dépens
100. Les requérants demandent en outre 10 000 euros (EUR) pour chacun d’eux au titre du dommage « essentiellement matériel » qu’ils estiment avoir subi et qui est lié à la nécessité pour eux de faire valoir leurs droits tant devant la Cour de cassation que devant la Cour.
101. Le Gouvernement fait valoir que les requérants sont en défaut d’établir l’existence du préjudice matériel et de le spécifier. À supposer que la somme demandée est destinée à couvrir les frais et dépens, il fait observer que la réalité des frais doit être établie au moyen de justificatifs, ce qui exclut l’allocation d’une somme forfaitaire. En tout cas, la somme demandée est manifestement excessive, étant donné qu’elle ne saurait concerner en interne que la procédure devant la Cour de cassation, et que la défense devant la Cour ne présentait pas de véritable complexité. De plus, une somme de 8 000 EUR a déjà été versée à chacune des parties requérantes en exécution de la décision de radiation du 13 mars 2018 (paragraphe 23 ci-dessus).
102. À supposer que la demande des requérants comprenne une partie relative à un dommage matériel à distinguer des frais et dépens, elle ne comprend aucun détail quant à la nature et à l’étendue d’un tel dommage. La Cour rejette donc la demande formulée à ce titre.
103. La Cour constate que les requérants ne demandent pas de réparation pour dommage moral. Partant, elle estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre. Elle constate par ailleurs que les requérants ont chacun reçu une somme de 8 000 EUR en exécution de l’engagement du Gouvernement dans sa déclaration unilatérale au sujet des requêtes initiales et que cette somme était destinée à couvrir le préjudice moral ainsi que les frais et dépens jusqu’à ce stade de la procédure (paragraphe 15 ci‑dessus).
104. En ce qui concerne les frais et dépens, un requérant ne peut en obtenir le remboursement que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens, faute pour les requérants de fournir des justificatifs à cet égard.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare le grief relatif à la procédure initiale recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la procédure initiale ;
4. Décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la recevabilité ni le bien-fondé du grief relatif à la procédure en réouverture de la procédure initiale ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 septembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan Blaško Georgios A. Serghides
Greffier Président
___________
ANNEXE
Liste des affaires :
No | Requête No | Nom de l’affaire | Introduite le | Requérant Année de naissance Lieu de résidence Nationalité |
Représenté par |
1. | 74209/16 | Willems et Gorjon c. Belgique | 02/12/2016 | Catherine WILLEMS 1971 Gesves belge |
Thibault MAUDOUX |
2. | 75662/16 | Gorjon c. Belgique | 02/12/2016 | Yvan GORJON 1966 Gesves belge |
Thibault MAUDOUX |
3. | 19431/19 | Willems c. Belgique | 03/04/2019 | Catherine WILLEMS 1971 Gesves belge |
Thibault MAUDOUX |
4. | 19653/19 | Gorjon c. Belgique | 03/04/2019 | Yvan GORJON 1966 Gesves belge |
Thibault MAUDOUX |
Dernière mise à jour le septembre 21, 2021 par loisdumonde
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