AFFAIRE ASSOCIAZIONE POLITICA NAZIONALE LISTA MARCO PANNELLA c. ITALIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 66984/14

L’association requérante s’estime victime d’une violation de son droit à la liberté de communiquer ses opinions et ses idées politiques dans les médias. Document en format: PDF, WORD.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ASSOCIAZIONE POLITICA NAZIONALE LISTA MARCO PANNELLA c. ITALIE
(Requête no 66984/14)
ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Déséquilibre de présence en défaveur d’une association sujet politique dans des émissions d’information populaires de la télévision publique • Obligation légale d’une représentation équilibrée des différentes opinions politiques • Mise en pratique d’une représentation égalitaire, dans les émissions en question, abandonnée par l’autorité de contrôle sans motivation • Exclusion de l’association du débat politique • Mesures insuffisantes des autorités internes pour rééquilibrer la situation

STRASBOURG
31 août 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Péter Paczolay
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,

Vu la requête (no 66984/14) dirigée contre la République italienne et dont Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella (« l’association requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 octobre 2014,

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 6 § 1 et 10 de la Convention,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 juin 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. L’association requérante s’estime victime d’une violation de son droit à la liberté de communiquer ses opinions et ses idées politiques dans les médias.

EN FAIT

2. L’association requérante est une association politique dont le siège se trouve à Rome. Elle a été représentée par Me A. Saccucci.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et son coagent, Mme M.G. Civinini, de la représentation permanente de l’Italie auprès du Conseil de l’Europe.

I. le contexte général

4. Dans le système de radiotélédiffusion italien, les dispositions législatives relatives à la diffusion des opinions et messages de nature politique prévoient une distinction entre deux catégories d’émissions.

5. Les émissions de « communication politique », d’une part, ont pour objet essentiel la diffusion des opinions et propositions des forces politiques qui participent à la vie parlementaire du pays. Pour ces émissions, le droit interne prévoit des règles précises de répartition du temps d’antenne afin d’assurer une stricte équité d’accès entre les forces politiques (paragraphe 27 ci-dessous).

6. Les émissions « d’information », d’autre part, ont pour objet de traiter de thèmes d’actualité, de société et de politique (paragraphe 30 ci-dessous). Pour ces émissions, la direction de la chaîne, la rédaction et l’animateur jouissent d’une certaine autonomie quant au choix des thématiques, des invités et de leur temps de parole. Ce second type d’émission a connu ces dernières années un essor considérable, en particulier sous la forme de « programmes d’approfondissement » (programmi di approfondimento).

7. Le législateur a confié à deux acteurs publics la mission de contrôler, dans le cadre de leurs compétences respectives, la programmation et l’activité des chaînes télévisées, afin de garantir le respect des principes constitutionnels et des dispositions régissant la diffusion du discours politique dans les médias.

8. Ces deux organes sont la Commission parlementaire bicamérale pour la direction générale et la surveillance des services de radiotélévision (Commissione Parlamentare per l’indirizzo generale e la vigilanza dei servizi radiotelevisivi – « la commission de vigilance ») et l’Autorité pour les garanties dans les communications (Autorità per le garanzie nelle comunicazioni – « l’AGCOM »).

9. La commission de vigilance, instituée en 1975, se compose de quarante membres élus siégeant à la Chambre des députés et au Sénat de la République. Elle exprime la volonté du Parlement en matière de service public de radiotélédiffusion. En particulier, elle est chargée, en vertu de la loi no 103 de 1975, de la direction générale et de la surveillance des activités de l’entreprise publique concessionnaire du service public de radiotélédiffusion, Radio Televisione Italiana (« la RAI »). Elle formule les orientations générales et fixe les critères généraux présidant à l’élaboration des plans d’investissement et de dépenses des chaînes publiques. La loi no 28 de 2000 (paragraphe 27 ci-dessous) a élargi ses compétences en matière de « communication politique » et d’égalité d’accès aux médias, en la chargeant de veiller, tant en période d’élections ou de référendum (« période électorale ») qu’en temps ordinaire, au respect des principes d’impartialité et de pluralisme de l’information.

10. Hors période électorale, la commission de vigilance indique à la RAI les critères à appliquer pour l’organisation de « tribunes politiques ». La RAI doit ainsi préparer, pour chaque cycle de trois semaines, trente-six émissions (conférences de presse, face-à-face, tables rondes). La commission de vigilance désigne les forces politiques qui pourront participer à chacune d’entre elles. Quinze jours avant le début de chaque cycle de programmation, la présidence de la commission de vigilance approuve et transmet à la RAI un schéma directeur précisant les acteurs politiques à inviter. Une semaine avant le début du cycle, la RAI lui communique le calendrier des émissions programmées sur les chaînes publiques.

11. L’AGCOM, quant à elle, est une autorité administrative indépendante créée en 1997. Elle exerce des fonctions de régulation et de surveillance, notamment dans les secteurs des télécommunications et de l’audiovisuel. Elle doit assurer le respect du pluralisme et garantir l’égalité d’accès de tous les « sujets politiques » (paragraphe 17 ci-dessous) aux émissions d’information, de communication électorale et de communication politique, et l’impartialité de ces émissions. Elle veille aussi au respect des orientations définies par la commission de vigilance, et peut fixer elle-même des règles complémentaires afin d’assurer le respect de la législation interne (paragraphe 25 ci-dessous).

12. À l’époque des faits, la loi no 112/2004 disposait, en son article 20 § 9 (abrogé ensuite par la loi no 220 du 28 décembre 2015), que sept des membres du conseil d’administration de la RAI étaient nommés par la commission de vigilance et deux, dont le président, par l’exécutif.

II. Les circonstances de l’espèce

13. Le 4 juin 2010, l’association requérante saisit l’AGCOM d’une plainte dirigée contre les trois chaînes généralistes de la RAI, pour non‑respect, entre le 1er avril et le 3 juin 2010, des obligations découlant des principes d’impartialité et de pluralisme de l’information.

14. Elle estimait en particulier que les journaux télévisés de ces trois chaînes (le TG1, le TG2 et le TG3) n’avaient pas suffisamment fait état des initiatives et campagnes de sensibilisation qu’elle avait lancées. Elle se plaignait également de ce que ses représentants n’avaient pas été invités aux plus importants talk-shows diffusés sur les trois chaînes publiques – Porta a porta, Annozero et Ballarò – alors que les représentants des autres tendances politiques y avaient participé.

Invoquant la pratique consolidée de l’AGCOM dans les affaires de ce type, elle invitait l’autorité à ne pas considérer comme un tout l’ensemble des journaux télévisés et des émissions concernés mais à apprécier son préjudice au regard de chaque journal et chaque émission pris individuellement. Elle demandait un rééquilibrage de la situation par l’attribution spécifique de temps d’antenne à ses représentants, tant dans les journaux télévisés que dans les trois talk-shows.

15. Par une délibération du 8 juillet 2010 (no 137/10/CSP), l’AGCOM décida de classer la plainte sans suite. Elle évalua le temps d’antenne de l’association requérante au regard de sa présence globale dans l’ensemble des journaux télévisés et des émissions d’information proposées par chaque chaîne publique (RaiUno, RaiDue et RaiTre) pendant la période considérée, et conclut que l’association avait bénéficié d’une exposition suffisante, similaire à celle des autres forces politiques qui, comme elle, n’avaient pas d’élus au Parlement. Elle souligna que, contrairement aux émissions de « communication politique », les émissions d’information n’étaient pas soumises à une règle de stricte répartition mathématique du temps d’antenne attribué à chaque force politique, et expliqua que dans ces émissions, l’expression d’opinions politiques était encadrée par la règle de l’égalité de traitement (c’est-à-dire que les situations similaires devaient être traitées de manière similaire), le but étant d’assurer une représentation équitable de toutes les opinions politiques. Elle conclut que rien ne permettait de dire que de l’association requérante ait été sous-représentée à l’antenne pendant la période considérée.

16. Le 9 novembre 2010, l’association requérante attaqua la décision de l’AGCOM devant le tribunal administratif régional (« le TAR ») du Latium. Elle soutenait qu’en n’examinant pas son temps de présence dans chaque journal télévisé et chaque émission pris séparément, l’AGCOM s’était indûment écartée de sa pratique bien établie. Elle ajoutait que sa situation n’était pas la même que celle des forces politiques non représentées au Parlement auxquelles l’AGCOM l’avait comparée car elle pouvait compter sur six députés et trois sénateurs qui, en vertu d’un accord spécifique, avaient constitué au sein du groupe parlementaire du Parti démocratique une délégation autonome qui défendait ses idées.

17. Par un jugement du 9 juin 2011 (no 8064), le TAR du Latium fit droit à la demande de l’association requérante et annula la décision de l’AGCOM.

À titre préliminaire, il précisa que seule l’association requérante était légitimée à agir, contrairement aux autres associations de la « mouvance radicale », dont Radicali Italiani, elle seule ayant des représentants élus au Parlement et pouvant dès lors être considérée comme un « sujet politique » selon le droit interne (paragraphe 32 ci-dessous).

Sur le fond, le TAR rappela en premier lieu qu’en tant qu’autorité administrative indépendante l’AGCOM n’était pas seulement une autorité de vigilance mais aussi une autorité de régulation du secteur. Il expliqua que cela impliquait que, lorsqu’elle était appelée à apprécier la conformité d’une décision avec les dispositions applicables, elle devait tenir compte des décisions qu’elle avait rendues auparavant dans des affaires similaires. Il considéra que par conséquent, elle aurait dû motiver le revirement qu’elle avait opéré dans sa décision, où, au lieu de procéder à une appréciation séparée (autonoma considerazione), comme elle l’avait fait auparavant, de chacune des trois émissions, elle avait considéré de manière globale le temps d’antenne dont avait bénéficié l’association requérante, sans tenir compte de la popularité ni des heures de diffusion des différentes émissions auxquelles celle-ci avait pu participer.

En deuxième lieu, il considéra que l’AGCOM n’avait pas dûment motivé la partie de sa décision où elle avait comparé l’association requérante à des forces politiques dépourvues de représentants élus, sans tenir compte de ce que, en vertu d’un accord politique public passé entre l’association et un parti politique, l’intéressée bénéficiait de neuf représentants au Parlement.

Le TAR estima par ailleurs contradictoire le fait que l’AGCOM ait considéré que l’association requérante n’était pas représentée au Parlement mais n’ait pas tenu compte de ce que des forces politiques « non représentées » avaient, elles, été invitées dans les émissions en cause.

En conclusion, il ordonna à l’AGCOM de réexaminer la plainte de l’association requérante à la lumière de ces éléments, en veillant à remédier aux défauts de motivation qu’il avait constatés.

18. L’AGCOM n’interjeta pas appel du jugement devant le Conseil d’État, qui devint définit le 19 avril 2012.

19. Après avoir réexaminé sa décision en application de ce jugement, l’AGCOM confirma, par une délibération du 18 décembre 2012 (no 472/12/CONS), le classement sans suite de la plainte de l’association requérante. Elle estima que cette dernière ne pouvait pas être considérée comme un « sujet politique » relevant des normes applicables aux forces politiques représentées au Parlement mais que sa situation était bel et bien comparable à celles des autres forces politiques privées de représentation parlementaire. Par ailleurs, elle considéra comme pleinement légitime son choix de vérifier « le respect des principes du pluralisme, de l’impartialité, de l’objectivité et de l’égalité de traitement entre les différentes forces politiques hors période électorale » sur la base de « l’intégralité des émissions d’information diffusées » sur chaque chaîne.

20. Le 27 décembre 2012, l’association requérante déposa un nouveau recours devant le TAR du Latium, pour violation de la chose jugée (le jugement no 8064 de 2001), en demandant l’annulation de la décision de l’AGCOM ainsi que l’exécution (giudizio di ottemperanza) du jugement du TAR de 2011.

21. Le 14 mars 2013, le TAR fit droit à ce recours. D’abord, il constata que la requérante était représentée aux Parlement, et considéra qu’elle était donc bien un « sujet politique ». Ensuite, il releva à nouveau que l’AGCOM n’avait pas indiqué les raisons qui avaient motivé son revirement quant à l’appréciation du temps d’antenne et son choix de comparer des émissions présentant de fortes différences en termes de popularité et de créneaux horaires. Enfin, il ordonna à l’AGCOM d’exécuter le jugement du 9 juin 2011 dans un délai de trente jours, et précisa qu’à défaut d’exécution dans ce délai, il nommerait un commissaire ad hoc (commissario ad acta) chargé de veiller à l’exécution du jugement.

22. Le 25 mai 2013, l’AGCOM ordonna à la RAI de programmer la participation de l’association requérante, avant la fin du cycle de programmation de l’année 2013, aux émissions Porta a porta et Ballarò. Elle constata que l’émission Annozero n’était plus diffusée et qu’en conséquence elle ne pouvait ordonner la participation de l’association requérante ni à cette émission ni, à titre compensatoire, à une autre émission. Elle rappela aussi que la supervision de l’exécution de la décision était réalisée à travers le suivi de la programmation des émissions mentionnées, sous menace de sanctions pécuniaires en cas d’inexécution.

23. L’association requérante fut invitée à participer à un enregistrement de l’émission Porta a porta. Quant à l’émission Ballarò, en absence de représentants de l’association requérante, ce fut la nouvelle secrétaire de l’association Radicali Italiani qui y participa, par un message enregistré et diffusé en début d’émission.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. Le droit interne pertinent

A. La législation applicable

1. Le cadre juridique de la Commission de vigilance et de l’Autorité pour les garanties dans les communications : la loi no 249 de 1997

24. La loi no 103 du 14 avril 1975 (modifiée par la loi no 112/2004), intitulée « Nouvelles normes en matière de diffusion radiophonique et télévisée » (Nuove norme in materia di diffusione radiofonica e televisiva), a transféré de l’exécutif au législatif le contrôle du service public de radiotélédiffusion, en créant une commission parlementaire bicamérale chargée de la direction générale et de la surveillance des services de radiotélévision (la commission de vigilance). Depuis lors, le conseil d’administration de la RAI est nommé par le Parlement.

25. L’AGCOM a été créée par la loi no 249 du 31 juillet 1997. Elle a pour fonction de veiller à ce que les services et produits fournis par le concessionnaire du service public soient conformes aux dispositions en vigueur, notamment aux dispositions applicables en matière de communication et d’information politiques et aux règles relatives à l’équité de traitement, à l’égalité d’accès aux publications et à la diffusion d’informations et de messages électoraux. Elle peut aussi édicter des dispositions réglementaires.

26. L’AGCOM a le pouvoir de sanctionner les sujets qui ne se conforment pas à ses ordres et mises en demeure, en infligeant des sanctions pécuniaires, qui peuvent aller de vingt millions à cinq cents millions de lires (ITL). En cas de violations particulièrement graves, elle peut ordonner la suspension de l’activité ou même la révocation de la licence ou de la concession.

2. La loi no 28 de 2000

27. La loi no 28 du 22 février 2000 portant diverses dispositions pour l’égalité d’accès aux moyens d’information pendant les campagnes électorales et référendaires et pour la communication politique, dite « loi sur la par condicio », régit les émissions de « communication politique » et prévoit deux régimes distincts, l’un pour la période non électorale et l’autre pour la période électorale.

28. En particulier, l’article 2 § 1 énonce que l’accès aux émissions d’information et aux émissions de communication politique, c’est-à-dire aux tribunes politiques, aux débats, aux tables rondes, aux interviews et à toute autre émission relayant un message politique, doit être garanti à tous les acteurs politiques dans des conditions d’égalité. La RAI a l’obligation de programmer des émissions de communication politique à la radio et à la télévision (article 2 § 4). La commission de vigilance et l’AGCOM se coordonnent pour établir, chacune dans le cadre de sa compétence, les règles de mise en œuvre des dispositions de la loi. En particulier, la commission de vigilance élabore législation primaire pour le service public – la RAI (article 2 § 5).

29. L’article 10 § 3 prévoit qu’en cas de violation du principe de l’égalité d’accès aux émissions, l’AGCOM ordonne aux chaînes de radiotélévision d’organiser des émissions de communication politique auxquelles participeront largement les « sujets politiques » ayant subi l’inégalité constatée.

30. L’article 11 ter définit les émissions d’information et les émissions de communication politique comme suit :

« (…)

b) « émission d’information » : le journal télévisé (telegiornale), le journal radiophonique (radio giornale) et, plus généralement, tout bulletin d’information ou autre programme informatif à fort contenu journalistique, caractérisé par sa corrélation avec l’actualité et les thèmes de société (temi dell’attualità e della cronaca) ;

c) « émission de communication politique » : tout programme dans lequel plusieurs acteurs politiques expriment et échangent leurs opinions et arguments politiques, même s’ils ne le font pas dans la même émission mais sur plusieurs émissions successives. »

3. Le décret législatif no 117 de 2005 (Testo unico della radiotelevisione)

31. L’article 3 du décret législatif no 117 du 31 juillet 2005 énonce les principes fondamentaux applicables au système de radiotélévision, en particulier « la protection de la liberté et du pluralisme des médias, la protection de la liberté d’expression de chaque individu, y compris la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées (…), l’objectivité, l’exhaustivité, la loyauté et l’impartialité de l’information, l’ouverture aux différentes opinions et tendances politiques et sociales, (…) le respect des libertés et des droits [de la personne], en particulier la dignité de la personne (…), garantis par la Constitution, le droit communautaire, les normes internationales applicables (…) ».

32. L’article 7 énonce les principes généraux applicables en matière d’information, parmi lesquels se trouve l’obligation d’assurer « l’accès de tous les sujets politiques aux émissions d’information et de communication électorales et politiques dans des conditions d’égalité et d’impartialité, selon les formes et les modalités prévues par la loi » (article 7 § 2 c)).

33. L’article 45 § 2 d) prévoit que la société concessionnaire du service de radiotélédiffusion garantit l’accès des partis politiques, des groupes représentés au Parlement et, plus généralement, des mouvements, entités et groupes politiques aux émissions télévisées.

34. L’AGCOM vérifie que la société concessionnaire s’acquitte comme il se doit des missions qui lui sont confiées et, en cas d’infraction, elle inflige des sanctions conformément aux dispositions de l’article 48. En particulier, si elle constate des manquements de la part de la société concessionnaire, elle impartit à celle-ci un délai, de trente jours au maximum, pour y remédier. En cas d’infraction grave, elle peut infliger une amende administrative dont le montant peut aller jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires réalisé au cours du dernier exercice clos (article 48 § 7). En cas d’infraction répétée, elle peut ordonner la suspension de l’activité commerciale de la société concessionnaire pour une durée maximale de quatre-vingt-dix jours (article 48 § 8).

B. Les décisions de la commission de vigilance et de l’AGCOM

1. La résolution sur l’organisation des tribunes politiques adoptée par la commission de vigilance le 18 décembre 2002 (et modifiée le 29 octobre 2003)

35. La commission de vigilance a adopté le 18 décembre 2002 une résolution encadrant les émissions de communication politique diffusées par la RAI hors période électorale. L’article 2 de cette résolution précise les forces politiques auxquelles est assuré l’accès aux émissions de communication politique. L’article 3 définit les types de « tribunes politiques » (conférences de presse, face-à-face, tables rondes).

36. L’article 11 définit les émissions d’information comme des émissions liées à des thèmes d’actualité. Il prévoit que chaque directeur doit, dans le respect de la liberté de l’information, faire en sorte que la programmation de ces émissions assure une représentation équitable de toutes les opinions politiques représentées au Parlement national et au Parlement européen.

2. L’acte d’orientation sur le pluralisme

37. L’acte d’orientation sur les garanties visant à assurer le pluralisme dans le service public de radiotélédiffusion, adopté par la commission de vigilance le 11 mars 2003, prévoit que le concessionnaire du service public doit, dans tous ses actes et dans toutes ses branches, respecter le pluralisme, dans son sens le plus large. En particulier, ce principe doit être respecté par toutes les structures internes de l’entreprise de radiotélédiffusion publique (divisions, chaînes et service journalistique), et transparaître clairement dans chaque émission.

L’acte d’orientation prévoit également, pour ce qui est plus particulièrement des émissions d’information politique, que celles-ci doivent respecter rigoureusement l’exhaustivité de l’information, la pluralité des points de vue et la nécessité de laisser exprimer des opinions contradictoires. Les directeurs de chaîne, les animateurs et tous les journalistes travaillant pour la société concessionnaire du service public sont engagés à respecter le principe d’impartialité afin de fournir au public un maximum d’informations vérifiées et fondées.

3. La pratique de l’AGCOM en matière d’émissions d’information politique

38. Dans une délibération du 12 avril 2001 (no 303/01/CSP), l’AGCOM a considéré que, compte tenu de sa structure et de son articulation, l’émission d’information attaquée par l’auteur de la plainte dont elle était saisie ne pouvait être qualifiée d’émission de « communication politique ». Toutefois, elle a conclu à la violation des règles relatives à l’égalité de traitement, à l’objectivité, à l’exhaustivité et à l’impartialité des informations présentées, et elle a ordonné, aux fins du rétablissement de l’exhaustivité et de l’impartialité, la participation de représentants du « sujet politique » plaignant à la première émission utile programmée.

39. Dans une résolution du 1er février 2006 (no 22/06/CSP), l’AGCOM a exposé une orientation interprétative en matière de contrôle des émissions d’information hors période électorale. Elle a souligné que les émissions d’information et les programmes d’approfondissement politiques devaient respecter les principes d’impartialité, d’équité, d’exhaustivité et de pluralité des points de vue. Elle a précisé que dans ces émissions, la présence à l’antenne des différentes tendances politiques devait être équilibrée sur le cycle de programmation de l’émission.

40. Dans une résolution du 25 juillet 2013 (no 477/13/CONS), l’AGCOM a expliqué que, parmi les émissions d’information politique, celles qui étaient de nature sérielle, cyclique et qui étaient clairement reconnaissables par leurs caractéristiques structurelles et leur articulation étaient considérées séparément (principio di autonoma considerazione) lorsqu’il s’agissait de vérifier le respect du principe du pluralisme. Elle a précisé que, contrairement aux émissions de communication politique, les émissions d’information politique n’étaient pas tenues de répartir le temps de parole entre les différentes tendances politiques selon un critère rigide de répartition mathématique, mais devaient seulement respecter le principe de l’égalité de traitement. Elle a rappelé que selon sa position consolidée, ce principe devait être compris comme imposant de traiter de la même manière les situations similaires, afin de garantir une représentation équitable de toutes les opinions politiques dans les programmes d’approfondissement politique, ainsi que le bon déroulement du débat politique, toujours dans le respect de l’autonomie éditoriale et journalistique de l’émission et de la corrélation de l’information avec l’actualité et les faits de nature politique (voir aussi la délibération no 243/10/CSP du 15 novembre 2010).

II. La jurisprudence nationale

41. Dans son arrêt no 155 de 2002 (24 avril/7 mai 2002), la Cour constitutionnelle a souligné que « le droit à l’information, garanti par l’article 21 de la Constitution, est qualifié et caractérisé, entre autres, par le pluralisme des sources dans lesquelles on puise les connaissances et les faits – afin de permettre au citoyen de se faire sa propre opinion, en ayant à l’esprit des points de vue et des orientations culturelles et politiques différents –, par l’objectivité et l’impartialité des données fournies et, enfin, par l’exhaustivité, l’exactitude et la continuité de l’activité d’information garantie ».

Elle a ajouté que le droit de chaque citoyen à une information complète et objective était protégé principalement au regard des valeurs constitutionnelles fondamentales, et que ces valeurs ne résidaient pas tant dans une égale visibilité des différents partis que dans le bon déroulement du débat politique, fondement permanent du système démocratique.

42. Dans un arrêt du 18 février 2003 (no 3950), le Conseil d’État s’est prononcé sur la nature de l’article 2 de la loi no 28 de 2000, et en particulier sur l’obligation pour la RAI d’assurer la programmation d’émissions de « communication politique » (article 2 § 4). Constatant que cette obligation était subordonnée à l’adoption de dispositions par la commission de vigilance et l’AGCOM (article 2 § 5), il a conclu que l’article 2 n’était pas de nature contraignante puisque son application dépendait de l’adoption d’une réglementation secondaire.

Les Documents du Conseil de l’Europe

43. La Cour renvoie aux nombreux textes adoptés par le Comité des Ministres en matière de liberté d’expression et de pluralisme, en particulier la Déclaration sur la liberté d’expression et d’information du 29 avril 1982, la Recommandation Rec (2007)2 sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias et la Recommandation Rec (2007)3 sur la mission des médias de service public dans la société de l’information. En ses parties pertinentes en l’espèce, cette dernière recommandation est ainsi libellée :

« 14. Les médias de service public devraient jouer un rôle important dans la promotion d’un débat et d’une participation démocratiques plus larges, avec l’aide, entre autres, de nouvelles technologies interactives, ce qui permettrait à la population de s’impliquer davantage dans le processus démocratique. Les médias de service public devraient jouer un rôle vital dans l’éducation de citoyens actifs et responsables, en proposant non seulement un contenu de qualité, mais également un forum au débat public, ouvert à la diversité des idées et des convictions dans la société, et une plate-forme pour diffuser les valeurs démocratiques.

15. Les médias de service public devraient fournir des informations appropriées sur le régime et les procédures démocratiques, et encourager la participation non seulement aux élections mais aussi aux processus décisionnels et à la vie publique en général. Dès lors, l’un des rôles des médias de service public serait d’inciter les citoyens à s’intéresser davantage aux affaires publiques et de les encourager à y prendre part plus activement.

(…)

17. Les médias de service public devraient jouer un rôle moteur dans la promotion de la vigilance du public à l’égard des gouvernements nationaux et des organisations intergouvernementales, en contribuant à renforcer la transparence de ces derniers, leur obligation de rendre compte aux citoyens et leur légitimité, concourant de la sorte à la lutte contre tout déficit démocratique et au développement d’un espace public européen. »

44. Enfin, la Recommandation Rec (2012)1 sur la gouvernance des médias de service public rappelle que les « médias sont l’outil le plus important pour la liberté d’expression dans la sphère publique dans la mesure où ils donnent la possibilité aux personnes d’exercer le droit de rechercher et de recevoir l’information ». Avec cette Recommandation, le Comité des Ministres recommande aux États membres de repenser et reconstruire le système de gouvernance des médias afin de réussir la transition de service de l’État à service public et de radiodiffuseur à média de service public.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

45. L’association requérante se plaint de la violation du droit à la liberté de communiquer des idées et opinions de nature politique à travers les chaînes télévisées du service public. Selon elles, ceci aurait été la conséquence de l’exécution partielle du jugement du TAR. Elle invoque l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Sur la recevabilité

46. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

47. La Cour note qu’il ne fait pas controverse entre les parties que l’absence de représentants de l’association requérante dans les émissions d’information litigieuses s’analyse en une ingérence dans l’exercice par l’intéressée du droit garanti par l’article 10 de la Convention. Les points sur lesquels les parties ne s’entendent pas sont ceux de savoir si cette ingérence était « prévue par la loi », si elle visait un « but légitime » et si elle était « nécessaire dans une société démocratique ».

48. Sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi », l’association requérante soutient que la procédure interne s’est caractérisée par une série de décisions et d’omissions qui ont, selon elle, manifestement méconnu la législation interne en matière de pluralisme de l’information.

49. Le Gouvernement ne s’est pas exprimé sur ce point.

50. La Cour estime que l’ingérence était « prévue par la loi », puisque l’accès aux émission d’information politique est régit par les dispositions précitées (paragraphes 30 et 38 ci-dessus) et visent notamment à garantir aux chaînes de télévision une autonomie éditoriale quant au choix des invités et du temps d’antenne qui leur est alloué.

51. Sur la question du but légitime, l’association requérante soutient qu’il est aisé de voir que, dans la présente affaire, les actions et omissions de la RAI et de l’AGCOM ne poursuivaient aucun des motifs de limitation légitime prévus à l’article 10 § 2 de la Convention.

52. Le Gouvernement ne s’est pas exprimé sur ce point.

53. La Cour note que les dispositions internes visent à garantir l’impartialité et le pluralisme de l’information et, plus spécifiquement, la liberté du débat politique, au bénéfice des citoyens et de la démocratie. Elle est donc convaincue que l’ingérence litigieuse visait la « protection (…) des droits d’autrui » au sens de l’article 10 § 2 de la Convention.

54. Il reste ainsi à apprécier la nécessité de cette ingérence dans une société démocratique.

Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique

a) Thèses des parties

55. L’association requérante estime que l’ingérence litigieuse n’était pas nécessaire dans une société démocratique ni, dès lors, conforme à l’article 10. Elle considère en effet qu’à supposer qu’elle eût poursuivi un but légitime elle y aurait été manifestement disproportionnée, et qu’elle ne répondait à aucun besoin social impérieux.

56. Elle soutient qu’elle a subi un préjudice extrêmement grave : indiquant que les émissions au sujet desquelles elle a saisi l’AGCOM constituaient à l’époque des faits les principales émissions d’information politique de la RAI, elle expose que l’exclusion même d’un seul de ces programmes avait comme conséquence directe l’impossibilité de communiquer son point de vue à un nombre incalculable de citoyens.

57. Elle argue que déjà dans son arrêt de 2011 (no 8064) le TAR avait clairement indiqué qu’elle était un « sujet politique » au sens des dispositions internes. Elle affirme ainsi que, contrairement à ce que soutient le gouvernement défendeur, aucune nouvelle interprétation plus objective n’est intervenue en 2013 (paragraphe 21 ci-dessus).

58. Elle se plaint également de ce que l’AGCOM a classé sa plainte sans suite sur la base d’une appréciation globale des émissions d’information de chaque chaîne. Elle estime qu’en procédant ainsi, l’AGCOM s’est clairement écartée de sa pratique en la matière (délibérations nos 22/06/CONS, 22/08/CSP, 24/08/CSP, 43/08/CSP et 160/06/CSP), qui aurait consisté à vérifier le respect du pluralisme pour chaque émission prise séparément.

59. En outre, elle se plaint que ses revendications n’aient trouvé satisfaction que trois ans après sa première plainte à l’AGCOM, à l’issue de ce qu’elle qualifie de « long calvaire judiciaire, et que, entretemps, l’émission Annozero avait été supprimée de la grille de programmation, ce qui a comporté l’impossibilité d’obtenir une participation compensatrice dans cette émission. Quant à l’exécution de la décision du TAR, elle n’a participé qu’à une émission de Porta a porta, le 5 novembre 2013, et qu’aucun de ses représentants n’a participé à l’émission « Ballarò. Elle estime ainsi que la décision de l’AGCOM n’a pas été respectée. À cet égard, elle souligne que Mme R.B. a été invitée à participer à Ballarò en tant que nouvelle secrétaire de l’association Radicali Italiani et qu’en tout état de cause cette participation a pris la forme d’un enregistrement de deux minutes, diffusé en début d’émission et donc en dehors du débat en direct qui a eu lieu pendant les deux heures qu’a duré le programme.

60. L’association requérante répond à l’argument concernant l’existence de la station de radio Radio Radicale que la quasi-totalité de la programmation radiophonique de cette station consiste à diffuser les travaux des deux chambres du Parlement et que, plus généralement, Radio Radicale constitue un instrument et une voie d’information pour la totalité du monde politique et institutionnel italien. Elle ajoute qu’en toute hypothèse, le gouvernement défendeur ne saurait comparer l’omniprésence, la couverture territoriale et le volume d’audience de la télévision avec l’audience potentielle de Radio Radicale. Elle fait observer par ailleurs que l’AGCOM n’a jamais considéré cette radio comme un élément susceptible d’exonérer la RAI de son obligation de respecter les règles du pluralisme de la télévision.

61. Elle soutient que la présente affaire fait suite à une série d’actes de censure commis par la RAI, qui ont selon elle porté préjudice au mouvement radical. À l’appui de cette thèse, elle cite de précédentes délibérations de l’AGCOM (nos 245/99, 382/09, 221/11 et 354/12) qui démontrent à son avis que la violation de la réglementation encadrant le secteur de l’audiovisuel a provoqué la marginalisation du mouvement radical.

62. Elle reproche enfin à l’AGCOM de ne pas avoir exercé son pouvoir de sanction lorsque la RAI a manqué à exécuter sa décision. Elle considère qu’ainsi, l’AGCOM a failli à jouer son rôle de garante du pluralisme de l’information.

63. Le Gouvernement soutient pour sa part que dans sa décision de 2013, le TAR du Latium a tenu compte, sur la base d’une interprétation nouvelle et plus factuelle de la notion de « sujet politique », d’un certain nombre de faits (l’accord public passé entre l’association requérante et un parti politique et le fait qu’après les élections les élus de l’intéressée avaient formé une délégation autonome) pour en déduire que l’association requérante constituait un groupe politique représenté au Parlement et que, dans ces conditions, elle était un « sujet politique ».

64. Il souligne que, dans un délai de vingt jours, c’est-à-dire selon lui un délai bref, l’AGCOM a ordonné à la RAI de prévoir la participation de représentants de l’association requérante aux émissions Porta a porta et Ballarò, Annozero ayant entre-temps été supprimée par la RAI.

65. Il affirme que la manière dont la décision de l’AGCOM a été exécutée n’est pas due à une pratique administrative fautive ou à un défaut de coopération mais le résultat d’une série de difficultés concrètes, liées notamment aux circonstances spécifiques de l’évolution de l’association requérante depuis sa création en 1992, en particulier à ses changements répétés de dénomination. Il indique que, née de la transformation de l’ancien parti radical à l’initiative du chef de file radical aujourd’hui décédé M.P., l’association requérante a participé aux élections sous différents sigles et parfois en présentant ses candidats sur les listes électorales d’autres formations politiques.

66. Il allègue que la rédaction de l’émission Ballarò a proposé à plusieurs reprises à un membre de l’association requérante, Mme E.B., de participer à l’émission, mais que ces invitations ont toujours été déclinées. La rédaction de l’émission aurait alors contacté l’ancien secrétaire de l’association Radicali Italiani, puis sa nouvelle secrétaire, qui aurait finalement participé à l’émission par une intervention enregistrée.

67. En conclusion, le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas eu violation de la liberté d’expression de l’association requérante.

b) Appréciation de la Cour

i. Les principes généraux

68. La Cour rappelle d’emblée les principes généraux découlant de sa jurisprudence en matière de nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression et du pluralisme dans les médias audiovisuels (Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, §§ 100 et 101, CEDH 2013 (extraits)) et, en particulier, le principe selon lequel il n’est pas de démocratie sans pluralisme (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 129, CEDH 2012, et Manole et autres c. Moldova, no13936/02, § 95, CEDH 2009 (extraits)).

69. La liberté de la presse fournit à l’opinion publique l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants. Plus généralement, le libre jeu du débat politique se trouve au cœur même de la notion de société démocratique qui domine la Convention tout entière (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103).

70. Les médias audiovisuels ont un rôle particulièrement important à jouer à cet égard. En raison de leur pouvoir de faire passer des messages par le son et par l’image, ils ont des effets plus immédiats et plus puissants que la presse écrite (Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no 298, Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 79, CEDH 2004-XI, et Murphy c. Irlande, no 44179/98, § 74, CEDH 2003-IX).

71. Une situation dans laquelle une fraction économique ou politique de la société peut obtenir une position de domination sur les médias audiovisuels et exercer ainsi une pression sur les diffuseurs pour finalement restreindre leur liberté éditoriale porte atteinte au rôle fondamental qu’est dans une société démocratique celui de la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention, en particulier lorsqu’il s’agit de communiquer des informations et des idées d’intérêt général, que le public a de plus le droit de recevoir (VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, no 24699/94, §§ 73 et 75, CEDH 2001-VI, voir également De Geillustreerde Pers N.V. c. Pays-Bas, no 5178/71, rapport de la Commission du 6 juillet 1976, Décisions et rapports (DR) 8, p. 25, § 86).

72. La Cour considère que, dans le domaine de la diffusion audiovisuelle, ces principes imposent à l’État, garant ultime du pluralisme (Manole, précité, § 99, Informationsverein Lentia et autres c. Autriche, 24 novembre 1993, § 38, série A no 276, VgT Verein gegen Tierfabriken, précité, §§ 44-47), l’obligation de garantir d’une part l’accès du public, par l’intermédiaire de la télévision et de la radio, à des informations impartiales et exactes ainsi qu’à une pluralité d’opinions et de commentaires reflétant notamment la diversité des opinions politiques dans le pays, et d’autre part la protection des journalistes et des autres professionnels des médias audiovisuels contre les entraves à la communication de ces informations et commentaires. Le choix des moyens par lesquels ces buts doivent être atteints doit varier en fonction des conditions locales et relève donc de la marge d’appréciation de l’État. Ainsi par exemple, si la Cour et, avant elle, la Commission ont reconnu qu’un service public de radiodiffusion peut contribuer à la qualité et à l’équilibre des programmes (Informationsverein Lentia et autres, précité, § 33, Tele 1 Privatfernsehgesellschaft mbH c. Autriche, no 32240/96, 21 septembre 2000, et X. SA c. Pays-Bas, no 21472/93, décision de la Commission du 11 janvier 1994, DR 76-B, p. 129), l’article 10 n’oblige nullement les États à mettre en place un tel service, dès lors que d’autres moyens sont mis en œuvre dans le même but.

73. Cependant, lorsque l’État décide de mettre en place un système public de radiotélédiffusion, il découle des principes exposés ci-dessus que le droit et la pratique internes doivent garantir que ce système assure un service pluraliste. Lorsque, en particulier, les stations privées sont encore trop faibles pour proposer une véritable alternative et que l’organisme public ou d’État est donc le seul diffuseur ou le diffuseur dominant dans un pays ou une région, il est indispensable pour le bon fonctionnement de la démocratie qu’il diffuse des informations et des commentaires impartiaux, indépendants et neutres et qu’il fournisse en outre un forum de discussion publique dans le cadre duquel un éventail aussi large que possible d’opinions et de points de vue puissent s’exprimer (Manole, précité, § 101).

74. En ce qui concerne le débat politique, la Cour a dit que la liberté d’expression est l’une des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif, et elle a rappelé que, en période préélectorale, il est particulièrement important de permettre aux opinions et aux informations de tous ordres de circuler librement (Bowman c. Royaume-Uni, 19 février 1998, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

ii. Application de ces principes en l’espèce

75. Hors période électorale, la diffusion des idées et opinions politiques passe par les émissions de « communication politique » et les émissions d’information (paragraphe 30 ci-dessus) : les unes comme les autres ont pour but de contribuer au débat politique national, en permettant le pluralisme de l’information dont le public est destinataire et bénéficiaire.

76. La conception et les choix thématiques des émissions d’information relèvent de l’autonomie éditoriale de chaque chaîne et de chaque rédaction. Les dispositions légales fixent seulement les principes généraux applicables à l’accès des « sujets politiques » à la radio et à la télévision, en laissant à la commission de vigilance et à l’AGCOM le soin d’adopter, chacune dans son champ de compétence, la réglementation secondaire mettant en œuvre ces principes. Le contrôle du respect de ces normes incombe à l’AGCOM (paragraphe 25 ci-dessus).

77. La Cour note qu’en l’espèce l’association requérante a saisi l’AGCOM pour se plaindre d’un déséquilibre de présence en sa défaveur dans certaines émissions de télévision (paragraphe 14 ci-dessus), en particulier de ce qu’elle n’avait pas été représentée dans trois émissions d’information politique particulièrement populaires diffusées par la RAI.

78. Elle observe d’emblée que l’enjeu de la plainte introduite par l’association requérante portait sur la participation de l’intéressée à des débats touchant à l’intérêt général, et que par conséquent l’ampleur de la marge d’appréciation accordée à l’État italien doit être relativement réduite (VgT Verein gegen Tierfabriken, précité, § 71).

79. Il y a lieu de noter que la plainte de l’association requérante a fait l’objet de deux classements sans suite, même si, infirmant la première décision de l’AGCOM, le TAR du Latium avait invité cette dernière à tenir compte de ce que : premièrement, l’association requérante était un « sujet politique » et ne pouvait donc pas être comparée à des forces politiques non représentées au Parlement ; deuxièmement, même des forces politiques non représentées au Parlement avaient participé à ces trois émissions ; et, troisièmement, l’AGCOM devait motiver son choix de s’écarter de sa pratique antérieure consistant à considérer chaque émission séparément lorsqu’elle était appelée à vérifier si le principe de pluralisme avait été respecté (paragraphe 17 ci-dessus).

80. La Cour observe que ce n’est qu’après que l’association requérante eut introduit un deuxième recours, cette fois pour violation de la chose jugée (paragraphe 20 ci-dessus), et que le TAR du Latium eut en conséquence enjoint à l’AGCOM d’exécuter le jugement qu’il avait rendu précédemment, que l’AGCOM a enfin ordonné à la RAI de corriger la situation de déséquilibre qui avait porté préjudice à l’association requérante (paragraphe 22 ci-dessus).

81. Comme déjà évoqué, dans son premier jugement, le TAR avait conclu que l’association requérante était un « sujet politique » au sens de la réglementation interne (paragraphe 17 ci-dessus). Dès lors, le refus de l’AGCOM de tenir compte de cette conclusion ne saurait se justifier par le statut quelque peu particulier de l’intéressée (paragraphe 65 ci-dessus), ce statut ayant déjà été éclairci par le juge administratif. La Cour considère que l’AGCOM s’est montrée excessivement formaliste, d’autant que le TAR avait pour sa part fondé son appréciation sur la réalité de la situation de l’association requérante : il avait tenu compte de ce que celle-ci avait signé avec un parti politique un accord qui lui avait permis de présenter ses candidats aux élections et de créer ensuite une délégation autonome au sein du groupe parlementaire de ce même parti (paragraphe 17 ci-dessus).

82. La Cour note ensuite que, en comparaison du régime applicable aux émissions de communication politique, la législation interne reconnaît une majeure autonomie éditoriale aux chaînes télévisées à la chaîne pour les programmes d’approfondissement politique quant aux choix des thèmes traités, des invités et du temps de parole alloué à chacun (paragraphe 30 ci‑dessus). Elle relève aussi qu’il résulte des observations des parties (paragraphe 56 ci-dessus) que ces émissions sont devenues la forme privilégiée de présentation du débat politique et de diffusion des idées et opinions politiques dans les médias.

83. Par ailleurs, s’il est vrai que, contrairement aux émissions de communication politique, les émissions d’information politique ne sont pas soumises au strict respect d’une représentation proportionnelle des opinions de chaque force politique mais simplement à l’obligation de représenter de manière équilibrée les différentes opinions politiques (paragraphe 41 ci‑dessus), la pratique de l’AGCOM (paragraphes 38-40 ci-dessus) et du TAR du Latium citées (paragraphes 17 et 21 ci-dessus) quant à l’application des principes généraux en matière de pluralisme (paragraphes 30 et 32 ci‑dessus) témoignent d’une protection renforcée de l’accès des « sujets politiques » à une catégorie spécifique d’émissions d’information politique, à savoir celles qui sont caractérisées par une programmation saisonnière cyclique (programmazione seriale) et par une structure et une articulation reconnaissables par le public. Ces émissions, dans lesquelles l’AGCOM inclut Porta a porta, Annozero et Ballarò, font ainsi l’objet d’une « appréciation autonome » lorsqu’il s’agit d’évaluer le respect du principe du pluralisme à l’égard d’un « sujet politique ». Cela signifie que des situations similaires doivent être traitées de manière similaire, dans le respect du principe d’égalité et dans le but de garantir le bon déroulement du débat politique et donc le pluralisme de l’information (paragraphe 40 ci‑dessus).

84. Or la Cour observe que, sans avancer à cet égard la moindre motivation, l’AGCOM a abandonné cette pratique et procédé à une appréciation globale du temps de présence de l’association requérante dans l’ensemble des émissions d’information de la chaîne, sans tenir compte de l’horaire de diffusion des émissions ni de leur popularité.

85. La Cour reconnait qu’un système de radiotélédiffusion comme celui italien, bien que loin d’avoir réalisé la transition de radiodiffuseur à media de service public (paragraphe 44 ci-dessus), a progressivement réduit, dans le contexte du débat politique, le rôle direct de l’État dans le contrôle du service public de radiotélédiffusion à faveur d’une autorité administrative indépendante, et qui a reconnu, par rapport au passé, une majeure autonomie éditoriale à chaque chaîne ainsi qu’aux rédactions responsables des émissions d’information, assure en principe une meilleure protection des principes d’impartialité et de pluralisme de l’information.

86. Néanmoins, dans la présente affaire, il apparaît que l’association requérante a été absente de trois émissions à forte popularité et qu’elle s’est trouvée, sinon exclue, du moins fortement marginalisée du débat politique médiatique (paragraphe 14 ci-dessus).

87. La Cour constate ensuite que, lorsque l’association requérante a enfin pu obtenir une décision de l’AGCOM ordonnant à la RAI de prévoir des temps de parole en sa faveur, l’émission AnnoZero avait été supprimée des programmes de la RAI. La Cour note que, bien que la suppression des émissions soit fréquente, l’obligation d’exécution aurait dû imposer une présence compensatrice à faveur de l’association requérante (paragraphe 22 ci-dessus).

88. À cela vient s’ajouter l’inexécution partielle de la décision de l’AGCOM par la RAI, qui était ténue à observer afin d’assurer le respect du principe du pluralisme de l’information. En effet, il apparaît que l’association requérante a effectivement participé à l’émission Porta a porta mais qu’aucun de ses représentants n’a participé à l’émission Ballarò. À cet égard, la Cour observe que le Gouvernement n’a pas fourni la preuve des invitations envoyées aux membres de l’association requérante, à l’exception d’un échange avec E.B. (paragraphe 66 ci-dessus). Quant à R.B., ancienne élue sur la liste radicale, y a certes participé en qualité de nouvelle secrétaire de l’association Radicali Italiani, mais cette association était distincte de l’association requérante (paragraphe 17 ci-dessus). En outre, cette intervention s’est limitée à un court passage enregistré et diffusé en ouverture de l’émission, sans possibilité de dialogue ni de participation au débat avec les autres représentants politiques.

89. Enfin, la Cour relève que le gouvernement défendeur argue que la RAI a rencontré « une certaine difficulté » dans l’exécution de la décision de l’AGCOM, liée selon lui aux circonstances spécifiques de l’évolution de l’association requérante depuis sa création en 1992 (paragraphe 65 ci‑dessus). Elle estime que cet argument est dénué de pertinence. En effet, l’association requérante avait déjà présenté des candidats à des compétitions électorales en se présentant sur les listes électorales d’autres mouvements politiques : sa situation était donc suffisamment connue des autorités compétentes (paragraphe 65 ci-dessus). S’il est probable que l’accord politico-électoral qui a permis l’élection de neuf représentants de l’association requérante présentait des aspects de nouveauté, il faut observer que le TAR, déjà dans son jugement de 2011, avait indiqué que l’intéressée devait être considérée comme un « sujet politique » au sens des dispositions internes. Cela aurait dû permettre à l’AGCOM d’apprécier la situation de l’association requérante à partir de ce constat, et, par conséquent, à la RAI de résoudre les difficultés invoquées par le gouvernement défendeur.

90. Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure qu’en l’espèce les mesures prises par les autorités internes pour rééquilibrer la situation qui avait eu pour effet d’exclure l’association requérante du débat politique ont été insuffisantes.

91. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

II. Sur la violation de l’article 6 de la convention

92. L’association requérante soutient que l’inexécution de la décision de l’AGCOM a emporté violation à son égard de l’article 6 § 1 de la Convention.

93. Le Gouvernement conteste cette thèse.

94. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable. Toutefois, compte tenu des considérations qui précèdent (paragraphes 86-88) et du constat de violation de l’article 10 de la Convention auquel elle est parvenue (paragraphe 89) ci-dessus), elle ne juge pas nécessaire de l’examiner séparément.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

95. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

96. L’association requérante sollicite une indemnité pour préjudice moral et s’en remet à la sagesse de la Cour pour en déterminer le montant selon des critères équitables.

97. Le Gouvernement souligne que l’association requérante est l’actionnaire principal de Radio Radicale, une radio privée qui offre un service d’intérêt général et qui retransmet les sessions du Parlement, les séances d’autres organes constitutionnels ainsi que d’autres manifestations d’intérêt général et qui reçoit pour cela des financements publics. Il invite ainsi la Cour à tenir dûment compte de cet élément aux fins de la détermination du dommage moral que l’intéressée a pu subir.

98. La Cour, compte tenu du constat de violation auquel elle est parvenue, juge raisonnable d’allouer à l’association requérante 12 000 euros (EUR), pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

99. L’association requérante réclame 15 000 EUR au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.

100. Le Gouvernement ne s’est pas exprimé sur ce point.

101. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à l’association requérante 5 000 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

102. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à l’association requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par l’association requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 août 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata Degener                                    Ksenija Turković
Greffière                                                    Présidente

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Dernière mise à jour le août 31, 2021 par loisdumonde

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