BELYKH c. RUSSIE (Cour européenne des droits de l’homme)

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 11678/18
Vladimir Anatolyevich BELYKH
contre la Russie

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 13 octobre 2020en un comité composé de :

Georgios A. Serghides, président,
Georges Ravarani,
María Elósegui, juges,

et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 21 février 2018,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Vladimir AnatolyevichBelykh, est un ressortissant russe né en 1973 et résidant à Irkoutsk.

Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. M. Galperine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. Les faits exposés par le requérant dans sa requête devant la Cour

Par un contrat sous seing privé du 26 octobre 2015, le requérant acheta à K. une parcelle de terrain (« parcelle ») à Irkoutsk.

Le 18 février 2016, l’agence fédérale de gestion du patrimoine dans la région d’Irkoutsk engagea contre le requérant et K. une action en revendication de la parcelle. Par un jugement du 8 novembre 2016, le tribunal du district Leninski (ville d’Irkoutsk) accueillit l’action au motif que la privatisation de la parcelle avait été illicite, et il annula le droit de propriété du requérant. Les recours de l’intéressé contre ce jugement furent rejetés.

B. Les faits survenus après l’introduction de la requête devant la Cour

Dans ses observations du 18 septembre 2019, le Gouvernement a porté à la connaissance de la Cour les informations suivantes : le 14 mai 2018, le requérant engagea contre K. une action en indemnisation du préjudice ; par un jugement réputé contradictoire du 18 juillet 2018, le tribunal du district Leninski ordonna à K. de rembourser au requérant le prix payé pour l’acquisition de la parcelle et la taxe judiciaire, en l’absence d’autre dommage matériel allégué par l’intéressé.

Le Gouvernement a fourni une copie de ce jugement.

Le dossier de l’affaire ne contient aucune information quant à un recours contre ce jugement ni quant à son exécution.

GRIEF

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaignait d’avoir été privé de sa parcelle sans indemnisation, alors qu’il avait été de bonne foi lors de l’achat de celle-ci. En sa partie pertinente, cet article est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (…) »

EN DROIT

A. Thèses des parties

Le Gouvernement prie la Cour de rejeter la requête pour défaut manifeste de fondement. Dans sa lettre, parvenue à la Cour le 15 juillet 2020, le requérant maintient son grief, en renvoyant à ce qu’il avait dit dans sa requête, sans faire de commentaires concernant son action en indemnisation du préjudice.

B. Appréciation de la Cour

La Cour rappelle que, dans l’affaire Gross c. Suisse ([GC], no 67810/10, CEDH 2014), la Grande Chambre s’est prononcée ainsi :

« 28. La Cour rappelle qu’en vertu de cette disposition une requête peut être déclarée abusive notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés (Akdivar et autres c. Turquie [GC], 16 septembre 1996, §§ 53‑54, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 36, CEDH 2000‑X, Rehak c. République tchèque (déc.), no 67208/01, 18 mai 2004, Popov c. Moldova (no 1), no 74153/01, § 48, 18 janvier 2005, Kérétchachvili c. Géorgie (déc.), no 5667/02, 2 mai 2006, Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 63, 15 septembre 2009, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 97, CEDH 2012). Une information incomplète et donc trompeuse peut également s’analyser en un abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le cœur de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante pourquoi il n’a pas divulgué les informations pertinentes (Hüttner c. Allemagne (déc.), no 23130/04, 9 juin 2006, Predescu c. Roumanie, no 21447/03, §§ 25-26, 2 décembre 2008, et Kowal c. Pologne (déc.), no 2912/11, 18 septembre 2012). Il en va de même lorsque des développements nouveaux importants surviennent au cours de la procédure suivie à Strasbourg et que, en dépit de l’obligation expresse lui incombant en vertu de l’article 47 § 7 (ancien article 47 § 6) du règlement, le requérant n’en informe pas la Cour, l’empêchant ainsi de se prononcer sur l’affaire en pleine connaissance de cause (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, ibidem,et Miroļubovs et autres, ibidem).

En l’espèce, bien que le Gouvernement ne soulève pas d’objection tirée d’un abus du droit au recours individuel, la Cour trouve approprié de la soulever proprio motu, car il lui incombe de surveiller le respect des obligations procédurales imposées par la Convention et par son règlement à la partie requérante (Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 70, 15 septembre 2009, Zarubica et autres c. Serbie (déc.), no 35044/07 et 2 autres, § 30, 18 juin 2015). Elle estime que la requête est irrecevable pour abus de droit de recours individuel, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’en examiner le bien-fondé.

En effet, des changements importants se sont produits dans l’affaire du requérant depuis l’introduction de la requête par le requérant : celui-ci, qui avait intenté une action contre son vendeur, a obtenu le jugement ordonnant le remboursement intégral du prix de la vente de la parcelle. La Cour estime que ces faits sont au cœur de la présente affaire et sont susceptibles d’exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, le grief du requérant portant sur l’annulation sans indemnisation de son droit de propriété sur cette parcelle.

De l’avis de la Cour, l’intéressé ne pouvait pas ignorer son obligation de porter à la connaissance de la Cour tout développement important concernant son affaire, et notamment de verser au dossier les copies des nouvelles décisions rendues par les autorités nationales, ou, du moins, de commenter ces faits dans sa réponse aux observations du Gouvernement. Or le requérant ne l’a pas fait, et il n’a pas non plus indiqué l’existence d’un recours exercé contre le jugement du 18 juillet 2018 ou de difficultés relatives à l’exécution dudit jugement.

La Cour juge que, en omettant délibérément de porter ces informations cruciales à sa connaissance, le requérant entendait l’induire en erreur relativement à une question portant sur la substance même de son grief au regard de la Convention.

Dans ces circonstances, la Cour estime que le comportement du requérant s’analyse en un abus du droit de recours individuel et que la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 5novembre 2020.

Olga Chernishova                Georgios A. Serghides
Greffière adjointe                 Président

Dernière mise à jour le novembre 9, 2020 par loisdumonde

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