Comité européen des Droits sociaux
DÉCISION sur lA RECEVABILITE ET LE bien-fonde
Adoption : 3 juillet 2013
Notification : 19 juillet 2013
Publicité : 5 février 2014
Confédération générale du travail de Suède (LO) et Confédération générale des cadres, fonctionnaires et employés (TCO) c. Suède
Réclamation n° 85/2012
Le Comité européen des Droits sociaux, comité d’experts indépendants institué en vertu de l’article 25 de la Charte sociale européenne (« le Comité »), au cours de sa 265e session où siégeaient :
Luis JIMENA QUESADA, Président
Monika SCHLACHTER, Vice-Présidente
Petros STANGOS, Vice-Président
Lauri LEPPIK
Birgitta NYSTRÖM
Rüçhan IŞIK
Alexandru ATHANASIU
Jarna PETMAN
Elena MACHULSKAYA
Giuseppe PALMISANO
Karin LUKAS
Eliane CHEMLA
Jozsef HAJDU
Marcin WUJCZYK
Assisté de Régis BRILLAT, Secrétaire exécutif
Après avoir délibéré le 3 juillet 2013;
Sur la base du rapport présenté par M. Giuseppe PALMISANO,
Rend la décision suivante adoptée, dans sa version anglaise, à cette dernière date:
PROCEDURE
1. La réclamation présentée par la Confédération générale du travail de Suède (« LO ») et la Confédération générale des cadres, fonctionnaires et employés (« TCO ») a été enregistrée le 27 juin 2012.
2. Les organisations syndicales auteurs de la réclamation allèguent que les modifications législatives apportées en 2010 à la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et à la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger sont contraires :
– aux articles 4 et 6 de la Charte sociale européenne révisée (« la Charte »), pour ce qui concerne le devoir qu’ont les Etats de favoriser la conclusion de conventions collectives et de reconnaître le droit de mener des actions collectives ;
– à l’article 19§4, pour ce qui est de l’obligation faite aux Etats de garantir aux travailleurs étrangers un traitement non moins favorable qu’à leurs nationaux en ce qui concerne la rémunération, les conditions d’emploi et la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives.
S’agissant du devoir qu’ont les Etats de favoriser la négociation collective, les syndicats LO et TCO allèguent que les modifications apportées en 2009 à la loi n° 160 de 1992 relative aux filiales étrangères ainsi qu’à l’ordonnance n° 308 de 1992 relative aux filiales étrangères sont elles aussi contraires aux articles 4, 6 et 19§4 de la Charte.
3. En application de l’article 29§2 de son règlement, le Comité a demandé au Gouvernement suédois (« le Gouvernement ») de présenter par écrit, avant le 20 septembre 2012, un mémoire sur le bien-fondé de la réclamation dans l’hypothèse où celle-ci serait jugée recevable, en même temps que ses observations sur la recevabilité de la réclamation. A la demande du Gouvernement, le Président du Comité a accepté de proroger au 31 octobre le délai fixé pour le mémoire et les observations susmentionnés. Le mémoire et les observations du Gouvernement ont été enregistrés le 26 octobre 2012.
4. Les organisations réclamantes ont été invitées à soumettre une réplique en réponse au mémoire et aux observations du Gouvernement avant le 31 janvier 2013. La réplique a été enregistrée le 29 janvier 2013.
5. Par lettre datée du 20 février 2013, le Comité a invité les Etats parties au Protocole et les Etats ayant fait une déclaration en application de l’article D§2 de la Charte à lui adresser, avant le 9 mai 2013, les observations qu’ils auraient souhaité formuler dans l’hypothèse où la réclamation serait déclarée recevable.
6. Dans un courrier en date du 20 février 2013, le Comité a, conformément à l’article 7§2 du Protocole, invité les organisations internationales d’employeurs et de travailleurs visées au paragraphe 2 de l’article 27 de la Charte de 1961 à soumettre leurs observations avant le 9 mai 2013.
7. Les observations de l’Organisation internationale des employeurs et de BUSINESSEUROPE ont été enregistrées le 7 mai 2013. Celles de la Confédération européenne des Syndicats (CES) l’ont été le 8 mai 2013.
CONCLUSIONS DES PARTIES
A – Les organisations syndicales auteurs de la réclamation
8. Les réclamants allèguent que les modifications législatives qui, aux termes d’un texte de loi baptisé « Lex Laval » issu de la proposition n° 2009/10:48 du Gouvernement, ont été apportées en avril 2010 à la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et à la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») le 18 décembre 2007 dans l’affaire C-341/05 – Laval un Partneri Ltd. v. Svenska Byggnadsarbetareförbundet, Svenska Byggnadsarbetareförbundets avdelning 1, Byggettan et Svenska Elektrikerförbundet (« l’affaire Laval ») sont contraires aux articles 4, 6 et 19§4 de la Charte.
9. Les syndicats LO et TCO soulignent que les modifications législatives précitées :
– ne favorisent pas le recours aux conventions collectives, bien au contraire, ce qui constitue une violation de l’article 6§2 de la Charte ;
– restreignent considérablement le droit de mener des actions collectives, ce qui ne saurait être jugé conforme à l’article G et constitue de ce fait une violation de l’article 6§4 de la Charte ;
– cantonnent à des normes minimales et à quelques matières le contenu des conventions collectives que les syndicats suédois, peuvent, au moyen d’une éventuelle action collective, demander aux entreprises qui emploient des travailleurs détachés de signer. Les organisations syndicales auteurs de la réclamation affirment à cet égard que l’Etat suédois empêche dans les faits les travailleurs détachés d’être traités, pour ce qui est de la rémunération, d’autres conditions d’emploi et de la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives, sur le même pied que les nationaux ; elles estiment par conséquent que l’Etat suédois ne respecte pas les alinéas a et b du quatrième paragraphe de l’article 19 de la Charte.
10. Les réclamants allèguent également que les modifications apportées en décembre 2009 à la loi n° 160 de 1992 relative aux filiales étrangères et à l’ordonnance n° 308 de 1992 relative aux filiales étrangères, qui ont supprimé l’obligation faite aux entreprises situées dans l’Espace économique européen (« EEE ») d’avoir un représentant légal en Suède lorsqu’elles exercent des activités économiques dans ce pays, enfreignent les articles 4, 6 et 19§4 de la Charte en ce qu’elles sont contraires au devoir qu’a l’Etat de favoriser la conclusion de conventions collectives et de garantir aux travailleurs étrangers détachés un traitement non moins favorable qu’à leurs nationaux en ce qui concerne la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives. Ils font plus précisément valoir que les modifications susmentionnées, qui ont été adoptées dans le but de donner effet à la Directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur, hypothèquent la possibilité de conclure des conventions collectives car, pour ce qui concerne l’EEE, elles contraignent les syndicats suédois à nouer des contacts avec les employeurs à l’étranger.
B – Le Gouvernement défendeur
11. Le Gouvernement considère que les modifications apportées, d’une part, à la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et à la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger, et, d’autre part, à la loi n° 160 de 1992 relative aux filiales étrangères n’enfreignent pas les articles 4, 6 et 19§4 de la Charte.
12. Il attire en outre l’attention du Comité sur un certain nombre de nouvelles initiatives législatives portant sur les travailleurs détachés temporairement en Suède.
OBSeRVATIONS DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES PATRONALES ET SYNDICALES
A – Organisation internationale des employeurs et BUSINESSEUROPE (organisations patronales)
13. L’Organisation internationale des employeurs (« OIE ») et BUSINESSEUROPE (« BE ») considèrent qu’eu égard au champ d’application et à la teneur de la Charte, et au vu de la jurisprudence et des conclusions les plus récentes du Comité concernant la Suède, les modifications apportées à la législation suédoise dont il est fait état dans la réclamation sont conformes aux articles 4, 6 et 19§4 de la Charte.
14. A titre préliminaire, l’OIE et BE font remarquer à ce sujet qu’il ressort du premier paragraphe de l’Annexe à la Charte que « compte tenu du caractère temporaire des activités professionnelles exercées par les travailleurs détachés en Suède, ceux-ci ne sauraient être considérés comme ‘résidant légalement’ ou ‘travaillant régulièrement’ en Suède. Ces travailleurs ne sont, par voie de conséquence, pas couverts par les obligations auxquelles est tenue la Suède sous l’angle des articles 4 et 6 (…). »
15. Si les articles 4 et 6 de la Charte devaient être jugés applicables dans les conditions prévues à l’Annexe, les organisations patronales estiment, pour ce qui est de l’article 4, que
« la législation suédoise autorise les syndicats suédois à mener des actions collectives pour contraindre l’employeur étranger à appliquer une convention collective qui donne aux travailleurs détachés le droit au salaire minimum fixé dans le secteur concerné. Les salaires minima inscrits dans les conventions collectives conclues par les partenaires sociaux sont bien évidemment d’un montant suffisant pour assurer au travailleur un niveau de vie décent et ne s’écartent pas du seuil établi en la
matière par l’OCDE ou le Conseil de l’Europe. »
16. De l’avis de l’OIE et de BE,
« les travailleurs détachés bénéficient de conditions d’emploi équitables et acceptables. » Ils relèvent de surcroît que « (…) sur la base des dernières conclusions formulées par le Comité européen des droits sociaux dans le cadre de la procédure d’établissement des rapports (2010), ledit Comité a jugé la situation de la Suède conforme à l’article 4§1. »
17. Concernant la violation alléguée des paragraphes 2 et 4 de l’article 6, les organisations patronales mettent en avant ce qui suit.
« Les travailleurs détachés demeurent libres d’engager des négociations en vue de conclure des conventions collectives ; celles-ci peuvent être établies sur une base volontaire et certaines sont effectivement passées avec des entreprises étrangères qui détachent des travailleurs en Suède ; les conditions qui figurent dans les conventions collectives signées sur une base volontaire peuvent être plus favorables que le ‘noyau dur’ des dispositions prévues par la directive relative au détachement de travailleurs (article 3 (1) (a-g)) ; une entreprise qui détache des travailleurs en Suède doit appliquer les conditions inscrites dans le noyau dur des dispositions du droit suédois ; les syndicats peuvent mener des actions de revendication pour contraindre l’employeur étranger à signer une convention collective qui fixe des conditions correspondant aux conditions de travail minimales figurant dans la convention collective nationale applicable au secteur concerné; une action de revendication ne peut être engagée que dans la mesure où l’employeur étranger applique déjà des conditions non moins favorables que les conditions de travail minimales prévues par la convention collective nationale applicable au secteur concerné. »
18. L’OIE et BE considèrent par ailleurs que
« l’article G de la Charte autorise les Etats à prescrire par la loi des restrictions ou des limitations dès lors que celles-ci s’avèrent nécessaires dans une société démocratique pour garantir le respect des droits et libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs » et qu’ « en l’espèce, il faut prendre en compte la première restriction admissible du droit de grève prévue par l’article 6§4 de la CSE ».
19. Les organisations patronales observent en particulier que
« si les modifications apportées à la législation suédoise à la suite de l’affaire Laval sont jugées contraires aux articles 4, 6 et 19§4, (…) les éventuelles restrictions ou limitations desdits articles sont autorisées en vertu de (…) l’article G (…), aux termes duquel toute restriction, prévue par la loi, du droit de mener des actions collectives est nécessaire afin de garantir le respect des droits et libertés d’autrui. »
20. L’OIE et BE estiment que les modifications qui ont apportées à la loi relative aux filiales étrangères étaient nécessaires pour que la Suède se conforme à la directive de l’UE sur les services et au principe de la libre circulation des services. Elles considèrent plus précisément que
« les modifications législatives ne doivent pas être perçues comme un obstacle à l’établissement de conventions collectives et n’enfreignent pas les obligations qu’a la Suède d’encourager la conclusion de tels accords et/ou le droit de négociation collective. Par contre, l’obligation d’avoir un représentant légal résidant en Suède serait contraire à la législation de l’Union européenne. »
21. Les organisations patronales indiquent qu’une récente proposition de loi émanant du Gouvernement envisage de contraindre les entreprises qui détachent des travailleurs en Suède à désigner une personne de contact dans ce pays, personne qui serait habilitée à recevoir des notifications au nom de l’employeur et à signaler le détachement de travailleurs. Pour l’OIE et BE, « la législation proposée placera les syndicats en meilleure position, car leurs possibilités de contrôler et de surveiller les conditions d’emploi des travailleurs détachés n’en seront que plus grandes. »
22. Les organisations patronales considèrent que l’article 19§4 n’est pas applicable en l’espèce, étant donné que « la catégorie des travailleurs détachés n’entre pas dans le champ d’application personnel de [cette disposition]. » Elles font ici valoir que
« pour la Commission européenne, un travailleur détaché désigne une personne qui est employée dans un Etat membre de l’UE mais qui est envoyée par son employeur, pour une durée limitée, dans un autre Etat membre afin d’y exercer son activité professionnelle. Un prestataire de services peut ainsi obtenir un contrat dans un autre pays et y envoyer ses salariés pour exécuter ledit contrat. Cette prestation de services transnationale qui consiste à envoyer des salariés travailler dans un Etat membre autre que celui où ils travaillent d’ordinaire a donné naissance à une catégorie distincte, celle des ‘travailleurs détachés’. Cette catégorie ne comprend pas les travailleurs migrants qui partent chercher du travail un autre Etat membre et qui sont employés dans ce pays. »
23. Aux yeux de l’OIE et de BE, « le fait que les travailleurs détachés n’appartiennent pas à la catégorie des travailleurs migrants se trouve également confirmé par l’article 11 de la Convention n° 143 de 1975 de l’OIT sur les travailleurs migrants ». Ils font aussi remarquer que « la Partie II de la Charte ne protège en rien les ressortissants de Parties non contractantes. Par conséquent, les personnes qui ne sont ressortissantes d’aucun des Etats parties à la Charte ne sont pas couvertes par les articles 4, 6 et 19§4. »
B – La Confédération européenne des Syndicats
24. La Confédération européenne des Syndicats (« CES ») considère que la législation suédoise adoptée à la suite de l’affaire Laval « restreint le droit de négociation collective et le droit de grève, en violation des articles 6 (…) et 19§4 (…) de la Charte (…). »
25. S’agissant du droit international pertinent, la CES se réfère à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’arrêt rendu le 12 novembre 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Demir et Baykara c. Turquie (requête n° 34503/97). Pour la CES, cet arrêt a « renversé la jurisprudence antérieure de la Cour en reconnaissant pour la première fois que le droit de négociation collective se trouvait inscrit dans la protection de la liberté d’association garantie par l’article 11 de la CEDH (…). » La CES renvoie également aux traités élaborés en la matière par l’Organisation internationale du Travail (OIT), à savoir la Convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, et la Convention n° 98 concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective. Elle cite à cet égard les observations pertinentes de la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations – Etude d’ensemble adoptée à sa 101e session (2012) et intitulée « Donner un visage humain à la mondialisation », rapport adopté à sa 102e session (2013) faisant plus spécialement référence à la Suède et à l’affaire Laval, et rapport adoptée à sa 99e session (2010) concernant le Royaume-Uni et l’affaire BALPA.
26. A propos du cadre d’interprétation, la CES rappelle que, dans la réclamation n° 14/2003 Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) c. France (décision sur le bien-fondé du 8 septembre 2004, par. 26), « le Comité [a précisé] que, lorsqu’il [était] conduit à interpréter la Charte, il le [faisait] selon les techniques d’interprétation consacrées par [l’article 31§1 de] la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. » La CES considère qu’il ressort de cette déclaration que la Charte doit être interprétée en accord avec son contexte, son objectif et son but, avec d’autres règles du droit international, et avec les principes propres à la Charte.
27. Elle estime par conséquent qu’il convient d’interpréter la Charte a) de manière à donner vie et sens aux droits sociaux fondamentaux, qui sont des droits de l’homme, et, dans une approche téléologique, à réaliser le but et atteindre l’objectif du traité, qui n’est pas de restreindre autant que faire se peut les obligations souscrites par les Parties, et b) conformément aux normes internationales et à la jurisprudence établie par les instances compétentes, qui prévoit un niveau minimum de protection. Cela étant, la CES considère également que rien ne doit empêcher le Comité, et qu’au demeurant rien ne l’empêche, de dépasser ce niveau minimum en tenant compte des critères propres à la Charte et sachant que les normes européennes doivent en principe offrir un niveau de protection supérieur à celui qui figure dans les normes internationales. La CES a en outre le sentiment que les principes de progrès social et de non-régression devraient s’appliquer.
28. S’agissant de la place de la Charte par rapport à la législation de l’Union européenne, la CES rappelle que, dans le cadre de la réclamation n° 55/2009 Confédération générale du Travail (CGT) c. France (décision sur le bien-fondé du 23 juin 2010), « le Comité a souligné l’autonomie de la Charte par rapport aux obligations issues du droit communautaire sous différents aspects et a rejeté l’idée d’une présomption – fût-ce réfragable – de conformité avec la Charte », ajoutant que « chaque fois qu’il [serait] confronté à [une] situation où les Etats tiennent compte de ou sont [liés] par des textes de droit de l’Union européenne, [il] examinera[it] au cas par cas la mise en œuvre par les Etats parties des droits garantis par la Charte dans le droit interne ».
29. Concernant la place du droit communautaire par rapport à la Charte, la CES renvoie à un certain nombre de dispositions normatives de l’UE (considérant 5, article 6(1)(1) et (3) du Traité sur l’Union européenne ; article 151(1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; préambule, articles 28 et 53 de la Charte des droits fondamentaux) qui, selon elle, « doivent être interprétées (…) de manière pleinement conforme à la Charte et ne devraient donc pas autoriser (que l’on s’en tienne à) l’approche ‘Laval’ ». Prenant appui sur l’article 351(1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, elle fait remarquer que « si, pour quelque raison que ce soit, des conflits formels devaient persister (…), les traités que des Etats ont conclus ou auxquels ils ont adhéré avant leur entrée dans l’UE restent valables. » Aussi la CES estime-t-elle qu’ « il n’y a aucune raison pour que le Gouvernement suédois invoque la législation de l’Union européenne (primaire ou secondaire) et tente ainsi de justifier des restrictions aux droits énoncés dans la Charte ».
30. S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée de l’article 6§2, la CES cite les points de la réclamation qui y sont consacrés (82, 71, 70, 69, 73 et 79) et recommande au Comité de conclure au non-respect de la Charte pour les motifs suivants : diminution du nombre de conventions collectives sur la période comprise entre 2007 et 2010, limitation du pouvoir conféré aux syndicats de conclure de telles conventions par le biais d’actions collectives, baisse du niveau de protection que peuvent offrir les conventions collectives, restrictions apportées à l’éventail des questions pouvant être couvertes par les conventions collectives (ratione materiae), application des restrictions aux conventions collectives visant des travailleurs détachés originaires de pays tiers (ratione personae), absence d’obligation pour un employeur étranger de l’EEE d’avoir un représentant légal en Suède.
31. Sur la violation alléguée de l’article 6§4, la CES recommande au Comité de conclure au non-respect de la Charte au motif qu’un certain nombre de restrictions du droit de négociation collective exposées dans le point qui précède « ont pour conséquence directe qu’une action engagée par un syndicat sous la forme d’une réclamation collective dans le but d’obtenir l’une ou l’autre amélioration concernant des questions sur lesquelles il n’est pas autorisé à intervenir sera jugée illégale. Si ces restrictions ne sont déjà pas conformes à l’article 6§2 de la Charte, elles ne sauraient être admises sous l’angle de son article 6§4. »
32. La CES estime en outre qu’il y a aussi violation de l’article 6§4 à un autre titre :
« Du fait des (très lourdes menaces de) sanctions, les syndicats sont dans le plus grand flou. Avant de lancer un appel à la grève, il leur faut systématiquement tenter de déterminer la légalité des actions de revendication qu’ils envisagent en tenant compte de ce que leur responsabilité civile risque d’être ou sera strictement engagée. Aussi les syndicats se montrent-ils plus prudents en Suède lorsqu’il s’agit d’exiger la conclusion de conventions collectives, et plus encore lorsqu’ils songent à lancer un mot d’ordre de grève dans le but d’obtenir de telles conventions. Le droit de grève se trouve ainsi limité dans les faits : les (nouvelles) dispositions légales ne posent pas problème en tant que telles, mais ont de très graves conséquences pratiques. »
33. Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 19§4, la CES, après avoir souligné que les travailleurs détachés « entr[aient] clairement dans le champ d’application [de cette disposition] », indique ce qui suit.
« La législation suédoise en vigueur cantonne à des normes minimales et à quelques matières le contenu des conventions collectives que les syndicats peuvent, au moyen d’une éventuelle action collective, demander aux entreprises qui emploient des travailleurs détachés de signer. La Suède empêche ainsi bel et bien les travailleurs détachés d’être traités, pour ce qui est de la rémunération, d’autres conditions d’emploi et de la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives, sur le même pied que les citoyens suédois. La Suède ne respecte donc pas les alinéas a et b du quatrième paragraphe de l’article 19 de la Charte. »
DROIT PERTINENT
DROIT INTERNE
Règles générales
34. Le chapitre 2 de la loi fondamentale suédoise sur les « Instruments de gouvernement » énonce les libertés et droits fondamentaux des citoyens. En vertu de son article 14, les associations de travailleurs, les employeurs et les associations d’employeurs ont le droit de mener des actions collectives, sauf dispositions contraires prévues par un texte de loi ou une convention.
Règles particulières
35. La législation applicable dans le cadre de la présente réclamation est la suivante.
– Loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger, telle que modifiée par les amendements SFS 2012:857, SFS 2013:351 et textes antérieurs
Article 5
« Quel que soit le texte législatif qui s’appliquerait à la relation d’emploi en l’absence de la présente loi, l’employeur est tenu d’appliquer aux travailleurs détachés de nationalité étrangère les dispositions ci-après :
– articles 2, 2 a, 5, 7, 16-16 b, 17-17 b, 24, 28-29 a, 31 et 32 de la loi n° 480 de 1977 sur les congés annuels;
– articles 2, 4§1et 16 à 22 de la loi n° 584 de 1995 sur le congé parental;
– articles 2 à 7 de la loi n° 293 de 2002 relative à l’interdiction de toute discrimination à l’égard des travailleurs à temps partiel et des travailleurs sous contrat à durée déterminée ;
– chapitre 1er – articles 4 et 5, chapitre 2 – articles 1 à 4 et 18, et chapitre 5 – articles 1 et 3 de la loi n° 567 de 2008 relative à la discrimination.
Dans le cadre du détachement à l’étranger, sont également applicables :
– la loi n° 1160 de 1977 sur le milieu de travail ;
– la loi n° 673 de 1982 relative à la durée du travail (à l’exception de son article 12) ;
– La loi n° 395 de 2005 relative à la durée du travail pour certaines activités de transport routier (à l’exception de son article 16);
– la loi n° 426 de 2005 relative à la durée du travail, …, des personnels mobiles opérant dans l’aviation civile, à l’exception de la restriction visée à l’article 1§2 prévoyant l’inapplicabilité de l’article 12 de la loi relative à la durée du travail ;
– la loi n° 475 de 2008 relative aux temps de conduite et de repos dans les transports ferroviaires internationaux, à l’exception de la restriction visée à l’article 1§3 prévoyant l’inapplicabilité de l’article 12 de la loi relative à la durée du travail.
En cas de détachement de travailleurs intérimaires, les articles 2, 9, 10, 13 et 15 de la loi n° 854 de 2012 sur le travail intérimaire leur sont également applicables.
Les trois premiers paragraphes n’interdisent pas à l’employeur d’appliquer aux salariés des conditions d’emploi et de travail plus favorables » (SFS 2012 :857).
Article 5 a
« Sauf dans le cas envisagé à l’article 5 b, pour qu’une action de revendication puisse être engagée à l’encontre d’un employeur aux fins de réglementer par une convention collective les conditions d’emploi applicables aux travailleurs détachés, il faut que les conditions réclamées :
1. correspondent à celles qui figurent dans une convention collective conclue à un niveau central et applicable d’une manière générale, sur tout le territoire, aux travailleurs exerçant des activités équivalentes dans le secteur en question ;
2. portent uniquement sur un taux de rémunération minimum ou autres conditions minimales d’emploi dans les domaines visés à l’article 5; et
3. soient plus favorables pour les travailleurs que celles prescrites par l’article 5.
De telles actions de revendication ne peuvent être engagées si l’employeur peut démontrer qu’en matière de rémunération ou dans les autres domaines visés à l’article 5, les travailleurs bénéficient de conditions qui, sur tous les points essentiels, ne sont pas moins favorables que les conditions minimales figurant dans la convention collective centrale visée au paragraphe 1er » (SFS 2012 :857).
Article 5 b
« Pour qu’une action de revendication puisse être engagée à l’encontre d’un employeur aux fins de réglementer par une convention collective les conditions d’emploi applicables aux travailleurs détachés intérimaires, il faut que les conditions réclamées :
1. correspondent à celles qui figurent dans une convention collective conclue à un niveau central et applicable d’une manière générale, sur tout le territoire, aux travailleurs exerçant des activités équivalentes dans le secteur où opèrent ces intérimaires, dans le respect de la protection globale des travailleurs intérimaires offerte par la directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire;
2. portent uniquement sur la rémunération ou autres conditions d’emploi dans le domaine visé à l’article 5; et
3. soient plus favorables pour les travailleurs que celles prescrites par l’article 5.
De telles actions de revendication ne peuvent être engagées que si l’employeur peut démontrer qu’en matière de rémunération ou dans les autres domaines visés à l’article 5, les travailleurs bénéficient de conditions qui, sur tous les points essentiels, ne sont pas moins favorables
1. que les conditions prévues par une convention collective du type de celles visées au paragraphe 1er, ou
2. que la convention collective applicable dans l’entreprise utilisatrice » (SFS 2012:857).
(…)
Obligation de signalement et personne de contact (SFS 2013:351)
Article 10
« L’employeur est tenu de signaler à l’Administration suédoise chargée des conditions de travail tout détachement de travailleurs à l’étranger, et ce au plus tard à la date du début d’activité en Suède du travailleur détaché (…) » (SFS 2013:351).
Article 11
« L’employeur est tenu de désigner une personne de contact en Suède et d’en aviser l’Administration suédoise chargée des conditions de travail . Ces informations doivent être communiquées au plus tard à la date du début d’activité en Suède du travailleur détaché.
La personne de contact est habilitée à recevoir des notifications au nom de l’employeur (…).
Elle peut également fournir des documents établissant que l’employeur satisfait aux prescriptions de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger.
Le premier paragraphe n’est pas applicable dès lors que l’activité exercée en Suède n’est pas censée être d’une durée supérieure à cinq jours. Si elle se prolonge au-delà de cinq jours, l’employeur est tenu de satisfaire aux prescriptions du premier paragraphe à compter du sixième jour du détachement » (SFS 2013:351).
Loi n° 580 de 1976 sur l’emploi et la codétermination dans les entreprises, telle que modifiée par l’amendement SFS 2012:855 et textes antérieurs
Article 41
« Un employeur et un salarié liés par une convention collective ne peuvent initier un arrêt de travail (lockout ou grève), un blocus, un boycott ou autre action de revendication comparable, ni y participer, dès lors qu’une organisation partie à cette convention n’a pas dûment approuvé cette action, dès lors que ladite action enfreint une disposition relative à une obligation de paix sociale inscrite dans une convention collective, ou encore lorsque l’action en question vise :
1. à faire pression dans un conflit ayant pour objet la validité d’une convention collective, son existence ou la justesse de son interprétation, ou dans un conflit portant sur la question de savoir si une action déterminée est contraire à la convention ou à la présente loi ;
2. à faire aboutir un amendement à la convention collective ;
3. à mettre en place une disposition qui devrait prendre effet lorsque la convention sera échue ; ou
4. à aider toute autre personne qui n’y serait pas autorisée à mener une action de revendication. Les actions de revendication engagées en violation du premier paragraphe sont illégales.
Le premier paragraphe n’interdit pas aux travailleurs de prendre part à un blocus dûment décrété par une organisation de travailleurs dans le but d’exiger le versement de salaires ou de toute autre rémunération clairement due pour des tâches qui ont été effectuées (blocus à des fins de recouvrement). Les actions de revendication de cette nature ne sont pas illégales. (SFS 1993:1498)
Article 41 a
« L’employeur ne peut procéder, à titre d’action de revendication ou dans le cadre d’une telle action, à la retenue de salaires ou autres rémunérations échus et exigibles pour des tâches qui ont été effectuées. De même, il ne peut décider, en réaction à la participation d’un travailleur à une grève ou autre action de revendication, de retenir les salaires ou autres rémunérations échus et exigibles pour des tâches qui ont été effectuées. Les actions de revendication visées au premier paragraphe sont illégales. » (SFS 1993:1498)
Article 41 b
« Les travailleurs ne peuvent mener, ni participer à, une action de revendication qui viserait à conclure une convention collective avec une entreprise qui n’emploie aucun salarié ou qui n’a pour salariés et seuls propriétaires que son exploitant ou les membres de la famille de ce dernier. Il en va de même lorsque l’action de revendication a pour objet d’apporter son soutien à un individu qui cherche à conclure une convention collective avec une entreprise de ce type. Les présentes dispositions n’interdisent pas aux travailleurs de participer à un blocus dirigé contre une telle entreprise et dûment décrété par une organisation de travailleurs.
Les actions de revendication engagées en violation du premier paragraphe sont réputées illégales. L’examen de la légalité d’une action de revendication au regard du premier paragraphe ne tiendra pas compte d’une éventuelle modification qui aurait été apportée aux postes d’emploi ou à l’actionnariat de l’entreprise après la notification ou le déclenchement d’une telle action. » (SFS 2000:166)
Article 41 c
Toute action de revendication menée en violation de l’article 5 a ou de l’article 5 b de la loi sur le détachement de travailleurs à étranger est illégale. (SFS 2012:855)
Toute action de revendication menée en violation de l’article 5 a de la loi sur le détachement des travailleurs est illégale.
Article 42
« Il est interdit à une association d’employeurs ou à une association de travailleurs d’organiser une action de revendication illégale ou d’inciter de quelque façon à entreprendre une telle action. Lesdites associations ne peuvent davantage prendre part, avec l’aide d’autrui ou de quelque autre manière, à une action de revendication illégale.
Toute association liée par une convention collective doit, lorsqu’il s’avère qu’une action de revendication est sur le point d’être ou a été déclenchée par l’un de ses membres, tenter de l’empêcher ou s’efforcer d’y mettre un terme.
Nul ne peut s’associer à une action de revendication qui serait illégale. » (SFS 2010:229)
Article 42 a
« Les dispositions du paragraphe premier de l’article 42 ne sont pas applicables lorsqu’une association recourt à une action de revendication consécutive à des conditions de travail auxquelles la présente loi ne s’applique pas directement.
Nonobstant ce qui précède, les dispositions du paragraphe premier de l’article 42 s’appliquent lorsque l’action de revendication vise un employeur qui détache des membres de son personnel en Suède au sens indiqué dans la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger. » (SFS 2010:229)
Article 54
« Sauf disposition contraire ci-après, tout employeur, tout travailleur ou toute association qui agirait en violation de la présente loi ou d’une convention collective devra procéder à l’indemnisation du préjudice subi. »
Article 55
« Pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’ampleur d’un éventuel préjudice, il sera également tenu compte de l’intérêt de la victime conformément aux dispositions de la loi ou aux clauses de la convention collective, ainsi que de facteurs autres que ceux revêtant une importance purement matérielle. »
– Loi n° 160 de 1992 relative aux filiales étrangères
Article 2
« Une entreprise étrangère doit, pour exercer ses activités économiques en Suède, passer par l’entremise :
1. d’un bureau ou d’une filiale doté d’une direction indépendante,
2. d’une succursale suédoise, ou
3. d’une agence présente en Suède.
Ce premier paragraphe n’est pas applicable lorsque l’activité économique est assujettie aux dispositions relatives à la libre circulation des biens et des services figurant dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou aux dispositions correspondantes de l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE).
L’exercice d’activités économiques en Suède par des ressortissants suédois ou étrangers résidant hors de l’EEE nécessite la présence d’un représentant qui est tenu de résider en Suède et est responsable de ces activités. » (2011:722)
Version modifiée le 24 novembre 2009 par la loi SFS 2009:1083, entrée en vigueur au 27 décembre 2009
Article 2 a
« Le Gouvernement peut autoriser certains types d’entreprises à déroger aux conditions prévues par les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 concernant la filiale ou le représentant de l’entreprise, si ces derniers ne sont pas nécessaires à la réalisation de l’objectif poursuivi par la présente loi.
Le Gouvernement ou une instance désignée par lui peut, s’il existe des raisons particulières à cet effet, décider au cas par cas d’exempter l’entreprise concernée de l’obligation d’avoir une filiale ou un représentant. » (2011:722)
Le texte de cette loi peut être consulté, en suédois, à l’adresse suivante :
http://www.notisum.se/rnp/sls/lag/19920160.htm
(Parlement suédois)
– Ordonnance n° 308 de 1992 relative aux filiales étrangères
Le deuxième paragraphe de l’article 3 de cette ordonnance était, jusqu’en juin 2011, libellé comme suit.
« Toute société étrangère établie, au sens de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dans un Etat autre que la Suède au sein de l’Espace économique européen (EEE) et qui constitue un prestataire de services au sens de cette même directive n’est pas soumise à l’obligation d’avoir une filiale en Suède si elle n’exerce que temporairement ses activités économiques dans ce pays. »
Institué en décembre 2009 par l’ordonnance 2009:1097, ce paragraphe a cependant été supprimé par l’ordonnance 2011:724.
Cette dernière ordonnance portant modification du texte de 2009 peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.notisum.se/rnp/sls/sfs/20110724.pdf
L’article 3 de l’ordonnance relative aux filiales étrangères est donc actuellement libellé comme suit.
« Toute activité menée dans le secteur de la construction pour une durée n’excédant pas un an par une entreprise étrangère établie hors de l’Espace économique européen (EEE) ou par un ressortissant étranger résidant hors de l’EEE n’est pas soumis à l’obligation d’avoir une filiale ou un représentant en Suède.1 »
La note 1 de la disposition ci-dessus est rédigée comme suit : « Disposition reprenant la formulation de la dernière version en date, à savoir celle de l’ordonnance 2009:1097. La modification signifie notamment que le deuxième paragraphe est supprimé. »
Le texte de cette ordonnance peut lui aussi être consulté, en suédois, à l’adresse suivante :
http://www.notisum.se/rnp/sls/lag/19920308.HTM
(Parlement suédois)
– Loi n° 854 de 2012 sur le travail intérimaire
Article 1er
« La présente loi concerne les personnes employées par une agence de travail intérimaire et devant être affectées à une entreprise utilisatrice pour y travailler sous son contrôle et sa direction. »
Article 2
« Tout accord ou convention sera considéré comme nul et non avenu dès lors qu’il aurait pour effet de supprimer ou de limiter les droits reconnus aux travailleurs aux termes de la présente loi, sauf disposition contraire résultant de l’article 3. »
Article 3
« Il peut être dérogé aux dispositions de l’article 6 par une convention collective conclue ou approuvée par une organisation syndicale nationale, pourvu que cette convention respecte la protection générale des travailleurs intérimaires prévue par la directive 2008/104/CE du 19 novembre 2008 relative au travail intérimaire. »
(…)
Article 6
« L’agence de travail intérimaire doit au minimum garantir aux travailleurs, pour toute la durée de leur mission auprès de l’entreprise utilisatrice, les conditions d’emploi et de travail de base qui leur seraient applicables s’ils avaient été recrutés directement par cette entreprise pour y effectuer les mêmes tâches. »
(…)
Article 9
« L’agence de travail intérimaire ne peut, par un accord, une convention ou toute autre moyen, interdire aux travailleurs de conclure un contrat d’emploi avec d’une entreprise utilisatrice auprès de laquelle ils ont été missionnés. »
Article 10
« L’agence de travail intérimaire ne peut demander aux travailleurs, convenir avec eux, ni leur facturer aucune commission en échange d’une intervention visant à leur permettre d’être recrutés par l’entreprise utilisatrice ou de signer un contrat d’emploi avec l’entreprise auprès de laquelle ils sont ou ont été missionnés. »
(…)
Article 13
« En cas de non-respect des articles 6, 9 ou 10, l’agence de travail intérimaire sera tenue d’indemniser le travailleur intérimaire du préjudice qu’il aurait pu subir, en tenant compte également de facteurs autres que ceux revêtant une importance purement matérielle. »
(…)
Article 15
« L’indemnisation pourra être minorée, voire totalement annulée, si la situation le justifie. »
LEGISLATION DE L’UNION EUROPEENNE
36. Les dispositions de la législation de l’Union européenne pertinentes en l’espèce sont les suivantes.
– Traité sur l’Union européenne
TITRE I – Dispositions communes
Article 6 (ex-article 6 TUE)
(…)
« 3. Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. »
– Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Deuxième partie – Non-discrimination et citoyenneté de l’Union
Article 18 (ex-article 12 TCE)
« Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent prendre toute réglementation en vue de l’interdiction de ces discriminations.»
Troisième partie – Les politiques et actions internes de l’Union
(…)
TITRE IV – La libre circulation des personnes, des services et des capitaux
Chapitre 1 – Les travailleurs
Article 45 (ex-article 39 TCE)
1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union.
2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.
(…)
Chapitre 2 – Le droit d’établissement
(…)
Article 52 (ex-article 46 TCE)
« 1. Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l’applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique.
2. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent des directives pour la coordination des dispositions précitées.»
(…)
Chapitre 3 – Les services
(…)
Article 56 (ex-article 49 TCE)
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union.»
Article 57 (ex-article 50 TCE)
« Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.
Les services comprennent notamment:
a) des activités de caractère industriel,
b) des activités de caractère commercial,
c) des activités artisanales,
d) les activités des professions libérales.
Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d’établissement, le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l’État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants.»
(…)
Article 62 (ex-article 55 TCE)
« Les dispositions des articles 51 à 54 inclus sont applicables à la matière régie par le présent chapitre.»
(…).
TITRE X – Politique sociale
Article 151 (ex-article 136 TCE)
« L’Union et les États membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions.
À cette fin, l’Union et les États membres mettent en œuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union.
Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par les traités et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives.»
Article 152
« L’Union reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux. Elle facilite le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie.»
(…)
Article 153 (ex-article 137 TCE)
« 1. En vue de réaliser les objectifs visés à l’article 151, l’Union soutient et complète l’action des États membres dans les domaines suivants :
a) l’amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs;
b) les conditions de travail;
c) la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs;
d) la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail;
e) l’information et la consultation des travailleurs;
f) la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, sous réserve du paragraphe 5;
g) les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l’Union;
h) l’intégration des personnes exclues du marché du travail, sans préjudice de l’article 166;
i) l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail;
j) la lutte contre l’exclusion sociale;
k) la modernisation des systèmes de protection sociale, sans préjudice du point c).
(…)
5. Les dispositions du présent article ne s’appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out.»
– Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Article 28 – Droit de négociation et d’actions collectives
« Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève.»
Explication ad article 28 — Droit de négociation et d’actions collectives
« Cet article se fonde sur l’article 6 de la Charte sociale européenne, ainsi que sur la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (points 12 à 14). Le droit à l’action collective a été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme comme l’un des éléments du droit syndical posé par l’article 11 de la CEDH. En ce qui concerne les niveaux appropriés auxquels peut avoir lieu la négociation collective, voir les explications données pour l’article précédent. Les modalités et limites de l’exercice des actions collectives, parmi lesquelles la grève, relèvent des législations et des pratiques nationales, y compris la question de savoir si elles peuvent être menées de façon parallèle dans plusieurs États membres.»
(cf. Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux).
Article 51 – Champ d’application
« 1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.
2. La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités.»
Article 52 – Portée et interprétation des droits et des principes
« 1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.
3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.»
Article 53 – Niveau de protection
« Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres.»
– Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services
Préambule – Considérants 6, 13, 17 et 22
« considérant que la transnationalisation de la relation de travail soulève des problèmes quant au droit applicable à cette relation de travail et qu’il convient, dans l’intérêt des parties, de prévoir les conditions de travail et d’emploi applicables à la relation de travail envisagée ;
considérant que les législations des États membres doivent être coordonnées de manière à prévoir un noyau de règles impératives de protection minimale que doivent observer, dans le pays d’accueil, les employeurs qui détachent des travailleurs en vue d’effectuer un travail à titre temporaire sur le territoire de l’État membre de la prestation; qu’une telle coordination ne peut être assurée que par le droit communautaire ;
considérant que les règles impératives de protection minimale en vigueur dans le pays d’accueil ne doivent pas empêcher l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables aux travailleurs ;
considérant que la présente directive est sans préjudice du droit des États membres en matière d’action collective pour la défense des intérêts professionnels. »
Article premier
« La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre.
…
3. La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :
a) …
ou
b) détacher un travailleur sur le territoire d’un État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement ;
c) détacher, en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.
…»
« Article 3 – Conditions de travail et d’emploi
1. Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées:
– par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives
et/ou
– par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe:
a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos;
b) la durée minimale des congés annuels payés;
c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels;
d) les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire;
e) la sécurité, la santé et l’hygiène au travail;
f) les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes;
g) l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.
Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal visée au second tiret point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché.
…
7. Les paragraphes 1 à 6 ne font pas obstacle à l’application de conditions d’emploi et de travail plus favorables pour les travailleurs.
8. Les allocations propres au détachement sont considérées comme faisant partie du salaire minimal, dans la mesure où elles ne sont pas versées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture.
9. Les États membres peuvent prévoir que les entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs au sens de l’article 1er paragraphe 3 point c) le bénéfice des conditions qui sont applicables aux travailleurs intérimaires dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté.
10. La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres, dans le respect du Traité, imposent aux entreprises nationales et aux entreprises d’autres États, d’une façon égale:
– des conditions de travail et d’emploi concernant des matières autres que celles visées au paragraphe 1 premier alinéa, dans la mesure où il s’agit de dispositions d’ordre public;
– des conditions de travail et d’emploi fixées dans des conventions collectives ou sentences arbitrales au sens du paragraphe 8 et concernant des activités autres que celles visées à l’Annexe.»
– Directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative au travail intérimaire
Préambule – Considérant 19
« La présente directive n’affecte pas l’autonomie des partenaires sociaux ni les relations entre les partenaires sociaux, y compris le droit de négocier et de conclure des conventions collectives conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, tout en respectant la législation communautaire en vigueur. »
Article 5 – Principe d’égalité de traitement
« 1. Pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, les conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires sont au moins celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par ladite entreprise pour y occuper le même poste. »
(…)
« 3. Les États membres peuvent, après avoir consulté les partenaires sociaux, leur offrir la possibilité de maintenir ou de conclure, au niveau approprié et sous réserve des conditions fixées par les États membres, des conventions collectives qui, tout en garantissant la protection globale des travailleurs intérimaires, peuvent mettre en place, pour les conditions de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires, des dispositions qui peuvent différer de celles qui sont visées au paragraphe 1.
4. Pour autant qu’un niveau de protection suffisant soit assuré aux travailleurs intérimaires, les États membres dans lesquels il n’existe pas de système juridique conférant aux conventions collectives un caractère universellement applicable ou dans lesquels il n’existe pas de système juridique ou de pratique permettant d’étendre les dispositions de ces conventions à toutes les entreprises similaires d’une zone géographique ou d’un secteur donné, peuvent, après consultation des partenaires sociaux au niveau national et sur la base d’un accord conclu avec eux, mettre en place, en ce qui concerne les conditions essentielles de travail et d’emploi, des dispositions qui dérogent au principe énoncé au paragraphe 1. Ces dispositions peuvent notamment prévoir un délai d’accès au principe de l’égalité de traitement. »
Article 9 – Exigences minimales
« 1. La présente directive est sans préjudice du droit des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de favoriser ou de permettre des conventions collectives ou des accords conclus entre les partenaires sociaux plus favorables aux travailleurs. »
– Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur
Préambule – Considérant 65
« La liberté d’établissement implique notamment le principe de l’égalité de traitement qui interdit non seulement toute discrimination fondée sur la nationalité mais également toute discrimination indirecte fondée sur d’autres critères qui sont susceptibles d’aboutir en fait à ce même résultat. Ainsi, l’accès à une activité de services ou son exercice dans un État membre, tant à titre principal que secondaire, ne devrait pas être subordonné à des critères tels que le lieu d’établissement, de résidence, de domicile ou de prestation principale d’une activité. Toutefois, ces critères ne devraient pas comprendre les exigences selon lesquelles le prestataire, un de ses salariés ou un représentant doit être présent pendant l’exercice de l’activité lorsque des raisons impérieuses d’intérêt général le justifient. En outre, un État membre ne devrait pas entraver la capacité juridique et la capacité des sociétés, constituées conformément à la législation d’un autre État membre sur le territoire duquel elles ont leur établissement primaire, d’ester en justice. Ou encore, un État membre ne devrait pas pouvoir prévoir une forme d’avantage pour les prestataires présentant un lien particulier avec un contexte socio-économique national ou local, ou bien limiter en fonction du lieu d’établissement du prestataire la faculté de ce dernier d’acquérir, d’exploiter ou d’aliéner des droits et des biens ou d’accéder aux diverses formes de crédit et de logement dans la mesure où ces facultés sont utiles à l’accès à son activité ou à son exercice effectif. »
Article premier
« Objet
1. La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services.
(…)
7. La présente directive n’affecte pas l’exercice des droits fondamentaux tels que reconnus dans les États membres et par le droit communautaire. Elle n’affecte pas non plus le droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives et de mener des actions syndicales conformément aux législations et aux pratiques nationales respectant le droit communautaire. »
CONVENTIONS INTERNATIONALES
37. La disposition du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qu’il y a lieu de prendre ici en considération est libellée comme suit.
Article 8
« 1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer:
a) Le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats et de s’affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l’organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
b) Le droit qu’ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et le droit qu’ont celles-ci de former des organisations syndicales internationales ou de s’y affilier.
c) Le droit qu’ont les syndicats d’exercer librement leur activité, sans limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.
2. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux Etats parties à la Convention de 1948 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte — ou d’appliquer la loi de façon à porter atteinte — aux garanties prévues dans ladite Convention. »
38. Les conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT) dont il convient de tenir compte en l’espèce sont les suivantes.
– Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical – ratifiée par la Suède le 25 novembre 1949
Article 11
« Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d’assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical. »
– Convention (n° 98) concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective – ratifiée par la Suède le 18 juillet 1950
Article 4
« Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d’employeurs d’une part, et les organisations de travailleurs d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi. »
– Convention (n° 154) concernant la promotion de la négociation collective – ratifiée par la Suède le 11 août 1982
PARTIE I. CHAMP D’APPLICATION ET DEFINITIONS
Article 2
« Aux fins de la présente convention, le terme négociation collective s’applique à toutes les négociations qui ont lieu entre un employeur, un groupe d’employeurs ou une ou plusieurs organisations d’employeurs, d’une part, et une ou plusieurs organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de:
· fixer les conditions de travail et d’emploi, et/ou
· (b) régler les relations entre les employeurs et les travailleurs, et/ou
· (c) régler les relations entre les employeurs ou leurs organisations et une ou plusieurs organisations de travailleurs. »
PARTIE III. PROMOTION DE LA NEGOCIATION COLLECTIVE
Article 5
« 1. Des mesures adaptées aux circonstances nationales devront être prises en vue de promouvoir la négociation collective.
2. Les mesures visées au paragraphe 1 ci-dessus devront avoir les objectifs suivants:
(a) que la négociation collective soit rendue possible pour tous les employeurs et pour toutes les catégories de travailleurs des branches d’activité visées par la présente convention;
(b) que la négociation collective soit progressivement étendue à toutes les matières couvertes par les alinéas a), b), et c) de l’article 2 de la présente convention;
(c) que le développement de règles de procédure convenues entre les organisations d’employeurs et les organisations de travailleurs soit encouragé;
(d) que la négociation collective ne soit pas entravée par suite de l’inexistence de règles régissant son déroulement ou de l’insuffisance ou du caractère inapproprié de ces règles;
(e) que les organes et les procédures de règlement des conflits du travail soient conçus de telle manière qu’ils contribuent à promouvoir la négociation collective. »
Article 6
« Les dispositions de cette convention ne font pas obstacle au fonctionnement de systèmes de relations professionnelles dans lesquels la négociation collective a lieu dans le cadre de mécanismes ou d’institutions de conciliation et/ou d’arbitrage auxquels les parties à la négociation collective participent volontairement. »
Article 7
« Les mesures prises par les autorités publiques pour encourager et promouvoir le développement de la négociation collective feront l’objet de consultations préalables et, chaque fois qu’il est possible, d’accords entre les pouvoirs publics et les organisations d’employeurs et de travailleurs. »
Article 8
« Les mesures prises en vue de promouvoir la négociation collective ne pourront être conçues ou appliquées de manière qu’elles entravent la liberté de négociation collective. »
39. La disposition de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’il convient de prendre ici en considération est libellée comme suit.
Article 11 – Liberté de réunion et d’association
« Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. »
JURISPRUDENCE PERTINENTE
JURISPRUDENCE NATIONALE
40. Les trois décisions du Tribunal suédois du travail pertinentes en l’espèce sont les suivantes (voir également les points 84, 86 et 88 infra):
– Décision n° 111 du 22 décembre 2004 sur le recours formé par Laval un Partneri (affaire n° A 268/04) concernant la légalité d’actions collectives au regard de la loi sur la codétermination.
– Décision n° 49 du 29 avril 2005 sur le recours formé par Laval un Partneri (affaire A 268/04) concernant la conformité de la loi sur la codétermination avec la législation de l’Union européenne.
– Décision n° 89 du 2 décembre 2009 sur le recours formé par Laval un Partneri (affaire A 268/04) concernant l’application de la loi sur codétermination, adoptée à la suite de l’arrêt rendu par la CJUE le 18 décembre 2007 dans l’affaire C-341/05.
JURISPRUDENCE DE L’UNION EUROPEENNE
41. L’arrêt ci-après de la CJUE est considéré pertinent en l’espèce.
– Laval un Partneri Ltd. c. Svenska Byggnadsarbetareförbundet, Svenska Byggnadsarbetareförbundets avdelning 1, Byggettan and Svenska Elektrikerförbundet – Affaire C-341/05, arrêt du 18 décembre 2007
42. Dans cet arrêt, la CJUE a estimé ce qui suit.
« 1. Un État membre dans lequel les taux de salaire minimal ne sont pas déterminés par l’une des voies prévues à l’article 3, paragraphes 1 et 8, de la directive 96/71, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, n’est pas en droit d’imposer, en vertu de cette directive, aux entreprises établies dans d’autres États membres, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, une négociation au cas par cas, sur le lieu de travail, tenant compte de la qualification et des fonctions des salariés, afin qu’elles aient connaissance du salaire qu’elles devront verser à leurs travailleurs détachés. (voir point 71)
2. L’article 3, paragraphe 7, de la directive 96/71, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, ne saurait être interprété en ce sens qu’il permet à l’État membre d’accueil de subordonner la réalisation d’une prestation de services sur son territoire à l’observation de conditions de travail et d’emploi allant au-delà des règles impératives de protection minimale.
En effet, pour ce qui est des matières visées à son article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à g), la directive 96/71 prévoit expressément le degré de protection dont l’État membre d’accueil est en droit d’imposer le respect aux entreprises établies dans d’autres États membres en faveur de leurs travailleurs détachés sur le territoire dudit État membre d’accueil.
Partant, et sous réserve de la faculté pour les entreprises établies dans d’autres États membres d’adhérer volontairement dans l’État membre d’accueil, notamment dans le cadre d’un engagement pris envers leur propre personnel détaché, à une convention collective de travail éventuellement plus favorable, le niveau de protection qui doit être garanti aux travailleurs détachés sur le territoire de l’État membre d’accueil est limité, en principe, à celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à g), de la directive 96/71, à moins que lesdits travailleurs ne jouissent déjà, par application de la loi ou de conventions collectives dans l’État membre d’origine, de conditions de travail et d’emploi plus favorables en ce qui concerne des matières visées par ladite disposition. (voir points 80-81)
3. Si le droit de mener une action collective doit être reconnu en tant que droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect, il n’en demeure pas moins que son exercice peut être soumis à certaines restrictions. En effet, ainsi que le réaffirme l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il est protégé conformément au droit communautaire ainsi qu’aux législations et pratiques nationales.
Bien que la protection des droits fondamentaux constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit communautaire, même en vertu d’une liberté fondamentale garantie par le Traité, l’exercice de tels droits n’échappe pas au champ d’application des dispositions du Traité et doit être concilié avec les exigences relatives aux droits protégés par ledit traité et conforme au principe de proportionnalité.
Il s’ensuit que le caractère fondamental s’attachant au droit de mener une action collective n’est pas de nature à faire échapper une telle action, menée à l’encontre d’une entreprise établie dans un autre État membre, qui détache des travailleurs dans le cadre d’une prestation de services transnationale, au champ d’application du droit communautaire. (voir points 91, 93-95)
4. Les articles 49 CE et 3 de la directive 96/71, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans un État membre dans lequel les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à g), de cette directive figurent dans des dispositions législatives, à l’exception des taux de salaire minimal, une organisation syndicale puisse tenter de contraindre, par une action collective prenant la forme d’un blocus de chantiers, un prestataire de services établi dans un autre État membre à entamer avec elle une négociation sur les taux de salaire devant être versés aux travailleurs détachés ainsi qu’à adhérer à une convention collective dont des clauses établissent, pour certaines desdites matières, des conditions plus favorables que celles découlant des dispositions législatives pertinentes, tandis que d’autres clauses portent sur des matières non visées à l’article 3 de ladite directive.
En effet, le droit des organisations syndicales d’un État membre de mener de telles actions collectives est susceptible de rendre moins attrayant, voire plus difficile, pour des entreprises la prestation de services sur le territoire de l’État membre d’accueil et constitue, de ce fait, une restriction à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE. Une telle entrave ne saurait être justifiée au regard de l’objectif de protection des travailleurs, dont relève, en principe, un blocus engagé par une organisation syndicale de l’État membre d’accueil visant à garantir aux travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services transnationale, des conditions de travail et d’emploi fixées à un certain niveau, dès lors que l’employeur de tels travailleurs est, par l’effet de la coordination réalisée par la directive 96/71, tenu d’observer un noyau de règles impératives de protection minimale dans l’État membre d’accueil. De même, un tel objectif ne saurait justifier la négociation salariale que les organisations syndicales prétendent imposer aux entreprises établies dans un autre État membre et détachant temporairement des travailleurs sur le territoire de l’État membre d’accueil, dès lors qu’une telle négociation s’inscrit dans un contexte national marqué par l’absence de dispositions suffisamment précises et accessibles pour ne pas rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile la détermination, par une telle entreprise, des obligations qu’elle devrait respecter en termes de salaire minimal. (voir points 99, 107-111 et dispositif 1)
5. Les articles 49 CE et 50 CE s’opposent à ce que, dans un État membre, l’interdiction faite aux organisations syndicales d’entreprendre une action collective dans le but d’abroger ou de modifier une convention collective conclue par des tiers soit subordonnée à ce que l’action porte sur des conditions de travail et d’emploi auxquelles la loi nationale s’applique directement. En effet, une telle interdiction crée une discrimination à l’encontre des entreprises qui détachent des travailleurs dans l’État membre d’accueil, en ce qu’elle ne tient pas compte, quel qu’en soit le contenu, des conventions collectives auxquelles ces entreprises sont déjà liées dans l’État membre dans lequel elles sont établies, et leur applique le même traitement que celui réservé aux entreprises nationales qui n’ont pas conclu de convention collective. Une telle discrimination ne peut être justifiée ni par l’objectif de permettre aux organisations syndicales d’agir pour que tous les employeurs présents sur le marché du travail national appliquent des rémunérations et d’autres conditions d’emploi correspondant à celles habituellement pratiquées dans cet État membre, ni par celui de créer les conditions d’une concurrence loyale, à conditions égales, entre employeurs nationaux et entrepreneurs venant d’autres États membres. Ces considérations ne relèvent en effet pas des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, au sens de l’article 46 CE, appliqué en combinaison avec l’article 55 CE. (voir points 116, 118-120 et dispositif) »
(cf. Sommaire de l’arrêt)
43. La CJUE a estimé, sur cette base, que
« [l]es articles 49 CE et 3 de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans un État membre dans lequel les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à g), de cette directive figurent dans des dispositions législatives, à l’exception des taux de salaire minimal, une organisation syndicale puisse tenter de contraindre, par une action collective prenant la forme d’un blocus de chantiers telle que celle en cause au principal, un prestataire de services établi dans un autre État membre à entamer avec elle une négociation sur les taux de salaire devant être versés aux travailleurs détachés ainsi qu’à adhérer à une convention collective dont des clauses établissent, pour certaines desdites matières, des conditions plus favorables que celles découlant des dispositions législatives pertinentes, tandis que d’autres clauses portent sur des matières non visées à l’article 3 de ladite directive.
Les articles 49 CE et 50 CE s’opposent à ce que, dans un État membre, l’interdiction faite aux organisations syndicales d’entreprendre une action collective dans le but d’abroger ou de modifier une convention collective conclue par des tiers soit subordonnée à ce que l’action porte sur des conditions de travail et d’emploi auxquelles la loi nationale s’applique directement. » (cf. arrêt de la CJUE)
44. Les autres arrêts de la CJUE à prendre en considération sont les suivants : The International Transport Workers’ Federation et The Finnish Seamen’s Union c. Viking Line ABP et OÜ Viking Line Eesti – affaire C-438/05, arrêt du 11 décembre 2007; Dirk Rüffert, agissant en qualité d’administrateur judiciaire d’Objekt und Bauregie GmbH & Co. KG c. Land Niedersachsen – affaire C-346/06, arrêt du 3 avril 2008; Commission européenne c. Luxembourg – affaire C-319/06, arrêt du 19 juin 2008; Commission européenne c. République fédérale d’Allemagne – affaire C-271/08, arrêt du 15 juillet 2010; Omega Spielhallen- und Automatenaufstellungs-GmbH c. Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn – affaire C-36/02, arrêt du 14 octobre 2004; Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge c. République d’Autriche – affaire C-112/00, arrêt du 12 juin 2003.
JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE L’HOMME
45. Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dont il convient ici de tenir compte sont les suivants.
– Demir et Baykara c. Turquie – requête n° 34503/97, arrêt du 12 novembre 2008
46. Sur le droit de négociation collective, la Cour a estimé que « (…) eu égard aux développements du droit du travail tant international que national et de la pratique des Etats contractants en la matière, (…) le droit de mener des négociations collectives avec l’employeur est, en principe, devenu l’un des éléments essentiels du ‘droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts’ énoncé à l’article 11 de la Convention, étant entendu que les Etats demeurent libres d’organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial aux syndicats représentatifs (…). »
– Wilson, National Union of Journalists et autres Palmer, Wyeth, National Union of Rail Maritime, Transport Workers, Doolan et autres c. Royaume-Uni – requêtes nos 30668/96, 30671/96 et 30678/96, arrêt du 2 juillet 2002
47. La Cour a estimé dans son arrêt que « la négociation collective n’est pas indispensable à une jouissance effective de la liberté syndicale. Si la négociation collective était obligatoire, cela imposerait aux employeurs l’obligation de mener des négociations avec les syndicats. Un syndicat doit cependant être libre de chercher à convaincre l’employeur, d’une manière ou d’une autre, d’écouter les arguments qu’il a à faire valoir pour le compte de ses membres. Vu le caractère sensible des questions sociales et politiques qu’implique l’obtention d’un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu et les grandes différences qui séparent les systèmes juridiques des pays ayant ratifié la Convention, il existe une large marge d’appréciation quant à la manière de garantir la liberté syndicale. Les syndicats requérants pouvaient recourir à d’autres mesures pour défendre les intérêts de leurs membres. En particulier, le droit interne protège un syndicat qui appelle à la grève ou soutient une grève ‘pour préparer ou soutenir un conflit professionnel’. » (cf. résumé de l’arrêt).
48. A propos du droit de grève, la Cour a indiqué que « l’essence d’un système de négociation collective volontaire est qu’il doit être possible à un syndicat qui n’est pas reconnu par un employeur d’entreprendre des actions, y compris, si nécessaire, des actions de grève, afin de persuader l’employeur d’engager une négociation collective avec lui sur les questions dont le syndicat estime qu’elles sont importantes pour les intérêts de ses membres ». (point 46)
– Gustafsson c. Suède – requête n° 15573/89, arrêt du 25 avril 1996
49. Dans son arrêt, la Cour a indiqué que « l’article 11 (…) de la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à ne pas souscrire une convention collective (…). L’obligation positive que l’article 11 (…) impose à l’Etat, y compris en ce qui concerne la protection de l’opinion individuelle, pourrait s’étendre aux mesures liées au fonctionnement du système de négociation collective, mais seulement lorsque celles-ci empiètent sur la liberté d’association. Une contrainte qui (…) n’entrave pas de manière importante l’exercice de cette liberté, même si elle provoque un préjudice économique, n’entraîne aucune obligation positive au titre de l’article 11 (…). »
– Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède – requête n° 5614/72, arrêt du 6 février 1976
50. La Cour a considéré que « l’article 11 (…) n’assure pas aux syndicats, ni à leurs membres, un traitement précis de la part de l’État et notamment le droit à ce qu’il conclue avec eux telle ou telle convention collective. Non seulement ce dernier droit ne se trouve pas mentionné à l’article 11 (…), mais on ne saurait affirmer que les États contractants le consacrent tous en principe dans leur législation ou leur pratique internes, ni qu’il soit indispensable à l’exercice efficace de la liberté syndicale. Partant, il ne constitue pas un élément nécessairement inhérent à un droit garanti par la Convention. »
51. S’agissant de la Charte sociale européenne, la Cour a précisé que « (…) les questions touchant aux syndicats ont été traitées en détail dans une autre convention élaborée elle aussi dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Charte sociale du 18 octobre 1961. Par l’article 6 par. 2 de cet instrument, les États contractants ‘s’engagent (…) à promouvoir, lorsque cela est nécessaire et utile, l’institution de procédures de négociation volontaire entre les employeurs ou les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de régler les conditions d’emploi par des conventions collectives’. (…) [L]a Charte met donc l’accent sur le caractère volontaire des négociations et conventions collectives; la prudence du libellé de son article 6 par. 2 prouve qu’elle ne reconnaît pas un véritable droit à la conclusion de pareille convention même dans l’hypothèse où les négociations ne révèlent aucun dissentiment sur les problèmes à résoudre. D’après l’article 20, un État la ratifiant peut du reste ne pas assumer l’obligation qui résulte de l’article 6 par. 2. Dès lors, on ne conçoit pas qu’un tel droit découle implicitement de l’article 11 par. 1 (…) de la Convention de 1950; ce serait d’ailleurs admettre que la Charte de 1961 marque à cet égard un recul (…). »
– Schmidt et Dahlström c. Suède, requête n° 5589/72, arrêt du 6 février 1976
52. La Cour a estimé dans cet arrêt que « [l]’article 11 (…) laisse (…) à chaque Etat le choix des moyens à employer [pour rendre possible la conduite d’une action collective] ; l’octroi du droit de grève représente sans nul doute l’un des plus importants d’entre eux, mais il y en a d’autres. »
– Syndicat national de la police belge c. Belgique – requête n° 4464/70, arrêt du 27 octobre 1975
53. Concernant la violation alléguée de l’article 11, la Cour a indiqué que « (…) la Convention protège la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d’un syndicat par l’action collective de celui-ci, action dont les États contractants doivent à la fois autoriser et rendre possibles la conduite et le développement » (cf. point 39)
AUTRES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
54. Les rapports ci-après de la Commission d’experts de l’OIT pour l’application des conventions et recommandations (« Commission de l’OIT sont à prendre en compte dans la présente réclamation.
– Conférence internationale du Travail, 102ème session, 2013 – Rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (cf. Partie II. Liberté syndicale, négociation collective et relations professionnelles / Observations concernant certains pays – Suède, pages 176-180)
55. Dans le rapport susmentionné, la Commission de l’OIT examine et commente le jugement rendu au final par le Tribunal suédois du travail dans l’affaire Laval (voir points 40 supra et 88 infra), ainsi que les modifications législatives adoptées en avril 2010 par le Parlement suédois à la suite de cette décision (voir point 8 supra) dans le cadre de la Convention n° 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et de la Convention n° 98 concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective (voir point 38 supra).
Sur la Convention n° 87 de l’OIT
56. La Commission de l’OIT commence par rappeler que « elle a pour tâche non pas de juger de l’exactitude des décisions de la [CJUE]dans [l’] affaire[] Laval en ce qui concerne l’interprétation de la législation de l’Union européenne, sur la base de droits variés et distincts figurant dans le Traité de la Communauté européenne, mais d’examiner si l’impact de ces décisions au niveau national est tel qu’il revient à dénier aux travailleurs leurs droits de liberté syndicale tels que les leur garantit la Convention n° 87 ». Elle s’est à cet égard déclarée extrêmement préoccupée par le fait que « le syndicat en question ait été tenu pour responsable d’une action qui était légale aux termes de la législation nationale et dont on ne pouvait pas raisonnablement présumer qu’elle serait considérée comme une infraction à la législation européenne. » Elle « rappelle qu’imposer des sanctions à des syndicats parce qu’ils ont mené une grève légitime constitue une grave violation des principes de la liberté syndicale. » Elle considère également que « ce principe est tout à fait pertinent dans les circonstances dans lesquelles l’action était légale au moment où elle a été menée ». Tout en étant consciente que le paiement a déjà été effectué en faveur de l’agence en faillite, la Commission de l’OIT prie le Gouvernement « de revoir cette question avec les partenaires sociaux concernés afin de trouver d’éventuelles solutions pour l’indemnisation des deux syndicats, en particulier à la lumière du jugement rendu par le tribunal en 2004, qui avait conduit les syndicats à penser que leur action était légale ».
57. Sur un plan général, la Commission de l’OIT rappelle en outre que, « lors de la détermination de sa position en ce qui concerne les restrictions autorisées pouvant être apportées au droit de grève, elle n’a jamais inclus la nécessité d’évaluer la proportionnalité des intérêts en gardant à l’esprit une notion de liberté d’établissement ou de liberté de fourniture des services. » La Commission suggère cependant que « dans certains cas, la notion de service minimum négocié permettant d’éviter des dommages risquant d’être irréversibles ou hors de proportion pour de tierces parties peut être prise en compte et, si un accord ne peut être trouvé, la question devrait être portée devant un organisme indépendant (…). »
58. Pour la Commission de l’OIT, « les principes de la Convention n’imposent pas la reconnaissance d’une règle Lex Britannia, laquelle est très particulière à la Suède. Ce serait une question à déterminer au niveau national » (pour ce qui concerne la Lex Britannia, voir point 84 infra). Elle n’en observe pas moins avec préoccupation que « les amendements à la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger restreignent le recours à l’action revendicative pour l’obtention de conditions correspondant aux conditions minima de la [directive 96/71/CE] et empêchent de surcroît les syndicats d’engager une action revendicative, même lorsqu’ils comptent des membres dans l’entreprise concernée, et ce, qu’il existe ou non une convention collective couvrant les travailleurs intéressés, à condition que l’employeur puisse démontrer que les termes et conditions d’emploi des travailleurs sont aussi favorables que les conditions minima de la convention collective centrale ». La Commission de l’OIT considère à cet égard que « les travailleurs étrangers devraient avoir le droit d’être représentés par l’organisation de leur choix pour défendre leurs intérêts professionnels et que l’organisation de leur choix devrait pouvoir défendre les intérêts de ses membres, y compris au moyen d’une action revendicative ». Elle prie par conséquent « le gouvernement d’examiner avec les partenaires sociaux les amendements apportés en 2010 à la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger, de manière à s’assurer que les organisations de travailleurs, représentant des travailleurs étrangers détachés, ne soient pas restreintes dans leurs droits, uniquement à cause de la nationalité de l’entreprise ».
Sur la Convention n° 98 de l’OIT
59. S’agissant de l’appréciation générale de l’impact des modifications apportées à la législation suédoise en 2010 en réponse à l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire Laval, la Commission de l’OIT renvoie aux observations qu’elle a formulées au titre de la Convention n° 87. Elle accueille ainsi favorablement « les plans visant à présenter un projet de loi au plus tard le 30 novembre 2012, par lequel un employeur étranger doit signaler qu’il détache des travailleurs en Suède et nommer une personne de contact dans le pays, cette dernière étant autorisée à recevoir des notifications au nom de l’employeur. La Commission espère que ce projet de loi facilitera la participation des employeurs étrangers à la négociation collective. » Elle prie en outre « le Gouvernement d’indiquer dans son prochain rapport les progrès accomplis à cet égard ». Elle exprime par ailleurs « sa préoccupation de constater que les entreprises étrangères peuvent échapper à des revendications collectives en se contentant tout simplement de montrer que les conditions et les salaires minima sont respectés » et prie « le Gouvernement de répondre à ces commentaires et de continuer à fournir des informations sur toute mesure prise ou envisagée afin de lutter contre cette pratique. »
– Conférence internationale du Travail, 99ème session, 2013 – Rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (cf. Partie II. Liberté syndicale, négociation collective et relations professionnelles / Observations concernant certains pays – Royaume-Uni, pages 208-209)
60. En ce qui concerne la Convention n° 87, la Commission de l’OIT commence par indiquer, dans le rapport susmentionnée, que « sa tâche n’est pas de juger le bien-fondé des attendus de la CJCE dans les affaires Viking et Laval, en tant que ces attendus proposent une interprétation du droit de l’Union européenne à partir de droits distincts et variés découlant du Traité européen, mais plutôt d’examiner si l’impact de ces décisions au niveau national est tel qu’il en résulte un déni des droits syndicaux des travailleurs au regard de la Convention no 87 » et que « (…), en élaborant sa position par rapport aux restrictions au droit de grève qui sont admissibles, elle n’a jamais inclus la nécessité d’évaluer la proportionnalité des intérêts en ayant à l’esprit une notion de liberté d’établissement ou de liberté de fournir des services. La Commission a seulement suggéré que, dans certains cas, la notion d’un service minimum négocié peut être envisagée, en vue d’éviter un préjudice qui serait irréversible ou hors de toute proportion à l’égard des tiers, et, si un accord n’est pas possible, que la question soit soumise à un organe indépendant (voir étude d’ensemble de 1994 sur la liberté syndicale et la négociation collective, par. 160). La Commission estime qu’il n’y a aucune raison de revoir sa position sur ce point. »
61. Prenant appui sur ces observations liminaires, la Commission de l’OIT constate « avec une grande préoccupation, (…) les limites pratiques à l’exercice effectif du droit de grève pour les travailleurs affiliés à la BALPA. La Commission est d’avis que la menace omniprésente d’une action en dommages-intérêts comportant le risque de mener le syndicat dans une situation d’insolvabilité, éventualité aujourd’hui fort plausible, compte tenu de la jurisprudence Viking et Laval, crée une situation dans laquelle l’exercice des droits établis par la Convention devient impossible (…). »
62. Sur un plan plus général, la Commission de l’OIT observe que « dans le contexte actuel de la mondialisation, de telles affaires risquent de devenir plus courantes, notamment dans certains secteurs d’emploi (…), tant et si bien qu’une atteinte à la possibilité des travailleurs de ces secteurs de négocier réellement avec leurs employeurs sur les questions affectant leurs conditions d’emploi pourrait assurément se révéler dévastatrice ». Aussi considère-t-il que « la doctrine utilisée dans ces jugements de la CJCE est susceptible d’avoir un effet restrictif quant à l’exercice du droit de grève dans la pratique, d’une manière qui est contraire à la Convention ».
63. A la lumière des observations qu’elle a formulées précédemment quant à la nécessité d’assurer une plus grande protection du droit des travailleurs de recourir, dans la pratique, à une action revendicative légitime, la Commission de l’OIT demande au Gouvernement concerné d’ « ([envisager] les mesures appropriées de protection de la faculté des travailleurs et de leurs organisations de recourir à l’action revendicative, et d’indiquer les mesures prises à cet égard. »
64. La communication ci-après de la Commission européenne est à prendre en compte dans la présente réclamation.
– Communication de la Commission COM(2003) 458 sur la mise en œuvre de la directive 96/71/CE
4.1.2.1. – Les conventions collectives
« (…) Les conventions collectives visées à l’article 3, premier paragraphe, doivent, aux fins de l’application de la directive, être déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8 de l’article 3 de la directive. Le premier alinéa du paragraphe 8 de l’article 3 de la directive se réfère aux conventions collectives produisant des effets erga omnes, qui doivent être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur concerné et relevant du champ d’application territoriale de celui-ci en vue de garantir l’égalité de traitement entre les entreprises nationales et les entreprises établies dans un autre État membre offrant des services sur le territoire d’un État membre.
En l’absence d’un système de déclaration d’application générale, l’alinéa 2 du paragraphe 8 offre des options aux États membres permettant de garantir une égalité de traitement. Le groupe d’experts qui a préparé la transposition de la directive était d’avis que si les États membres, en l’absence de système permettant de déclarer les conventions collectives ou les sentences arbitrales d’application générale, décident de se fonder sur les deux autres catégories de conventions collectives visées à l’article 3, paragraphe 8 (conventions collectives qui ont un effet général ou conventions collectives conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives), ils doivent en faire explicitement mention dans la législation transposant la directive relative aux travailleurs détachés. Si la législation de transposition ne fait pas référence à cela, les États membres ne peuvent pas imposer le respect des conventions collectives visées au deuxième alinéa du paragraphe 8 de l’article 3 aux entreprises établies dans un autre État membre, qui détachent des travailleurs sur leur territoire.
Étant donné qu’aucune des législations de transposition ne fait référence aux options du deuxième alinéa du paragraphe 8, la Commission conclut que les États membres qui n’ont pas de conventions collectives déclarées d’application générale au sens du premier alinéa du paragraphe 8 de l’article 3 de la directive n’appliquent pas les conditions de travail et d’emploi fixées par des conventions collectives aux travailleurs détachés sur leur territoire. En conséquence, dans ces pays, seules les conditions de travail et d’emploi fixées par les dispositions législatives s’appliquent aux travailleurs détachés sur leur territoire. »
(…)
4.3. – Les pays adhérents
« En ce qui concerne la situation dans les pays adhérents, il est à rappeler que ces pays sont obligés de transposer les dispositions de la directive avant la date d’adhésion à l’Union européenne. La majorité des pays adhérents a déjà adopté des dispositions nouvelles et/ou adapté des législations existantes en vue de transposer la directive sur le détachement des travailleurs. Il semble que, dans plusieurs pays, les travaux de transposition sont déjà bien avancés tandis que dans d’autres, un grand travail doit encore être réalisé. Il s’agit notamment de la transposition de l’article 3, paragraphe 1, en tant qu’État d’accueil, qui doit édicter les règles devant être respectées par les entreprises étrangères prestataires de service sur son territoire. »
65. La résolution ci-après du Parlement européen doit elle aussi être prise en compte.
– Résolution du 22 octobre 2008 sur les défis pour les conventions collectives dans l’UE (2008/2085(INI))
« (…) – vu la Charte sociale européenne, et notamment ses articles 5, 6 et 19, (…) »
« A. considérant que le traité CE reconnaît les droits fondamentaux définis dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans les constitutions des États membres et dans différents traités et conventions internationaux comme étant des références essentielles pour le droit et les pratiques communautaires,
B. considérant que le traité CE énonce un certain nombre de principes pertinents, que l’un des objectifs principaux de la Communauté est l’établissement d’un marché intérieur caractérisé par la suppression, entre les États membres, des entraves à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, et comportant une dimension sociale,
C. considérant que l’un de ces principes consiste à reconnaître aux citoyens des droits constitutionnels de base, lesquels incluent le droit de constituer des syndicats, le droit de grève et le droit de négocier des conventions collectives,
(…)
G. considérant que la CJCE reconnaît le droit de recourir à des actions collectives en tant que droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire et que ce droit sera également inscrit dans les traités, si le Traité de Lisbonne est ratifié,
H. considérant que la Commission a souligné, à plusieurs occasions, l’importance que le cadre de la législation en matière d’emploi et des négociations collectives en vigueur au niveau national revêt pour la protection des droits des travailleurs,
(…)
K. considérant que, selon le préambule de la directive sur le détachement, la promotion de la prestation de services dans un cadre transnational nécessite des conditions de concurrence libre et loyale ainsi que des mesures garantissant le respect des droits des travailleurs et en conformité avec le cadre juridique relatif à la législation nationale en matière d’emploi et aux relations du travail en place dans les États membres,
L. considérant que la directive sur le détachement énonce clairement, dans son considérant 12, que ‘le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que les États membres étendent le champ d’application de leur législation ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié, y compris temporaire, sur leur territoire, même si l’employeur est établi dans un autre État membre’ et que ‘le droit communautaire n’interdit pas aux États membres de garantir le respect de ces règles par les moyens appropriés’,
M. considérant que l’objectif de la directive sur le détachement, à savoir créer un climat de concurrence loyale et mettre en place des mesures garantissant le respect des droits des travailleurs, est important, dans un contexte où la prestation transnationale de services se développe, pour la protection des travailleurs concernés, dans le respect du cadre de la législation sur l’emploi et des relations du travail en place dans les États membres, sous réserve qu’il ne soit pas porté atteinte à la législation communautaire,
N. considérant que, selon la directive sur le détachement, les législations des États membres doivent prévoir un noyau de règles impératives de protection minimale des travailleurs détachés, qui doivent être observées dans le pays d’accueil, sans faire obstacle à l’application de conditions d’emploi et de travail plus favorables pour les travailleurs,
(…)
R. considérant que l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne codifie le droit de mener des négociations et des actions collectives,
(…)
V. considérant qu’aux fins de la libre circulation des marchandises, la clause suivante (appelée ‘clause Monti’) a été inscrite dans le règlement (CE) n° 2679/98, dont l’article 2 est libellé comme suit: ‘Le présent règlement ne peut être interprété comme affectant d’une quelconque manière l’exercice des droits fondamentaux, tels qu’ils sont reconnus dans les États membres, y compris le droit ou la liberté de faire grève. Ces droits peuvent également comporter le droit ou la liberté d’entreprendre d’autres actions relevant des systèmes spécifiques de relations du travail propres à chaque État membre’,
W. considérant que l’article 1, paragraphe 7, de la directive sur les services dispose que ‘La présente directive n’affecte pas l’exercice des droits fondamentaux tels que reconnus dans les États membres et par le droit communautaire. Elle n’affecte pas non plus le droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives et de mener des actions syndicales conformément aux législations et aux pratiques nationales respectant le droit communautaire’,
(…)
AA. considérant que le droit de mener des actions collectives et de conclure des conventions collectives constitue un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire (…) ;
(…)
AC. considérant qu’il a été constaté que différentes vues et interprétations existaient au sein de la CJCE et entre la Cour et ses avocats généraux dans les diverses affaires concernant la directive sur le détachement, notamment dans les affaires Laval et Rüffert, précitées, et que, lorsque ces vues et interprétations divergent, une clarification pourrait être nécessaire quant à l’équilibre à respecter entre les droits et libertés fondamentaux,
1. souligne que la libre prestation des services constitue l’une des pierres angulaires du projet européen; estime toutefois que cet élément doit être mis en balance, d’une part, avec les droits fondamentaux et les objectifs sociaux inscrits dans les traités et, d’autre part, avec le droit des partenaires publics et sociaux de garantir la non-discrimination, l’égalité de traitement et l’amélioration des conditions de vie et de travail; rappelle que la négociation collective et les actions collectives sont des droits fondamentaux reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et que l’égalité de traitement est un principe fondamental de l’Union européenne;
2. est d’avis que tout citoyen de l’Union devrait avoir le droit de travailler n’importe où dans l’Union et donc avoir droit à l’égalité de traitement; regrette dès lors que ce droit ne soit pas appliqué de manière uniforme dans l’Union; estime que les mécanismes transitoires qui subsistent devraient faire l’objet d’un examen minutieux par la Commission afin d’établir dans quelle mesure ils sont vraiment nécessaires pour prévenir les distorsions sur les marchés nationaux du travail et pour, le cas échéant, les supprimer dans les meilleurs délais;
3. souligne que la libre prestation des services ne s’oppose pas et n’est pas supérieure au droit fondamental des partenaires sociaux de promouvoir le dialogue social et de recourir à des actions collectives, sachant en particulier qu’il s’agit d’un droit constitutionnel reconnu dans plusieurs États membres; souligne que la clause Monti visait à protéger les droits constitutionnels fondamentaux dans le contexte du marché intérieur; rappelle, dans le même temps, que la libre circulation des travailleurs est l’une des quatre libertés attachées au marché intérieur;
4. se félicite du Traité de Lisbonne et note avec satisfaction que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit se voir conférer un caractère juridiquement contraignant; note que cela inclurait le droit des syndicats de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives (comme la grève) pour la défense de leurs intérêts;
5. souligne que la liberté de fournir des services ne prime pas les droits fondamentaux inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et notamment le droit des syndicats à recourir à une action collective, sachant en particulier qu’il s’agit d’un droit constitutionnel reconnu dans plusieurs États membres; souligne par conséquent que les arrêts de la CJCE dans les affaires Rüffert, Laval et Viking, précitées, montrent qu’il est nécessaire de préciser que les libertés économiques, inscrites dans les traités, devraient être interprétées de manière à ne pas porter atteinte à l’exercice des droits sociaux fondamentaux reconnus dans les États membres et par le droit communautaire, y compris le droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives et le droit de mener des actions collectives, et à ne pas porter atteinte à l’autonomie des partenaires sociaux lorsqu’ils exercent ces droits fondamentaux pour la défense d’intérêts sociaux et la protection des travailleurs;
6. souligne que la directive sur le détachement autorise les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à établir des conditions d’emploi et de travail plus favorables pour les travailleurs, conformément aux différentes traditions dans les États membres;
7. souligne que le considérant 22 de la directive sur le détachement précise que ladite directive est sans préjudice du droit des États membres en matière d’action collective pour la défense des intérêts commerciaux et professionnels, droit qui est confirmé par l’article 137, paragraphe 5, du Traité CE;
8. souligne dès lors qu’il est nécessaire de garantir et de renforcer l’égalité de traitement et l’égalité de rémunération pour un même travail sur le même lieu de travail, inscrites aux articles 39 et 12 du Traité CE; estime que, dans le cadre de la libre prestation de services ou de la liberté d’établissement, la nationalité de l’employeur, des employés ou des travailleurs détachés ne peut justifier des inégalités en matière de conditions de travail, de salaire ou d’exercice de droits fondamentaux comme le droit de grève;
(…)
Incidences générales
(…)
13. estime que l’application et l’observation correctes des dispositions de la directive sur le détachement sont essentielles pour garantir la réalisation de ses objectifs, à savoir faciliter la fourniture de services tout en garantissant la protection appropriée des travailleurs, et respecter totalement les accords sur les conventions collectives existant dans les États membres dans lesquels des travailleurs sont détachés dans le cadre de cette directive;
(…)
16. conteste l’introduction d’un principe de proportionnalité pour les actions menées à l’encontre d’entreprises qui, en se prévalant du droit d’établissement ou du droit de prester des services transfrontaliers, s’attaquent délibérément aux conditions d’emploi; estime que l’on ne saurait remettre en cause le recours à une action collective pour défendre l’égalité de traitement et garantir des conditions de travail décentes;
17. souligne que les libertés économiques de l’Union ne sauraient être interprétées de manière à accorder aux entreprises le droit de se soustraire ou de contourner les lois et les pratiques nationales dans le domaine social et en matière d’emploi, ou bien d’imposer une concurrence déloyale jouant sur les salaires et les conditions de travail; estime par conséquent que les activités transfrontalières des entreprises qui pourraient porter atteinte aux conditions d’emploi dans le pays d’accueil doivent être proportionnées et ne sauraient être justifiées automatiquement par les dispositions du Traité CE relatives, par exemple, à la libre circulation des services ou à la liberté d’établissement;
18. souligne que le droit communautaire doit respecter le principe de non-discrimination; souligne en outre que le législateur communautaire doit veiller à ce qu’il ne soit pas mis d’obstacles à la conclusion de conventions collectives, visant par exemple à mettre en œuvre le principe ‘à travail égal, salaire égal’ pour tous les travailleurs sur le lieu de travail, indépendamment de leur nationalité ou de celle de leur employeur, sur le lieu où le service est presté, ou à la conduite d’actions syndicales à l’appui d’un tel accord, conformément à la législation ou à la pratique nationale;
19. reconnaît que les arrêts rendus par la CJCE dans les affaires Laval, Rüffert et Luxembourg, précités, ont engendré de vives inquiétudes quant à la manière d’interpréter les directives d’harmonisation minimale;
(…)
21. est d’avis que la base juridique limitée sur laquelle la directive sur le détachement se fonde, pour ce qui est de la libre circulation, peut conduire à ce que ladite directive soit interprétée comme une invitation expresse à pratiquer une concurrence déloyale jouant sur les salaires et les conditions de travail; estime dès lors que la base juridique de la directive sur le détachement pourrait être élargie pour inclure une référence à la libre circulation des travailleurs;
22. souligne que la situation actuelle pourrait donc conduire à ce que les travailleurs dans les pays d’accueil se sentent soumis aux pressions de la concurrence des bas salaires; estime par conséquent qu’il faut veiller à ce que la directive sur le détachement soit appliquée de manière cohérente dans tous les États membres;
(…)
Demandes
(…)
27. se félicite dès lors de la déclaration du 3 avril 2008, dans laquelle la Commission s’engage non seulement à continuer à lutter contre la concurrence fondée sur le dumping social, mais souligne également que la libre prestation des services ne l’emporte en aucune façon sur les droits fondamentaux de faire grève et de s’affilier à un syndicat et ne s’y oppose pas (…) ;
(…)
31. estime que l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres, dans les conventions de l’OIT et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, y compris le droit de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives et le droit de mener des actions syndicales, ne saurait être remis en question;
32. souligne qu’il doit être absolument clair que la directive sur le détachement et les autres directives n’empêchent pas les États membres et les partenaires sociaux d’exiger des conditions plus favorables, visant à garantir l’égalité de traitement des travailleurs, et qu’il existe des garanties quant à la possibilité d’appliquer la législation communautaire sur la base de tous les modèles de marché du travail existants; »
(…)
EN DROIT
RECEVABILITE
66. Le Comité constate que, conformément à l’article 4 du Protocole, qui a été ratifié par la Suède le 29 mai 1998 et a pris effet pour cet Etat au 1er juillet 1998, la réclamation a été présentée sous forme écrite et porte sur les articles 4, 6 et 19 de la Charte, dispositions que la Suède a acceptées le 29 mai 1998 lors de la ratification de ce traité et par lesquelles elle est liée depuis l’entrée en vigueur dudit traité à son égard au 1er juillet 1999.
67. En outre, la réclamation est motivée.
68. Le Comité observe également que la Confédération générale du travail (LO) et la Confédération générale des cadres, fonctionnaires et employés (TCO) sont des syndicats nationaux représentatifs aux fins de la procédure de réclamations collectives, comme l’exige l’article 1 c) du Protocole. Il relève aussi que le Gouvernement ne le conteste pas.
69. Le Comité constate que la réclamation est présentée au nom de LO et signée par son Président, M. Karl Petter Thorwaldsson, ainsi qu’au nom de TCO et signée par sa Présidente, Mme Eva Nordmark, l’un comme l’autre étant habilités à représenter leur organisation. Le Comité estime dès lors que la condition prévue à l’article 23 de son règlement est remplie.
70. Le Comité constate que le Gouvernement n’a formulé dans son mémoire aucune observation quant à la recevabilité de la réclamation.
71. Le Comité déclare la réclamation recevable.
BIEN-FONDE
Observations liminaires
Sur les liens entre la Charte et la législation de l’Union européenne
72. S’agissant de la pertinence, sous l’angle de la Charte, des mesures juridiquement contraignantes adoptées par les institutions de l’Union européenne dans le cadre du droit communautaire, le Comité rappelle ce qui suit.
« [L]a circonstance que les dispositions [nationales] (…) s’inspirent d’une directive de l’Union européenne ne les soustrait pas à l’empire de la Charte (…). A ce sujet, le Comité confirme qu’il ne lui appartient ni d’apprécier la conformité des situations nationales avec une directive de l’Union européenne ni d’apprécier la conformité d’une telle directive à la Charte. Cependant, lorsque les Etats membres de l’Union européenne décident de mesures contraignantes qu’ils s’appliquent à eux-mêmes par le moyen d’une directive qui influence la manière dont ils mettent en œuvre les droits énoncés dans la Charte, il leur appartient, tant lors de l’élaboration dudit texte que de sa transposition dans leur droit interne, de tenir compte des engagements qu’ils ont souscrits par la ratification de la Charte sociale européenne. C’est au Comité qu’il revient, en dernier lieu, d’apprécier si la situation nationale est conforme à la Charte, et ce y compris en cas de transposition d’une directive de l’Union européenne en droit interne » (voir Confédération générale du Travail (CGT) c. France – réclamation n° 55/2009, décision sur le bien-fondé du 23 juin 2010, paragraphes 32 et 33).
73. Le Comité considère que le même principe vaut, mutatis mutandis, pour les dispositions nationales fondées sur des décisions préjudicielles rendues par la CJUE sur la base de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à l’image de celle prononcée dans l’affaire Laval (voir point 8 supra). C’est donc au Comité qu’il appartient, en dernier ressort, de juger de la conformité d’une situation nationale au regard de la Charte, notamment lorsque des modifications apportées aux dispositions du droit interne afin de suivre des décisions préjudicielles de la CJUE risquent de peser sur l’application de la Charte.
74. Quant à une éventuelle présomption de conformité de la législation de l’Union européenne avec la Charte, le Comité tient tout d’abord à souligner que le droit de la Charte et la législation de l’Union européenne sont deux systèmes juridiques différents, et que les principes, règles et obligations qui forment la seconde ne coïncident pas nécessairement avec le système de valeurs, les principes et les droits consacrés par la première. Rappelant que « la Cour européenne des droits de l’homme a déjà eu l’occasion de considérer qu’il pouvait y avoir, dans certains cas, une présomption de conformité du droit de l’Union européenne [avec] la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »), le Comité estime ensuite que les règles, actes normatifs et décisions de justice de l’Union européenne peuvent, dans bien des cas, être également conformes aux prescriptions de la Charte, d’autant plus que les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union ont désormais force de loi. Cela étant, ni la place qu’occupent actuellement les droits sociaux dans l’ordre juridique de l’Union européenne ni la teneur et le processus d’élaboration de sa législation ne lui semblent justifier que l’on parte, d’une manière générale, de l’idée que les textes juridiques de l’Union européenne sont conformes à la Charte sociale européenne. Le Comité relève par ailleurs que l’Union européenne n’a pas pris de mesures témoignant de sa volonté d’envisager son adhésion à la Charte sociale européenne en même temps que l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme. Aussi le Comité confirme-t-il qu’il observera avec attention les évolutions qui résulteront de la mise en œuvre progressive des réformes du fonctionnement de l’Union européenne résultant de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, y compris la Charte des droits fondamentaux. Il se déclare prêt à modifier son opinion sur une éventuelle présomption de conformité dès que seront présents les indices que la Cour européenne des droits de l’homme a pu voir lorsqu’elle s’est prononcée sur une présomption de conformité du droit de l’Union européenne avec la Convention, indices que le Comité estime absents aujourd’hui en ce qui concerne la Charte sociale européenne. Entretemps, chaque fois qu’il sera confronté à la situation où les Etats tiennent compte de ou sont contraints par les textes de droit de l’Union européenne, le Comité examinera au cas par cas la mise en œuvre par les Etats parties des droits garantis par la Charte dans le droit interne (voir Confédération générale du Travail (CGT) c. France – réclamation n° 55/2009 ; voir aussi, plus généralement, l’observation interprétative relative à l’article 19§6 dans les Conclusions 2011, ainsi que la réclamation n° 16/2003 CFE-CGC c. France, décision sur le bien-fondé du 12 octobre 2004, par. 30).
Sur les dispositions de la Charte visées en l’espèce
75. Les organisations réclamantes LO et TCO allèguent, dans le document introductif d’instance, que « la Suède n’a pas assuré d’une manière satisfaisante l’application des articles 4, 6 et 19§4 de la Charte sociale européenne » et qu’elle « (…) a violé ses obligations découlant des articles 4 et 6 du fait des restrictions au droit de grève et du non-respect de l’obligation qui incombe à l’Etat de promouvoir la négociation collective » (cf. points 3 et 88 de la réclamation).
76. Dans leur réplique au mémoire du Gouvernement, les syndicats auteurs de la réclamation précisent simplement que
« (…) la Suède a, de par la législation adoptée à la suite de l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire Laval, failli à ses obligations au regard des articles 6§2 et 6§4 de la Charte sociale européenne du fait des restrictions au droit de grève et du non-respect de l’obligation qui incombe à l’Etat de promouvoir la négociation collective. La Suède a par ailleurs enfreint l’article 19§4 en imposant des restrictions au droit de mener des actions collectives contre des entreprises étrangères. »
77. Le Comité note que la réplique des organisations syndicales LO et TCO au mémoire du Gouvernement ne fait nulle mention d’une éventuelle violation de l’article 4 de la Charte concernant le droit à une rémunération équitable. Il relève que, dans ladite réplique, les syndicats auteurs de la réclamation formulent plusieurs considérations à propos des articles 6§2 et 6§4 ainsi que de l’article 19§4, mais n’évoquent pas l’article 4 de la Charte.
78. Le Comité considère que les arguments qui figurent dans la réclamation et dans la réplique au mémoire du Gouvernement ne concernent pas, sur le fond, l’article 4 de la Charte. Aussi se limitera-t-il à se prononcer sur la violation alléguée des articles 6§2, 6§4 et 19§4 a et b.
I. VIOLATION ALLEGUEE DES ARTICLES 6§2 ET 6§4 DE LA CHARTE
79. Les articles 6§2 et 6§4 de la Charte sont rédigés comme suit.
Article 6 – Droit de négociation collective
Partie I : « Tous les travailleurs et employeurs ont le droit de négocier collectivement. »
Partie II : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit de négociation collective les Parties contractantes s’engagent:
… ;
2. à promouvoir, lorsque cela est nécessaire et utile, l’institution de procédures de négociation volontaire entre les employeurs ou les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de régler les conditions d’emploi par des conventions collectives;
… et reconnaissent:
4. le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur ».
80. L’Annexe à la Charte dispose ce qui suit dans sa Partie II concernant l’article 6§4.
Annexe à la Charte, Partie II, article 6§4
« Il est entendu que chaque Partie peut, en ce qui la concerne, réglementer l’exercice du droit de grève par la loi, pourvu que toute autre restriction éventuelle à ce droit puisse être justifiée aux termes de l’article G. »
81. L’article G de la Charte est ainsi rédigé :
Article G – Restrictions
« 1. Les droits et principes énoncés dans la partie I, lorsqu’ils seront effectivement mis en œuvre, et l’exercice effectif de ces droits et principes, tel qu’il est prévu dans la partie II, ne pourront faire l’objet de restrictions ou limitations non spécifiées dans les parties I et II, à l’exception de celles prescrites par la loi et qui sont nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs.
2. Les restrictions apportées en vertu de la présente Charte aux droits et obligations reconnus dans celle-ci ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues. »
A – Argumentation des parties
a) Les syndicats auteurs de la réclamation
82. Dans le souci de mieux éclairer leur argumentation, les syndicats LO et TCO fournissent un certain nombre d’éléments d’information générale sur le rôle des conventions et actions collectives en Suède, ainsi que sur l’évolution de la législation du travail suédoise qui résulte de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs (voir point 36 supra). En Suède, les niveaux de salaires sont ainsi fixés essentiellement par des conventions collectives nationales sectorielles, qui donnent lieu à des négociations locales. En général, ces conventions collectives ne prévoient pas de salaire minimal, mais indiquent différents niveaux de salaires, dont le plus bas vise les travailleurs jeunes et/ou non qualifiés. Les conventions collectives en vigueur n’autorisent aucun traitement discriminatoire, y compris une discrimination à raison de l’origine nationale. Les employeurs sont tenus d’appliquer les conventions collectives – qui couvrent plus de 90% des travailleurs – au personnel non syndiqué et sont juridiquement liés par les dispositions de ces conventions, soit de manière directe lorsqu’ils signent un accord avec une organisation syndicale, soit de façon indirecte lorsqu’ils adhèrent à une organisation patronale locale ou nationale.
83. Les syndicats auteurs de la réclamation ajoutent cependant qu’en Suède, l’Etat n’exerce aucun contrôle sur le marché du travail, hormis pour ce qui concerne l’environnement de travail et la durée du travail. Il n’existe strictement aucune législation sur les salaires. De ce fait, LO et TCO considèrent qu’en l’absence de convention collective, un syndicat ne dispose en Suède d’aucun outil pour défendre les droits de ses membres et que, si l’on empêche les organisations syndicales de signer des conventions collectives, les salaires ne sont réglementés ni par la loi ni par des conventions collectives, ce qui signifie qu’il n’existe absolument aucun contrôle sur les conditions de rémunération et d’emploi.
84. S’agissant du droit de grève, LO et TCO soulignent, après avoir rappelé les principaux textes applicables en la matière (voir point 35 supra), que lorsqu’une convention collective a été conclue, les possibilités de recourir à une action collective sont limitées et que le non-respect de l’obligation de préserver la paix sociale est juridiquement réprimé et peut donner lieu à des sanctions économiques, voire à des dommages et intérêts punitifs. Les syndicats auteurs de la réclamation indiquent qu’à la suite de la décision rendue en 1989 (AD 1989 n° 120) par le Tribunal suédois du travail, un texte (également connu sous le nom de Lex Britannia – loi n° 1994:13) est venu modifier la loi sur la codétermination en 1991 de façon à permettre aux syndicats de mener une action collective contre un employeur étranger qui ne respecterait pas une convention collective suédoise au motif qu’il est déjà lié par une convention moins protectrice dans son pays. LO et TCO estiment que la nouvelle législation a conféré aux syndicats suédois le droit de remplacer les conventions collectives étrangères par des conventions collectives suédoises. D’après eux, l’objectif de cette réforme était de veiller à ce que tous les employeurs présents sur le marché du travail suédois proposent des salaires et des conditions d’emploi conformes à ce qui se pratique généralement en Suède, mais aussi de créer un climat de concurrence équitable, fondée sur l’égalité, entre les employeurs suédois et les entrepreneurs des autres Etats membres. LO et TCO attirent également l’attention sur le fait que, dans les travaux préparatoires à la loi sur le détachement des travailleurs (voir point 35 supra) – texte adopté pour donner effet à la directive 96/71/CE (voir point 36 supra) – la Lex Britannia a été considérée comme un instrument de prévention du dumping social.
85. Les organisations auteurs de la réclamation rapportent que c’est dans ce contexte légal que, fin 2004, deux syndicats – LO-Byggnads (par le truchement de l’une de ses sections locales à Stockholm, appelée Byggettan) et Elecktrikerna – ont engagé une action collective contre une entreprise lettone spécialisée dans les travaux de construction, la société Laval, au motif qu’elle avait temporairement détaché des travailleurs lettons en Suède sans avoir signé de convention collective précisant, entre autres conditions d’emploi, le niveau de rémunération. Face à cette situation, Laval a, en décembre 2004, assigné Byggnads, Byggettan et Elektrikerna devant le Tribunal suédois du travail, auquel il a demandé de rendre une ordonnance déclarant illégales les actions collectives dont ses chantiers faisaient l’objet et exigeant qu’il y soit mis fin. Laval avait également réclamé aux syndicats une indemnisation pour le préjudice subi. Le 22 décembre 2004, le Tribunal suédois du travail a rejeté la demande de décision provisoire déposée par Laval pour obtenir la cessation de l’action collective.
86. Désireux de déterminer si les articles 12 et 49 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE), de même que la directive 96/71, interdisaient aux syndicats de recourir à une action collective pour tenter de contraindre une entreprise étrangère qui détache des travailleurs en Suède à appliquer une convention collective, le Tribunal suédois du travail a décidé, le 29 avril 2005, de saisir la CJUE à titre préjudiciel. Dans sa décision de renvoi du 15 septembre 2005, le Tribunal a soumis à la CJUE les questions suivantes :
1) Le fait pour des organisations syndicales de tenter, par une action collective prenant la forme d’un blocus («blockad »), de contraindre un prestataire de services étranger à adhérer à une convention collective dans l’Etat d’accueil relative aux conditions de travail et d’emploi, telle que celle décrite dans la décision du Tribunal du travail [du 29 avril 2005 (convention collective du bâtiment)], est-il compatible avec les règles du Traité CE sur la libre prestation des services et sur l’interdiction de toute discrimination à raison de la nationalité, ainsi qu’avec la directive 96/71/CE[…], si la situation dans l’Etat d’accueil est telle que la législation transposant ladite directive ne renferme aucune disposition expresse sur l’application de conditions de travail et d’emploi dans les conventions collectives ?
2) La [loi sur la codétermination] interdit à une organisation syndicale d’entreprendre une action collective visant à écarter une convention collective conclue entre d’autres partenaires sociaux. Cette interdiction ne vaut cependant, d’après une disposition spéciale constituant une partie de la « lex Britannia », que si une organisation syndicale déclenche une action collective en raison de conditions de travail auxquelles la [loi sur la codétermination] est directement applicable, ce qui, en pratique, signifie qu’elle ne vaut pas pour des actions collectives dirigées contre des sociétés étrangères exerçant temporairement une activité en Suède avec leurs propres personnels. Les règles du Traité CE relatives à la libre prestation des services et à l’interdiction de discriminations à raison de la nationalité ainsi que la directive 96/71 s’opposent-elles à l’application de cette dernière règle – qui, avec les autres dispositions de la lex Britannia, a pour effet qu’en pratique, les conventions collectives suédoises deviennent applicables et priment les conventions collectives étrangères déjà conclues – contre une action collective prenant la forme d’un blocus exercé par des organisations syndicales suédoises à l’encontre d’un prestataire de services séjournant temporairement en Suède?
87. Dans sa réponse à ces questions, la CJUE a estimé que les actions collectives menées par les syndicats en question constituaient une violation disproportionnée des dispositions du droit communautaire relatives à la liberté de fournir des services à l’étranger, et a également conclu que les Etats ne pouvaient imposer aux prestataires de services étrangers l’obligation de respecter des conditions de travail qui iraient au-delà des conditions minimales énoncées dans les dispositions de la directive 96/71/CE. L’action collective a donc été jugée illégale par la CJUE (voir points 42 et 43 supra).
88. En décembre 2009, le Tribunal suédois du travail, suivant en cela la décision préjudicielle de la CJUE, a indiqué (voir point 40 supra) que les actions collectives précitées avaient « constitué une violation caractérisée du [TCE], car elles étaient contraires à un principe fondamental énoncé dans le Traité, la libre prestation de services. Même si la Communauté européenne a aussi reconnu le droit de mener des actions collectives comme un droit fondamental, il a été estimé que les actions collectives concernées, malgré leur objectif de protéger les travailleurs, sont inacceptables car non proportionnées (…). » En vertu de quoi le tribunal a condamné les syndicats à verser des dommages et intérêts, et ce – comme le soulignent LO et TCO – bien que « les actions collectives [fussent] légales au regard de la législation suédoise ».
89. Les syndicats auteurs de la réclamation indiquent qu’à la suite des décisions judiciaires susmentionnées, le Parlement a entériné un texte soumis par le Gouvernement (n° 2009 :10) portant modification de la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et de la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger. Ces dispositions ont pris effet le 15 avril 2010. Les organisations réclamantes affirment que les modifications en question restreignent le droit des syndicats de mener des actions collectives contre toutes les entreprises qui détachent des travailleurs en Suède, notamment les employeurs basés dans des pays ne faisant pas partie de l’EEE. LO et TCO considèrent que les autorités suédoises sont allées, dans les changements législatifs qui ont été opérés, au-delà de l’arrêt de la CJUE, puisque les restrictions aux droits des syndicats s’appliquent également aux entreprises de pays n’appartenant pas à l’EEE qui détachent des travailleurs en Suède.
90. Les syndicats auteurs de la réclamation font valoir que le droit de recourir à l’action collective afin de réglementer au moyen d’une convention collective les conditions dont bénéficient les travailleurs détachés est limité dans la nouvelle réglementation par l’article 5 a de la version modifiée de la loi sur le détachement des travailleurs. LO et TCO notent de surcroît qu’aux termes de l’article 41c de la loi sur la codétermination, les actions collectives contraires à l’article 5 a de la loi sur le détachement de travailleurs sont illégales, ce qui a pour conséquence que les sanctions prévues en cas d’action collective illégale, à savoir les dommages et intérêts économiques et punitifs énoncés aux articles 54 et 55, sont applicables.
91. De l’avis des réclamants, les « principales ingérences » dans les droits garantis par la Charte sont les suivantes.
« En premier lieu, la convention collective demandée par l’organisation syndicale ne peut réglementer que des questions prévues à l’article 3 (1) a – g de la directive européenne concernant le détachement de travailleurs, c’est-à-dire les périodes de travail, les congés annuels, les taux de salaire minimal, etc. (voir la loi suédoise sur le détachement de travailleurs, article 5 a, point 2). Cela signifie que le législateur a interdit aux syndicats de tenter d’aboutir à des conventions collectives au moyen d’actions collectives sur des questions autres que celles qui sont expressément mentionnées.
En deuxième lieu, la convention ne peut contenir que des règles relatives aux taux de salaire minimal et aux conditions minimales. Il est donc interdit aux organisations syndicales de tenter, au moyen d’actions collectives, de conclure des accords dont la protection aille au-delà du minimum absolu prévu dans la convention collective centrale du secteur concerné. Cela entraîne une discrimination évidente à l’égard des salariés étrangers détachés, puisque le salaire le plus bas prévu dans de nombreuses conventions collectives suédoises est nettement inférieur au taux de salaire normal dans le secteur calculé sur la base du collectif ouvrier. Ces taux de salaire les plus bas ne visent que les personnes sans expérience professionnelle, telles que les jeunes, et les conventions collectives contraignent souvent l’employeur à rémunérer à un taux supérieur les salariés expérimentés et qualifiés. Comme indiqué plus haut, en Suède il n’existe aucune loi sur les taux de salaire; les niveaux de salaire sont uniquement réglementés par les conventions collectives.
En troisième lieu, les nouvelles exigences légales font que les organisations syndicales sont, dans certains cas, totalement privées du droit de tenter de réglementer les conditions de travail par des conventions collectives conclues au moyen d’actions collectives. Aux termes de l’article 5 a, paragraphe 2 de la loi sur le détachement de travailleurs et dans le cadre de la directive concernant le détachement de travailleurs (article 3 (1) a – g), une action collective ne peut être menée si l’employeur démontre que les conditions applicables aux travailleurs sont sur tous les points essentiels au moins aussi favorables que les conditions minimales prévues dans une convention collective suédoise normale. Il n’est pas nécessaire que ces conditions soient énoncées dans une convention collective étrangère ou même dans un accord obligatoire. Il suffit à l’employeur de prouver qu’il applique ces conditions. S’il peut présenter un document qui en atteste, cela sera probablement suffisant pour interdire l’action collective. Dans de tels cas, on crée des zones dépourvues de convention collective sur le marché du travail suédois, dans lesquelles il n’est possible de conclure une convention collective que si l’employeur l’accepte de son plein gré. »
92. LO et TCO mettent en avant que la nouvelle législation s’applique même lorsque le syndicat compte des membres parmi les travailleurs. Ainsi, les syndicats ne peuvent représenter ces membres de la même façon que les autres membres, puisque des conventions collectives ne peuvent être conclues qu’avec leurs employeurs étrangers, sur une base volontaire et uniquement sur un certain nombre de conditions minimales d’emploi et de travail. Les organisations réclamantes soulignent aussi qu’en Suède, les syndicats sont à présent légalement tenus d’accepter de signer des conventions collectives qui imposeront des salaires et avantages inférieurs pour les travailleurs étrangers détachés en Suède par rapport aux travailleurs nationaux, ce qui va à l’encontre des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination des travailleurs à raison de l’origine nationale.
93. Concernant les conséquences de la nouvelle législation sur le fonctionnement du marché du travail suédois, LO et TCO indiquent notamment ce qui suit dans leur réplique au mémoire du Gouvernement.
– Les nouvelles règles rendront vraisemblablement les syndicats suédois très prudents et moins enclins à contacter les entreprises étrangères qui détachent des travailleurs en Suède en vue de conclure des conventions collectives. Le jugement rendu par le Tribunal suédois du travail a également montré que des sanctions économiques pouvaient être imposées de manière rétroactive aux syndicats, même si ces derniers n’ont fait que mener des actions jugées parfaitement légales au regard de la législation suédoise au moment des faits.
– La baisse du nombre de conventions signées entre 2007 et 2010, qui a chuté de 107 à 27, témoigne de cette inquiétude. Aucune action syndicale visant à permettre la conclusion d’une convention collective avec une entreprise étrangère n’a été menée ces dernières années sur le marché du travail suédois. Les actions étaient déjà relativement rares avant l’affaire Laval, mais des préavis d’action collective contre des entreprises étrangères étaient régulièrement déposés chaque année dans le but de conclure une convention collective.
– Les entreprises suédoises ne peuvent plus concurrencer les entreprises étrangères sur un pied d’égalité. A court terme, la nouvelle législation affectera uniquement le droit d’engager des actions collectives en faveur de travailleurs détachés ; à plus long terme cependant, le fait que ces travailleurs auront des salaires et des conditions de travail moins favorables affectera aussi le marché du travail suédois sur un plan purement interne.
– S’il s’avère impossible de contraindre les employeurs à conclure des conventions collectives pour certains pans du marché du travail, cela risque, à long terme, d’avoir des répercussions négatives sur tout le modèle suédois du marché du travail. Les actions collectives ont pour but d’exercer une pression économique sur la partie adverse. Si les actions menées par les syndicats peuvent être déclarées illégales du fait des intérêts économiques de l’employeur, le juste équilibre sur le marché du travail s’en trouvera perturbé.
94. Aussi les syndicats auteurs de la réclamation concluent-ils que les modifications législatives apportées en 2010 à la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et à la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger sont contraires aux articles 4, 6§2 et 6§4 de la Charte pour ce qui concerne l’obligation faite aux Etats de favoriser la conclusion de conventions collectives et de reconnaître le droit de mener des actions collectives.
95. LO et TCO indiquent également qu’outre les modifications législatives précitées, la loi n° 160 de 1992 et l’ordonnance n° 308 de 1992 relatives aux filiales étrangères ont elles aussi été modifiées en décembre 2009, lorsque la Suède a transposé la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (voir point 35 supra), ce qui a eu pour effet de supprimer l’obligation pour les entreprises étrangères d’un Etat de l’EEE d’avoir un représentant légal en Suède pour pouvoir exercer des activités économiques dans ce pays.
96. Les réclamants font valoir que, pour ce qui concerne les Etats de l’EEE, il en résultera que les syndicats suédois seront contraints de tenter d’entrer en contact avec l’employeur à l’étranger s’ils souhaitent engager des négociations collectives. Cela réduira les possibilités de conclure des conventions collectives et va à l’encontre des obligations qui incombent à la Suède de promouvoir la négociation collective aux termes de l’article 6§2 de la Charte.
97. Les syndicats auteurs de la réclamation concluent que la Suède a, de par la législation adoptée à la suite de l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire Laval et de par les modifications législatives apportées en vue de donner effet à la directive 2006/123/CE (voir point 35 supra), failli à ses obligations au regard des articles 4, 6§2 et 6§4 pour ce qui concerne l’obligation faite aux Etats de promouvoir la négociation collective et de reconnaître le droit de grève.
b) Le Gouvernement défendeur
Sur les dispositions de la Charte visées en l’espèce
98. Le Gouvernement estime que les modifications législatives apportées en 2010 à la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger n’affecte ni le droit de mener des actions collectives sur un plan purement national ni la faculté pour les employeurs étrangers de signer une convention collective avec un syndicat suédois. Il fait observer que les modifications en question concernent la possibilité qu’ont les syndicats suédois d’engager une action collective à l’encontre d’un employeur étranger qui détacherait des travailleurs en Suède afin de réglementer des conditions d’emploi allant au-delà des prescriptions minimales énoncées dans les dispositions du noyau dur de la loi susmentionnée. Quant aux modifications dont la loi n° 160 de 1992 relative aux filiales étrangères a fait l’objet en décembre 2009, il indique qu’elles ont été jugées nécessaires pour se conformer à la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (voir point 35 supra).
99. Le Gouvernement affirme que les modifications législatives intervenues en 2010 à la suite de l’arrêt de la CJUE dans l’affaire Laval, de même que celles apportées en 2009 à la loi relative aux filiales étrangères, « n’enfreignent pas les dispositions de la Charte sociale européenne, ni la jurisprudence établie en la matière par le CEDS ». Il fait ici référence aux articles 4, 6 et 19§4, dont la violation est ouvertement alléguée dans le document introductif d’instance. Il relève en outre que « ni l’enquête menée par les autorités suédoises dans l’affaire Laval ni la majorité de la Commission tripartite suédoise de l’OIT (Sw. Svenska ILO-kommittén) n’ont estimé, lors de leur promulgation, que les textes de loi proposés à la suite de l’arrêt Laval étaient contraires à la réglementation international pertinente. » Le Gouvernement souligne également que les modifications ont été jugées nécessaires pour rendre la législation suédoise conforme au droit communautaire en matière de libre prestation de services et de non-discrimination, tel qu’interprété par la [CJUE] dans l’arrêt Laval.
Informations complémentaires sur les nouvelles initiatives législatives concernant les travailleurs détachés temporairement en Suède
100. Le Gouvernement fait tout d’abord état de la mise sur pied d’une commission parlementaire chargée de dresser un bilan des modifications apportées après l’affaire Laval à la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger. Cette commission qui, selon les informations communiquées par le Gouvernement, présentera les résultats de ses travaux fin 2014 a notamment reçu pour mission d’ « examiner les changements qui pourraient s’avérer nécessaires pour préserver le modèle suédois de marché du travail dans un contexte international ». Le Gouvernement ajoute que les propositions de ladite commission « devront inclure une analyse de leurs éventuelles conséquences au regard de la réglementation internationale pertinente ». Il précise à ce sujet qu’il « soumettra volontiers au Comité européen des droits sociaux, le moment venu, des informations complémentaires concernant les conclusions de cette commission parlementaire nouvellement instituée ».
101. Deuxièmement, le Gouvernement explique qu’aux termes d’un projet de loi qui devait être soumis au Conseil suédois de la législation et au Parlement au plus tard le 30 novembre 2012, un employeur étranger sera notamment tenu de désigner une personne de contact en Suède, qui sera habilitée à recevoir des notifications pour le compte de cet employeur. Les syndicats suédois auront ainsi la possibilité de nouer plus facilement des contacts avec les employeurs étrangers, y compris pour conclure avec eux des conventions collectives. Le Gouvernement assure qu’il ne manquera pas de fournir au Comité de plus amples informations « lorsque le projet de loi aura été soumis au Conseil suédois de la législation et au Parlement ».
102. Troisièmement, le Gouvernement indique qu’ « un projet de loi concernant les travailleurs intérimaires détachés a été déposé au Parlement le 18 décembre 2012, texte qui contient une proposition tendant à offrir aux syndicats davantage de possibilités d’engager une action collective afin de réglementer les conditions d’emploi et de travail de ces personnels ». Selon le Gouvernement, le projet de loi prévoit que « les syndicats [puissent] déclencher une action collective concernant des travailleurs intérimaires détachés afin de réglementer des conditions d’emploi allant au-delà des prescriptions minimales énoncées dans les dispositions du noyau dur de la directive de l’Union européenne sur le détachement de travailleurs. Les syndicats disposeront ainsi de puissants outils pour assurer aux travailleurs intérimaires détachés des conditions d’emploi et de travail équitables conformément à la législation de l’Union européenne en la matière. Les modifications législatives envisagées pourraient prendre effet au 1er janvier 2013. »
c) Réponse des syndicats auteurs de la réclamation aux informations complémentaires communiquées par le Gouvernement
Sur l’institution d’une commission parlementaire chargée de la question des travailleurs détachés
103. LO et TCO considèrent que la commission parlementaire n’a pas reçu pour mission de déterminer si la Suède satisfait aux obligations qui lui incombent au regard de la Charte sociale européenne ou d’autres conventions internationales. Son mandat ne comprend que l’expression habituelle l’appelant instamment à prendre en compte, dans ses propositions, leur lien avec la réglementation internationale pertinente. Cette expression habituelle ne garantit en rien qu’il soit procédé à une analyse suffisante des conventions et recommandations en la matière ; les réclamants en veulent pour preuve les comptes rendus des travaux de la Commission tripartite suédoise de l’OIT, qui a dû constater à de nombreuses reprises que les commissions qui préparaient de nouveaux textes de loi avaient failli à cet égard. LO et TCO en tirent la conclusion que la mise en place de la commission parlementaire précitée « ne doit donc pas être interprétée comme une mesure visant à remédier à la poursuite de la violation de la Charte sociale européenne par la Suède ».
Sur la proposition du Gouvernement concernant l’obligation de désigner une personne de contact et de signaler le détachement de travailleurs
104. LO et TCO considèrent que l’adoption d’un texte de loi qui ferait obligation aux employeurs étrangers de désigner une personne de contact en Suède serait « une amélioration par rapport à la situation actuelle ». Les réclamants estiment toutefois que « rien ne garantirait pour autant que les entreprises étrangères mandateraient un interlocuteur auprès des syndicats suédois, le texte ne prévoyant pas que le représentant de l’employeur serait chargé de négocier et de conclure des conventions collectives avec les syndicats durant le détachement des travailleurs en Suède ».
Sur la nouvelle législation relative aux travailleurs intérimaires détachés
105. LO et TCO considèrent que la nouvelle législation suédoise relative aux travailleurs intérimaires détachés constitue « un pas en avant ». Ils estiment cependant que « les syndicats suédois ne seront toujours pas autorisés à engager des actions collectives pour obtenir l’égalité de traitement avec les travailleurs suédois sur des questions qui n’entrent pas dans le cadre de l’article 3 (1) a – g de la directive de l’UE sur le détachement de travailleurs » et que « le problème des ‘zones dépourvues de convention collective’ subsistera ». De plus, les syndicats auteurs de la réclamation craignent que, « si l’employeur devra démontrer que les conditions qu’il accorde à son personnel dans le cadre de la directive relative au détachement de travailleurs sont, sur tous les points essentiels, au moins aussi favorables que celles que prévoit une convention collective suédoise ordinaire, ou que celles en vigueur dans l’entreprise utilisatrice, aucune action collective ne sera pour autant autorisée (…) ».
Sur l’amélioration de l’application de la directive de l’Union européenne relative au détachement de travailleurs
106. LO et TCO considèrent que les discussions en cours à l’UE concernant l’amélioration susmentionnée « ne présentent aucun intérêt » dans le contexte actuel et que « le fait d’examiner une proposition au sein de l’UE ne résout pas la question du droit de mener des actions collectives [en Suède] ».
B – Appréciation du Comité
107. Eu égard aux observations liminaires sur le bien-fondé de la réclamation (points 72 à 74 supra), le Comité considère qu’il a pour tâche non pas de juger de la conformité de la décision préjudicielle de la CJUE dans l’affaire Laval au regard de la Charte, mais de déterminer si les modifications législatives adoptées par le Parlement suédois en avril 2010 (à la suite et en raison de la décision précitée) ainsi qu’en décembre 2009 (pour donner effet aux dispositions de la directive 2006123/CE) constituent une violation de la Charte.
108. Pour se prononcer sur la violation alléguée des articles 6§2 et 6§4, le Comité tiendra compte en particulier (a) des articles 5a et 5b (SFS 2012:857) et des articles 10 et 11 (SFS 2013:351) de la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger, de l’article 41c de la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et de la loi n° 854 de 2012 sur le travail intérimaire, ainsi que (b) des modifications apportées à l’article 2 de la loi n° 1083 de 2009 relative aux filiales étrangères et de l’article 3 de l’ordonnance n° 308 de 1992 relative aux filiales étrangères.
109. D’un point de vue général, le Comité considère que l’exercice du droit de négociation collective et du droit de mener des actions collective que garantissent les articles 6§2 et 6§4 de la Charte est essentiel à la jouissance d’autres droits fondamentaux garantis par la Charte, notamment ceux qui portent sur les conditions de travail équitables (article 2), la sécurité et l’hygiène dans le travail (article 3), la rémunération équitable (article 4), l’information et la consultation (article 21), la participation à la détermination et à l’amélioration des conditions de travail et du milieu du travail (article 22), la protection en cas de licenciement (article 24), la protection des créances des travailleurs en cas d’insolvabilité de leur employeur (article 25), la dignité au travail (article 26) la protection des représentants des travailleurs dans l’entreprise et les facilités à leur accorder (article 28), ou encore l’information et la consultation dans les procédures de licenciements collectifs (article 29).
110. Le Comité note en outre que le droit de négociation collective et le droit de mener des actions collectives sont reconnus par les constitutions d’une grande majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, et qu’ils le sont aussi par un nombre important d’instruments juridiques contraignants des Nations Unies et de l’UE. Il renvoie notamment ici à l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (voir point 37 supra), aux dispositions pertinentes des Conventions nos 87, 98 et 154 de l’OIT (voir point 38 supra), ainsi qu’à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (cf. article 1§7) et à la directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire – considérant 19 (voir point 36 supra).
111. Le Comité rappelle qu’au titre de l’article 6§2 de la Charte, « les Parties contractantes […] s’engagent non seulement à reconnaître dans leur législation la possibilité pour les employeurs et les travailleurs de régler leurs relations mutuelles par voie de convention collective, mais également à promouvoir d’une façon positive, avec l’aide de moyens appropriés, la conclusions de telles conventions si leur état de développement spontané n’est pas suffisant et à garantir, en particulier, que les partenaires sociaux soient disposés à ouvrir entre eux des négociations collectives (…) » (Conclusions I – 1969, observation interprétative relative à l’article 6§2). Le Comité considère aussi que les Etats ne doivent pas entraver la liberté des syndicats de décider par eux-mêmes quelles relations professionnelles ils souhaitent réglementer par des conventions collectives et quelles méthodes légitimes ils entendent utiliser pour promouvoir et défendre les intérêts des travailleurs concernés.
112. Le Comité a conscience que la négociation collective est un processus mutuel dans lequel les conditions posées par l’une des parties ne seront sans doute pas toutes acceptées par l’autre et que l’exercice effectif du droit de négociation collective ne doit pas signifier que les employeurs puissent être tenus par l’Etat ou contraints par les syndicats de signer une convention collective ou d’en accepter toutes les conditions exigées par les syndicats. Toutefois, s’agissant de la violation alléguée de l’article 6§2 par le législateur suédois, le Comité note qu’en ce qui concerne les travailleurs étrangers détachés, les articles 5a et 5b de la loi relative au détachement de travailleurs à l’étranger font que les conventions collectives réclamées par les syndicats peuvent uniquement régir, lorsqu’elles sont obtenues avec le concours et au moyen d’une action collective, le taux minimal de rémunération ou autres conditions minimales – ou, dans le cas particulier des travailleurs intérimaires, la rémunération ou autres conditions – qui relèvent des questions abordées à l’article 5 de ladite loi. Il constate à ce sujet que ce cadre législatif limite de façon importante la faculté qu’ont les syndicats suédois de recourir à l’action collective pour conclure des conventions collectives contraignantes sur d’autres questions et/ou passer des accords à un plus haut niveau.
113. Le Comité note de surcroît qu’à la suite des modifications apportées à l’article 2 de la loi n° 1083 de 2009 relative aux filiales étrangères, les entreprises étrangères qui exercent leurs activités économiques en Suède ne sont pas tenues de créer dans ce pays une filiale dotée d’une direction indépendante lorsque l’activité économique est assujettie aux dispositions relatives à la libre circulation des biens et des services figurant dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou aux dispositions correspondantes de l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE).
114. Du fait de ce cadre législatif, les syndicats suédois qui souhaitent conclure des accords avec les entreprises étrangères susmentionnées sont contraints de les négocier et de les signer avec les employeurs responsables à l’étranger. Le Comité relève à ce sujet que la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger a été modifiée avec effet au 1er juillet 2013. Il en résulte que les employeurs étrangers sont tenus de désigner une personne de contact en Suède et d’en aviser l’Autorité suédoise chargée des conditions de travail. La personne de contact est autorisée à recevoir des notifications pour le compte de l’employeur et doit pouvoir démontrer que les prescriptions de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger sont respectées (voir point 35 supra). Le Comité observe cependant que la législation en vigueur n’exige pas que la personne de contact soit habilitée à négocier ni à conclure des conventions collectives.
115. Pour ce qui est des modifications apportées à l’ordonnance n° 308 de 1992 relative aux filiales étrangères, le Comité note que le deuxième paragraphe de son article 3 était libellé comme suit jusqu’en juin 2011: « Toute société étrangère établie, au sens de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dans un Etat autre que la Suède au sein de l’Espace économique européen (EEE) et qui constitue un prestataire de services au sens de cette même directive n’est pas soumise à l’obligation d’avoir une filiale en Suède si elle n’exerce que temporairement ses activités économiques dans ce pays. » Il remarque toutefois que ce paragraphe, institué par l’ordonnance n° 1097 de 2009 en décembre 2009, a été supprimé par l’ordonnance n° 724 de 2011.
116. Le Comité considère que, pour les travailleurs détachés, les restrictions et limitations décrites ci-dessus que leur impose la loi ne favorisent pas l’institution de procédures appropriées de négociation volontaire entre les organisations patronales et syndicales en vue de réglementer les conditions de travail et d’emploi par le biais de conventions collectives. Il estime par conséquent que les articles 5a et 5b de la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger d’une part, et les modifications apportées par la loi n° 1083 de 2009 relative aux filiales étrangères d’autre part, ne sont pas conformes à l’article 6§2 de la Charte.
117. Concernant l’article 6§4, le Comité rappelle toute d’abord que cette disposition « (…) garantit le droit à des actions collectives (…) en cas de conflits d’intérêts. Il en résulte qu’elle ne saurait être invoquée dans le cas de conflits juridiques, c’est-à-dire notamment dans le cas de différends ayant trait à l’existence, à la validité ou à l’interprétation d’une convention collective ou à la violation d’une telle convention, commise par exemple au moyen d’une action entreprise pendant la durée de la validité de ladite convention en vue de la révision du contenu de celle-ci. Cette interprétation devrait être adoptée même dans le cas où une convention collective contiendrait des dispositions tendant à permettre une telle action professionnelle » Conclusions I, observation interprétative relative à l’article 6§4). Outre le droit de grève, l’article 6§4 recouvre d’autres types d’actions menées par les travailleurs ou les syndicats, notamment les blocus ou les piquets de grève.
118. Le Comité fait valoir que l’Annexe à la Charte dispose, à propos de l’article 6§4, que « chaque Partie peut, en ce qui la concerne, réglementer l’exercice du droit de grève par la loi, pourvu que toute autre restriction éventuelle à ce droit puisse être justifiée aux termes de l’article G ». Cela signifie que, même si le droit des syndicats de mener des actions collectives n’est pas un droit absolu, une éventuelle restriction de ce droit ne peut être jugée conforme à l’article 6§4 de la Charte qu’à la condition – comme indiqué à l’article G -, qu’elle (a) soit prévue par la loi, (b) poursuive un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre public, de la sécurité nationale, de la santé publique ou des bonnes mœurs, et (c) est nécessaire, dans une société démocratique, pour réaliser ce but – en d’autres termes, la restriction doit être proportionnée au but légitime poursuivi.
119. Le Comité considère que les formes excessives ou abusives d’action collective, comme les blocus prolongés, qui pourraient entraver le maintien de l’ordre public ou restreindre indûment les droits et libertés d’autrui (notamment le droit au travail d’autres salariés de l’entreprise ou le droit des employeurs d’exercer une activité lucrative) peuvent être limitées ou interdites par le législateur. Il estime à cet égard que l’interdiction de certains types d’actions collectives, voire l’instauration par la loi d’une limitation d’ordre général du droit de mener des actions collectives en vue de barrer la route à des initiatives à visées illégitimes ou abusives (qui n’ont, par exemple, rien à voir avec l’exercice des droits des travailleurs ou ont trait à des objectifs discriminatoires), ne seraient pas nécessairement contraires à l’article 6§4 de la Charte.
120. Le Comité estime néanmoins que les textes du droit interne qui empêchent a priori l’exercice du droit de mener des actions collectives ou qui n’en autorisent l’exercice que dans la mesure où elles s’avèrent nécessaires pour obtenir des normes minimales de travail ne seraient pas conformes à l’article 6§4 de la Charte car ils enfreindraient le droit fondamental des travailleurs et des syndicats de recourir à l’action collective pour protéger les intérêts économiques et sociaux des travailleurs. Au regard du système de valeurs, des principes et des droits fondamentaux que consacre la Charte, le droit de négociation collective et le droit de mener des actions collectives sont primordiaux pour garantir l’autonomie des syndicats et protéger les conditions d’emploi des travailleurs : si l’on veut que l’essence de ces droits soit respectée, il faut que les syndicats soient autorisés à œuvrer à l’amélioration des conditions de vie et d’emploi que connaissent les travailleurs, et leur portée ne saurait se réduire, de par la loi, à l’obtention de conditions minimales.
121. Le Comité considère par ailleurs que les règles juridiques relatives à l’exercice de libertés économiques établies par les Etats parties de manière directe (droit interne) ou indirecte (via la législation de l’Union européenne) doivent être interprétées de façon à ne pas imposer de restrictions disproportionnées à l’exercice des droits des travailleurs tels qu’ils figurent, non seulement dans la Charte, mais aussi dans les textes de loi nationaux, dans la législation de l’Union européenne et dans d’autres instruments normatifs internationaux ayant force contraignante. La réglementation nationale et communautaire régissant l’exercice de ces libertés doit être interprétée et appliquée en tenant compte de l’importance fondamentale du droit des syndicats et de leurs adhérents de s’attacher à la fois à protéger et améliorer les conditions de vie et d’emploi des travailleurs, et de chercher à assurer l’égalité de traitement de ces derniers, indépendamment de leur nationalité ou pour tout autre motif.
122. Le fait de faciliter la circulation des services par-delà les frontières et de promouvoir la faculté pour un employeur ou une entreprise de fournir des services sur le territoire d’autres Etats – qui sont d’importants et précieux facteurs de liberté économique dans le cadre de la législation de l’Union européenne – ne peuvent donc être traités, du point de vue du système de valeurs, des principes et des droits fondamentaux consacrés par la Charte, comme ayant a priori une valeur plus grande que les droits essentiels des travailleurs, en ce compris le droit de recourir à l’action collective pour réclamer que leurs droits et intérêts économiques et sociaux soient davantage et mieux protégés. De plus, aucune restriction à l’exercice de ce droit ne doit empêcher les syndicats de mener des actions collectives pour améliorer les conditions d’emploi des travailleurs, notamment leur rémunération, et ce quelle que soit leur nationalité.
123. Reprenant ce même raisonnement pour se prononcer sur la violation de l’article 6§4 qui résulterait de la législation suédoise, le Comité relève qu’il ressort (a) de l’article 5a de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger, lu en liaison avec les dispositions de l’article 41c de la loi sur la codétermination, qu’aucune forme d’action collective ne peut être déclenchée par les syndicats si l’employeur peut démontrer que les travailleurs bénéficient de conditions d’emploi (notamment pour ce qui concerne leurs taux de rémunération et autres aspects essentiels de la relation d’emploi) qui sont au moins aussi favorables que les conditions minimales figurant dans des conventions conclues au niveau central, et (b) de l’article 5b de ladite loi, lu en liaison avec l’article 41c de la loi sur la codétermination, qu’aucune forme d’action collective ne peut être déclenchée par les syndicats si l’employeur peut démontrer que les travailleurs bénéficient de conditions d’emploi (notamment pour ce qui concerne leurs taux de rémunération et autres aspects essentiels de la relation d’emploi) qui sont au moins aussi favorables que les conditions minimales figurant dans des conventions conclues au niveau central ou dans l’entreprise utilisatrice. Le Comité note par ailleurs qu’aux termes de l’article 41c de la loi sur la codétermination, toute action collective menée en violation des articles 5a et 5b est illégale et que les syndicats qui agiraient au mépris de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger doivent procéder à l’indemnisation de tout éventuel préjudice subi (cf. article 55 de la loi sur la codétermination). Il s’agit là d’une restriction disproportionnée au libre exercice du droit des syndicats de mener des actions collectives, dans la mesure où cela les empêche, bien au-delà de ce que prévoient les dispositions susmentionnées, de déclencher une action en vue d’améliorer les conditions d’emploi de travailleurs détachés.
124. Le Comité note à cet égard que la loi sur le travail intérimaire entrée en vigueur au 1er janvier 2013 offre aux syndicats davantage de possibilités d’engager une action collective afin de réglementer les conditions d’emploi et de travail du personnel intérimaire détaché. Ce texte dispose également que les syndicats peuvent déclencher une action collective concernant des travailleurs intérimaires détachés afin de réglementer des conditions d’emploi allant au-delà des prescriptions minimales fixées par la directive de l’Union européenne sur le détachement de travailleurs. De l’avis du Comité, les garanties mises en place par la législation suédoise pour les travailleurs intérimaires détachés représentent un pas en avant dans la protection du droit des travailleurs détachés à mener des actions collectives. Pour autant, des restrictions au droit du personnel intérimaire détaché de mener des actions collectives subsistent, du fait de l’article 5b de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger.
125. Le Comité considère par conséquent que les articles 5a et 5b de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger, de même que l’article 41c de la loi sur la codétermination (voir point 35 supra), ne reconnaissent pas comme il se devrait le droit fondamental de mener des actions collectives, et sont dès lors contraires à l’article 6§4 de la Charte.
II. VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 19§4, ALINEAS a ET b, DE LA CHARTE
126. L’article 19§4, alinéas a et b, de la Charte est rédigé comme suit.
Article 19 – Droit des travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et à l’assistance
Partie I : « Les travailleurs migrants ressortissants de l’une des Parties et leurs familles ont droit à la protection et à l’assistance sur le territoire de toute autre Partie ; »
Partie II : « à garantir à ces travailleurs se trouvant légalement sur leur territoire, pour autant que ces matières sont régies par la législation ou la réglementation ou sont soumises au contrôle des autorités administratives, un traitement non moins favorable qu’à leurs nationaux en ce qui concerne les matières suivantes :
a) la rémunération et les autres conditions d’emploi et de travail ;
b) l’affiliation aux organisations syndicales et la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives.
(…) ».
A – Argumentation des parties
a) Les syndicats auteurs de la réclamation
127. D’une manière générale, les arguments avancés par LO et TCO pour la violation alléguée de l’article 6 de la Charte s’appliquent également, mutatis mutandis, à la violation alléguée de l’article 19§4. S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée de l’article 19§4, les réclamants précisent cependant que
« [l]es travailleurs détachés en Suède ressortissants d’un Etat membre de l’UE ou d’un pays appartenant à l’EEE sont des travailleurs migrants qui sont présents sur le territoire suédois en toute légalité, de sorte que la Suède est tenue de leur assurer un traitement non moins favorable que celui dont bénéficient ses propres citoyens, notamment pour ce qui concerne la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail ainsi que la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives. »
128. LO et TCO font également remarquer à ce sujet que
« [d]ans la mesure où la législation suédoise en vigueur cantonne à des normes minimales et à quelques matières le contenu des conventions collectives que les syndicats suédois peuvent, au moyen d’une éventuelle action collective, demander aux entreprises qui emploient des travailleurs détachés de signer, l’Etat suédois empêche dans les faits que ceux-ci soient traités, pour ce qui est de la rémunération et autres conditions d’emploi, sur le même pied que les nationaux. La législation suédoise en vigueur les empêche, pour la même raison, de jouir des avantages offerts par les conventions collectives dans les mêmes conditions que les citoyens suédois. La Suède ne respecte donc pas les alinéas a et b du quatrième paragraphe de l’article 19 de la Charte. »
129. S’agissant plus particulièrement du statut des travailleurs migrants, les syndicats auteurs de la réclamation font valoir que
« [l]e fait que le séjour des travailleurs détachés en Suède revête un caractère temporaire ne doit pas affecter leur statut de ‘travailleurs migrants’. L’article 19§4 se borne à parler de ‘travailleurs se trouvant légalement sur leur territoire’ ; d’autres dispositions de l’article 19 en revanche ont un champ d’application expressément plus restreint, qui exige des travailleurs qu’ils ‘résident régulièrement’ (article 19§8) ou soient autorisé[s] à s’établir [eux]-même[s] sur le territoire’ (article 19§6). »
130. Les syndicats auteurs de la réclamation concluent que, d’une part, les modifications apportées à la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et à la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger constituent une violation des alinéas a et b de l’article 19§4 et, d’autre part, que les modifications apportées à la loi n° 160 de 1992 et à l’ordonnance n° 308 de 1992 relatives aux filiales étrangères constituent une violation de l’alinéa b de l’article 19§4.
b) Le Gouvernement défendeur
131. Les arguments avancés par le Gouvernement pour la violation alléguée de l’article 6 de la Charte s’appliquent également, mutatis mutandis, à la violation alléguée de l’article 19§4.
B – Appréciation du Comité
132. Eu égard à ses observations liminaires sur le bien-fondé de la réclamation (points 72 à 74 supra) et vu ses conclusions quant à la violation alléguée des articles 6§2 et 6§2, le Comité tiendra compte, dans son appréciation, (a) des articles 5a et 5b (SFS 2012:857) et des articles 10 et 11 (SFS 2013:351) de la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger, de l’article 41c de la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination et de la loi n° 854 de 2012 sur le travail intérimaire, ainsi que (b) des modifications apportées à l’article 2 de la loi n° 1083 de 2009 relative aux filiales étrangères et de l’article 3 de l’ordonnance n° 308 de 1992 relative aux filiales étrangères.
133. Le Comité considère qu’au regard de l’article 19§4, les Etats parties doivent, afin de contribuer à l’amélioration de la situation juridique, sociale et matérielle des travailleurs migrants et de leurs familles, garantir certaines normes minimales pour ce qui concerne, notamment (a) la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail, et (b) l’affiliation syndicale et la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives. Il leur faut ici démontrer l’absence de toute discrimination, directe ou indirecte, dans leur législation et leur pratique. Il leur est également demandé de maintenir une ligne de conduite positive et constante pour assurer un traitement plus favorable aux travailleurs migrants.
134. Sur la violation alléguée de l’article 19§4, le Comité relève tout d’abord que la réclamation porte sur le traitement réservé en Suède aux travailleurs étrangers détachés dans ce pays. Il rappelle à ce sujet que les travailleurs détachés sont des personnes qui, pour une durée limitée, exercent leur activité sur le territoire d’un Etat autre que celui où elles travaillent habituellement – qui est souvent celui dont elles sont ressortissantes. Le Comité a conscience qu’en termes de durée et de stabilité de leur présence sur le territoire de l’Etat d’accueil, ainsi que de leurs liens avec cet Etat, les travailleurs détachés sont dans une situation différente de celle d’autres catégories de travailleurs migrants, et en particulier des travailleurs étrangers qui se rendent dans un autre Etat pour y chercher du travail et s’y installer définitivement. Il estime néanmoins que, pendant la durée de leur séjour et de l’exercice de leur activité professionnelle sur le territoire de l’Etat d’accueil, les travailleurs détachés constituent des travailleurs originaires d’un autre Etat qui sont présents en toute légalité sur le territoire de l’Etat d’accueil. Ils entrent en ce sens dans le champ d’application de l’article 19 de la Charte et sont en droit, pour la durée de leur séjour et de l’exercice de leur activité professionnelle sur le territoire de l’Etat d’accueil, de bénéficier d’un traitement non moins favorable que celui réservé aux travailleurs nationaux de l’Etat d’accueil pour ce qui concerne la rémunération, les autres conditions d’emploi et de travail, ainsi que la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives (alinéas a et b article 19§4).
135. Le Comité note en outre qu’aux termes de l’article 5a de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger, disposition relative aux rémunérations et autres conditions d’emploi et de travail, il est possible d’octroyer aux travailleurs étrangers détachés, quels que soient leur âge ou leur niveau de compétence et d’expérience professionnelle, des conditions minimales équivalentes à celles dont bénéficient les nationaux selon les conventions collectives centrales correspondantes (sauf si l’employeur accorde volontairement des conditions plus favorables). Il relève cependant qu’en Suède, il est peu fréquent que les conventions collectives fixent des règles en matière de salaires minima et que ceux-ci peuvent être sensiblement inférieurs au taux normal de rémunération généralement pratiqué dans le pays pour les travailleurs suédois (du même secteur d’activité). De surcroît, lorsqu’elles sont fixées par voie de conventions collectives, lesdites règles ne s’appliquent normalement qu’à ceux qui n’ont pas d’expérience professionnelle, comme les jeunes ; souvent, les conventions collectives font obligation à l’employeur de verser une rémunération plus élevée aux travailleurs qualifiés possédant une expérience professionnelle. Le Comité note par ailleurs qu’en vertu de l’article 5a de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger, il est interdit d’engager une action collective si l’employeur peut démontrer que, pour ce qui est de la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail, les travailleurs détachés bénéficient de conditions au moins aussi favorables que le régime minimum prévu par une convention collective conclue au niveau central. Concernant l’article 5b de cette même loi, les travailleurs intérimaires détachés peuvent bénéficier des clauses normales, mais un nombre limité de conditions de travail leur restent applicables et pourraient être réglementées dans une convention collective. Toute action collective est ici interdite si l’employeur peut démontrer que, pour ce qui est de la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail, les travailleurs intérimaires détachés bénéficient de conditions au moins aussi favorables que le régime prévu par une convention collective centrale ou par des accords d’entreprise. Compte tenu de cette interdiction de mener une action collective, il est peu probable que les entreprises acceptent d’octroyer aux travailleurs détachés des conditions plus favorables, car ces derniers n’auraient aucun moyen efficace de négocier pour persuader leur employeur d’accorder de meilleures conditions durant leur détachement.
136. Au vu de ce qui précède, le Comité estime qu’en matière de rémunération et autres conditions d’emploi et de travail, la législation suédoise n’assure pas aux travailleurs détachés le même traitement que celui garanti aux travailleurs sous contrat à durée indéterminée et n’est de ce fait pas conforme à la Charte. Il considère en particulier que, dans la mesure où ils ne garantissent pas aux travailleurs étrangers détachés présents en toute légalité sur le territoire de la Suède un traitement non moins favorable, s’agissant de la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail, que celui réservé aux citoyens suédois possédant des compétences et une expérience professionnelle comparable, les articles 5a et 5b de la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger sont contraires à l’article 19§4, alinéa a, de la Charte.
137. Sur la question de la jouissance par les travailleurs détachés des avantages de la négociation collective, le Comité rappelle que l’article 5a de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger interdit de mener des actions collectives si l’employeur peut démontrer que, pour ce qui est de la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail, les travailleurs détachés bénéficient de conditions au moins aussi favorables que le régime minimum. L’article 5b de ce même texte interdit toute action collective si l’employeur peut démontrer que, pour ce qui est de la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail, les travailleurs intérimaires détachés bénéficient de conditions au moins aussi favorables que le régime prévu par une convention collective centrale ou par des accords collectifs d’entreprise. Toute action collective engagée en violation des articles 5a ou 5b est réputée illégale en vertu de l’article 41c de la loi sur la codétermination. Les restrictions posées par les articles 5a et 5b de la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger sont également applicables lorsque les syndicats comptent des travailleurs qui leur sont affiliés au sein du personnel de l’entreprise concernée.
138. Le Comité a déjà indiqué que les textes de loi en question constituaient à ses yeux une restriction disproportionnée à l’exercice des droits des syndicats de mener des actions collectives (voir point 123 supra). Lorsqu’il analyse la législation sous l’angle opposé, c’est-à-dire du point de vue des droits des travailleurs détachés, il constate qu’elle est également contraire aux dispositions de la Charte relatives au droit des travailleurs migrants à la protection et à l’assistance. Il considère en particulier que, dans la mesure où ils ne garantissent pas aux travailleurs étrangers détachés présents en toute légalité sur le territoire de la Suède un traitement non moins favorable que celui réservé aux citoyens suédois pour ce qui concerne la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives, les articles 5a et 5b de la loi n° 678 de 1999 sur le détachement de travailleurs à l’étranger, ainsi que l’article 41c de la loi n° 580 de 1976 sur la codétermination, sont contraires à l’article 19§4, alinéa b, de la Charte.
139. Le Comité considère également que, nonobstant la teneur des modifications apportées à la loi sur le détachement de travailleurs à l’étranger qui ont pris effet au 1er juillet 2013 (voir points 35 et 114 supra), la refonte de l’article 2 de la loi relative aux filiales étrangères et la suppression qui en a résulté de l’obligation faite aux entreprises étrangères issues d’un pays appartenant à l’EEE, dès lors qu’elles exercent des activités économiques en Suède, de désigner une personne de contact habilitée à négocier et à conclure des conventions collectives, hypothèquent la possibilité pour les syndicats de favoriser la conclusion de conventions collectives avec les employeurs étrangers.
140. Le Comité note que le traitement différent – moins favorable – réservé aux travailleurs détachés a été institué par les textes de loi suédois susmentionnés dans le but de faciliter la circulation des services par-delà les frontières et de garantir la liberté de fournir des services à l’étranger, comme l’exige la législation de l’Union européenne. Le Comité rappelle à cet égard que le fait de faciliter la circulation des services par-delà les frontières et de promouvoir la faculté pour un employeur ou une entreprise de fournir des services sur le territoire d’autres Etats – qui sont d’importants et précieux facteurs de liberté économique dans le cadre de la législation de l’Union européenne – ne peuvent être traités, du point de vue du système de valeurs, des principes et des droits fondamentaux consacrés par la Charte, comme ayant a priori une valeur plus grande que les droits des travailleurs pour ce qui concerne la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives ainsi que pour ce qui touche à la rémunération et autres conditions d’emploi et de travail. Il souligne une nouvelle fois que, lorsqu’il est appliqué au contexte de la négociation collective, le principe de non-discrimination qui se trouve énoncé à l’article 19§4, alinéa b, de la Charte exige des Etats parties qu’ils prennent des mesures pour veiller à l’égalité de traitement des travailleurs migrants lorsqu’il s’agit de tirer parti des conventions collectives qui entendent mettre en œuvre le principe ‘à travail égal, salaire égal’ pour tous les travailleurs sur le lieu de travail, ou d’actions syndicales légitimes menées à l’appui d’un telle convention, conformément à la législation ou à la pratique nationale.
141. Au vu de ce qui précède, le Comité estime que, conformément à l’article 19§4 et eu égard à l’objet et au but de la Charte, les travailleurs détachés doivent, pendant la durée de leur séjour et de l’exercice de leur activité professionnelle sur le territoire de l’Etat d’accueil, être traités par ce dernier à l’égal de tous les autres travailleurs qui y exercent leur activité, et que les entreprises étrangères doivent être traitées sur un pied d’égalité par l’Etat d’accueil lorsqu’elles fournissent des services en recourant à des travailleurs détachés. A contrario, le Comité souligne que le fait de nier aux entreprises étrangères le droit de négociation ou d’action collective, ou d’assortir ce droit de restrictions pour ce qui les concerne, et ce dans le but de favoriser la libre circulation par-delà les frontières de services et avantages concurrentiels à l’intérieur d’une zone de marché commun, constitue, sous l’angle de la Charte, un traitement discriminatoire à raison de la nationalité des travailleurs, en ce qu’il a pour conséquence, dans l’Etat d’accueil, d’affaiblir la protection et les droits socio-économiques des travailleurs étrangers détachés par rapport à la protection et aux droits garantis à tous les autres travailleurs.
142. Le Comité estime que l’absence de dispositions législatives ou réglementaires faisant obligation aux entreprises étrangères de désigner une personne de contact en Suède habilitée à négocier et conclure des accords avec les syndicats suédois ne garantit pas aux travailleurs étrangers présents en toute légalité sur le territoire de la Suède un traitement non moins favorable que celui dont bénéficient les citoyens suédois pour ce qui est de la jouissance des avantages offerts par les conventions collectives, et est dès lors contraire à l’article 19§4, alinéa b, de la Charte.
CONCLUSION
Par ces motifs, le Comité
déclare à l’unanimité la réclamation recevable ;
conclut par 13 voix contre 1 qu’il y a violation de l’article 6§2 de la Charte ;
conclut par 13 voix contre 1 qu’il y a violation de l’article 6§4 de la Charte ;
conclut à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 19§4, alinéa a, de la Charte ;
conclut à l’unanimité qu’il y a violation de l’article 19§4, alinéa b, de la Charte.
Giuseppe PALMISANO
Rapporteur
Luis JIMENA QUESADA
Président
Régis Brillat
Secrétaire exécutif
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Dernière mise à jour le septembre 17, 2021 par loisdumonde
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