AFFAIRE ASSOCIAZIONE POLITICA NAZIONALE LISTA MARCO PANNELLA ET RADICALI ITALIANI c. ITALIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 20002/13

Les requérantes soutiennent que la suppression d’une émission télévisée dédiée au débat politique a emporté violation de leur droit à la liberté de manifester librement leurs opinions et leurs idées. Document en format: PDF, WORD.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ASSOCIAZIONE POLITICA NAZIONALE LISTA MARCO PANNELLA ET RADICALI ITALIANI c. ITALIE
(Requête no 20002/13)
ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Suppression d’une émission de communication politique à la télévision publique n’ayant pas privé une association sujet politique de la possibilité de diffuser ses opinions • Choix politique relevant du pouvoir d’appréciation du Parlement • Conséquences subies par toutes les forces politiques • Possibilité de participer à des émissions d’information véhiculant le message politique • Proportionnalité
Art 13 (+ Art 10) • Absence de recours effectif

STRASBOURG
31 août 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella et Radicali Italiani c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Péter Paczolay,
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,

Vu la requête (no 20002/13) dirigée contre la République italienne et dont deux associations politiques italiennes, l’Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella (« la première requérante ») et le Radicali Italiani (« la deuxième requérante »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 27 décembre 2012,

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 10 et 13 de la Convention,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 juin 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requérantes soutiennent que la suppression d’une émission télévisée dédiée au débat politique a emporté violation de leur droit à la liberté de manifester librement leurs opinions et leurs idées.

EN FAIT

2. Les requérantes sont deux associations dont le siège se trouve à Rome. Elles ont été représentées par Me A. Bultrini.

3. Le Gouvernement a été représenté par son ancien agent, Mme E. Spatafora, et par son ancien coagent, Mme M.G. Civinini, de la représentation permanente de l’Italie auprès du Conseil de l’Europe.

I. le contexte général

4. Dans le système de radiotélédiffusion italien, les dispositions législatives relatives à la diffusion des opinions et messages de nature politique prévoient une distinction entre deux catégories d’émissions.

5. Les émissions de « communication politique », d’une part, ont pour objet essentiel la diffusion des opinions et propositions des forces politiques qui participent à la vie parlementaire du pays. Ces émissions consistent notamment en des conférences de presse, des face-à-face et des tables rondes. Elles comprennent les « tribunes électorales », organisées en période pré-électorale, et les « tribunes politiques », diffusées dans le cadre de la programmation ordinaire des chaînes de télévision. Pour ces émissions, le droit interne prévoit des règles précises de répartition du temps d’antenne afin d’assurer une stricte équité d’accès entre les forces politiques et de garantir ainsi l’impartialité de l’information.

6. Les émissions « d’information », d’autre part, ont pour objet de traiter de thèmes d’actualité, de société et de politique. Elles ont connu ces dernières décennies un essor considérable, en particulier sous la forme de « programmes d’approfondissement » (programmi di approfondimento). Pour ces émissions, la direction de la chaîne, la rédaction et l’animateur jouissent d’une certaine liberté éditoriale quant au choix des thématiques, des invités et de leur temps de parole.

7. Le législateur a confié à deux acteurs publics la mission de contrôler, dans le cadre de leurs compétences respectives, la programmation et l’activité des chaînes télévisées, afin de garantir le respect des principes constitutionnels et des dispositions régissant la diffusion du discours politique dans les médias.

8. Ces deux organes sont la Commission parlementaire bicamérale pour la direction générale et la surveillance des services de radiotélévision (Commissione Parlamentare per l’indirizzo generale e la vigilanza dei servizi radiotelevisivi – « la commission de vigilance ») et l’Autorité pour les garanties dans les communications (Autorità per le garanzie nelle comunicazioni – « l’AGCOM »).

9. La commission de vigilance exprime la volonté du Parlement en matière de service public de radiotélédiffusion. En particulier, elle est chargée, en vertu de la loi no 103 de 1975, de la direction générale et de la surveillance des activités de l’entreprise publique concessionnaire du service public de radiotélédiffusion, Radio Televisione Italiana (« la RAI »). Elle formule les orientations générales et fixe les critères présidant à l’élaboration des plans d’investissement et de dépenses des chaînes publiques. Elle veille aussi au respect des principes d’impartialité et de pluralisme de l’information (loi no 28 de 2000 – paragraphe 22 ci-dessous).

10. En particulier, hors période électorale, la commission de vigilance indique à la RAI les critères à appliquer pour l’organisation de « tribunes politiques ». La RAI doit ainsi préparer, pour chaque cycle programmé, trente-six émissions (conférences de presse, face-à-face, tables rondes). La commission de vigilance désigne les forces politiques qui pourront participer à chacune d’entre elles.

11. L’AGCOM, quant à elle, est une autorité administrative indépendante exerçant des fonctions de régulation et de surveillance, notamment dans les secteurs des télécommunications et de l’audiovisuel. Elle doit assurer le respect du pluralisme et garantir l’égalité d’accès de tous les « sujets politiques » (paragraphe 35 ci-dessous) aux émissions d’information, de communication électorale et de communication politique, et l’impartialité de ces émissions. Elle veille aussi au respect des orientations adressées à la RAI par la commission de vigilance, et peut fixer elle-même des règles complémentaires afin d’assurer le respect de la législation interne.

12. À l’époque des faits, la loi no 112/2004 disposait, en son article 20 § 9 (abrogé ensuite par la loi no 220 du 28 décembre 2015), que sept des membres du conseil d’administration de la RAI étaient nommés par la commission de vigilance et deux, dont le président, par l’exécutif.

II. Les circonstances de l’espece

13. Le 21 novembre 2007, la commission de vigilance communiqua à la RAI les instructions relatives au dernier cycle de « tribunes politiques » à organiser avant les élections. Ces instructions couvraient la programmation des chaînes publiques jusqu’au 15 avril 2008.

14. À l’issue des élections législatives de 2008, la composition de la commission de vigilance fut renouvelée. La nouvelle commission omit de fournir à la RAI les instructions nécessaires pour l’organisation d’un nouveau cycle d’émissions de communication politique. Les « tribunes politiques » ne furent donc plus programmées.

15. M.B., représentant de la première requérante et élu à la Chambre des députés, posa plusieurs questions parlementaires sur la disparition des « tribunes politiques ». Le 21 octobre 2009, la directrice éditoriale de la chaîne parlementaire de la RAI (Rai parlamento) fut entendue par la commission de vigilance. M.B., qui était membre de la commission, participa à cette audition et put interroger la directrice éditoriale. Celle-ci lui répondit que la RAI était disposée à organiser des « tribunes politiques », mais que pour cela, elle avait besoin d’une décision de la commission de vigilance l’autorisant à considérer la première requérante comme un groupe parlementaire autonome.

Auparavant, le président de l’AGCOM avait lui aussi été entendu par la commission de vigilance. Il avait alors déclaré qu’il était urgent que la commission prît une décision afin de permettre à la RAI d’organiser des cycles de « tribunes politiques ».

16. Le 17 décembre 2009, M.S., secrétaire de la deuxième requérante, se plaignit auprès du président de la commission de vigilance de la suppression totale des « tribunes politiques ». Il estimait que le public italien était ainsi privé de la possibilité de suivre des débats sur des sujets politiques significatifs, et il critiquait le choix qui avait été fait de consacrer un temps d’antenne selon lui disproportionné à des émissions portant sur des faits divers très médiatiques.

17. Ces différentes démarches ne produisirent aucun résultat. Les « tribunes politiques » ne furent pas reprogrammées.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

I. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Le cadre juridique de la Commission de vigilance et de l’Autorité pour les garanties dans les communications

1. La loi no 103 de 1975

18. La loi no 103 du 14 avril 1975 (modifiée par la loi no 112/2004), intitulée « Nouvelles normes en matière de diffusion radiophonique et télévisée » (Nuove norme in materia di diffusione radiofonica e televisiva), a transféré de l’exécutif au législatif le contrôle du service public de radiotélédiffusion, en créant une commission parlementaire bicamérale chargée de la direction générale et de la surveillance des services de radiotélévision (la commission de vigilance). Depuis lors, le conseil d’administration de la RAI est nommé par le Parlement.

La commission de vigilance est composée de quarante membres, nommés par les présidents des deux chambres parlementaires parmi les représentants élus de tous les groupes parlementaires (article 1er). Elle a pour rôles de superviser l’activité de la RAI et de veiller à l’élaboration des orientations générales de sa programmation, afin de garantir le respect des principes d’indépendance, d’objectivité et de pluralisme de l’information, dans le cadre imposé par la Constitution.

19. À cet égard, l’article 4 prévoit que la commission de vigilance :

« (…) formule les orientations générales à suivre pour la mise en œuvre des principes énoncés (…), pour la préparation des programmes et leur répartition équilibrée (…), et prend les décisions nécessaires pour en assurer le respect (…) ;

(…)

Adopte directement des normes encadrant les émissions intitulées « tribune politique », « tribune électorale », « tribune syndicale » et « tribune de la presse » ;

(…)

Rend compte chaque année au Parlement de ses activités et programmes ;

(…) »

20. L’article 6 garantit aux partis politiques, aux syndicats, aux cultes, aux mouvements politiques, aux associations culturelles et politiques, aux coopératives, aux groupes ethniques et linguistiques et aux autres groupes d’intérêt social un temps d’antenne de 5 % du total de la programmation télévisée et de 3 % de la programmation radiophonique.

2. La loi no 249 de 1997

21. La loi no 249 du 31 juillet 1997 a institué l’Autorité pour les garanties dans les communications (Autorità per le garanzie nelle comunicazioni – l’AGCOM). Celle-ci a pour fonction de veiller à ce que les services et produits fournis par le concessionnaire du service public soient conformes aux dispositions en vigueur, notamment aux dispositions applicables en matière de communication et d’information politiques et aux règles relatives à l’équité de traitement, à l’égalité d’accès aux publications et à la diffusion d’informations et de messages électoraux. Elle peut aussi édicter des dispositions réglementaires.

B. Le cadre juridique de la « communication politique » – la loi no 28 de 2000

22. La loi no 28 du 22 février 2000 sur les dispositions pour l’égalité d’accès aux moyens d’information pendant les campagnes électorales et référendaires et pour la communication politique, dite « loi sur la par condicio », régit les émissions de « communication politique » et prévoit deux régimes distincts, l’un pour la période non électorale et l’autre pour la période électorale.

23. En particulier, l’article 2 § 1 énonce que l’accès aux émissions d’information et aux émissions de communication politique, c’est-à-dire aux tribunes politiques, aux débats, aux tables rondes, aux interviews et à toute autre émission relayant un message politique, doit être garanti à tous les acteurs politiques dans des conditions d’égalité. La RAI a l’obligation de programmer des émissions de communication politique à la radio et à la télévision (article 2 § 4). La commission de vigilance et l’AGCOM se coordonnent pour établir, chacune dans le cadre de sa compétence, les règles de mise en œuvre des dispositions de la loi. En particulier, la commission de vigilance élabore les dispositions de mise en œuvre de la législation primaire pour la RAI, par la Commission de vigilance (article 2 § 5).

24. L’article 10 § 3 prévoit qu’en cas de violation du principe de l’égalité d’accès aux émissions, l’AGCOM ordonne aux chaînes de radiotélévision d’organiser des émissions de communication politique auxquelles participeront les « sujets politiques » ayant subi le préjudice constaté.

25. L’article 11 ter définit les émissions d’information et les émissions de communication politique comme suit :

« (…)

b) « émission d’information » : le journal télévisé (telegiornale), le journal radiophonique (radio giornale) et, plus généralement, tout bulletin d’information ou autre programme informatif à fort contenu journalistique, caractérisé par sa corrélation avec l’actualité et les thèmes de société (temi dell’attualità e della cronaca) ;

c) « émission de communication politique » : tout programme dans laquelle l’affichage d’opinions et d’évaluations politiques assume un caractère prédominante et est fait à travers un échange dialectique entre plusieurs opinions et arguments politiques (…). »

C. Le décret législatif no 117 de 2005 (Testo unico della radiotelevisione)

26. L’article 3 du décret législatif no 117 du 31 juillet 2005 énonce les principes fondamentaux applicables au système de radiotélévision, en particulier « la protection de la liberté et du pluralisme des médias, la protection de la liberté d’expression de chaque individu, y compris la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées (…), l’objectivité, l’exhaustivité, la loyauté et l’impartialité de l’information, l’ouverture aux différentes opinions et tendances politiques et sociales, (…) le respect des libertés et des droits [de la personne], en particulier la dignité de la personne (…), garantis par la Constitution, le droit communautaire, les normes internationales applicables (…) ».

27. L’article 7 énonce les principes généraux applicables en matière d’information, parmi lesquels se trouve l’obligation d’assurer « l’accès de tous les sujets politiques aux émissions d’information et de communication électorales et politiques dans des conditions d’égalité et d’impartialité, selon les formes et les modalités prévues par la loi » (article 7 § 2 c)).

28. L’article 45 § 2 d) prévoit que le radiodiffuseur public garantit l’accès des partis politiques, des groupes représentés au Parlement et, plus généralement, des mouvements, entités et groupes politiques aux émissions télévisées.

D. La résolution sur l’organisation des tribunes politiques adoptée par la commission de vigilance le 18 décembre 2002 (et modifiée le 29 octobre 2003)

29. La commission de vigilance a adopté le 18 décembre 2002 une résolution encadrant les émissions de communication politique diffusées par la RAI hors période électorale. L’article 2 de cette résolution précise les forces politiques auxquelles est assuré l’accès aux émissions de communication politique. Ces forces sont notamment les suivantes :

« (…)

a) chaque force politique ayant formé un groupe dans au moins une chambre du Parlement ;

b) chaque force politique, autre que celles visées au point a), disposant d’au moins deux représentants élus sur sa propre liste au Parlement européen ;

(…)

d) les forces politiques appartenant au groupe des non-inscrits (gruppo misto) de la Chambre des députés ou au groupe des non-inscrits (gruppo misto) du Sénat de la République ; les deux groupes sont considérés comme une seule entité et la désignation de la force politique qui participe à l’émission est faite selon les critères énoncés à l’article 8. Les forces politiques habilitées à participer sont celles qui sont composées d’au moins trois députés représentant un parti ou un mouvement politique qui a présenté des listes de candidats ou des candidatures dans des circonscriptions uniques ;

e) les comités référendaires (pour les référendums abrogatifs) (…), pour ce qui est des seules questions dont le Bureau central pour le référendum auprès de la Cour de cassation a définitivement validé la légitimité (…) »

30. L’article 3 précise que la diffusion de tribunes politiques constitue une obligation directement liée aux finalités du service public audiovisuel. Les tribunes sont gérées directement par la commission de vigilance selon les modalités et les critères définis dans la résolution du 18 décembre 2002. La commission de vigilance délègue à la RAI certaines tâches relatives à la gestion directe des tribunes. Selon l’article 4 de la résolution, elle doit approuver et transmettre à la RAI la liste des tribunes politiques qui seront programmées sur les chaînes du groupe, chaque cycle de trente-six émissions étant prévu sur une période de trois semaines. Selon l’article 9, la RAI peut programmer de manière autonome des émissions de communication politique.

31. L’article 11 définit les émissions d’information comme des émissions liées à des thèmes d’actualité. Il prévoit que chaque directeur doit, dans le respect de la liberté de l’information, faire en sorte que la programmation de ces émissions assure une représentation équitable de toutes les opinions politiques représentées au Parlement national et au Parlement européen.

E. La jurisprudence nationale

32. Dans un arrêt de 1974 (no 225), la Cour constitutionnelle a dit que, eu égard au monopole de l’État dans le contrôle des chaînes de télévision, il fallait que le Parlement, en tant que représentant de la collectivité, jouisse de pouvoirs adéquats pour garantir l’impartialité et le pluralisme de l’information. Elle a souligné que l’accès aux médias télévisés constituait une condition essentielle de légitimité des institutions.

33. Dans un arrêt rendu en chambres réunies le 25 novembre 1983 (no 7072 du 25/11/1983), la Cour de cassation a jugé que, en tant que commission bicamérale permanente, la commission de vigilance était un organe parlementaire qui exprimait la volonté du Parlement dans le secteur du service public de radiotélédiffusion. Elle a précisé que les actes adoptés par cette commission en vertu de la loi no 103 de 1975 n’étaient pas de nature administrative mais politique (atti d’indirizzo politico). Elle a expliqué que ces actes assuraient la gestion de l’accès à la télévision et à la radio ainsi que la régularité des tribunes politiques (voir aussi, par exemple, l’ordonnance no 1404 de 2010 du tribunal administratif régional (« le TAR ») du Latium.

34. Dans un arrêt du 18 février 2003 (no 3950), le Conseil d’État s’est prononcé sur la nature de l’article 2 de la loi no 28 de 2000, et en particulier sur l’obligation pour la RAI d’assurer la programmation d’émissions de « communication politique » (article 2 § 4). Constatant que cette obligation était subordonnée à l’adoption de dispositions par la commission de vigilance et l’AGCOM (article 2 § 5), il a conclu que l’article 2 n’était pas de nature contraignante puisque son application dépendait de l’adoption d’une réglementation secondaire.

35. Dans un jugement du 9 juin 2011 (no 8064), le TAR du Latium, saisi par les deux associations requérantes, a reconnu à la première mais non à la deuxième la qualité de « sujet politique » au sens de l’article 7 du décret législatif no 177 de 2005.

II. Les Documents du Conseil de l’Europe

36. La Cour renvoie aux nombreux textes du Comité des Ministres mentionnés dans l’arrêt Manole et autres c. Moldova (no 13936/02, §§ 51‑54, CEDH 2009 (extraits)), notamment à la Recommandation no R (96) 10 concernant la garantie de l’indépendance du service public de la radiodiffusion (1996) et à la Résolution no 1 sur l’avenir du service public de la radiodiffusion (1994). Elle rappelle en particulier que dans sa Recommandation CM/Rec (2007)3 sur la mission des médias de service public dans la société de l’information, le Comité des Ministres s’est exprimé en ces termes :

« 14. Les médias de service public devraient jouer un rôle important dans la promotion d’un débat et d’une participation démocratiques plus larges, avec l’aide, entre autres, de nouvelles technologies interactives, ce qui permettrait à la population de s’impliquer davantage dans le processus démocratique. Les médias de service public devraient jouer un rôle vital dans l’éducation de citoyens actifs et responsables, en proposant non seulement un contenu de qualité, mais également un forum au débat public, ouvert à la diversité des idées et des convictions dans la société, et une plate-forme pour diffuser les valeurs démocratiques.

15. Les médias de service public devraient fournir des informations appropriées sur le régime et les procédures démocratiques, et encourager la participation non seulement aux élections mais aussi aux processus décisionnels et à la vie publique en général. Dès lors, l’un des rôles des médias de service public serait d’inciter les citoyens à s’intéresser davantage aux affaires publiques et de les encourager à y prendre part plus activement.

(…)

17. Les médias de service public devraient jouer un rôle moteur dans la promotion de la vigilance du public à l’égard des gouvernements nationaux et des organisations intergouvernementales, en contribuant à renforcer la transparence de ces derniers, leur obligation de rendre compte aux citoyens et leur légitimité, concourant de la sorte à la lutte contre tout déficit démocratique et au développement d’un espace public européen. »

37. La Résolution 1636 (2008) de l’Assemblée parlementaire invite les parlements nationaux à analyser la situation des médias de leur pays afin de pouvoir intervenir, si nécessaire, notamment pour garantir aux partis politiques et aux candidats aux élections un accès équitable aux médias.

38. Enfin, la Recommandation Rec (2012)1 sur la gouvernance des médias de service public rappelle que les « médias sont l’outil le plus important pour la liberté d’expression dans la sphère publique dans la mesure où ils donnent la possibilité aux personnes d’exercer le droit de rechercher et de recevoir l’information ». Avec cette Recommandation, le Comité des Ministres recommande aux États membres de repenser et reconstruire le système de gouvernance des médias afin de réussir la transition de service de l’État à service public et de radiodiffuseur à média de service public.

EN DROIT

I. sur les exceptions preliminaires du gouvernement

A. Sur la qualité de victime de la deuxième requérante

1. Arguments des parties

39. Le Gouvernement soutient que le droit interne garantit l’accès aux émissions de communication politique aux « sujets politiques » et aux « groupes représentés au Parlement ». Il explique que le but des « tribunes politiques » est de permettre aux partis politiques qui participent à la vie parlementaire du pays de présenter leurs idées sur un pied d’égalité et que, de même, les partis politiques ou mouvements référendaires peuvent avoir accès aux « tribunes politiques » consacrées aux référendums.

40. Il estime que seule la première requérante pouvait être qualifiée de « sujet politique » ou de « groupe représenté au Parlement » au sens des dispositions internes applicables pendant la période en cause et que, au contraire, la deuxième requérante n’avait pas cette qualité puisqu’aucun de ses membres n’était élu, et ne pouvait donc pas revendiquer l’accès aux « tribunes politiques ». Il souligne qu’en outre, le statut interne de la deuxième requérante lui interdit de présenter des candidats aux élections.

41. Il ne conteste pas que la deuxième requérante ait participé par le passé à plusieurs référendums en tant que comité référendaire ni que cette qualité donne accès aux tribunes politiques en tant que « sujet politique » en vertu de l’article 2 e) de la résolution du 18 décembre 2002 (paragraphe 29 ci-dessus), mais il estime que cette disposition ne concerne que le cas où une campagne référendaire est en cours.

42. Plus généralement, il rappelle que la RAI ouvre des espaces de parole et de communication (programmi dell’accesso) à tous les mouvements politiques, groupes religieux, syndicats, coopératives, ONG, groupes linguistiques et autres organisations. Il affirme que la deuxième requérante aurait pu participer à ce type d’émissions.

43. Au vu de ces considérations, le Gouvernement invite la Cour à conclure que la deuxième requérante n’a pas la qualité de victime.

44. Les requérantes soutiennent pour leur part que la notion de « sujet politique » au sens de la législation interne est large et ne se limite pas aux seuls partis politiques ou groupes ayant des membres élus au Parlement national ou européen. Elles estiment que cette interprétation est confirmée par le choix qu’a fait le législateur de prévoir deux catégories distinctes de sujets pouvant accéder aux « tribunes politiques », à savoir les « groupes représentés » au Parlement national et, en outre, les « sujets politiques », notion plus large et compréhensive. Elles ajoutent que lorsque le législateur a voulu adopter une notion plus stricte de « sujet politique », il l’a expressément indiqué, par exemple dans les dispositions applicables en période électorale.

45. Invoquant enfin la résolution sur l’organisation des tribunes politiques adoptée par la commission de vigilance en 2002 (paragraphe 29 ci-dessus), les requérantes soutiennent que, ayant milité en faveur d’un référendum en 2005, la deuxième requérante doit être considérée comme un « sujet politique » à part entière en raison de son statut de « comité référendaire ».

2. Appréciation de la Cour

46. La Cour interprète la notion de victime de façon autonome, indépendamment des notions internes telles que celles d’intérêt ou de qualité pour agir, même si elle doit prendre en compte le fait que le requérant a été partie à la procédure interne (Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 52, CEDH 2012, avec la jurisprudence citée).

47. En l’espèce, elle observe d’emblée que, de la simple lecture de la disposition interne invoquée, il semble découler, comme le soutient d’ailleurs le Gouvernement, que le statut de « sujet politique », permettant de bénéficier de l’accès aux tribunes politiques, doit être reconnu à un comité référendaire en période de référendum à partir du moment où les questions référendaires ont été définitivement validées par le Bureau central pour le référendum auprès de la Cour de cassation (paragraphe 29 ci‑dessus). En effet, cette disposition semble protéger non pas la qualité de comité référendaire en elle-même, passée ou présente, mais plutôt le fait d’être porteur d’un intérêt actuel visant à faire connaître au public le contenu et le but d’un référendum, et à promouvoir ainsi un débat dans l’opinion publique sur les questions référendaires. Cela implique que ni avant l’ouverture de la campagne référendaire, ni après la consultation, le comité référendaire ne peut être considéré comme un « sujet politique » au sens de cette disposition.

48. Par ailleurs, les requérantes affirment que la deuxième requérante est un « sujet politique » à part entière.

49. La Cour observe à cet égard qu’il est aisé de constater que, dans son arrêt de 2011, cité par le Gouvernement et fourni par les requérantes, le TAR du Latium a établi que la deuxième requérante ne disposait pas d’élus et jugé qu’elle n’était donc pas un sujet politique au sens du décret législatif no 177 de 2005 (paragraphe 35 ci-dessus).

50. Elle constate encore que le système audiovisuel italien vise à permettre à une catégorie spécifique de forces politiques, porteuse d’intérêts politiques établis, d’accéder aux émissions de communication politique dans des conditions d’égalité, afin de contribuer librement au débat politique. En particulier, ces émissions permettent aux forces politiques parlementaires de diffuser leurs opinions et leurs idées par l’intermédiaire des médias audiovisuels. Pour les autres groupes d’intérêt, y compris les associations et mouvements politiques tels que la deuxième requérante, d’autres émissions radiotélévisées de participation à la vie culturelle et politique sont prévues : les espaces de parole et de communication (programmi dell’accesso, paragraphe 42 ci-dessus) et, plus largement, les émissions d’information (voir, mutatis mutandis, Kalfagiannis et Pospert c. Grèce, (déc.), no 74435/14, §§ 50-51, 9 juin 2020).

51. La Cour rappelle qu’un requérant ne peut se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, que s’il est ou a été directement touché par l’action ou omission litigieuse, c’est-à-dire s’il en subit ou risque d’en subir directement les effets (Monnat c. Suisse, no 73604/01, § 31, CEDH 2006‑X). Ainsi, la Convention n’envisage pas la possibilité d’engager une actio popularis aux fins de l’interprétation des droits reconnus dans la Convention ; elle n’autorise pas non plus les particuliers à se plaindre d’une disposition de droit interne simplement parce qu’il leur semble, sans qu’ils en aient directement subi les effets, qu’elle enfreint la Convention (Aksu, précité, § 50, et Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 33, CEDH 2008).

52. En l’espèce, la deuxième requérante n’a pas démontré avoir été directement affectée par le manquement des autorités nationales à organiser la diffusion des « tribunes politiques ». Ainsi, son grief vise in abstracto des omissions des autorités nationales qu’elle estime contraires à la Convention.

53. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que la deuxième requérante ne peut se prétendre victime, au sens de l’article 34 de la Convention, de la situation dont elle se plaint et que, dès lors, sa requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de celle-ci.

B. Sur l’épuisement des voies de recours internes

1. Arguments des parties

54. Le Gouvernement soutient que la commission de vigilance a délégué à la RAI un certain nombre de missions inhérentes à la gestion directe des tribunes politiques (paragraphe 30 ci-dessus), dont celle de programmer en toute autonomie des émissions de communication politique. Il considère que dans ces conditions, si la première requérante estimait que le service public avait failli à organiser des « tribunes politiques », elle pouvait saisir l’AGCOM puis, le cas échéant, le juge administratif.

55. Estimant dès lors que la première requérante n’a pas dûment exercé les recours disponibles, il invite la Cour à conclure que la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

56. La première requérante, quant à elle, conteste d’abord l’affirmation du gouvernement défendeur selon laquelle la commission de vigilance a délégué à la RAI des tâches inhérentes à la gestion directe des tribunes politiques. Elle précise qu’il appartient exclusivement à la commission de vigilance de décider du déroulement des « tribunes politiques » et de les planifier, et que seules des tâches de pure exécution ont été déléguées à la RAI.

57. Cette dernière n’aurait donc pas le pouvoir de décider de manière autonome de la programmation des « tribunes politiques ». La pratique constante en la matière confirmerait d’ailleurs cette thèse : jamais la RAI n’aurait pris la décision d’organiser en toute autonomie ce type d’émission, car dépourvue de ce pouvoir, éminemment politique, qui reste une attribution de la commission de vigilance.

58. La première requérante fait valoir ensuite que les chambres réunies de la Cour de cassation et le TAR du Latium (paragraphe 33 ci-dessus) ont affirmé que les actes de la commission de vigilance étaient de nature politique et n’étaient pas soumis à un contrôle juridictionnel.

59. Elle en déduit qu’elle ne pouvait saisir ni l’AGCOM ni, le cas échéant, le juge administratif pour se plaindre d’un manquement de la RAI à diffuser de sa propre initiative des « tribunes politiques » – diffusion que, en toute hypothèse, le radiodiffuseur public n’aurait pas eu le pouvoir de décider lui-même.

60. À titre surabondant, la première requérante fait observer que le gouvernement défendeur n’a produit aucun précédent jurisprudentiel étayant sa thèse. Elle invite la Cour à rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

2. Appréciation de la Cour

61. Les principes généraux applicables en matière d’épuisement des voies de recours internes sont résumés, entre autres, dans l’arrêt Vučković et autres c. Serbie ([GC] (exception préliminaire), nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014). La Cour rappelle, en particulier, que la finalité de l’article 35 de la Convention est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les instances nationales appropriées (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, §§ 68‑69, 17 septembre 2009). Enfin, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, qu’il était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II).

62. En l’espèce, pour autant que la première requérante se plaint de la suppression des « tribunes politiques », imputable selon elle à une inertie de la commission de vigilance, la Cour relève que, selon les dispositions internes applicables et la pratique que les parties ont portées à sa connaissance, la RAI ne peut organiser ces émissions qu’après avoir reçu de la commission de vigilance les instructions nécessaires.

63. Elle observe ensuite que les juridictions internes ont considéré qu’en tant qu’organe parlementaire bicaméral, la commission de vigilance exprimait la volonté du Parlement italien, et que, dès lors, ses actes étaient de nature politique (paragraphe 33 ci-dessus).

64. Elle note enfin que le Gouvernement n’a produit aucun exemple de jurisprudence interne susceptible d’étayer sa thèse.

65. Dès lors, à la lumière de ces éléments, elle rejette l’exception du Gouvernement soulevée sur ce point.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

66. La première requérante se plaint de la suppression des « tribunes politiques », conséquence selon elle de l’inertie de la commission de vigilance. Elle s’estime victime d’une violation du droit à la liberté de communiquer des opinions et des idées, et invoque l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Sur la recevabilité

67. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

68. La Cour rappelle s’être penchée auparavant sur des affaires portant sur une interdiction d’accès aux émissions télévisées touchant un parti politique (VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, no 24699/94, CEDH 2001-VI et TV Vest AS et Rogaland Pensjonistparti c. Norvège, no 21132/05, CEDH 2008 (extraits)) ou sur une interdiction de diffusion d’annonces publicitaires de nature politique (Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 78, CEDH 2013 (extraits)). Elle observe que l’ingérence alléguée par la première requérante ne concerne pas une interdiction d’accès aux émissions télévisées mais découlerait plutôt de l’inertie de la commission de vigilance qui a entrainé la suppression d’une émission diffusée par le service public de radiotélédiffusion. Ainsi, à supposer même qu’il y a eu ingérence en l’espèce, la Cour relève que celle-ci était « prévue par la loi », puisque les dispositions internes subordonnent l’organisation des tribunes politiques à une décision de la commission de vigilance, comme l’a d’ailleurs rappelé la Cour de cassation dans son arrêt rendu en chambres réunies (paragraphe 33 ci-dessus) : la loi confie à un organe de nature politique la mission d’apprécier la nécessité de programmer ces émissions. Sur la question du but légitime, la Cour admet que, selon les principes fixés par la Cour constitutionnelle (paragraphe 32 ci-dessus) et repris par le législateur, l’attribution du pouvoir de contrôle à la commission de vigilance visait à garantir, grâce à l’intervention d’un organe parlementaire, l’impartialité et le pluralisme de l’information, et donc à protéger le processus démocratique. Cette dévolution des rôles poursuivait donc le but légitime consistant à protéger les « droits d’autrui », au sens du second paragraphe de l’article 10 (voir, mutatis mutandis, Animal Defenders International, précité, § 78).

69. La question centrale en jeu dans la présente affaire est donc celle de savoir si l’ingérence litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par le Gouvernement pour la justifier apparaissent pertinents et suffisants (voir, mutatis mutandis, Magosso et Brindani c. Italie, no 59347/11, § 45, 16 janvier 2020).

1. Thèses des parties

70. La première requérante soutient que la suppression des « tribunes politiques » l’a empêchée d’exprimer ses opinions et de diffuser des informations sur des sujets d’intérêt public.

71. Elle allègue que le choix de cesser de diffuser les « tribunes politiques » était sous-tendu par la volonté des autorités responsables de privilégier d’autres émissions, en particulier les émissions d’information politique, qui favorisent les forces politiques plus populaires

72. Quant aux émissions que le Gouvernement estime susceptibles d’avoir un effet compensatoire, à savoir la retransmission en direct des séances du Parlement et les espaces de parole et de communication, la première requérante soutient qu’elles ne sont aucunement comparables aux « tribunes politiques ». Elle indique que la retransmission des travaux parlementaires consiste à retransmettre purement et simplement les séances et les débats parlementaires, sans remettre en contexte les différents arguments et points de vue exprimés, lesquels seraient difficilement compréhensibles pour le public. Elle affirme que les espaces de parole et de communication (programmi dell’accesso) ne sont pas non plus comparables aux débats que les « tribunes politiques » permettaient : il s’agirait de simples monologues, très courts, et diffusés à des horaires tout à fait secondaires et de faible audience.

73. Elle ajoute que la RAI n’organise jamais de sa propre initiative des émissions de communication politique. Au contraire, elle diffuse des émissions d’information politique prenant généralement la forme de talk-shows, soumises aux choix opérés par le directeur de la chaîne, la rédaction et l’animateur de l’émission. Or, estime-t-elle, si ces émissions doivent en principe respecter le principe du pluralisme, en pratique elles finissent par présenter systématiquement deux camps opposés, dans une répétition sans fin d’un schéma manichéen excluant les mouvements politiques qui sont considérés comme minoritaires. Pire encore, ajoute-t-elle, non seulement les talk-shows sont loin de représenter de manière satisfaisante la pluralité des opinions politiques mais ils contribuent à accentuer la tendance à la polarisation du débat politique. En d’autres termes, selon elle, toute opinion politique située en dehors des blocs politiques dominants sont tenue à l’écart.

74. Enfin, la première requérante s’appuie sur les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie ([GC], no 38433/09, CEDH 2012) et Manole (précité) pour soutenir que les tribunes politiques sont nécessaires en ce qu’elles permettent de garantir l’accès du public, par l’intermédiaire de la télévision et de la radio, à des informations impartiales et exactes ainsi qu’à une pluralité d’avis et de commentaires reflétant notamment la diversité des opinions politiques dans le pays. En conclusion, elle soutient que la suppression des « tribunes politiques » constitue une ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention.

75. Le Gouvernement ne conteste pas que, à partir de 2008, la commission de vigilance n’a plus adopté d’instructions relatives aux « tribunes politiques », mais il estime que la suppression de ces émissions n’a pas emporté violation du droit pour la première requérante de manifester ses opinions politiques, les « tribunes politiques » ayant été remplacées par d’autres émissions portant sur des thématiques politiques. Il indique que ces nouvelles émissions, qui prendraient surtout la forme de talk-shows, ont connu un développement considérable.

76. Il explique, en s’appuyant sur des chiffres d’audience établis par la RAI, que le public a progressivement perdu tout intérêt pour les « tribunes politiques », conçues au début des années 1970, et que ce désintérêt a été l’un des facteurs qui a conduit à l’abandon de ces émissions à partir de 2008.

77. Il souligne par ailleurs qu’afin de garantir une information politique complète, la RAI propose, en plus des talk-shows et des autres émissions d’information politique, d’autres possibilités de diffusion du discours politique à la télévision et à la radio. Ainsi, elle aurait intensifié la retransmission en direct des séances du Parlement, et elle ouvrirait – notamment aux partis politiques – des espaces de parole et de communication. De plus, l’État contribuerait au financement de la station de radio gérée par la première requérante, et cette radio offrirait un service d’information d’intérêt général en diffusant l’intégralité des sessions du Parlement, des congrès des partis politiques et des conférences d’intérêt général.

78. En conclusion, le Gouvernement affirme que le système italien garantit de manière effective l’accès du public à des informations impartiales et objectives par l’intermédiaire de la télévision et de la radio, et qu’il assure le pluralisme de l’information en permettant à toutes les opinions politiques de s’exprimer. Il considère que le droit de la première requérante à la liberté d’expression n’a pas été violé.

2. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

79. La Cour rappelle d’emblée les principes généraux qui découlent de sa jurisprudence en ce qui concerne la nécessité d’une ingérence faite dans l’exercice de la liberté d’expression et le pluralisme dans les médias audiovisuels (Animal Defenders International, précité, §§ 100 et 101) et, en particulier, le principe selon lequel il n’est pas de démocratie sans pluralisme (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 129, CEDH 2012, Manole, précité, § 95). La démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de « l’ordre public européen » (Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

80. La liberté de la presse fournit à l’opinion publique l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants. Plus généralement, le libre jeu du débat politique se trouve au cœur même de la notion de société démocratique qui domine la Convention tout entière (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103).

81. Les médias audiovisuels ont un rôle particulièrement important à jouer à cet égard. En raison de leur pouvoir de faire passer des messages par le son et par l’image, ils ont des effets plus immédiats et plus puissants que la presse écrite (Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no 298, Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 79, CEDH 2004-XI, et Murphy c. Irlande, no 44179/98, § 74, CEDH 2003-IX).

82. Une situation dans laquelle une fraction économique ou politique de la société peut obtenir une position de domination sur les médias audiovisuels et exercer ainsi une pression sur les diffuseurs pour finalement restreindre leur liberté éditoriale porte atteinte au rôle fondamental qu’est dans une société démocratique celui de la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention, en particulier lorsqu’il s’agit de communiquer des informations et des idées d’intérêt général, que le public a de plus le droit de recevoir (VgT Verein gegen Tierfabriken, précité, §§ 73 et 75, voir également De Geillustreerde Pers N.V. c. Pays-Bas, no 5178/71, rapport de la Commission du 6 juillet 1976, Décisions et rapports (DR) 8, p. 25, § 86).

83. La Cour considère que, dans le domaine de la diffusion audiovisuelle, ces principes imposent à l’État, garant ultime du pluralisme (Manole, précité, § 99, Informationsverein Lentia et autres c. Autriche, 24 novembre 1993, § 38, série A no 276, VgT Verein gegen Tierfabriken, précité, §§ 44-47), l’obligation de garantir d’une part l’accès du public, par l’intermédiaire de la télévision et de la radio, à des informations impartiales et exactes ainsi qu’à une pluralité d’opinions et de commentaires reflétant notamment la diversité des opinions politiques dans le pays, et d’autre part la protection des journalistes et des autres professionnels des médias audiovisuels contre les entraves à la communication de ces informations et commentaires. Le choix des moyens par lesquels ces buts doivent être atteints doit varier en fonction des conditions locales et relève donc de la marge d’appréciation de l’État. Ainsi par exemple, si la Cour et, avant elle, la Commission ont reconnu qu’un service public de radiodiffusion peut contribuer à la qualité et à l’équilibre des programmes (Informationsverein Lentia et autres, précité, § 33, Tele 1 Privatfernsehgesellschaft mbH c. Autriche, no 32240/96, 21 septembre 2000, et X. SA c. Pays-Bas, no 21472/93, décision de la Commission du 11 janvier 1994, DR 76-B, p. 129), l’article 10 n’oblige nullement les États à mettre en place un tel service, dès lors que d’autres moyens sont mis en œuvre dans le même but.

84. Cependant, lorsque l’État décide de mettre en place un système public de radiotélédiffusion, il découle des principes exposés ci-dessus que le droit et la pratique internes doivent garantir que ce système assure un service pluraliste. Lorsque, en particulier, les stations privées sont encore trop faibles pour proposer une véritable alternative et que l’organisme public ou d’État est donc le seul diffuseur ou le diffuseur dominant dans un pays ou une région, il est indispensable pour le bon fonctionnement de la démocratie qu’il diffuse des informations et des commentaires impartiaux, indépendants et neutres et qu’il fournisse en outre un forum de discussion publique dans le cadre duquel un éventail aussi large que possible d’opinions et de points de vue puissent s’exprimer (Manole, précité, § 101).

85. En ce qui concerne le débat politique, la Cour a dit que la liberté d’expression est l’une des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif (Bowman c. Royaume-Uni, 19 février 1998, § 42, Recueil 1998‑I).

b) Application de ces principes en l’espèce

86. Hors période électorale, le régime juridique italien encadrant la diffusion des opinions politiques à la télévision distingue les émissions de « communication politique », dont les « tribunes politiques », des émissions d’information, dont les programmes d’approfondissement politique (paragraphe 25 ci-dessus). Les premières sont conçues comme un moyen de diffusion du message des partis politiques, les secondes incluent ce message dans un contexte dynamique lié à l’actualité. Les unes comme les autres ont pour but de contribuer au débat politique national, en garantissant la diffusion des opinions et des idées et le pluralisme de l’information.

87. L’organisation des « tribunes politiques » sur les chaînes publiques nécessitait un acte d’impulsion émanant d’un organe parlementaire, la commission de vigilance, tandis que l’initiative des émissions d’information relève de l’autonomie éditoriale de chaque chaîne et de chaque rédaction. Celles-ci doivent néanmoins respecter les principes généraux d’impartialité et de pluralisme de l’information.

88. La première requérante, « sujet politique » au sens du droit interne, se plaint de ne pas pouvoir accéder aux « tribunes politiques », en raison selon elle d’une inertie de la commission de vigilance. Elle soulève ainsi la question générale de l’accès des forces politiques aux média de radiotélévision.

89. La Cour rappelle tout d’abord que le risque menaçant le pluralisme des débats publics, les élections et le processus démocratique n’est pas limité à la période électorale car le processus démocratique est continu et doit être constamment alimenté par un débat public libre et pluraliste. (Animal Defenders International, précité, § 111, avec la jurisprudence citée). Elle a aussi indiqué que l’obligation positive pour l’État d’intervenir pour garantir un pluralisme effectif dans le secteur audiovisuel ne se limitait pas à des périodes particulières (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 134).

90. Elle reconnaît que les émissions de radiotélévision jouent un rôle essentiel dans le débat politique, en ce qu’elles permettent la circulation à une plus vaste échelle des idées et des opinions sur des sujets d’intérêt général. Ces émissions alimentent le débat politique au bénéfice du grand public, en contribuant à fixer les priorités politiques et à façonner l’opinion du public en vue de sa participation effective à la vie sociale et politique du pays (paragraphe 36 ci-dessus). La radio et la télévision, et aujourd’hui les nouveaux médias, sont autant de forums modernes de débat et de discussion, qui facilitent la diffusion de l’information et des opinions de tous bords et qui aident le public à repérer les informations pertinentes.

91. Compte tenu de l’importance qui s’attache à la liberté du débat politique, la Cour estime que chaque force politique peut aspirer à présenter ses idées et opinions dans le cadre du système public de radiotélédiffusion si cela permet d’assurer le pluralisme (Manole, précité, §§ 100 et 101, Saliyev c. Russie, no 35016/03, § 53, 21 octobre 2010, et Murphy, précité, § 61, CEDH 2003‑IX (extraits)). La démocratie se nourrit en effet de la liberté d’expression, et il est de son essence de permettre la proposition et la discussion de projets politiques divers, même ceux qui remettent en cause le mode d’organisation actuel d’un État, pourvu qu’ils ne visent pas à porter atteinte à la démocratie elle-même (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 129, Manole, précité, § 95).

92. La Cour considère que les faits de la présente affaire ne sont pas comparables à ceux qui sont à l’origine des arrêts VgT et TV Vest, où il était question d’une interdiction absolue faite aux associations requérantes d’avoir recours à la publicité télévisée, politique ou d’intérêt social, pour diffuser leurs opinions et leurs idées (VgT Verein gegen Tierfabriken, précité, § 71, et TV Vest AS et Rogaland Pensjonistparti, précité, §§ 63 et 73, CEDH 2008 (extraits)). En l’espèce, la première requérante se plaint de ne pas avoir eu accès à une émission télévisée précise, les « tribunes politiques ». Même si la première requérante considère ladite émission comme le moyen privilégié de présentation et de diffusion de ses opinions, la Cour estime qu’il ne s’agit pas ici d’une interdiction absolue d’accès aux émissions télévisées de nature politique, imposée à un parti politique, ce qui pourrait être incompatible avec l’article 10 de la Convention.

93. La présente affaire ne porte pas non plus sur la question de l’accès aux émissions consacrées au débat politique pendant la phase pré-électorale. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, dans le cadre du discours politique et des élections, la marge d’appréciation des États est étroite, en particulier pendant la phase qui précède les élections ou les référendums, où l’enjeu démocratique est à son apogée. Les restrictions apportées à la liberté pour les partis politiques d’exprimer leurs opinions font ainsi l’objet d’un contrôle rigoureux (voir, parmi d’autres, Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie [GC], no 201/17, § 100, 20 janvier 2020, et Orlovskaya Iskra c. Russie, no 42911/08, § 110, 21 février 2017).

94. Venant maintenant à analyser la suppression des « tribunes politiques », la Cour constate que celle-ci est la conséquence de l’inertie de la commission de vigilance qui n’a plus fourni à la RAI les instructions nécessaires à l’organisation de ces émissions (paragraphe 15 ci-dessus). La commission de vigilance est un organe politique qui exprime la volonté du Parlement italien en matière de service public de radiotélédiffusion. Le choix de ne plus organiser les tribunes politiques est ainsi un choix politique, dont les raisons relèvent du pouvoir d’appréciation du Parlement. La Cour est quant à elle appelée à vérifier si les effets de la suppression de ces émissions sur la liberté d’expression de la première requérante sont compatibles avec la Convention (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 67, CEDH 2004‑I, et Orlovskaya Iskra, précité, § 112).

95. Sur ce point, elle note d’abord que le format des « tribunes politiques » a été conçu au début des années 1970, dans un contexte sociétal complètement différent du contexte actuel. Ces émissions visaient à offrir aux partis politiques un outil de discussion et de débat externe au Parlement et adressé de manière privilégiée au grand public. Depuis lors, l’offre médiatique a évolué de manière considérable, non seulement avec les progrès techniques de la télévision et de la radio, mais aussi avec l’apparition de nouvelles façons de concevoir les émissions dans les médias. Dans ses observations, le Gouvernement a ainsi fait état, d’une part, d’un désintérêt du public pour les tribunes politiques et les émissions de communication politique et, d’autre part, d’une évolution de l’offre d’émissions d’information permettant aux partis politiques de véhiculer leurs opinions et leurs idées différemment (paragraphe 76 ci-dessus).

96. La Cour observe ensuite que la première requérante n’a pas été le seul « sujet politique » à subir les effets de la suppression des tribunes politiques : toutes les forces politiques qui y participaient, sans distinction, ont subi les conséquences de cette suppression. La situation aurait été différente si le refus d’accorder un temps d’antenne à un parti ou à un groupe spécifique s’était accompagné de la diffusion des opinions des autres forces politiques, en créant une disparité de traitement qui aurait pu soulever un problème au regard de l’article 10 de la Convention.

97. La Cour note aussi que le remplacement progressif des « tribunes politiques » par des programmes d’approfondissement politique permet à la RAI de bénéficier d’une majeure souplesse et donc d’une plus ample liberté éditoriale. Ainsi, l’inertie de la commission de vigilance et l’interruption d’un nouveau cycle de « tribunes politiques » doivent être replacées dans le contexte d’un système audiovisuel public qui offre désormais à la première requérante d’autres possibilités concrètes de diffusion de ses idées et opinions (Animal Defenders International, précité, § 124).

98. Plus en général, la Cour estime que l’abandon des « tribunes politiques » doit être considéré dans le cadre de l’évolution générale du système public de radiotélédiffusion italien. Cette évolution, bien que loin d’avoir réalisé la transition de la gouvernance du service public (paragraphe 38 ci-dessus), voit la progressive réduction du rôle direct du pouvoir politique et reconnait, par rapport au passé, une majeure autonomie éditoriale à chaque chaîne ainsi qu’aux rédactions responsables des émissions d’information, dans le but de promouvoir l’impartialité, l’objectivité et le pluralisme de l’information. À cet égard, la Cour renvoie à la Résolution no 1 sur l’avenir du service public de la radiodiffusion (1994), dans laquelle les États participants se sont engagés à « garantir l’indépendance des radiodiffuseurs publics contre toute interférence politique et économique », et à l’Annexe à la Recommandation no R (96) 10 concernant la garantie de l’indépendance du service public de la radiodiffusion (1996), dans laquelle le Comité des Ministres a adopté un certain nombre de lignes directrices visant à assurer l’indépendance des radiodiffuseurs publics (paragraphe 36 ci-dessus) et a estimé que « le cadre juridique régissant les organismes de radiodiffusion de service public devrait clairement affirmer leur indépendance éditoriale et leur autonomie institutionnelle », en particulier dans différents domaines d’activité essentiels, dont l’édition et la présentation des programmes d’information et d’actualité (Manole et autres c. Moldova, no 13936/02, § 102, CEDH 2009 (extraits).

99. Au vu de ces considérations, la Cour conclut que la suppression des « tribunes politiques » n’a pas privé la première requérante de la possibilité de diffuser ses opinions et que, dans ces conditions, elle ne peut s’analyser en une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressée à la liberté d’expression.

Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

100. La première requérante se plaint de ne pas avoir disposé d’une voie de recours effective pour se plaindre de l’atteinte alléguée à son droit à la liberté d’expression. Elle invoque l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

101. En tenant compte des informations fournies, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

102. La première requérante soutient que le système interne ne prévoit pas une voie de recours effective qui lui aurait permis de se plaindre de l’atteinte à son droit en raison de la suppression des « tribunes politiques ».

103. Le Gouvernement affirme que la première requérante pouvait saisir l’AGCOM pour se plaindre de l’inaction de la RAI et faire valoir ses droits garantis par l’article 10.

104. La Cour rappelle ses conclusions relatives à l’exception de non‑épuisement soulevée par le Gouvernement sur le terrain de l’article 10 (paragraphes 65 et suivants ci-dessus) et estime en l’espèce que, face à la suppression des « tribunes politiques », la première requérante n’a pas disposé d’un recours lui permettant de se plaindre devant les autorités nationales de cette situation et de la violation alléguée de son droit à la liberté d’expression.

105. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que la première requérante n’a pas disposé d’un recours interne effectif.

106. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

107. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

108. La première requérante sollicite une indemnité pour préjudice moral et s’en remet à la sagesse de la Cour pour en déterminer le montant.

109. Le Gouvernement ne s’est pas exprimé sur la demande présentée par la première requérante au titre du dommage moral.

110. La Cour estime que la première requérante a subi un préjudice moral en raison de la violation de l’article 13 de la Convention, et que le simple constat d’une violation suffit à le compenser.

B. Frais et dépens

111. La première requérante réclame 127,20 euros (EUR) au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Quant au remboursement des honoraires de son représentant, elle s’en remet à la sagesse de la Cour.

112. Le Gouvernement ne s’est pas exprimé sur la demande présentée par la première requérante au titre des frais et dépens.

113. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la première requérante 127 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

114. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable pour autant qu’elle concerne la première requérante ;

2. Déclare la requête irrecevable pour autant qu’elle concerne la deuxième requérante ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention dans le chef de la première requérante ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention dans le chef de la première requérante ;

5. Dit que le constat d’une violation fournit en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la première requérante ;

6. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à la première requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 127 EUR (cent vingt-sept euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la première requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 août 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata Degener                                Ksenija Turković
Greffière                                               Présidente

Document en format: PDF, WORD.

Dernière mise à jour le août 31, 2021 par loisdumonde

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