Décision sur la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo

Décision sur la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo. PDF, WORD.

GRANDE CHAMBRE
DÉCISION

Demande d’avis consultatif au titre de l’article 29 de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine

STRASBOURG
15 septembre 2021

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Robert Spano, président,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ksenija Turković,
Paul Lemmens,
Síofra O’Leary,
Yonko Grozev,
Carlo Ranzoni,
Armen Harutyunyan,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Alena Poláčková,
Marko Bošnjak,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Lado Chanturia,
Maria Elósegui,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 février et 9 juin 2021,

Rend la décision que voici, adoptée à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. Par une lettre du 3 décembre 2019, le président du Comité de Bioéthique du Conseil de l’Europe (« le DH-BIO ») a informé le président de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») de la décision du Comité, adoptée dans sa composition restreinte aux représentants des Parties à la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (« la Convention d’Oviedo »), de demander à la Cour un avis consultatif au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo. La demande était ainsi libellée :

« Conformément à l’article 29 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, « la Convention d’Oviedo »), le Comité de bioéthique, dans sa composition restreinte aux représentants des Parties à la Convention d’Oviedo, demande à la Cour européenne des droits de l’homme de donner un avis consultatif sur les questions juridiques suivantes relatives à l’interprétation de la Convention d’Oviedo, vu la Convention européenne des droits de l’homme, la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme et la Convention d’Oviedo :

1) À la lumière de l’objectif de la Convention d’Oviedo de « [garantir] à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité » (Article 1 de la Convention d’Oviedo), quelles sont les « conditions de protection » visées à l’article 7 de la Convention d’Oviedo qui doivent être prévues par la loi dans les États membres pour répondre aux exigences minimales de protection ?

2) Dans le cas du traitement d’un trouble mental sans le consentement de la personne concernée dans le but de protéger autrui contre un préjudice grave (voir l’article 26 § 1 de la Convention d’Oviedo), qui ne relève donc pas du champ d’application de l’article 7 de la Convention d’Oviedo, les mêmes conditions de protection que celles mentionnées dans la question 1) devraient-elles s’appliquer ? »

2. À l’appui de sa demande, le DH-BIO a donné l’explication suivante :

« Les deux questions visent à clarifier certains aspects de l’interprétation juridique de l’article 7 de la Convention d’Oviedo, dans le but d’éclairer les actuels et futurs travaux du DH-BIO en la matière.

La première question proposée a pour objectif d’obtenir des éclaircissements, fondés sur l’ensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour, quant aux exigences auxquelles doivent répondre ces « conditions de protection » visées à l’article 7 pour protéger efficacement les droits de l’homme de la personne concernée et protéger son intégrité.

L’article 7 de la Convention d’Oviedo limite expressément le traitement involontaire d’une personne souffrant d’un trouble mental dans le cas où un tel traitement est nécessaire pour prévenir un préjudice grave pour la santé de cette personne. Ainsi, l’article 7 ne prévoit pas de traitement involontaire dans les cas où un tel traitement peut être nécessaire pour éviter tout préjudice grave à autrui.

Selon le paragraphe 151 du rapport explicatif de la Convention d’Oviedo, « [l]a personne qui, en raison de ses troubles mentaux, représente une menace d’atteinte grave à la sécurité des autres peut, conformément à la loi, être l’objet sans son accord d’une mesure de placement ou de traitement. Dans ce cas, en plus des cas visés à l’article 7, la restriction fondée sur des motifs de protection des droits et libertés d’autrui peut être applicable ».

La deuxième question vise à préciser les conditions de protection applicables dans ce cas par rapport à celles visées à l’article 7. »

3. En l’absence de règles régissant spécifiquement ce type de procédure, le président de la Cour a décidé qu’il convenait d’appliquer par analogie le chapitre IX du règlement de la Cour. Le greffier a, par une lettre du 23 juin 2020, informé les Parties contractantes à la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») qu’elles pouvaient soumettre à la Cour des observations écrites concernant cette demande (article 84 § 2 du règlement). Les Parties contractantes ont été invitées à se prononcer sur la question de la compétence de la Cour, à soumettre leurs observations sur la demande formulée par le DH-BIO et à fournir des informations concernant leur droit et leur pratique internes pertinents, notamment sur le point de savoir si une personne qui souffre d’un trouble mental grave pourrait être soumise, sans son consentement, à un traitement qui vise à protéger autrui contre un préjudice grave et, dans l’affirmative, si cette possibilité trouve une base légale dans l’article 26 § 1 de la Convention d’Oviedo.

4. Des observations ont été reçues des gouvernements albanais, andorran, arménien, azerbaïdjanais, chypriote, estonien, finlandais, français, grec, hongrois, italien, letton, lituanien, luxembourgeois, néerlandais, norvégien, polonais, portugais, roumain, russe, slovène, suisse, tchèque, turc et ukrainien. Ces observations ont été communiquées au DH-BIO et à toutes les Parties contractantes (article 85 § 2 du règlement, par analogie).

5. Le président a autorisé les organisations de la société civile suivantes à intervenir dans la procédure : Validity ; l’International Disability Alliance, le Forum européen des personnes handicapées, Inclusion Europe, Autisme‑Europe et Mental Health Europe (conjointement) ; et le Center for Human Rights of Users and Survivors of Psychiatry. Leurs observations écrites ont été communiquées au DH-BIO et à toutes les Parties contractantes. Les organisations intervenantes ont également reçu une copie des observations des Parties contractantes (article 44 §§ 3-6, par analogie).

6. La demande a été attribuée à la Grande Chambre de la Cour. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 de la Convention et 24 du règlement, mutatis mutandis.

I. LE CONTEXTE DANS LEQUEL S’INSCRIT LA DEMANDE

A. La Convention d’Oviedo et sa genèse

7. Ouverte à la signature le 4 avril 1997, la Convention d’Oviedo a été élaborée dans le but d’offrir un cadre commun de protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine tant dans les domaines établis de longue date que dans ceux en évolution. Il ressort clairement de ce texte, en particulier de son titre, de son préambule ainsi que de son objet et de son but tels qu’énoncés dans son premier article, qu’il a beaucoup en commun avec la Convention. À cet égard, le rapport explicatif de la Convention d’Oviedo, dans son paragraphe 9, énonce ce qui suit :

« Non seulement la philosophie des deux textes, mais aussi nombre de principes éthiques et de notions juridiques sont communs. Ainsi, la présente Convention développe-t-elle certains des principes qui figurent dans la Convention européenne des droits de l’homme. »

8. La Convention d’Oviedo est entrée en vigueur le 1er décembre 1999, après avoir obtenu le nombre de ratifications nécessaire (cinq États, tous membres du Conseil de l’Europe – article 33 § 3). À la date où la présente décision a été adoptée, les vingt-neuf États suivants étaient parties à la Convention d’Oviedo : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, la Lettonie, la Lituanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, la République de Moldova, la République tchèque, la Roumanie, Saint‑Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse et la Turquie. La Convention d’Oviedo est également ouverte à la signature des États non membres qui ont participé à son élaboration et de l’Union européenne (article 33 § 1), ainsi qu’à tout autre État tiers conformément à la procédure définie à l’article 34. À ce jour, aucun État tiers n’y a adhéré.

9. L’article 29 de la Convention d’Oviedo est ainsi libellé :

Article 29 – Interprétation de la Convention

« La Cour européenne des droits de l’homme peut donner, en dehors de tout litige concret se déroulant devant une juridiction, des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la présente Convention à la demande :

– du Gouvernement d’une Partie, après en avoir informé les autres Parties ;

– du Comité institué par l’article 32, dans sa composition restreinte aux Représentants des Parties à la présente Convention, par décision prise à la majorité des deux tiers des voix exprimées. »

10. L’article 31 de la Convention d’Oviedo est ainsi libellé en sa partie pertinente :

Article 31 – Protocoles

« Des protocoles peuvent être élaborés conformément aux dispositions de l’article 32, en vue de développer, dans des domaines spécifiques, les principes contenus dans la présente Convention.

(…) »

11. L’article 32 de la Convention d’Oviedo est ainsi libellé en ses parties pertinentes :

Article 32 – Amendements à la Convention

« 1. Les tâches confiées au « comité » dans le présent article et dans l’article 29 sont effectuées par le Comité directeur pour la bioéthique (CDBI), ou par tout autre comité désigné à cette fin par le Comité des Ministres.

2. Sans préjudice des dispositions spécifiques de l’article 29, tout État membre du Conseil de l’Europe ainsi que toute Partie à la présente Convention qui n’est pas membre du Conseil de l’Europe peut se faire représenter au sein du comité, lorsque celui-ci accomplit les tâches confiées par la présente Convention, et y dispose d’une voix.

(…) »

À la suite de la réorganisation des instances intergouvernementales au Conseil de l’Europe, le Comité directeur pour la bioéthique susmentionné a été remplacé, le 1er janvier 2012, par le DH-BIO qui, depuis cette date, est le comité désigné au sens de l’article 32 § 1 de la Convention d’Oviedo.

12. S’agissant de la première fois qu’une demande d’avis consultatif est soumise à la Cour au titre de l’article 29, celle-ci juge utile d’évoquer la genèse de cette disposition.

13. Les travaux préparatoires (publiés par le Conseil de l’Europe sous la référence CDBI/INF (2000) 1) indiquent que l’idée de conférer à la Cour un rôle à l’égard de ce qui devait devenir la Convention d’Oviedo a été initialement discutée mi-1994 avec les représentants de la Cour, notamment. Lors de cette discussion initiale, ceux-ci accueillirent favorablement un possible rôle interprétatif de la Cour (op. cit., p. 119). En 1995, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adopta l’avis 184 sur le projet de Convention de bioéthique, dans lequel était proposée l’institution d’« un organe de contrôle en liaison avec la Cour européenne des droits de l’homme », chargé de surveiller l’application de la nouvelle convention et d’en interpréter le texte. Les rédacteurs de la convention établirent le projet de disposition qui suit (qui devint l’article 28 du projet de convention) :

« Les Parties à la présente Convention membres du Conseil de l’Europe [et la Communauté européenne] peuvent déclarer à tout moment qu’elles acceptent la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme pour statuer sur l’interprétation de [certaines dispositions de] la présente Convention à la demande :

– du Gouvernement d’une Partie [ou de la Commission européenne si la Communauté est Partie],

– à titre préjudiciel, d’une juridiction d’une Partie,

– du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. »

14. La Cour répondit à cette proposition par un avis rendu le 6 novembre 1995 (Cour (95) 413). Dans cet avis, elle se félicitait de manière générale du projet et observait que « [v]u son objet et sa finalité, cette convention s’inscrit dans le droit fil de la Convention européenne des droits de l’homme, dont elle partage non seulement la philosophie mais aussi certaines notions juridiques ».

Elle poursuivait ainsi :

« Plusieurs de[s] dispositions [du projet de convention] et notamment les quelques notions juridiques qu’[il] a en commun avec la Convention des droits de l’homme se prêtent facilement à des interprétations divergentes. On comprend dès lors le souci de ses auteurs d’instituer un système qui permettrait d’obtenir, au sujet desdites dispositions, une interprétation uniforme faisant autorité pour tous les États contractants. L’exercice de cette fonction par la Cour européenne des droits de l’homme devrait permettre d’atteindre ce but et éviter en même temps les divergences de compréhension et d’interprétation de quelques termes et concepts communs à la Convention bioéthique et à la Convention des droits de l’homme. »

La Cour se déclarait favorable au principe d’assumer une compétence interprétative dans ce domaine mais n’estimait pas opportun de statuer à titre préjudiciel. Elle précisait qu’elle devrait être saisie en dehors de tout litige concret se déroulant devant une juridiction interne, ce qui « réduirait sensiblement le risque d’une interprétation de nature à gêner la Cour ultérieurement si elle était saisie des faits de la cause ayant provoqué la demande préjudicielle dans le cadre de la Convention des droits de l’homme ».

15. Au lieu du libellé proposé (« pour statuer sur l’interprétation de [certaines dispositions de] la présente Convention »), la Cour suggérait une formule analogue à celle figurant à l’article 1 du Protocole no 2 à la Convention des droits de l’homme (désormais l’article 47 de la Convention) : « pour donner, en dehors de tout litige concret se déroulant devant une juridiction interne (…), des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de [certaines dispositions de] la présente Convention (…) ». Cette formulation fut acceptée par les rédacteurs mais les mots placés entre crochets furent supprimés afin que, étant entendu que la procédure se limiterait à des questions juridiques, la consultation puisse s’effectuer sur toute question juridique concernant la Convention d’Oviedo. Certaines autres modifications furent apportées au texte sur lequel la Cour avait été consultée (CDBI/INF (2000) 1, pp. 120-121), mais elles ne sont pas importantes aux fins de l’examen de la présente demande. Le libellé définitif du texte fut adopté par une large majorité de délégations (25 voix pour, 1 contre et 8 abstentions). Les travaux préparatoires ne précisent pas les raisons ayant justifié la voix contre et les abstentions.

16. L’article 7 de la Convention d’Oviedo, qui fait l’objet de la première question posée par le DH-BIO, figure au chapitre II de ce traité. Portant sur le consentement, ce chapitre énonce tout d’abord une règle générale en la matière :

Article 5 – Règle générale

« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.

Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.

La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »

L’article 7 établit une exception à la règle générale ci-dessus. Il dispose ce qui suit :

Article 7 – Protection des personnes souffrant d’un trouble mental

« La personne qui souffre d’un trouble mental grave ne peut être soumise, sans son consentement, à une intervention ayant pour objet de traiter ce trouble que lorsque l’absence d’un tel traitement risque d’être gravement préjudiciable à sa santé et sous réserve des conditions de protection prévues par la loi comprenant des procédures de surveillance et de contrôle ainsi que des voies de recours. »

17. La genèse de cette disposition, pour autant qu’elle est pertinente aux fins de la question ici examinée, peut être résumée comme suit. Les travaux préparatoires (CDBI/INF (2000) 1, pp. 38-41) indiquent que l’intention des rédacteurs était d’inclure un article afin de traiter du problème des patients souffrant d’une maladie mentale qui doivent subir un traitement obligatoire pour cette maladie. Cet article devait permettre aux médecins de passer outre le refus de ce patient de subir cette intervention mais seulement pour le traitement de la maladie mentale lorsqu’il existait un risque grave pour la santé de l’intéressé et en respectant les conditions de protection prévues par le droit national. Il fut proposé au cours des discussions que le texte prévoie l’intervention d’un tribunal pour ordonner le diagnostic ou le traitement et que les conditions de protection incluent des procédures de contrôle et d’appel. L’idée de mentionner l’intervention d’un tribunal ne fut pas acceptée. Il fut également suggéré de prendre en compte la Recommandation (83) 2 du Comité des Ministres sur la protection juridique des personnes atteintes de troubles mentaux et placées comme patients involontaires. Ce texte, qui au moment de la rédaction de la Convention d’Oviedo établissait les normes du Conseil de l’Europe applicables en la matière, contient un ensemble de règles instaurant des garanties dont le respect est recommandé aux États. Il est cité, ainsi que des textes provenant d’autres sources, au paragraphe 55 du rapport explicatif de la Convention d’Oviedo. Au cours de la discussion, des doutes furent émis quant à la valeur ajoutée de l’article 7 de cette convention. Cet avis ne fut pas partagé par la majorité des délégations pour qui la disposition en question était nécessaire en ce qu’elle limitait le nombre d’hypothèses dans lesquelles on pouvait procéder sans le consentement de la personne souffrant d’un trouble mental au traitement de ce trouble en le soumettant à des conditions précises. Il fut argué que cette disposition permettrait de protéger tant la santé de la personne que son autonomie. Le libellé finalement retenu (« sous réserve des conditions de protection prévues par la loi comprenant des procédures de surveillance et de contrôle ainsi que des voies de recours ») se dégagea au cours d’une réunion de septembre 1995. Certaines délégations suggérèrent ensuite de supprimer cette disposition dans l’attente des travaux d’un autre comité du Conseil de l’Europe sur la psychiatrie et les droits de l’homme, mais cette proposition ne fut pas acceptée, une large majorité étant d’avis qu’il était nécessaire que cet article fût inclus dans la convention. L’article 7 fut adopté par le Comité des Ministres le 19 novembre 1996 dans le texte définitif de la Convention d’Oviedo.

18. Le rapport explicatif de la Convention d’Oviedo expose ce qui suit, en sa partie pertinente aux fins de l’examen de la présente demande :

« 54. (…) L’article ne traite ici que le risque pour la santé du patient lui-même, l’article 26 de la Convention permettant par ailleurs de le traiter contre son gré pour protéger les droits et libertés d’autrui (par exemple en cas de comportement violent). L’article protège donc d’un côté la santé de la personne (dans la mesure où le traitement sans consentement du trouble mental est admis lorsque l’absence d’un tel traitement serait gravement préjudiciable à sa santé) et d’un autre côté son autonomie (dans la mesure où le traitement sans consentement est exclu dès lors que l’absence de traitement ne constitue pas un risque grave pour sa santé).

55. La dernière [condition] est le respect des conditions de protection prévues par la loi nationale. L’article prévoit que ces conditions doivent comprendre, entre autres, des procédures de surveillance, de contrôle et des voies de recours, comme par exemple l’intervention d’une autorité judiciaire. Cette exigence se comprend si l’on considère que l’on va pouvoir effectuer une intervention sur une personne qui n’y a pas consenti ; il est donc nécessaire de prévoir un mécanisme qui protège de manière adéquate les droits de cette personne. À cet égard, la Recommandation no R (83) 2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la protection juridique des personnes atteintes de troubles mentaux et placées comme patients involontaires prévoit un certain nombre de principes qui devraient être observés lors d’un traitement et d’un placement psychiatriques. Il convient également de mentionner la Déclaration de Hawaï de l’Association mondiale des Psychiatres du 10 juillet 1983 et ses révisions, la Déclaration de Madrid du 25 août 1996 ainsi que la Recommandation 1235 (1994) de l’Assemblée parlementaire relative à la psychiatrie et les droits de l’homme. »

19. L’article 26 de la Convention d’Oviedo est ainsi libellé :

Article 26 – Restrictions à l’exercice des droits

« 1. L’exercice des droits et les dispositions de protection contenus dans la présente Convention ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

2. Les restrictions visées à l’alinéa précédent ne peuvent être appliquées aux articles 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20 et 21. »

20. La genèse de cette disposition, telle qu’elle est consignée dans les travaux préparatoires CDBI/INF (2000) 1, témoigne des débats qui ont eu lieu quant au choix des motifs permettant aux États d’apporter des restrictions. Les rédacteurs prirent comme point de départ la terminologie employée dans la Convention, en particulier dans son article 8, afin de montrer les liens entre les deux textes. Au cours du processus, les représentants des organes de la Convention donnèrent leur avis sur la pertinence et l’adéquation des différents motifs mentionnés dans l’article 8, ce qui amena les rédacteurs à convenir de la liste plus restreinte qui figure maintenant à l’article 26. La genèse de cette dernière disposition explique également qu’il a été jugé préférable qu’une disposition générale, assortie de certaines exceptions, permette d’apporter des restrictions aux droits, plutôt que de prévoir cette possibilité article par article.

21. Concernant l’article 26, le rapport explicatif de la Convention d’Oviedo énonce ce qui suit en ses parties pertinentes :

« 148. Cet article énumère les seules exceptions possibles aux droits et dispositions de protection contenus dans chacune des dispositions de la Convention, sans préjudice des restrictions spécifiques que chaque article peut comporter.

(…)

151. La personne qui, en raison de ses troubles mentaux, représente une menace d’atteinte grave à la sécurité des autres peut, conformément à la loi, être l’objet sans son accord d’une mesure de placement ou de traitement. Dans ce cas, en plus des cas visés à l’article 7, la restriction fondée sur des motifs de protection des droits et libertés d’autrui peut être applicable.

(…)

155. En revanche, la protection de la santé du patient lui-même ne figure pas sous cet article comme étant l’une des raisons pouvant fonder une exception à l’ensemble des dispositions de la Convention. En effet, afin de mieux en préciser la portée, il a semblé préférable de définir une telle exception dans chacune des dispositions où elle est expressément envisagée. Il en est ainsi notamment à l’article 7, qui précise dans quelles conditions une personne atteinte de troubles mentaux peut être soumise sans son consentement à un traitement dont l’absence risquerait d’être gravement préjudiciable à sa santé.

(…) »

22. L’article 27 de la Convention d’Oviedo est ainsi libellé :

Article 27 – Protection plus étendue

« Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte à la faculté pour chaque Partie d’accorder une protection plus étendue à l’égard des applications de la biologie et de la médecine que celle prévue par la présente Convention. »

B. Autres textes pertinents du Conseil de l’Europe

23. En 2004, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation REC(2004)10 relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. Son chapitre III concerne le placement involontaire dans des établissements psychiatriques et le traitement involontaire pour trouble mental. Il énonce une série de critères, de normes et de droits que les États devraient respecter en pareilles situations. Aux fins de l’examen de la présente demande, le deuxième critère, qui figure à l’article 17.1, revêt une certaine importance :

« Sous réserve que les conditions suivantes sont réunies, une personne peut faire l’objet d’un placement involontaire :

(…)

ii. l’état de la personne présente un risque réel de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ;

(…) »

Le même critère figure également à l’article 18 relativement au traitement involontaire.

C. Le projet de Protocole additionnel relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires

24. L’article 31 de la Convention d’Oviedo prévoit que des protocoles peuvent être élaborés « en vue de développer, dans des domaines spécifiques, les principes contenus dans la présente Convention » (paragraphe 10 ci‑dessus). Comme l’expose le rapport explicatif, la Convention d’Oviedo se limite à l’énoncé des principes les plus importants. Les normes complémentaires et des règles plus détaillées doivent faire l’objet de protocoles additionnels (paragraphe 7 du rapport explicatif). À ce jour, trois protocoles additionnels ont été conclus, concernant la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine[1], la recherche biomédicale[2] et les tests génétiques à des fins médicales[3].

25. En 2018, un projet de Protocole additionnel relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires (« le projet de Protocole additionnel ») a été publié (DH-BIO/INF (2018) 7, 4 juin 2018), suivi d’un projet de rapport explicatif (DH‑BIO/INF (2018) 8, 15 juin 2018). Son but, tel qu’exposé dans l’avant-dernier paragraphe de son préambule, est de préciser les normes de protection applicables au placement et au traitement involontaires. L’objet de ce projet, tel qu’énoncé dans son article 1, est que les Parties « protègent la dignité et l’identité des personnes atteintes de troubles mentaux et garantissent, sans discrimination, le respect de leur intégrité et de leurs autres droits et libertés fondamentales, à l’égard du placement et du traitement involontaires ».

26. Comme cela est précisé dans le projet de rapport explicatif, l’objectif est « de préciser et d’élaborer les normes relatives à la protection des droits de l’homme applicables au recours aux mesures involontaires, sur la base, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dans un instrument juridiquement contraignant » (paragraphe 1). Le projet de Protocole additionnel « complète et élargit » les dispositions de la Convention d’Oviedo (paragraphe 4).

27. Le projet de Protocole additionnel s’appuie sur la Recommandation Rec (2004) 10 du Comité des Ministres aux États membres (mentionnée dans le sixième paragraphe de son préambule ; paragraphe 23 ci-dessus).

28. Le projet de Protocole additionnel s’est heurté à l’opposition de divers milieux et des doutes ont été vivement exprimés quant à sa compatibilité avec les obligations découlant de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Il a suscité l’opposition, entre autres, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies et de la société civile.

II. DÉCISION DE LA COUR

29. S’agissant de la première fois où la procédure prévue par l’article 29 de la Convention d’Oviedo est mise en œuvre, la Cour juge approprié d’examiner, tout d’abord, en termes généraux, la question de sa compétence au regard de cette disposition. Elle précisera ensuite la nature, l’étendue et les limites de cette compétence et, au vu des principes ainsi définis, elle statuera sur la question de sa compétence dans le cadre de la présente demande.

A. Le cadre juridique pertinent

30. Outre l’article 29 de la Convention d’Oviedo (cité au paragraphe 9 ci‑dessus), il est nécessaire de tenir compte des dispositions suivantes de la Convention européenne des droits de l’homme.

31. L’article 19 de la Convention européenne établit la Cour et définit ainsi sa fonction :

« Afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses Protocoles, il est institué une Cour européenne des droits de l’homme (…) »

32. La compétence que la Convention confère à la Cour est définie à l’article 32 dans les termes suivants :

« 1. La compétence de la Cour s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par les articles 33, 34, 46 et 47.

2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide. »

33. L’article 47 de la Convention se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« 1. La Cour peut, à la demande du Comité des Ministres, donner des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses Protocoles.

2. Ces avis ne peuvent porter ni sur les questions ayant trait au contenu ou à l’étendue des droits et libertés définis au titre I de la Convention et dans les Protocoles ni sur les autres questions dont la Cour ou le Comité des Ministres pourraient avoir à connaître par suite de l’introduction d’un recours prévu par la Convention.

(…) »

34. La compétence consultative de la Cour à cet égard est définie par l’article 48 qui est ainsi libellé :

« La Cour décide si la demande d’avis consultatif présentée par le Comité des Ministres relève de sa compétence telle que définie par l’article 47. »

35. Comme cela a été exposé ci-dessus, lorsqu’au cours de la négociation de la Convention d’Oviedo elle a été consultée sur le rôle qu’elle pourrait être amenée à jouer dans le cadre de ce traité, la Cour a proposé que sa compétence soit calquée sur la compétence consultative que lui conférait à l’époque l’article 1 du Protocole no 2 à la Convention en des termes pour l’essentiel identiques à ceux de l’actuel article 47 § 1 (paragraphe 15 ci-dessus).

36. Outre les types de compétence mentionnés ci-dessus, qui sont établis par la Convention, la Cour dispose également d’une compétence consultative en vertu du Protocole no 16, que les États peuvent décider d’accepter et dont les dispositions sont considérées comme des articles additionnels à la Convention. Dans le cadre de cette compétence consultative, qui est devenue effective le 1er août 2018, la Cour examine les questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses Protocoles qui lui sont adressées par les plus hautes juridictions des États parties (article 1 § 1 du Protocole no 16). L’objectif poursuivi par ce protocole est de renforcer l’interaction, et notamment le dialogue judiciaire, entre la Cour et les autorités nationales et d’améliorer ainsi la mise en œuvre de la Convention, conformément au principe de subsidiarité. Les limites de cet exercice sont expressément énoncées par le Protocole, qui dispose en particulier que la juridiction qui procède à la demande ne peut solliciter un avis consultatif que dans le cadre d’une affaire pendante devant elle et qu’elle doit produire les éléments pertinents du contexte juridique et factuel de l’affaire en question (article 1 §§ 2 et 3 de ce Protocole). La Cour a confirmé que les avis consultatifs qu’elle est amenée à rendre en application de ce protocole doivent se limiter aux points qui ont un lien direct avec le litige en instance au plan interne (Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention [GC], demande no P16-2018-001, Cour de cassation française, § 26, 10 avril 2019, et Avis consultatif relatif à l’utilisation de la technique de « législation par référence » pour la définition d’une infraction et aux critères à appliquer pour comparer la loi pénale telle qu’elle était en vigueur au moment de la commission de l’infraction et la loi pénale telle que modifiée [GC], demande no P16-2019-001, Cour constitutionnelle arménienne, §§ 44 et 47, 29 mai 2020). La Cour a considéré que dans ce contexte elle ne peut répondre à des questions théoriques et générales relatives au droit de la Convention (ibidem, § 55).

B. Les observations des gouvernements concernant la compétence de la Cour

37. Les gouvernements andorran, azerbaïdjanais, polonais, russe et turc (la Turquie étant Partie à la Convention d’Oviedo) soutiennent que, par principe, la Cour n’a pas compétence pour interpréter la Convention d’Oviedo, en ce que sa compétence est exclusivement régie par la Convention et qu’elle est donc limitée, ratione materiae, à la Convention et à ses Protocoles. Selon certains de ces gouvernements, pour élargir la compétence de la Cour, il est nécessaire de modifier la Convention ou d’adopter un nouveau protocole, et un traité distinct, même aussi étroitement lié par son but et son objet que l’est la Convention d’Oviedo, ne suffit pas. Le seul organe autorisé à demander un avis consultatif à la Cour serait le Comité des Ministres. Il est fait référence, dans ce contexte, à l’article 34 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (« la Convention de Vienne ») qui établit le principe général selon lequel un traité ne crée ni obligations ni droits pour un État tiers sans son consentement, dont on pourrait déduire que toute lacune normative devrait être comblée par un protocole d’amendement ou additionnel, et non par la voie de l’interprétation. Il est par ailleurs argué que même si la Convention d’Oviedo prétendait conférer une compétence consultative à la Cour, elle n’a pas précisé la procédure à suivre, et que cette lacune ne peut être comblée par la simple adaptation du règlement de la Cour. Pour l’un de ces gouvernements intervenants, les modalités procédurales auraient dû être énoncées dans la Convention d’Oviedo et ainsi obtenir l’assentiment exprès des États.

38. Un nombre plus important de gouvernements intervenants admettent que la Cour a une compétence de principe relativement à la Convention d’Oviedo. Telle est la position des gouvernements de l’Estonie, de la Finlande, de la France, de l’Italie, de la Lettonie, du Luxembourg, des Pays‑Bas, de la Norvège, du Portugal, de la Roumanie, de la République tchèque et de l’Ukraine (huit de ces douze États étant Parties à la Convention d’Oviedo). Pour le gouvernement lituanien, la question relève du pouvoir d’appréciation de la Cour. Les observations produites peuvent être résumées comme suit. Il est plaidé que les dispositions pertinentes de la Convention, citées ci-dessus, doivent être considérées comme régissant la compétence de la Cour relativement à la Convention et à ses Protocoles uniquement mais n’excluent pas que la Cour puisse se voir attribuer une fonction distincte par un autre traité conclu au sein du Conseil de l’Europe, en particulier un traité aussi étroitement lié à la Convention que l’est la Convention d’Oviedo, à laquelle la Cour elle-même s’est déjà référée dans plusieurs de ses arrêts. Il est argué que l’article 29 exprime l’intention des rédacteurs de la Convention d’Oviedo de confier à la Cour la tâche d’interpréter ce texte pour de bonnes raisons qui ressortent clairement de la genèse de cette disposition. Il est relevé que la Cour s’est elle-même déclarée favorable à l’exercice d’une telle fonction et que l’Assemblée parlementaire a également souhaité en 1995 que la Cour joue un rôle dans ce contexte. Il est, en effet, observé qu’au cours de la négociation de la Convention d’Oviedo, l’article 29 de ce texte a bénéficié d’un large soutien et que l’adoption du texte définitif par le Comité des Ministres indique clairement que les États membres du Conseil de l’Europe dans leur ensemble, c’est‑à‑dire toutes les Parties contractantes à la Convention, ont accepté cette fonction supplémentaire de la Cour. Il est précisé qu’en ratifiant la Convention d’Oviedo, vingt-neuf des États membres du Conseil de l’Europe ont formellement accepté la compétence interprétative de la Cour au titre de l’article 29 de ce traité, et ce sans aucun effet sur la situation des autres Parties contractantes à la Convention ni sur les dispositions de la Convention, la Cour ne s’étant vu attribuer aucune compétence contentieuse au titre de la Convention d’Oviedo. Certains gouvernements intervenants soutiennent que l’article 29 doit être considéré comme une règle pertinente de droit international au sens de l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne. L’un d’entre eux fait par ailleurs valoir que la relation entre les deux conventions à cet égard est régie par l’article 30 de la Convention de Vienne, qui concerne l’application de traités successifs portant sur la même matière, compte tenu du lien matériel étroit qui existe entre elles. On pourrait ainsi en déduire que les limites strictes qui s’appliquent à la compétence consultative de la Cour au titre de l’article 47 de la Convention, et qui sont clairement justifiées dans ce contexte, ne doivent pas s’appliquer à l’article 29 de la Convention d’Oviedo, sans quoi l’intention manifeste des rédacteurs de cette dernière serait ignorée et l’effectivité de l’article 29 compromise.

39. Huit gouvernements font référence à la limitation énoncée à l’article 47 § 2 de la Convention quant à l’étendue de la compétence de la Cour. Il est argué que certaines des questions posées par le DH-BIO sont incompatibles avec cette restriction en ce qu’elles portent sur des problèmes dont la Cour a déjà souvent eu à connaître dans le contexte de procédures contentieuses et dont elle aura vraisemblablement encore à connaître. Certains gouvernements soutiennent donc que la Cour devrait se déclarer incompétente pour accepter la demande en ce que la limitation énoncée à l’article 47 § 2 devrait également être respectée dans ce contexte (telle est la position des gouvernements arménien, grec, polonais et turc). D’autres plaident que la demande ne devrait pas être automatiquement rejetée pour cette raison et que la Cour devrait plutôt s’assurer que sa réponse est formulée de manière à ne pas affecter ses fonctions au titre de la Convention (telle est la position des gouvernements italien, norvégien, tchèque et ukrainien).

C. Les observations des organisations intervenantes concernant la compétence de la Cour

40. Une des organisations intervenantes, Validity, aborde la question de la compétence de la Cour. Elle soutient que la Cour devrait appliquer l’article 47 de la Convention par analogie, voire directement. Sur ce fondement, la demande devrait être considérée, selon l’organisation intervenante, comme échappant à la compétence de la Cour puisqu’elle ne serait compatible avec aucune des conditions énoncées à l’article 47 § 2 : elle aurait, en effet, trait au contenu ou à l’étendue de différentes dispositions de la Convention et porterait sur des questions que la Cour a déjà examinées dans de nombreuses affaires et qu’elle pourrait être appelée à réexaminer fréquemment à l’avenir. Pour elle, tout avis rendu par la Cour serait préjudiciable à l’examen ultérieur d’affaires soulevant de telles questions au titre de l’article 34 de la Convention.

D. Appréciation de la Cour

1. La compétence de la Cour au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo

41. L’article 29 de la Convention d’Oviedo a pour objet de rendre la Cour compétente pour interpréter cet instrument. Il n’est pas inédit qu’une juridiction internationale dispose, outre sa compétence contentieuse, d’une ample fonction consultative qui peut s’étendre au-delà de son traité principal. On peut citer les exemples de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui possèdent chacune une compétence consultative qui dépasse le traité principal de leurs systèmes respectifs de protection des droits de l’homme et inclut certains autres instruments dans ce domaine. Le traité constitutif de chacune de ces deux juridictions prévoit toutefois expressément que celles-ci peuvent exercer pareille compétence (article 64 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme ; article 4 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples), ce qui n’est pas le cas pour la Cour.

42. La Cour a pour instrument constitutif la Convention ; ses fonctions et pouvoirs sont déterminés par les articles 19, 32 et 47 de ce traité (voir aussi la Décision sur la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif [GC], § 26, CEDH 2004‑VI). La Convention est silencieuse quant à une quelconque possibilité pour la Cour d’exercer une compétence en dehors du système de la Convention. Certains des gouvernements intervenants dans la présente procédure soutiennent que les dispositions de la Convention citées ci-dessus constituent le seul et unique fondement de la compétence de la Cour et qu’est ainsi exclue toute autre fonction dérivant d’un autre traité qui n’aurait pas été expressément prévue par une modification de la Convention ou un nouveau protocole. La Cour ne partage pas ce point de vue. S’il est indiscutable que la compétence de la Cour à l’égard de la Convention et de ses Protocoles est régie par les dispositions susmentionnées, celles-ci n’excluent pas expressément que la Cour puisse se voir attribuer par un autre traité relatif aux droits de l’homme et étroitement lié à la Convention qui serait conclu dans le cadre du Conseil de l’Europe une compétence relativement à ce traité, et rien n’oblige à les interpréter comme excluant entièrement pareille possibilité. Telle est également la position de la majorité des gouvernements intervenants qui ont abordé cette question. La Cour a souvent déclaré que la Convention ne doit pas être interprétée dans le vide (voir, parmi beaucoup d’autres, S.M. c. Croatie [GC], no 60561/14, § 287, 25 juin 2020). Conformément à une pratique établie de longue date, qui reflète la règle énoncée à l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne, la Cour doit, lorsqu’elle interprète la Convention, prendre en considération toute règle de droit international applicable aux relations entre les Parties contractantes, en l’espèce les dispositions de l’article 29 de la Convention d’Oviedo. Si ce principe d’interprétation a essentiellement été appliqué aux clauses normatives de la Convention, la Cour considère qu’il n’est pas dénué de pertinence pour d’autres types de dispositions, dont celles relatives à la compétence de la Cour. Par ailleurs, elle attache de l’importance au fait que, même si la Convention d’Oviedo n’a pas été ratifiée par les quarante-sept Parties contractantes à la Convention, elle a obtenu, en tant que traité du Conseil de l’Europe, l’approbation du Comité des Ministres qui l’a adoptée le 19 novembre 1996.

43. En outre, comme cela ressort de la genèse de l’article 29, les institutions compétentes partageaient l’idée que le rôle consultatif qu’il était envisagé de conférer à la Cour était à la fois légitime et justifié (paragraphe 13 ci-dessus).

44. La Cour elle-même a accueilli favorablement cette idée dans son avis de 1995 sur le projet de Convention d’Oviedo (paragraphe 14 ci-dessus), dans lequel elle a souligné le degré important de convergence entre cet instrument et la Convention. La Convention d’Oviedo compte parmi les traités relatifs aux droits de l’homme conclus dans le cadre du Conseil de l’Europe, dans le but de réaliser une union plus étroite entre ses membres par la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a été considéré à l’époque qu’eu égard au fait que ces deux instruments partageaient une série de notions, l’exercice par la Cour d’une fonction interprétative à l’égard de la Convention d’Oviedo serait propre à garantir une interprétation uniforme de ces notions et à éviter qu’elles reçoivent des interprétations divergentes au titre de chacune de ces conventions.

45. Quant à l’argument qu’un gouvernement tire de l’absence dans le règlement de la Cour de règles procédurales spécifiques pour la présente procédure (paragraphe 37 ci-dessus), la Cour estime que ce point n’est pas déterminant pour la question de sa compétence au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo et qu’il ne pose pas de difficulté particulière. Elle considère en effet que compte tenu du silence de la Convention d’Oviedo à cet égard, il lui appartient, par analogie avec l’article 25 d) de la Convention, en vertu duquel elle est seule compétente pour adopter son règlement, de définir la procédure à suivre.

46. Pour conclure sur ce premier point, la Cour, eu égard, d’une part, à l’absence en l’espèce de conflit entre les dispositions pertinentes des deux instruments en question, et, d’autre part, à l’accord des États contractants tel qu’exprimé par le Comité des Ministres lors de l’adoption de la Convention d’Oviedo, considère que la Convention ne met pas obstacle à ce qu’elle exerce une compétence à elle attribuée par la Convention d’Oviedo. Elle se reconnaît donc compétente pour rendre des avis consultatifs au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo. Il lui appartient maintenant de déterminer la nature, l’étendue et les limites de la compétence issue de ladite clause, tant au regard de la Convention d’Oviedo elle-même que relativement à la compétence que lui confère la Convention.

2. La nature, l’étendue et les limites de la compétence consultative de la Cour au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo

47. L’article 29 de la Convention d’Oviedo prévoit que la Cour peut donner des avis consultatifs sur des « questions juridiques » qui concernent « l’interprétation » de la « présente Convention ». Il est nécessaire de déterminer le sens de ces termes dans le contexte dans lequel ils sont employés. À cet égard, la Cour juge approprié de se référer, une fois encore, à la genèse de cette disposition. Comme elle l’a exposé ci-dessus (paragraphe 15), la terminologie employée à l’article 29 trouve manifestement son origine dans l’avis rendu par la Cour en 1995, dans lequel elle s’inspirait expressément du libellé qui est maintenant celui de l’article 47 § 1 de la Convention. Par conséquent, le sens des termes employés devrait être le même dans les deux contextes.

48. La Cour a déjà eu l’occasion de préciser la nature de la compétence consultative qui est la sienne au titre de la Convention. Elle a ainsi observé qu’il ressortait des travaux préparatoires pertinents que l’emploi de l’adjectif « juridique » à l’article 47 § 1 dénotait l’intention des rédacteurs d’exclure toute compétence de la Cour à l’égard de questions d’opportunité politique (Avis consultatif sur certaines questions juridiques relatives aux listes de candidats présentées en vue de l’élection des juges de la Cour européenne des droits de l’homme [GC], §§ 19 et 36, 12 février 2008). Ce point est également exposé dans le rapport explicatif du Protocole no 2, selon lequel les termes « questions juridiques » excluent les questions qui iraient au‑delà de la simple interprétation des textes et qui tendraient par des additions, des améliorations ou des correctifs, à en modifier la substance (paragraphe 6 du rapport explicatif). Compte tenu de l’origine de l’article 29 de la Convention d’Oviedo, la Cour considère que toute demande qui lui est adressée au titre de cette disposition doit être soumise à la même limitation. Toutes les questions posées en vertu de cette disposition doivent donc revêtir un caractère « juridique ».

49. Pour ce qui est des autres termes – « interprétation » et « présente Convention » – figurant à l’article 29, la Cour souhaite clarifier son approche méthodologique en précisant que cette procédure suppose un exercice d’interprétation des traités selon les méthodes énoncées aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne. Ce sont ces mêmes dispositions qui depuis longtemps guident la Cour lorsqu’il s’agit pour elle de clarifier le sens de la Convention à travers l’exercice de sa compétence contentieuse (voir, parmi beaucoup d’autres, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, §§ 118‑125, 8 novembre 2016). À plusieurs reprises, la Cour a toutefois aussi mis l’accent sur la nature spécifique de la Convention, traité de garantie collective des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voir, parmi beaucoup d’autres, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 87, série A no 161, et Slovénie c. Croatie (déc.) [GC], no 54155/16, §§ 60 et 67, 18 novembre 2020). Elle a notamment souligné le caractère unique que la Convention revêt en tant qu’instrument constitutionnel de l’ordre public européen dans le domaine des droits de l’homme (voir, parmi beaucoup d’autres, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 156, CEDH 2005‑VI). Cela amène la Cour à considérer la Convention, pour l’interprétation et l’application de laquelle elle a plénitude de juridiction en vertu de l’article 32, comme un instrument vivant qui doit être interprété selon les conditions actuelles de la société (voir, parmi beaucoup d’autres, Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [GC], nos 60367/08 et 961/11, § 73, 24 janvier 2017). La Cour souligne que cette méthode d’interprétation particulière, qui fait partie intégrante de sa compétence contentieuse, doit être considérée comme étant spécifique à la Convention et à ses Protocoles. L’article 29 n’offre aucun fondement similaire pour adopter la même méthode relativement à l’interprétation de la Convention d’Oviedo, alors même que cette méthode était déjà bien connue au moment où a été rédigé cet instrument. C’est donc bien la « présente Convention » que la Cour peut être appelée à interpréter. La Cour observe à cet égard que la Convention d’Oviedo représente un modèle normatif différent de la Convention, puisqu’il s’agit d’un instrument cadre qui définit une série de grands principes, destinés à être développés, dans des domaines spécifiques, au travers de protocoles (voir l’article 31 de la Convention d’Oviedo cité au paragraphe 10 ci-dessus).

50. La Cour juge approprié de saisir l’occasion d’apporter des précisions sur la relation entre la compétence consultative que lui attribue la Convention d’Oviedo et la compétence contentieuse et consultative qu’elle exerce au titre de la Convention. Elle souligne tout d’abord que, dans la Convention, la relation entre la compétence contentieuse et la compétence consultative de la Cour est régie par l’article 47 § 2, qui, de deux manières connexes, limite significativement la seconde par rapport à la première. Ainsi, un avis consultatif ne peut porter ni sur les questions ayant trait au contenu ou à l’étendue des droits et libertés définis au titre I de la Convention (articles 2‑18) et dans les protocoles ni sur les autres questions dont la Cour ou le Comité des Ministres pourraient avoir à connaître par suite de l’introduction d’un recours prévu par la Convention.

51. Concernant la seconde limitation, la Cour a précisé sa finalité comme suit :

« La Cour estime que les dispositions excluant sa compétence consultative ont pour but d’éviter une situation dans laquelle elle adopterait dans son avis consultatif une position de nature à préjuger l’examen ultérieur par elle d’une requête introduite en vertu des articles 33 ou 34 de la Convention, le fait qu’une telle requête n’ait pas été introduite ou ne le soit jamais n’étant nullement déterminant. À cet égard, elle renvoie une fois de plus aux travaux préparatoires, dans lesquels il est précisé qu’il importe « que la Cour ne soit jamais mise dans la difficulté d’avoir, en présence d’une demande d’avis, à se prononcer directement ou indirectement sur une question de droit dont elle pourrait éventuellement avoir à connaître à titre principal, à l’occasion d’une affaire susceptible d’être portée devant elle » (CM(61)91). La Cour considère donc qu’il suffit, pour exclure sa compétence consultative, qu’elle soit saisie d’une question juridique dont elle pourrait avoir à connaître à l’avenir dans l’exercice de sa fonction judiciaire première, à savoir l’examen de la recevabilité ou du fond d’une affaire concrète » (Décision sur la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif [GC], § 33, CEDH 2004‑VI, 2 juin 2004).

52. Cette finalité de l’article 47 § 2 est formulée en des termes très généraux, et elle se reflète également dans la genèse de la Convention d’Oviedo. Comme cela a été décrit ci-dessus (paragraphe 14), la proposition initiale présentée à la Cour envisageait une procédure de renvoi préjudiciel. La Cour rejeta cette idée et expliqua dans son avis sur le projet de convention qu’un tel rôle au titre de la (future) Convention d’Oviedo pourrait avoir une influence sur l’exercice de sa compétence contentieuse au titre de la Convention, en ce qu’elle risquerait d’être gênée dans l’examen d’une cause à propos de laquelle elle aurait déjà rendu une décision préjudicielle à la demande de la juridiction interne saisie de l’affaire. Cette particularité a par la suite été omise. Les rédacteurs précisèrent également dans le texte du futur article 29 qu’une demande d’avis consultatif ne devait comporter aucune référence directe à un litige concret se déroulant devant une juridiction. Cette précision fut également suggérée par la Cour, qui entendait réduire le risque d’une interprétation susceptible de la gêner à un stade ultérieur dans l’hypothèse où une demande trouvant son origine dans une procédure interne déboucherait ensuite sur une requête au titre de la Convention. Elle estima qu’une fonction purement consultative répondant à des questions juridiques d’interprétation permettrait d’éviter cet écueil. Cette préoccupation demeure pertinente. La Cour souligne donc qu’elle doit exercer la compétence consultative que lui attribue la Convention d’Oviedo de manière à ce qu’elle puisse s’harmoniser avec la compétence qui est la sienne au titre de la Convention, en particulier avec sa compétence contentieuse, qui constitue sa fonction prééminente et doit être soigneusement préservée.

53. La compétence consultative que la Cour s’est ultérieurement vu attribuer par le Protocole no 16 (paragraphe 36 ci-dessus) doit être clairement distinguée de celle que lui confère la Convention d’Oviedo. Au-delà de la différence de forme évidente, le Protocole no 16 faisant partie de la série de traités internationaux constitutifs du système de la Convention, la procédure introduite par ce protocole a pour objet d’améliorer la mise en œuvre de la Convention dans des affaires concrètes pendantes devant les juridictions nationales, en tenant compte des circonstances factuelles et juridiques propres à ces affaires, afin de renforcer la mise en œuvre du principe de subsidiarité désormais expressément énoncé dans le préambule de la Convention. Eu égard à cette différence fondamentale entre le Protocole no 16 et les deux autres textes conférant une compétence consultative à la Cour, à savoir l’article 47 de la Convention et l’article 29 de la Convention d’Oviedo, les limites qui s’appliquent à la compétence que cette dernière disposition attribue à la Cour, lesquelles visent à préserver la fonction judiciaire de la Cour, ne sauraient s’appliquer de la même manière à la compétence que le Protocole no 16 confère à la Cour.

54. Les dispositions pertinentes de la Convention n’excluent donc pas entièrement que la Cour puisse se voir conférer une fonction judiciaire à l’égard d’autres traités en matière de droits de l’homme conclus dans le cadre du Conseil de l’Europe. Encore faut-il que l’exercice par la Cour de la compétence qu’elle tient de son instrument constitutif ne s’en trouve pas affecté. Sans qu’il soit nécessaire pour elle de prendre une position définitive sur certains des arguments formulés devant elle sur le fondement de la Convention de Vienne, la Cour souligne qu’elle ne saurait exercer ses fonctions dans le cadre de la procédure prévue par l’article 29 de la Convention d’Oviedo d’une manière incompatible avec la finalité de l’article 47 § 2 de la Convention (que l’on retrouve également dans la genèse de l’article 29), qui est de préserver sa fonction judiciaire première de juridiction internationale administrant la justice au titre de la Convention.

3. La compétence de la Cour à l’égard de la présente demande

55. Après avoir affirmé, d’une manière générale, sa compétence consultative au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo et précisé sa nature, son étendue et les limites qui doivent nécessairement s’y appliquer, la Cour doit maintenant déterminer si elle a compétence pour accepter la demande qui lui est soumise, en examinant l’une après l’autre les questions qui lui sont posées.

56. Pour commencer, la Cour observe que la demande a été présentée par le comité – le DH-BIO – désigné au titre de l’article 32 de la Convention d’Oviedo. Selon les informations fournies, la demande a été adoptée par le DH-BIO dans sa composition restreinte aux représentants des Parties à la Convention d’Oviedo. En l’absence de toute mention du nombre de suffrages exprimés pour l’adoption de la demande, la Cour présume que la majorité requise (les deux tiers des voix exprimées) a été obtenue.

57. Conformément à l’article 29, la demande ne fait aucune référence directe à une quelconque procédure dont une juridiction aurait été saisie.

58. Il reste à déterminer si la demande respecte la nature, l’étendue et les limites de la compétence consultative de la Cour. La Cour observe que l’article 29 de la Convention d’Oviedo n’exige pas que les demandes d’avis consultatifs soient assorties de motifs ou d’explications. Pour pouvoir se convaincre qu’elle a effectivement compétence pour accepter la demande, elle doit toutefois prendre en compte non seulement le libellé de cette demande et l’explication qui l’accompagne, mais aussi sa genèse et le contexte dans lequel elle s’inscrit.

59. À cet égard, la Cour note le libellé de la première question (« (…) quelles sont les « conditions de protection » (…) qui doivent être prévues par la loi dans les États membres (…) »), ainsi que l’explication générale du DH‑BIO selon laquelle il souhaite, par cette question, clarifier « certains aspects de l’interprétation juridique de l’article 7 de la Convention d’Oviedo, dans le but d’éclairer [s]es actuels et futurs travaux (…) en la matière ». Si la demande ne fait pas référence au débat international qui s’est ouvert relativement au projet de Protocole additionnel relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires, il s’agit d’une question publique.

a) Les observations des gouvernements

60. Comme cela a déjà été exposé ci-dessus (paragraphe 39), certains gouvernements arguent que la nature des questions posées les fait relever de l’article 47 § 2 de la Convention et que la Cour n’est donc pas compétente pour y répondre. Concernant la première question, certains autres gouvernements formulent différentes suggestions quant aux « conditions de protection » qui devraient être prévues par les États parties à la Convention d’Oviedo. Le gouvernement tchèque identifie un certain nombre de principes généraux qui devraient, selon lui, être pris en considération, tels que la nécessité, la proportionnalité, l’adoption d’une approche individualisée et un recours aux interventions hors consentement uniquement en dernier ressort. Il suggère ensuite une série de garanties, inspirées des textes internationaux pertinents, notamment la Recommandation REC(2004)10 du Comité des Ministres et le projet de Protocole additionnel relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires, qui devraient être prévues en droit interne. Les gouvernements estonien, letton et polonais (ce dernier uniquement pour le cas où la Cour se reconnaîtrait une compétence de principe au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo) considèrent que la réponse de la Cour devrait se référer à sa jurisprudence concernant les dispositions pertinentes de la Convention, en particulier les articles 3, 5 et 8, directement applicables selon eux à l’objet de la question examinée. Ils déduisent d’un certain nombre d’arrêts rendus par la Cour une série de conditions de protection. Le gouvernement néerlandais met en avant divers aspects que les législations nationales devraient selon lui contenir, ajoutant que le droit interne devrait également ménager la possibilité d’un jugement professionnel dans chaque cas individuel. Le gouvernement portugais observe que l’article 7 de la Convention d’Oviedo laisse à chaque Partie le soin de déterminer dans le détail les conditions de protection à appliquer lorsqu’une personne est soumise à une intervention sans son consentement. Il soutient que les États jouissent ainsi d’une certaine marge d’appréciation en la matière, tout en soulignant que les lignes directrices énoncées dans la Recommandation REC(2004)10 du Comité des Ministres revêtent une importance particulière dans ce contexte, notamment les articles 21 à 25 de cet instrument.

61. Concernant la deuxième question, la plupart des gouvernements intervenants indiquent que leur droit interne prévoit la possibilité de soumettre les personnes souffrant d’un trouble mental à des interventions sans leur consentement lorsque pareilles interventions sont nécessaires pour prémunir autrui d’un préjudice grave. Ils précisent que les interventions en question sont généralement régies par les mêmes dispositions et soumises aux mêmes conditions de protection que les interventions ayant pour but de protéger les personnes concernées du risque qu’elles présentent pour elles‑mêmes. Ils soutiennent qu’il serait difficile de chercher à distinguer entre ces deux motifs pouvant justifier une intervention hors consentement, étant donné que de nombreuses pathologies représentent un risque tant pour la personne concernée que pour les tiers. Le gouvernement néerlandais observe que lorsque le but est la protection d’autrui, des conditions supplémentaires peuvent être requises. Il cite l’exemple de l’obligation pour le personnel médical de consulter les autorités locales compétentes et le parquet avant de mettre un terme à un traitement hors consentement ordonné pour ce motif. Le gouvernement suisse précise qu’en vertu de son droit interne, la protection des tiers est un élément à prendre en compte lors de l’évaluation de la mise en œuvre d’un traitement hors consentement, mais il ajoute qu’il ne s’agit pas en soi d’un élément déterminant. Plusieurs gouvernements sont d’avis que l’article 26 de la Convention d’Oviedo autorise de telles interventions et que les « conditions de protection » mentionnées à l’article 7 devraient également s’appliquer dans ces circonstances. Ils soutiennent que rien ne permet de considérer que l’article 26 envisage des normes ou garanties différentes. Le gouvernement portugais expose que le fait que les deux motifs pouvant justifier une intervention sont régis par des dispositions différentes correspond à une technique législative bien connue, la disposition la plus large couvrant d’autres situations, non spécifiées, justifiant l’adoption de mesures identiques. Il ajoute que ces deux dispositions devraient être interprétées de manière concertée.

b) Les observations des organisations intervenantes

62. La thèse commune aux trois interventions reçues consiste à dire que les articles 7 et 26 de la Convention d’Oviedo ne sont pas compatibles avec les normes aujourd’hui applicables telles qu’établies par la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CNUDPH). Les organisations intervenantes soutiennent que la notion même d’imposition d’un traitement sans consentement est contraire à la CNUDPH, qui a modifié le paradigme de la protection des droits des personnes souffrant de maladies psychiques ou de handicaps psychosociaux. Selon elles, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a établi qu’une telle pratique est contraire aux principes de dignité, de non-discrimination, de liberté et de sécurité de la personne, et qu’elle porte atteinte à plusieurs dispositions de la CNUDPH, notamment à son article 14. Ce comité n’aurait eu de cesse d’exhorter les États à cesser de telles pratiques et à abroger les lois les autorisant. Cette position serait largement admise dans l’ensemble du système des droits de l’homme des Nations unies ainsi que par l’Organisation mondiale de la santé, qui aurait modifié ses politiques en la matière afin d’en tenir compte. Les organisations intervenantes soulignent que tous les États parties à la Convention d’Oviedo ont ratifié la CNUDPH, comme l’ont fait quarante-six des quarante-sept États parties à la Convention européenne.

63. Elles font plusieurs observations sur la manière dont la Cour devrait, selon elles, répondre à la demande du DH-BIO. Elles soutiennent que l’article 53 de la Convention européenne est applicable et que cette disposition garantit que la Convention ne puisse servir à abaisser le niveau de protection des droits de l’homme offert par le droit interne ou d’autres accords internationaux. Elles en déduisent que la Cour ne saurait interpréter la Convention d’une manière qui ne cadrerait pas avec la CNUDPH, et qu’il devrait en être de même relativement à la Convention d’Oviedo. Elles soutiennent par ailleurs que la CNUDPH devrait être considérée comme la lex specialis dans ce domaine particulier et qu’en cas de conflit entre cet instrument, d’une part, et la Convention européenne et la Convention d’Oviedo, d’autre part, il conviendrait de ne pas appliquer les dispositions pertinentes de ces deux derniers instruments ou, tout au moins, de les interpréter à la lumière de la lex specialis. Elles arguent également que la CNUDPH devrait être reconnue comme un « traité successif » au sens de l’article 30 de la Convention de Vienne et que l’article 7 de la Convention d’Oviedo devrait ainsi être considéré comme ne s’appliquant que dans la mesure où il peut être interprété d’une manière compatible avec les dispositions de la CNUDPH. Elles soutiennent que la Cour devrait en tout état de cause s’efforcer d’adopter une interprétation harmonieuse des dispositions correspondantes de la Convention européenne, de la Convention d’Oviedo et de la CNUDPH. Elles plaident que puisque la Cour appréhende la Convention comme un instrument vivant en l’interprétant à la lumière des règles pertinentes du droit international applicable aux États contractants et qu’elle tient également compte du consensus émergeant des instruments internationaux spécialisés, elle devrait aligner son interprétation des dispositions pertinentes de la Convention sur les exigences plus strictes définies par la CNUDPH dans ce domaine et interpréter ensuite les dispositions correspondantes de la Convention d’Oviedo de la même manière. Elles estiment que la Cour devrait s’efforcer d’éviter autant que possible tout conflit entre ces traités internationaux simultanément applicables, et de refléter le consensus croissant dans les législations et politiques nationales pour juger inacceptables les traitements hors consentement. Selon elles, la Convention d’Oviedo elle-même ouvre la voie pour résoudre le conflit qui pourrait l’opposer aux normes actuellement en vigueur : en s’appuyant sur son article 27, qui permet une protection plus étendue, ainsi que sur les principes fondamentaux cités aux articles 1 et 5, il serait possible de conclure que l’article 7 devrait désormais être considéré comme étant dépourvu de tout effet.

c) Appréciation de la Cour

i. Question 1

64. Par sa première question, le DH-BIO demande à la Cour d’interpréter les termes « conditions de protection » qui figurent à l’article 7 de la Convention d’Oviedo afin de préciser les exigences minimales de protection que les Parties doivent prévoir dans leur législation en application de cette disposition, et de le faire à la lumière de l’objectif de ce traité tel que défini dans son premier article. Il invite également la Cour à tenir compte de la Convention et de la jurisprudence pertinente pour rendre l’avis consultatif demandé. Le DH-BIO explique que la première question a pour objectif d’obtenir des éclaircissements, fondés sur l’ensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour, quant aux exigences à respecter pour protéger efficacement les droits de l’homme de la personne concernée et son intégrité, dans le but d’éclairer les travaux qu’il mène ou mènera en la matière.

65. Pour la Cour, toutefois, les « conditions de protection », au sens de l’article 7 de la Convention d’Oviedo, qui doivent être « prévues par la loi dans les États membres pour répondre aux exigences minimales de protection » ne sauraient être précisées dans le cadre d’une interprétation judiciaire abstraite. Il est en effet clair que la disposition en question reflète le choix délibéré de ses rédacteurs de laisser aux Parties le soin de déterminer de manière plus détaillée et plus complète dans leur droit interne les conditions de protection applicables dans ce contexte. À cet égard, l’article 7 contraste avec d’autres dispositions plus détaillées du même traité, par exemple les articles 16, 17 et 20. Il est évident que les rédacteurs n’ignoraient rien de l’existence à l’époque de normes spécifiques pertinentes, qui sont d’ailleurs mentionnées dans le rapport explicatif, notamment les normes non contraignantes élaborées par le Comité des Ministres (paragraphe 55 du rapport explicatif, cité au paragraphe 18 ci-dessus). Ils se sont toutefois abstenus de les inclure dans le traité (voir la genèse de cette disposition, résumée au paragraphe 17 ci-dessus).

66. Ni le contexte général du traité ni son objet et son but ne mènent à une interprétation de l’article 7 dans le sens demandé. Le thème essentiel de la Convention d’Oviedo, ainsi qu’en attestent son titre complet, son préambule et ses dispositions générales, en particulier ses articles 1 et 2, est la protection de la dignité et des droits de l’être humain. Si cela suppose de réglementer avec grand soin les circonstances et les conditions dans lesquelles une exception peut être apportée à la règle générale du consentement aux interventions dans le domaine de la santé, qui est énoncée à l’article 5, et si de nombreuses suggestions inspirées par les normes nationales et internationales existantes ont été faites par les gouvernements intervenants qui ont abordé ce point, l’article 7 laisse aux États parties une certaine latitude à cet égard. La Cour estime que cette latitude ne saurait être restreinte par une interprétation de l’article 7 qui serait donnée par elle à la suite d’une demande d’avis consultatif. Comme elle l’a indiqué ci-dessus (paragraphe 47), elle dispose dans ce contexte d’une compétence interprétative. Elle ne peut donner d’avis consultatifs que sur des « questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention », à l’exclusion des questions d’opportunité politique et de celles qui iraient au‑delà de la simple interprétation des textes et qui tendraient par des additions, des améliorations ou des correctifs, à en modifier la substance.

67. Cette appréciation est également conforme à l’approche générale de la Convention d’Oviedo quant à l’évolution des normes qu’elle établit dans des domaines spécifiques. La Convention d’Oviedo est un traité cadre qui énonce les droits de l’homme et principes les plus importants dans le domaine de la biomédecine, lesquels doivent être développés et précisés par des protocoles additionnels (article 31 de la Convention d’Oviedo ; paragraphes 10 et 49 ci-dessus). Il s’agit là, par nature, d’un exercice législatif, ancré dans l’élaboration de politiques au niveau international, tendant à l’adoption de nouvelles normes juridiques internationales. Il apparaît à la Cour que pour ce qui est des mesures pouvant être prises aux fins de traitement, sans leur consentement, de personnes souffrant de troubles mentaux ce processus est toujours en cours.

68. Bien que le DH-BIO demande à la Cour de tenir compte de la Convention et de la jurisprudence pertinente, la Cour doit, comme elle l’a expliqué ci-dessus (paragraphes 50-52), exercer la compétence consultative que lui attribue la Convention d’Oviedo de manière à ce qu’elle puisse s’harmoniser avec la compétence qui est la sienne au titre de la Convention et préserver cette dernière, dont les limites continuent de s’appliquer dans le présent contexte. Par conséquent, la Cour ne saurait, dans le cadre de cet exercice, interpréter des clauses normatives ou principes jurisprudentiels de la Convention. Même si la présente procédure concerne la Convention d’Oviedo et que les avis rendus par la Cour au titre de l’article 29 sont consultatifs, et donc non contraignants, une réponse en pareils termes serait néanmoins une décision judiciaire faisant autorité qui porterait au moins autant sur la Convention elle-même que sur la Convention d’Oviedo. La Cour ne peut adopter une telle approche, qui risquerait de la gêner dans l’exercice de la compétence contentieuse prééminente que lui confère la Convention. Il s’ensuit a fortiori que, au rebours de ce que suggèrent les organisations intervenantes, la Cour ne saurait saisir l’occasion de la présente demande d’avis consultatif pour modifier son interprétation de certaines dispositions de la Convention afin de l’aligner sur la CNUDPH, puis interpréter l’article 7 de la Convention d’Oviedo de la même manière.

69. Eu égard au degré de convergence entre les deux traités, particulièrement évident dans le domaine sur lequel porte la demande du DH‑BIO, la Cour souhaite néanmoins formuler l’observation qui suit. Malgré le caractère distinct de la Convention d’Oviedo, les exigences qui découlent pour les États de son article 7 devront en pratique s’appliquer en concomitance avec celles découlant de la Convention, d’autant que tous les États ayant ratifié la Convention d’Oviedo sont également liés par la Convention. Il en résulte que les garanties prévues en droit interne qui correspondent aux « conditions de protection » exigées par l’article 7 de la Convention d’Oviedo doivent être de nature à satisfaire à tout le moins aux exigences des dispositions pertinentes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour dans sa jurisprudence, laquelle est abondante concernant le traitement des troubles mentaux. De surcroît, cette jurisprudence de la Cour en la matière se caractérise par une approche dynamique dans l’interprétation de la Convention, guidée notamment par des normes juridiques et médicales en évolution constante, tant au niveau national qu’au niveau international. Les autorités nationales compétentes doivent donc au minimum s’assurer que leur droit interne est et demeure pleinement conforme aux normes pertinentes découlant de la Convention, notamment à celles qui font peser des obligations positives sur les États.

70. Pour les raisons exposées ci-dessus, ni l’établissement d’exigences minimales à prévoir dans la loi, au sens de l’article 7 de la Convention d’Oviedo (question 1), ni des « éclaircissements » quant à ces exigences sur la base de la jurisprudence de la Cour relative aux mesures non consenties de traitement de personnes souffrant de troubles mentaux (voir les commentaires du DH-BIO sur la question 1) ne peuvent faire l’objet de l’avis consultatif demandé au titre de l’article 29 de cet instrument. La question 1 ne relève donc pas de la compétence de la Cour.

ii. Question 2

71. En ce qui concerne la question 2, qui résulte de la première et y est étroitement liée, la Cour considère de même qu’il n’est pas de sa compétence d’y répondre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À LA MAJORITÉ,

Décide que la demande d’avis consultatif au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo ne relève pas de sa compétence.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 15 septembre 2021.

Johan Callewaert                                       Robert Spano
Adjoint à la greffière                                     Président

___________

À la présente décision se trouve joint, conformément à l’article 88 § 2 du règlement (par analogie), l’exposé de l’opinion séparée commune aux juges Lemmens, Grozev, Eicke et Schembri Orland.

R.S.O.
J.C.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LEMMENS, GROZEV, EICKE ET SCHEMBRI ORLAND

(Traduction)

1. Nous regrettons de ne pouvoir partager la conclusion de la majorité selon laquelle la présente demande d’avis consultatif ne relève pas de la compétence de la Cour.

À notre avis, non seulement la Cour est compétente, de manière générale, pour rendre des avis consultatifs au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo – comme le reconnaît la majorité –, mais encore rien dans les deux questions posées à la Cour ne les rend irrecevables à un examen par elle.

I. La compétence de la Cour au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo

2. Nous parvenons à la même conclusion que la majorité quant à la compétence consultative de la Cour au titre de la Convention d’Oviedo, mais nous le faisons avec beaucoup moins d’hésitation.

La majorité analyse la compétence que la Convention d’Oviedo attribue à la Cour au regard de ce qu’elle appelle la « fonction judiciaire première » que la Cour tire de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »). Nous pensons que la Convention d’Oviedo devrait être interprétée de manière plus autonome. Il ne s’agit pas d’une simple « annexe » à la Convention mais d’un instrument distinct qui dispose de sa propre logique interne. Il est vrai qu’il existe des liens importants entre ces deux traités et que la Cour est intégrée dans le dispositif institutionnel de la Convention d’Oviedo, mais cela ne signifie pas que cette dernière est hiérarchiquement subordonnée à la Convention. Selon nous, les dispositions de la Convention d’Oviedo ne sont pas soumises aux limitations qui découlent de la logique spécifique inhérente à la Convention.

3. L’article 29 de la Convention d’Oviedo donne à la Cour la compétence pour rendre « des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation » de cette convention, à la demande du Gouvernement d’une Partie ou du comité compétent, qui est désormais le Comité de Bioéthique du Conseil de l’Europe (« le DH-BIO »).

Le texte de cette disposition est, d’après nous, très clair. L’article 29 ne pose aucune limite à la compétence de la Cour. En particulier, il ne prévoit aucune limitation similaire à celles énoncées par l’article 47 § 2 de la Convention relativement aux « avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses Protocoles », que la Cour peut donner à la demande du Comité des Ministres. L’article 47 § 2 dispose que « [c]es avis ne peuvent porter ni sur les questions ayant trait au contenu ou à l’étendue des droits et libertés définis au titre I de la Convention et dans les protocoles ni sur les autres questions dont la Cour ou le Comité des Ministres pourraient avoir à connaître par suite de l’introduction d’un recours prévu par la Convention ». Cette restriction est parfaitement compréhensible dans le contexte de la Convention : les rédacteurs du Protocole no 2 (article 47) voulaient éviter que la Cour puisse donner une interprétation d’une disposition de la Convention que la Cour ou le Comité des Ministres pourraient avoir à examiner dans le contexte d’une procédure contentieuse. Aucun chevauchement de ce type n’est possible entre la procédure consultative au titre de la Convention d’Oviedo et la procédure contentieuse régie par la Convention. L’objet de ces deux types de procédure est, au moins formellement, totalement différent. Selon nous, il est donc tout à fait logique que l’article 29 de la Convention d’Oviedo ne contienne aucune limitation similaire à celles énoncées par l’article 47 § 2 de la Convention.

4. La majorité lit toutefois dans l’article 29 de la Convention d’Oviedo les mêmes exceptions que celles prévues à l’article 47 § 2 (paragraphes 50‑52 et 54 de la décision). Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à cette analyse.

Nous ne pensons pas que le texte de l’article 29 permette une telle interprétation (paragraphe 3 ci-dessus). En outre, celle-ci nous paraît difficile à concilier avec l’objet et le but de cette disposition. En effet, comme l’énonce le rapport explicatif de la Convention d’Oviedo dans son paragraphe 9, « [n]on seulement la philosophie [de la Convention d’Oviedo et de la Convention], mais aussi nombre de principes éthiques et de notions juridiques sont communs ». Attribuer à la Cour une compétence consultative, établie afin d’assurer la conformité avec la Convention, vise évidemment à « garantir une interprétation uniforme [des] notions [partagées] et à éviter qu’elles reçoivent des interprétations divergentes au titre de chacune de ces conventions » (paragraphe 44 de la présente décision). Un tel objectif plaide pour une ample compétence de la Cour au titre de la Convention d’Oviedo, et non pour des restrictions à cette compétence. Une interprétation uniforme peut difficilement être garantie, et des interprétations divergentes peuvent difficilement être évitées, si la Cour n’est pas en mesure d’examiner des questions qui pourraient également se poser dans une procédure contentieuse introduite au titre de la Convention.

5. La majorité tire argument des travaux préparatoires de la Convention d’Oviedo, et en particulier de l’avis rendu par la Cour le 6 novembre 1995 sur le projet de la future Convention d’Oviedo (Cour (95) 413 ; paragraphes 14-15 et 44 de la présente décision). Notre interprétation des travaux préparatoires est quelque peu différente.

Tout d’abord, à l’époque, la Cour se félicitait dans l’ensemble de la disposition qui allait devenir l’article 29 de la Convention d’Oviedo. Elle jugeait compréhensible « le souci de ses rédacteurs d’instituer un système qui permettrait d’obtenir, au sujet desdites dispositions, une interprétation uniforme faisant autorité pour tous les États contractants » et souscrivait à l’idée que ce but pourrait être atteint en confiant cette fonction à la Cour (paragraphe 3 de l’avis de la Cour, cité au paragraphe 14 de la présente décision). Elle se déclarait expressément « favorable au principe d’assumer une compétence interprétative dans ce domaine » (paragraphe 5 de l’avis de la Cour, cité au paragraphe 14 de la présente décision).

Ensuite, s’il est vrai que la Cour émettait une réserve relativement à la compétence contentieuse qu’elle tire de la Convention, il convient toutefois de lire cette réserve dans son contexte. La Cour était préoccupée par le projet de disposition qui lui permettait de statuer à titre préjudiciel à la demande d’une juridiction interne, en ce qu’elle y voyait un risque que l’avis consultatif qu’elle rendrait dans le cadre d’une affaire pendante devant la juridiction interne « pourrait la gêner si elle se trouvait saisie ultérieurement par le biais notamment des articles 2, 8 et 14 de la Convention, des faits de la cause qui a[vait] amené la juridiction interne à solliciter de la Cour l’interprétation d’une clause de la Convention de bioéthique » (paragraphe 5 de l’avis de la Cour). Cette préoccupation a été pleinement prise en compte par les rédacteurs de la Convention d’Oviedo : la possibilité pour une juridiction nationale de saisir la Cour d’une question préjudicielle a été totalement supprimée de l’article 29 de la Convention d’Oviedo. De surcroît, suivant une autre suggestion de la Cour (paragraphe 5 de l’avis de la Cour), les rédacteurs de la Convention d’Oviedo ont ajouté la condition qu’une demande d’avis consultatif (soumise par un gouvernement ou par le comité compétent, actuellement le DH-BIO) ne devait comporter « aucune référence directe à un litige concret se déroulant devant une juridiction ».

Si des conclusions peuvent être tirées des travaux préparatoires, elles indiquent à notre avis, d’une part, que l’intention des rédacteurs, avec le soutien de la Cour, était d’accorder à celle-ci une large compétence consultative au titre de la Convention d’Oviedo et, d’autre part, que tout risque de chevauchement entre une demande d’avis consultatif au titre de la Convention d’Oviedo et une requête ultérieure introduite au titre de la Convention a été écarté grâce à la formulation de l’article 29.

II. La recevabilité de la présente demande

6. C’est sur la base d’une interprétation large de la compétence consultative de la Cour au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo que nous en venons maintenant à la question de savoir si la présente demande satisfait aux exigences fixées par cette disposition. Nous considérons qu’il s’agit d’une question relative à la recevabilité de la demande et des questions qui y sont posées.

7. Une demande formulée au titre de l’article 29 de la Convention d’Oviedo est recevable si elle a été soumise par le Gouvernement d’une Partie ou par le DH-BIO, si elle ne fait aucune référence directe à une quelconque procédure dont une juridiction aurait été saisie et si elle porte sur « des questions juridiques concernant l’interprétation de la présente Convention ». En l’espèce, les deux premières conditions sont remplies, comme l’admet la majorité (paragraphes 56-57 de la présente décision). La difficulté réside dans la troisième condition.

8. Pour autant que l’article 29 exige que les questions posées à la Cour revêtent un caractère « juridique », nous souscrivons à l’analyse de la majorité selon laquelle cette exigence exclut les questions « d’opportunité politique » (paragraphe 48 de la présente décision). La Cour est un organe judiciaire chargé de traiter des questions juridiques, et non un organe investi du pouvoir de prendre des décisions sur des questions relevant d’un choix politique.

Nous considérons toutefois que l’article 29 ne saurait exclure les demandes d’avis sur une question juridique au seul motif que la réponse de la Cour pourrait être source d’interprétation pour un éventuel projet de protocole à la Convention d’Oviedo. Nous sommes d’avis que le fait que le DH-BIO a précisé qu’il avait décidé de soumettre deux questions à la Cour « dans le but d’éclairer les actuels et futurs travaux du DH-BIO en la matière » (paragraphe 2 de la présente décision), ce qui peut être compris comme une allusion aux débats internes concernant le projet de Protocole additionnel relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires (paragraphes 24-28 et 59 de la décision), ne devrait nullement influer sur la recevabilité de la demande. C’est l’objet de la demande qui compte, et non le but dans lequel un avis est sollicité.

9. Pour autant que l’article 29 exige, par ailleurs, que les questions posées concernent « l’interprétation de la présente Convention », nous considérons que « l’interprétation » qui peut être demandée à la Cour ne doit pas nécessairement se borner à la Convention d’Oviedo telle qu’elle était entendue en 1997, alors que tout développement ultérieur des principes contenus dans la Convention d’Oviedo devrait être le résultat exclusif de protocoles additionnels adoptés par les Parties contractantes à la Convention d’Oviedo conformément à l’article 31 de celle-ci (paragraphe 49 de la présente décision).

Nous observons que la majorité rejette catégoriquement l’idée de la Convention d’Oviedo comme un « instrument vivant » (ibidem). Nous pensons que cette question nécessite une réflexion plus approfondie et que les choses pourraient ne pas être aussi évidentes. Certes, les rédacteurs de la Convention d’Oviedo ont opté pour le développement des principes généraux au travers de protocoles spécifiques ; mais ces protocoles visent aussi à préciser le sens dans des domaines spécifiques de principes qui sont « valables pour l’ensemble des applications de la biologie et de la médecine humaines » (paragraphe 167 du rapport explicatif).

En tout état de cause, le fait que la Convention d’Oviedo prévoit la possibilité d’un développement de ses principes au travers de protocoles additionnels concernant des domaines spécifiques n’interdit pas, selon nous, une interprétation du sens des dispositions de la Convention d’Oviedo elle‑même, même si c’est en vue de l’application de ces principes à un domaine spécifique.

10. Concernant les questions spécifiques posées à la Cour dans la présente demande, nous sommes d’avis qu’elles ont pour objet de clarifier quelles sont les exigences minimales découlant des articles 7 et 26 de la Convention d’Oviedo dans le domaine spécifique du traitement des troubles mentaux. Le DH-BIO invite la Cour à tenir compte, dans son avis, de la Convention, de sa jurisprudence et de la Convention d’Oviedo.

Ces questions concernent l’interprétation de la Convention d’Oviedo, et non une politique quelconque que les autorités compétentes devraient adopter. Le fait que l’avis de la Cour puisse contenir des éléments qui pourraient aider le DH-BIO dans son examen du projet de Protocole additionnel relatif au placement et au traitement involontaires des personnes atteintes de troubles mentaux ne change en rien notre conclusion.

Nous concluons donc que les deux questions répondent aux exigences de l’article 29 de la Convention d’Oviedo et que la demande aurait dû être déclarée recevable.

III. L’absence de réponse aux questions posées à la Cour

11. Nous regrettons qu’en conséquence de sa conclusion quant à la compétence de la Cour la majorité n’entre pas dans un débat sur le fond des deux questions posées par le DH-BIO. Il s’agit de questions importantes et nous pensons que la Cour aurait pu y apporter une réponse significative.

Selon la majorité, la Cour ne doit pas être impliquée dans un domaine qui relève largement de la compétence d’autres acteurs en vertu de la Convention d’Oviedo. Bien que nous soyons en désaccord avec cette interprétation, nous admettons que nous ne sommes qu’une minorité parmi les juges de la Grande Chambre. Dans ces circonstances, il ne nous semble pas approprié de prétendre pouvoir fournir des réponses alors que celles-ci n’ont pas fait l’objet de délibérations collégiales de fond.

12. Nous notons que la majorité, dans une sorte d’obiter dictum, formule une observation générale sur les problèmes de fond soulevés par la première question, relativement à l’article 7 de la Convention d’Oviedo (paragraphe 69 de la présente décision). Nous sommes d’accord sur le fait que les garanties prévues en droit interne qui correspondent aux « conditions de protection » exigées par l’article 7 de la Convention d’Oviedo « doivent être de nature à satisfaire à tout le moins aux exigences des dispositions pertinentes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour dans sa jurisprudence ». Nous souscrivons également à la référence à l’« approche dynamique dans l’interprétation de la Convention, guidée notamment par des normes juridiques et médicales en évolution constante, tant au niveau national qu’au niveau international ».

Mais nous aurions préféré que la Cour approfondisse son analyse sur la base de ces points de départ. Nous regrettons de ne pouvoir faire plus.

_____________

[1] Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine, STE no 186, Strasbourg, 24 janvier 2002.
[2] Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, relatif à la recherche biomédicale, STCE no 195, Strasbourg, 25 janvier 2005.
[3] Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine relatif aux tests génétiques à des fins médicales, STCE no 203, Strasbourg, 27 juin 2008.

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Dernière mise à jour le septembre 15, 2021 par loisdumonde

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