AFFAIRE MUHAMMAD ET MUHAMMAD c. ROUMANIE (Cour européenne des droits de l’homme)

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE MUHAMMAD ET MUHAMMAD c. ROUMANIE
(Requête no 80982/12)
ARRÊT

Art 1 P7 • Garanties procédurales en cas d’expulsion d’étrangers • Expulsion prononcée par un tribunal pour des raisons de sécurité nationale sur la base d’informations classées secrètes non communiquées aux requérants et en l’absence de garanties compensatrices suffisantes • Droit d’être informédes éléments factuels pertinents sous-tendant la décision d’expulsion • Droit d’avoir accès au contenu des documents et des informations sur lesquels s’est fondée l’autorité nationale compétente • Les restrictions à ces droits doivent être dûment justifiées par une autorité indépendante et compétente et suffisamment contrebalancées par des facteurs compensateurs, notamment des garanties procédurales • Contrôle strict des facteurs compensateurs en l’absence de vérification rigoureuse, par les autorités internes, de la nécessité des importantes restrictions apportées aux droits des requérants • Caractère inadéquat des informations fournies aux requérants quant aux motifs de leur expulsion, au déroulement de la procédure et aux droits dont ils jouissaient • Inefficacité de la défense assurée par des avocats n’ayant pas accès aux informations du dossier de l’affaire • L’intervention de la plus haute instance judiciaire constitue une garantie importante, mais non suffisante en l’absence d’information sur la nature et l’intensité du contrôle exercé

STRASBOURG
15 octobre 2020

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Muhammad et Muhammad c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Robert Spano, président,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ksenija Turković,
Angelika Nußberger,
Paul Lemmens,
Ganna Yudkivska,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Carlo Ranzoni,
Pauliine Koskelo,
Georgios A. Serghides,
Marko Bošnjak,
Jovan Ilievski,
Péter Paczolay,
María Elósegui, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 septembre 2019 et18 juin 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 80982/12) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants pakistanais, MM. Adeel Muhammad et Ramzan Muhammad (« les requérants »), ont saisi la Cour le 19 décembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés par Mes E. Crângariu et F. Dumitru, avocates à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme S.-M. Teodoroiu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants se plaignent d’avoir été expulsés de la Roumanie vers le Pakistan. Ils s’estiment victimes d’une violation des droits garantis par les articles 13 de la Convention et 1 du Protocole no 7 à la Convention.

4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 10 juillet 2015, le grief formulé sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 7 a été communiqué au Gouvernement et les griefs formulés sur le terrain des articles 5 et 8 de la Convention ont été déclarés irrecevables en application de l’article 54 § 3 du règlement. Par la suite, la requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour. Le 26 février 2019, une chambre de cette section composée de Ganna Yudkivska, présidente, Paulo Pinto de Albuquerque, Faris Vehabović, Iulia Antoanella Motoc, Carlo Ranzoni, Marko Bošnjak et Péter Paczolay, juges, ainsi que de Marialena Tsirli, greffière de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

6. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire. La Fondation Helsinki pour les droits de l’homme en Pologne et l’Association pour l’intervention juridique, ainsi que Amnesty International et la Rapporteure spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, qui avaient été autorisées à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement), ont elles aussi communiqué des observations.

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 25 septembre 2019 (articles 71 et 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
Mmes S.-M. Teodoroiu, du ministère des Affaires étrangères, agente,
O. Ezer, conseillère diplomatique au Ministère
des Affaires Étrangères,
S.D. Popa, adjointe au représentant permanent
de la Roumanie auprès du Conseil de l’Europe,
D.A. Stănișor, juge à la Haute Cour de Cassation et de Justice,
I. Măiereanu, juge à la Haute Cour de Cassation et de Justice,
M. O. Spînu, juge à la cour d’appel de Bucarest, conseillers ;

– pour les requérants
Mes E. Crângariu, avocate,
F. Dumitru, avocate, conseils.

La Cour a entendu MmeTeodoroiu, MeCrângariu et Me Dumitru en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses à ses questions.

Avec l’autorisation du président de la Grande Chambre, le Gouvernement a soumis par écrit des compléments de réponse à certaines des questions posées par les juges à l’audience. Ces réponses ont été portées à la connaissance de la partie requérante qui a pu présenter ses observations à leur égard.

EN FAIT

I. Le contexte de l’affaire

8. Adeel Muhammad est né en 1993 et réside à TehsilKaror (Pakistan). Ramzan Muhammad est né en 1982 et réside à Dubaï (Émirats Arabes Unis).

9. En septembre 2012, Adeel Muhammad (le premier requérant) entra en Roumanie, après avoir obtenu, le 7 septembre 2012, un visa d’étudiant valable jusqu’en 2015. Il bénéficiait d’une bourse d’études « Erasmus Mundus ». Il entama des études à la faculté des sciences économiques de l’Université Lucian Blaga de Sibiu.

10. Le 17 février 2009, Ramzan Muhammad (le second requérant) entra en Roumanie muni d’un visa de long séjour pour études. Il suivit une première année d’études préparatoires à Piteşti avant d’être transféré à l’Université Lucian Blaga de Sibiu, où il bénéficiait d’une bourse d’études « Erasmus Mundus ». Le 14 avril 2012, son épouse le rejoignit en Roumanie. Elle était titulaire d’un visa de long séjour pour regroupement familial.

II. La demande du parquet de déclarer les requérants personnes indésirables

11. Par une note du 4 décembre 2012, le Service roumain du renseignement (Serviciulromân de informații, ci-après « le SRI ») proposa au parquet près la cour d’appel de Bucarest (« le parquet ») de saisir la juridiction compétente pour apprécier s’il convenait de déclarer les requérants indésirables sur le territoire pour une durée de quinze ans. À l’appui de sa proposition, il joignait des documents classés « secret » (strict secret) (paragraphe 51 ci-dessous).

12. Le 4 décembre 2012, le parquet saisit la chambre administrative de la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») d’une demande (rezoluție) par laquelle il la priait de déclarer les deux requérants indésirables sur le territoire roumain. Il y indiquait que, selon des informations classées « secret » que lui avait communiquées le SRI, il existait des indices sérieux donnant à penser que les intéressés prévoyaient de mener des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale, au sens de l’article 85 § 1 de l’ordonnance d’urgence no 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie (« l’OUG no 194/2002 ») combiné avec l’article 3 i) et l) de la loi no 51/1991 sur la sécurité nationale (« la loi no 51/1991 ») et l’article 44 de la loi no 535/2004 sur la prévention et la répression du terrorisme (« la loi no 535/2004). Il précisait que cette mesure ne méconnaîtrait pas les garanties prévues par l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention car le respect des droits énumérés au premier 1 alinéas a) à c) de cet article ne faisait pas obstacle à l’expulsion d’un étranger lorsque cette mesure était nécessaire aux fins du maintien de l’ordre public ou fondée sur des motifs de sécurité nationale. Il fondait sa demande sur les articles 85 § 2 et 97 § 3 de l’OUG no 194/2002.

13. À l’appui de sa demande, le parquet transmit à la cour d’appel les documents classés « secret » que lui avait communiqués le SRI. Il indiqua que ces documents pouvaient être utilisés dans le respect des dispositions de l’arrêté gouvernemental no 585/2002 relatif à l’approbation des normes nationales de protection des informations classées secrètes en Roumanie (« l’arrêté gouvernemental no 585/2002 »). La présidente de la chambre du contentieux administratif de la cour d’appel fut informée de ce que le parquet avait déposé au service de la cour d’appel chargé des informations classées secrètes « un écrit » classé « secret », à l’intention du juge qui examinerait l’affaire des requérants.

14. Selon les observations du Gouvernement, le document secret que le SRI avait communiqué au parquet détaillait, exemples à l’appui, les activités menées par les deux requérants pour le compte d’un groupement islamiste extrémiste se réclamant de l’idéologie d’Al-Qaïda, ainsi que les liens des intéressés avec diverses entités terroristes et la formation qu’ils avaient suivie ; et il renfermait des données et des informations concrètes et précises sur leur implication dans des activités constitutives de menaces pour la sécurité nationale. Ces différentes informations auraient été recueillies par le SRI à l’aide de moyens techniques spécifiques à ses activités de renseignement.

15. Toujours le 4 décembre 2012, après 17 h 20, le commissariat de police de Sibiu remit aux requérants des citations à comparaître le lendemain matin à 9 heures devant la cour d’appel, dans le cadre de la procédure d’examen de la demande du parquet. Aucun document n’était joint à ces citations à comparaître.

16. Le 5 décembre 2012 à 5 heures du matin, les requérants arrivèrent à Bucarest, après avoir fait le voyage de nuit en autocar. Ils se présentèrent devant la cour d’appel à l’heure indiquée.

III. La procédure menée en première instance devant la cour d’appel

17. Par un jugement avant-dire droit du 5 décembre 2012, la formation à laquelle l’affaire avait été attribuée s’en dessaisit, au motif que le juge n’avait pas l’autorisation requise par la loi no 182/2002 sur la protection des informations secrètes (« la loi no 182/2002 ») pour pouvoir accéder au document secret que le parquet avait versé au dossier, et elle joignit à l’instance l’Inspection générale de l’immigration (« l’IGI »), en sa qualité d’autorité compétente pour exécuter la décision qui serait rendue.

18. L’affaire fut attribuée à une autre formation de jugement, habilitée en vertu d’une autorisation délivrée par l’Office du registre national des informations relevant du secret-défense (« l’ORNISS ») à accéder aux documents relevant du niveau de classification des informations en cause.

19. Une audience eut lieu le 5 décembre 2012. Les requérants y étaient présents et assistés d’un interprète en langue ourdoue.

20. La cour d’appel accorda aux requérants le temps de prendre connaissance de l’acte introductif d’instance, avec l’assistance de l’interprète. Il y était indiqué qu’il existait des indices sérieux donnant à penser qu’ils prévoyaient de mener des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale, au sens de l’article 85 § 1 de l’OUG no 194/2002, combiné avec les dispositions de l’article 3 i) et l) de la loi no 51/1991 et de l’article 44 de la loi no 535/2004. Il était également précisé que les données et renseignements qui fondaient la demande du parquet avaient été transmis à la cour d’appel.

21. Les requérants indiquèrent oralement à la cour d’appel qu’ils ne comprenaient pas les raisons de leur convocation, étant donné que l’acte introductif d’instance ne contenait que des références à des articles de loi. La cour d’appel leur répondit que les documents du dossier étaient classés secrets et que seul le juge y avait accès de par son habilitation à cette fin.

22. Les requérants ayant indiqué ne pas avoir de demandes préalables à formuler, la cour d’appel invita les parties à produire des éléments de preuve. Le parquet demanda l’admission en tant qu’éléments de preuve des informations classées secrètes transmises à la cour d’appel (paragraphe 13 ci‑dessus). Les requérants indiquèrent qu’ils n’avaient aucune preuve à produire, et ils prièrent la cour d’appel de vérifier minutieusement les pièces du dossier, affirmant qu’ils n’avaient rien fait qui pût porter atteinte à la sécurité nationale. Le représentant de l’IGI demanda l’admission en tant qu’éléments de preuve des informations secrètes transmises à la cour d’appel.

23. Se référant à l’article 167 du code de procédure civile, la cour d’appel admit en tant qu’éléments de preuve les informations secrètes, les estimant probantes, pertinentes et utiles pour trancher l’affaire. Elle ouvrit ensuite les débats au fond.

24. Le parquet pria la cour de déclarer les requérants indésirables sur le territoire national et d’ordonner leur éloignement. Selon lui, il ressortait des informations secrètes que les intéressés avaient mené des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.

25. Les requérants répliquèrent qu’ils n’avaient rien fait d’illégal, qu’ils étaient de simples étudiants et que le premier requérant n’était arrivé en Roumanie que deux mois auparavant. L’un et l’autre s’estimaient soupçonnés à tort, et demandèrent à avoir accès à un avocat commis d’office.

26. Après avoir soumis au débat des parties la demande d’assistance par un avocat commis d’office, la cour d’appel la rejeta pour tardiveté, au motif qu’elle aurait dû être formulée avant l’ouverture des débats sur le fond de l’affaire (paragraphe 23 ci-dessus).

27. Par un arrêt rendu le même jour en chambre du conseil, elle déclara les requérants indésirables sur le territoire pour une durée de quinze ans et ordonna leur placement en rétention administrative (luareîn custodie publică) jusqu’à leur éloignement.

28. Elle tint le raisonnement suivant :

« (…) Les dénommés Ramzan Muhammad et Adeel Muhammad, citoyens pakistanais, se trouvent en Roumanie en vertu de visas d’études, ils étant tous les deux bénéficiaires d’une bourse « Erasmus Mundus » à la faculté dessciences économiques de l’Université Lucian Blaga de Sibiu.

Après avoir examiné les informations communiquées par le SRI, qui sont classées secret-défense au niveau « secret », la cour [d’appel] constate que ces informations prouvent que les étrangers [en cause] se livrent à des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.

Il convient de prendre en considération les dispositions de l’article 3 i) et l) de la loi no 51/1991 [sur la sûreté nationale], selon lesquelles sont constitutifs d’une menace pour la sécurité nationale de la Roumanie les faits suivants : i) les actes terroristes, leur conception ou la suspicion [sic] par tout moyen à de tels actes ; (…) l) la création ou la constitution d’organisations ou des groupe ou l’adhésion ou l’appui par tout moyen à ceux-ci, ayant pour finalité l’une des activités énumérées aux points a) à k) (…), ainsi que le déroulement en secret de telles activités par des organisations ou groupes légalement constitués.

La cour [d’appel] tient compte également des dispositions de l’article 44 de la loi no 535/2004 [sur la prévention et la répression du terrorisme], en vertu desquelles les citoyens étrangers et les apatrides au sujet desquels il existe des données ou des indices sérieux indiquant qu’ils nourrissent le projet de mener des activités terroristes ou de s’en rendre complices sont déclarés indésirables en Roumanie et peuvent voir leur droit de séjour annulé s’ils n’ont pas fait l’objet d’une mesure d’interdiction de quitter le territoire prononcée en vertu de la loi sur le régime des étrangers en Roumanie.

[La cour d’appel] tient compte également du fait que la Roumanie s’est engagée, en tant que membre de l’Organisation des Nations unies, à refuser d’héberger sur son territoire toute personne qui financerait, préparerait, ou commettrait des actes de nature terroriste, ou qui apporterait son soutien à de tels actes.

La mesure ordonnée [en l’espèce] ne méconnaît pas l’article 8 de la Convention [européenne des droits de l’homme], étant donné que, bien que cette mesure constitue une ingérence dans [l’exercice par les intéressés de] leur droit au respect de leur vie privée et familiale, cette ingérence est prévue par la loi, elle poursuit un but légitime et elle est nécessaire dans une société démocratique.

Ainsi, la mesure est prévue par l’article 85 de l’OUG no 194/2002, qui permet d’ordonner l’éloignement du territoire et l’interdiction de séjour d’un étranger, [soit par un] acte normatif publié au Moniteur officiel, ce qui satisfait ainsi à la condition d’accessibilité du texte de loi.

De même, les garanties procédurales sont respectées pour l’étranger objet de la mesure le déclarant indésirable, la mesure étant ordonnée par un tribunal au sens de l’article 6 de la CEDH dans le respect du contradictoire et du droit à la défense.

La mesure déclarant les étrangers indésirables poursuit un but légitime, à savoir la prévention de la commission de faits graves de nature à porter atteinte à la sécurité de l’État roumain.

Quant à la nécessité d’adopter une telle mesure à l’égard des étrangers, elle est justifiée par la nature et la gravité des activités menées [par les intéressés], [éléments] au regard desquels il convient de vérifier si la mesure est proportionnée au but poursuivi.

Compte tenu de ces considérations et à la lumière des dispositions de l’article 85 § 5 de l’OUG no 194/2002, en vertu desquelles les données et renseignements sur lesquels reposent les décisions portant interdiction de séjour pour raisons de sécurité nationale ne sont pas mentionnés dans les arrêts correspondants, la cour [d’appel] fait droit à la demande [du parquet] et déclare [les requérants] indésirables sur le territoire pendant quinze ans pour raisons de sécurité nationale.

En même temps, la cour [d’appel] ordonne le placement des intéressés en rétention administrative, en vertu des dispositions de l’article 97 § 3 de l’OUG no 194/2002, jusqu’à leur éloignement du territoire, [étant entendu que cette rétention ne pourra pas dépasser] dix-huit mois. »

29. Toujours le 5 décembre 2012, les requérants furent informés, par une lettre de l’IGI de Bucarest rédigée en roumain et en anglais, qu’ils avaient été déclarés indésirables sur le territoire et qu’ils allaient être reconduits à la frontière sous escorte. Ils furent placés au centre d’hébergement pour étrangers d’Otopeni dans l’attente de leur éloignement.

IV. Le communiqué de presse du SRI

30. Le 6 décembre 2012, le SRI publia un communiqué de presse ainsi libellé :

« Dans le contexte des mesures déployées par les autorités roumaines compétentes pour la prévention et la répression du terrorisme, qui ont fondé la décision de la cour d’appel de Bucarest no 6906 du 5 décembre 2012, par laquelle les ressortissants étrangers R.M. et A.M. [les requérants, dont les noms n’étaient pas révélés] ont été déclarés indésirables pour une période de quinze ans, le SRI est autorisé à communiquer ce qui suit :

[Sur le fondement de] renseignements recueillis dans le cadre du Système national de prévention et de répression du terrorisme (SNPCT), le SRI a entrepris des démarches complexes, en coopération avec les autres institutions [intégrées à ce] Système, afin de recueillir des informations sur des activités préparatoires menées par une structure extrémiste affiliée idéologiquement à l’organisation Al-Qaïda qui prévoyait de commettre une action terroriste sur le territoire de la Roumanie pendant la période des fêtes de fin d’année.

À cet effet, les services compétents ont surveillé les activités des membres de cette structure présents dans notre pays, [ces individus] considérés comme des « points d’appui », agissaient de concert sous la coordination d’entités externes de manière conspirative. Il a été établi qu’ils devaient assurer l’appui à la réalisation de l’opération dans sa totalité. Il convient de souligner que l’un de ceux [qui ont été] mis en cause avait les connaissances nécessaires pour confectionner des engins explosifs artisanaux.

De même, il ressort des renseignements obtenus [par les services compétents] qu’afin de mettre en œuvre l’action projetée, [la structure extrémiste] a essayé de coopter des individus connus pour soutenir des groupes djihadistes, qui devaient agir en collaboration avec « les points d’appui » [se trouvant] en Roumanie.

Les données et les informations pertinentes recueillies dans cette affaire ont été communiquées, conformément à la loi, au parquet près la cour d’appel de Bucarest, [celui-ci] a appuyé devant l’instance compétente la proposition du SRI tendant à ce que les citoyens étrangers R.M. et A.M. soient déclarés indésirables sur le territoire au motif qu’ils étaient impliqués dans des activités de nature à nuire gravement à la sécurité nationale dans le domaine antiterroriste.

À la suite de la décision de la cour d’appel de Bucarest, les deux intéressés ont été arrêtés et placés en rétention administrative, en vue de leur éloignement du territoire national.

En sa qualité d’autorité chargée au niveau national de la prévention et de la répression du terrorisme, le SRI, de même que les autres institutions du SNPCT, a pour priorité majeure la prévention de tout risque et [de toute] menace de nature terroriste. »

31. Le journal Adevărul publia deux articles relayant le communiqué de presse du SRI, sans toutefois le citer comme source de l’information, et indiquant les noms des requérants et les détails de leur cursus universitaire en Roumanie. À une date non précisée, les requérants prirent connaissance du contenu du communiqué de presse.

V. La procédure de recours introduite devant la Haute Cour de cassation et de justice

32. Les requérants formèrent devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») un recours contre l’arrêt rendu par la cour d’appel le 5 décembre 2012 (paragraphes 27 et 28 ci-dessus). Ils avaient entre-temps engagé pour les représenter deux avocates. N’étant pas titulaires d’un certificat ORNISS, celles-ci ne pouvaient accéder aux pièces classées secrètes du dossier (paragraphe 54ci-dessous).

33. Dans leur recours, les requérants se plaignaient de ne pas avoir été informés par la cour d’appel de la procédure à suivre, et notamment des démarches à entreprendre pour solliciter l’assistance d’un avocat. Ils alléguaient que la cour d’appel n’avait pas indiqué quels étaient les éléments qui « fond[ai]ent la proposition » d’interdiction de séjour mais s’était bornée à renvoyer au niveau de classification « secret » des documents versés au dossier, et qu’elle avait ainsi méconnu l’article 85 § 4 de l’OUG no 194/2002. Ils affirmaient que le dossier ne comprenait aucune mention de documents secrets, de quelque niveau que ce fût, et ils considéraient qu’à supposer même qu’il eût renfermé de tels documents, la cour d’appel restait légalement tenue de les informer des faits qui leur étaient reprochés. Ils soutenaient que, en ne leur communiquant pas les accusations concrètes portées contre eux, les autorités les avaient privés de la possibilité de se défendre et avaient ainsi porté atteinte à leurs droits à un procès équitable et à un recours effectif.

34. Ils se plaignaient également de ce que, alors qu’eux-mêmes s’étaient vu opposer la classification « secret » des éléments du dossier et avaient été laissés dans l’ignorance des faits qui leur étaient reprochés, le SRI ait publié le lendemain du prononcé de l’arrêt de la cour d’appel un communiqué de presse, repris par les médias, où ces faits étaient exposés.

35. Ils estimaient que la cour d’appel aurait pu les informer des faits concrets qui leur étaient imputés sans pour autant dévoiler des renseignements secrets tels par exemple que les méthodes d’investigation du SRI, les noms des agents qui les avaient suivis ou encore les éléments de preuve recueillis. Ils arguaient qu’elle avait motivé sa décision par les « activités » auxquelles elle estimait qu’ils s’étaient « livrés » et par la nature de ces activités ; et ils en déduisaient qu’on leur reprochait non pas le simple dessein de mener des activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale mais bien l’accomplissement de faits concrets. Ils considéraient que, n’ayant pas été informés des faits dont il s’agissait, ils avaient été mis dans l’impossibilité de présenter des preuves à décharge.

36. Enfin, ils indiquaient que le second requérant avait été auparavant persécuté par des agents du SRI et que, pour cette raison, le 19 novembre 2012, ils avaient déjà adressé une demande à l’Université afin de tirer au clair la situation et, éventuellement, d’être transférés dans un autre pays membre du programme des bourses « Erasmus Mundus ».

37. Une audience eut lieu le 20 décembre 2012 devant la Haute Cour. Les requérants y étaient présents et assistés de leurs avocates et d’un interprète. Ils demandèrent l’autorisation de verser au dossier des documents écrits attestant de leur comportement à l’université et de leur bonne intégration dans le milieu universitaire.

38. Ils prièrent par ailleurs la Haute Cour de se procurer auprès de la banque T. un document bancaire attestant de leur situation financière, et de le verser au dossier. Ils produisirent une note du 18 décembre 2012 émanant de la banque T., où il était indiqué que, en application des articles 111 à 113 de l’ordonnance du gouvernement no 99/2006 relative aux établissements de crédit et à l’adéquation des fonds propres, qui garantissaient le secret des données, la banque ne pouvait communiquer les extraits de leur compte bancaire à un tiers, mais elle pouvait si nécessaire les mettre à la disposition de la Haute Cour. Ils estimaient que, étant donné que ni eux ni leurs avocates, qui n’avaient pas le niveau d’habilitation nécessaire, n’avaient accès aux éléments secrets du dossier, ce document bancaire leur permettrait de réfuter les accusations portées contre eux dans le communiqué de presse du SRI et de démontrer qu’ils ne finançaient pas une activité terroriste (paragraphe 30 ci‑dessus).

39. Le parquet et l’Office roumain de l’immigration (« l’ORI »), parties à la procédure, s’opposèrent à cette demande, estimant l’un et l’autre que le document bancaire en question ne permettrait d’apporter aucune preuve pertinente et utile dans l’affaire. Selon l’ORI, seuls les documents classés était pertinent car la procédure portait sur les renseignements qu’il renfermait et non sur des informations publiées ultérieurement dans la presse. Selon le procureur en charge de l’affaire, le document bancaire que les requérants souhaitaient faire verser au dossier était sans pertinence ni utilité pour l’examen de l’affaire.

40. S’appuyant sur l’article 305 du code de procédure civile, la Haute Cour versa au dossier les documents relatifs au comportement des requérants à l’université et rejeta la demande présentée par les intéressés aux fins de l’obtention de documents bancaires. Elle soumit ensuite la cause au débat des parties.

41. Sur le fond de l’affaire, les requérants affirmèrent qu’ils étaient de simples étudiants et qu’ils n’avaient commis aucun acte terroriste. Ils répétèrent que la cour d’appel ne leur avait pas communiqué les faits qui avaient fondé la demande du parquet et qu’elle avait ainsi méconnu les dispositions pertinentes de l’OUG 194/2002 ; qu’alors qu’on leur avait opposé la classification « secret » des éléments du dossier, les faits qui leur étaient reprochés avaient été révélés dans un communiqué de presse du SRI publié le lendemain du prononcé de l’arrêt de première instance (paragraphe 30 ci-dessus) ; et qu’ils n’avaient été informés ni des modalités d’exercice du droit à l’assistance d’un avocat ni des faits qui leur étaient reprochés. Ils soutinrent qu’ils n’avaient pas bénéficié des garanties procédurales du procès équitable et que la procédure menée jusqu’alors avait ainsi été purement formelle.

42. Par un arrêt définitif du 20 décembre 2012, la Haute Cour rejeta le recours des requérants. Après avoir rappelé la décision de la cour d’appel, elle jugea qu’il ressortait des éléments secrets dont elle disposait que la cour d’appel avait retenu à bon droit l’existence d’indices tendant à démontrer que les requérants nourrissaient le projet de mener des activités de nature à porter atteinte à la sécurité nationale. Elle observa ensuite que, en vertu de l’article 85 § 5 de l’OUG no 194/2002, lorsque la décision d’interdiction de séjour était prononcée pour raisons de sécurité nationale, les juges ne pouvaient pas mentionner dans l’arrêt les données, les informations ni les raisons factuelles (motivele de fapt) au vu desquelles ils avaient statué. Elle précisa ceci :

« Les arguments que les requérants tirent de leur bon comportement à l’université ne peuvent être retenus et ne modifient pas la conviction [des juges] forgée sur les documents secrets, où figurent les informations nécessaires et suffisantes pour prouver l’existence d’indices forts d’où il ressort que les requérants nourrissaient le projet de mener des activités de nature à porter atteinte à la sécurité nationale. »

43. Examinant ensuite l’argument que les requérants tiraient d’un non‑respect de leurs droits fondamentaux et des garanties procédurales du procès équitable, la Haute Cour tint le raisonnement suivant :

« Les mesures d’expulsion, de rétention administrative et de reconduite à la frontière appliquées aux étrangers déclarés indésirables sur le territoire de la Roumanie sont légitimes, et sont régies en droit interne par les dispositions du Chapitre V ( « Régime de l’éloignement des étrangers hors du territoire de la Roumanie ») de l’OUG no 194/2002 ; [elles] sont nécessaires et proportionnées au but poursuivi dès lors que le tribunal (instanța de judecată) a constaté que les preuves instruites prouvent l’existence d’indices forts (indiciitemeinice) selon lesquels les personnes auxquelles elles s’appliquent nourrissent le projet de mener des activités de nature à porter atteinte à la sécurité nationale. »

44. Elle considéra ensuite que les dispositions de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention étaient applicables dans l’affaire. Elle nota que les requérants se trouvaient en situation de séjour régulier sur le territoire roumain au moment du déclenchement de la procédure d’éloignement mais que toutefois les dispositions du paragraphe 2 de cet article ne leur étaient pas applicables, étant donné qu’ils n’avaient pas été éloignés du territoire avant de pouvoir exercer leurs droits. Après avoir rappelé que dans les affaires Ahmed c. Roumanie (no 34621/03, 13 juillet 2010), Kaya c. Roumanie (no 33970/05, 12 octobre 2006) et Lupsa c. Roumanie (no 10337/04, CEDH 2006‑VII), la Cour avait considéré qu’il y avait violation de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention lorsque les autorités n’avaient communiqué à l’étranger concerné ni l’acte introductif d’instance ni le moindre élément d’information quant aux faits qui lui étaient reprochés, elle jugea que les circonstances de la cause étaient différentes.

45. La Haute Cour nota qu’en l’espèce, les requérants s’étaient vu remettre l’acte introductif d’instance émanant du parquet et ils avaient bénéficié du temps nécessaire pour prendre connaissance, avec l’aide de l’interprète, du contenu de cet acte ainsi que des éléments versés au dossier à l’appui de la demande d’interdiction de séjour. Elle estima qu’ils avaient ainsi été mis en mesure de comprendre la raison pour laquelle ils avaient fait l’objet de la procédure d’interdiction de séjour et d’éloignement. Elle tint le raisonnement suivant :

« Il est vrai que les éléments classés « secret » qui ont été versés au dossier, [et qui se] trouvaient à la disposition de l’instance [qui a examiné l’affaire], n’ont pas été communiqués aux intéressés.

L’absence de communication directe et concrète des informations contenues dans les documents classés secrets-défense (secret de Stat) de niveau « secret » (strict secret) qui avait été fourni par le SRI correspond à une obligation légale qui incombe au juge, en vertu des dispositions de l’article 85 § 5 de l’ordonnance no 194/2002 (…) et surtout des dispositions de la loi no 182/2002 sur la protection des informations classées secrètes [citation des articles 2 § 2, 15 f) et 39 §§ 1 et 2 de la loi].

Selon les dispositions précitées, les juges qui ont pris connaissance des informations contenues dans les documents secrets versés au dossier sont tenus de n’en rien divulguer.

Le respect de la garantie énoncée à l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention, [à savoir celle] d’assurer la protection de la personne (faisant l’objet de la procédure d’expulsion) contre des atteintes arbitraires de la puissance publique à ses droits garantis par la Convention (CEDH, affaire Ahmed, précitée, § 52), est assuré en l’espèce par le fait que tant le juge du fond que la juridiction de recours ont eu la possibilité de vérifier le bien-fondé de l’existence d’indices [tendant à démontrer que les intéressés] « [nourrissaient] le projet de mener des activités de nature à porter atteinte à la sécurité nationale » (au sens de l’article 85 § 1 de l’OUG no 194/2002) ; ainsi, la cause des requérants a été examinée à deux degrés de juridiction par une « instance indépendante et impartiale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Considérer qu’informer la personne qui fait l’objet de la procédure d’expulsion des raisons qui fondent son expulsion implique, de manière non‑équivoque, la présentation directe, effective, concrète et ponctuelle des indices (…) équivaut – dans l’opinion de la Haute Cour et par rapport à l’obligation qu’elle a de ne pas divulguer ou de ne pas favoriser la divulgation des informations qui pourraient provoquer des dommages graves à la sécurité nationale – à la remise en question de la notion même de sécurité nationale et de l’ensemble des mesures destinées à protéger les informations relevant de cette notion.

[La Haute Cour] note qu’[en l’espèce], les droits garantis par l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention ont été respectés dans le cadre de la procédure judiciaire : [les requérants] ont eu la possibilité réelle d’être présents tant devant la juridiction du fond que devant la juridiction de recours, et ils ont été assistés par des avocats qu’ils avaient eux-mêmes choisis ; [ils ont pu présenter] les motifs qui plaidaient contre leur expulsion ; leur cause a été examinée de manière directe et effective par un tribunal indépendant et impartial ; [et] ils ont été représentés par des avocats de leur choix.

Eu égard aux arguments exposés ci-dessus, la Haute Cour considère que, contrairement à ce que soutiennent [les requérants] dans leur recours, ni le droit à un recours effectif, ni le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention, ni le principe de non-discrimination consacré aux articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 12 n’ont été méconnus aux fins de l’article 18 § 1 de la Constitution.

Le fait qu’après le prononcé de l’arrêt de la cour d’appel la presse écrite et audiovisuelle ait révélé les éléments qui avaient fondé la décision d’expulsion ne permet pas de conclure que le droit d’accès à la justice ou le droit à un procès équitable aient été méconnus. Pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus, la thèse [des requérants] consistant à dire que leur droit d’accès à un tribunal n’a été respecté que formellement ne peut être retenue.

L’argument que [les requérants] tirent de l’article 3 de la Convention est lui aussi mal fondé, car il n’a pas été prouvé par des documents émanant d’autorités étatiques (statale) qu’ils risqueraient d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants dans le pays de destination : [les requérants] n’ont produit qu’un rapport du Conseil national roumain pour les réfugiés établi sur la base de certaines « informations publiques, sélectionnées et traduites à la suite d’une recherche faite sur internet ».

Il est également mal fondé l’argument que Muhammad Ramzan tire, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, de la présence en Roumanie de son épouse enceinte de neuf mois et dépendante de la bourse doctorale qu’il perçoit. Il est vrai que la mesure d’expulsion de l’intéressé constitue une ingérence dans l’exercice par celui-ci de son droit au respect de la vie familiale, néanmoins la [Haute Cour] considère que, pour les motifs exposés précédemment, cette ingérence satisfait aux exigences de l’article 8 § 2 de la Convention : elle est prévue par la loi et nécessaire pour assurer la sécurité nationale.

Pour ce qui est du respect des droits de la défense [des requérants] devant la cour d’appel, la Haute Cour note que [les intéressés] ont eu la possibilité de présenter eux‑mêmes des arguments contre leur expulsion et de s’exprimer dans leur langue, en bénéficiant de l’assistance d’un interprète. Par ailleurs, il convient de noter que, en application des dispositions légales (înmodlegal), la cour d’appel avait déclaré tardive leur demande d’assistance par un avocat commis d’office, au motif que cette demande avait été présentée alors que le fond de l’affaire avait déjà été soumis au débat des parties, et non au stade antérieur de la procédure. En outre, devant la juridiction de recours, [les requérants] ont été assistés par des avocats de leur choix et ils ont eu la possibilité d’exposer tous les arguments qu’ils souhaitaient à l’appui de leur défense. En conséquence, on ne saurait conclure à la violation du droit à un procès équitable, au sens de l’article 21 § 3 de la Constitution et de l’article 6 § 1 de la Convention.

Les arguments que [les requérants] tirent du fait que la cour d’appel a mentionné [qu’ils s’étaient] « livrés à des activités » (desfășurarea de activități) alors que la demande du parquet visait « le projet de mener certaines activités » et de ce qu’elle a cité de manière erronée le texte de l’article 3 lettre i) de la loi no 51/1991 ne sont pas de nature à mettre en cause la légalité ou le bien-fondé de la décision prononcée.

Compte tenu de ce qui précède, (…) la Haute Cour rejette le recours [des requérants], pour défaut de fondement (…) ».

46. Les requérants quittèrent le territoire roumain le 27 décembre 2012.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

I. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES

A. Le droit interne

1. La Constitution

47. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées :

Article 18
Citoyens étrangers et apatrides

« (1) Les citoyens étrangers et les apatrides qui résident en Roumanie bénéficient de la protection générale des personnes et des biens garantie par la Constitution et d’autres lois. »

Article 21
Libre accès à la justice

« (3) Les justiciables ont droit à un procès équitable et au règlement de leurs litiges dans un délai raisonnable. (…) »

Article 24
Droits de la défense

« (1) Les droits de la défense sont garantis.

(2) Tout au long de la procédure, les justiciables ont droit à l’assistance d’un avocat, choisi par eux ou commis d’office. »

Article 31
Droit à l’information

« (3) Le droit à l’information ne doit pas compromettre les mesures de protection (…) de la sécurité nationale. »

2. Le code de procédurecivile

48. Les dispositions pertinentes du code de procédure civile, telles qu’en vigueur au moment des faits, se lisaient ainsi :

Article 129

« (2). Le juge informe les parties de leurs droits et obligations en fonction de leur qualité dans la procédure (…) »

Article 167

« (1). Ne peuvent être admises que les preuves dont le tribunal (instanța) considère qu’elles sont de nature à contribuer à la manifestation de la vérité (căele pot săaducădezlegareapricinii) (…).

(2). Elles seront administrées avant l’ouverture des débats au fond.

(3). Dans la mesure du possible, les éléments de preuve contradictoires sont administrés en même temps.

(…) »

Article 305

« Il ne peut être produit en recours (recurs) aucune preuve nouvelle, à l’exception des documents écrits qui peuvent être versés à la procédure jusqu’à la fin des débats. »

3. La loi no 51/1991 sur la sûreté nationale

49. En leurs parties applicables en l’espèce, les dispositions pertinentes de la loi no 51/1991 sur la sûreté nationale sont ainsi libellées :

Article 3

« Constituent des menaces pour la sûreté nationale de la Roumanie :

a) les plans et les activités qui visent à anéantir ou entamer la souveraineté, l’unité, l’indépendance ou l’indivisibilité de l’État roumain ;

b) les activités qui ont pour finalité directe ou indirecte de provoquer une guerre contre l’État ou une guerre civile, de faciliter l’occupation militaire étrangère ou l’asservissement à une puissance étrangère, ou d’aider une puissance ou une organisation étrangère à obtenir pareilles situations ;

c) la trahison par l’aide apportée à l’ennemi ;

d) les actions armées ou violentes qui visent à affaiblir le pouvoir de l’État ;

e) l’espionnage, la communication à une puissance ou une organisation étrangères ou à leurs agents d’informations relevant du secret-défense, la détention illégale d’informations relevant du secret-défense en vue de leur communication à une puissance ou une organisation étrangères ou à leurs agents (…) ;

f) les actions de sape ou de sabotage, les activités qui visent à renverser par la force les institutions démocratiques de l’État, qui portent gravement atteinte aux droits et libertés fondamentaux des citoyens roumains, ou qui sont susceptibles de porter atteinte à la capacité de défense ou à d’autres intérêts similaires du pays, ainsi que les actes de destruction ou de dégradation (…) des infrastructures nécessaires au bon déroulement de la vie socio­économique ou à la défense nationale ;

g) les actions par lesquelles il est porté atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou à la santé des personnes qui exercent des fonctions nationales importantes (…) ;

h) la conception, l’organisation ou la commission d’actions totalitaires ou extrémistes de nature communiste, fasciste, (…) raciste, antisémites, révisionnistes, séparatiste susceptibles de mettre en péril, d’une quelconque manière, l’unité et l’intégrité territoriale de la Roumanie, ainsi que l’incitation à commettre des actes risquant de mettre en péril l’état de droit ;

i) les actions terroristes, ainsi que la conception ou l’appui apporté à de de tels actes, par quelque moyen que ce soit ;

j) les attentats contre une collectivité, commis par quelque moyen que ce soit ;

k) le vol d’armes, de munitions, de substances explosives ou radioactives, toxiques ou biologiques détenues par des entités autorisées à cette fin, le trafic, la fabrication, la détention, la cession, le transport ou leur utilisation dans d’autres conditions que celles prévues par la loi, ainsi que le port illégal d’armes ou de munitions mettant en danger la sécurité nationale ;

l) la création ou la constitution d’organisations ou des groupe ou l’adhésion ou l’appui par tout moyen à ceux-ci, ayant pour finalité l’une des activités énumérées aux points a) à k) ci-dessus, ainsi que le déroulement en secret de telles activités par des organisations ou groupes légalement constitués. »

Article 8

« L’activité de renseignement visant la sauvegarde de la sûreté nationale est menée par le Service roumain du renseignement, (…) »

Article 10

« L’activité de renseignement visant la sauvegarde de la sûreté nationale relève du secret-défense (secret de stat). »

Article 11 § 1

« Les informations relevant de la sûreté nationale peuvent être communiquées :

(…)

d) aux organes de poursuite pénale lorsqu’elles concernent la commission d’une infraction.

La communication de [ces] informations doit être approuvée par les responsables des organismes chargés de la sécurité nationale. »

4. La loi no 535/2004 sur la prévention et la répression du terrorisme

50. L’article 44 de la loi no 535/2004 sur la prévention et la répression du terrorisme, en vigueur à l’époque des faits, était ainsi rédigé en sa partie pertinente en l’espèce :

« 1. Les citoyens étrangers et les apatrides au sujet desquels il existe des données ou des indices forts (indiciitemeinice) [indiquant] qu’ils nourrissent le projet de mener des activités terroristes ou de s’en rendre complices sont déclarés indésirables en Roumanie et peuvent voir leur droit de séjour annulé s’ils n’ont pas fait l’objet d’une mesure d’interdiction de quitter le territoire (…). »

5. La loi no 182/2002 sur la protection des informations secrètes

51. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 182/2002 sur la protection des informations secrètes sont ainsi libellées :

Article 15

« Les termes suivants sont ainsi définis, au sens de la présente loi.

(…)

b) [On entend par] informations classées secrètes : les informations, données et documents qui revêtent un intérêt de sécurité nationale et qui, compte tenu de leur niveau d’importance et des conséquences que pourraient entraîner leur divulgation et leur diffusion non autorisées, doivent être protégés.

c) Les catégories de classification sont les suivantes : secret-défense (secret de stat) et secret de service.

d) [On entend par] informations [classées] secret-défense : les informations qui relèvent de la sécurité nationale et dont la divulgation risquerait de nuire à la sûreté nationale et à la défense du pays.

(…)

f) Les informations [classées] secret-défense sont réparties en différents niveaux de classification (de secretizare) qui sont :

– très secret (strict secret de importanțădeosebită) : informations dont la divulgation non autorisée risquerait de porter une atteinte d’une gravité exceptionnelle à la sécurité nationale ;

– secret (strict secrete) : informations dont la divulgation non autorisée risquerait de porter gravement atteinte à la sécurité nationale ;

– confidentiel (secrete) : informations dont la divulgation non autorisée risquerait de porter atteinte à la sécurité nationale ; (…) »

Article 17

« (1) Sont classées secret-défense (secret de stat) les informations qui concernent :

(…)

f) l’activité de renseignement menée par les autorités publiques chargées par la loi pour la défense du pays et la sûreté nationale ;

g) les moyens, les méthodes, la technologie et le matériel de travail ainsi que les sources d’informations spécifiques auxquels ont recours les autorités publiques menant des activités de renseignement ;

(…) »

Article 21

« (1) L’Office du registre national des informations relevant du secret-défense est directement rattaché (însubordinea) au gouvernement.

(2) L’Office du registre national des informations relevant du secret-défense tient l’évidence des listes et des informations appartenant à cette catégorie et des délais d’application du niveau de classification qui leur est attribué, [la liste] du personnel autorisé et habilité à accéder à des informations secret-défense, [et] les registres d’autorisation (…). »

Article 24

« (4) Les informations classées secrètes en vertu de l’article 15 lettre f) peuvent être déclassifiées par un arrêté du gouvernement, sur demande motivée de l’[organe] compétent.

(…)

(10) La déclassification ou le déclassement sont prononcés par les personnes ou autorités publiques ayant compétence pour approuver la classification et le niveau de classification de l’information concernée. »

Article 28

« (1) L’accès aux informations classées secret-défense n’est permis que sur autorisation écrite délivrée par le dirigeant de l’organisme qui détient ces informations, après notification préalable à l’Office du registre national des informations relevant du secret-défense.

(2) L’autorisation est délivrée en fonction des niveaux de classification visés à l’article 15 lettre f), après la réalisation de vérifications de la personne intéressée, avec son accord écrit préalable. Les personnes juridiques, (…) informent l’Office du registre national des informations relevant du secret-défense de l’émission de l’autorisation d’accès.

(…)

(4) La durée de validité de l’autorisation est de quatre ans ; pendant cette période, les vérifications peuvent être reprises à tout moment.

(…) ».

Article 36

« (1) Les personnes auxquelles sont confiées des informations classées secrètes sont tenues d’en assurer la protection conformément à la loi et de respecter les dispositions des programmes de prévention des fuites d’informations classées secrètes.

(…) »

Article 37

(1) Les autorités publiques et toutes les personnes morales qui détiennent ou se sont vu confier des informations relevant du secret-défense ou du secret de service engagent les fonds nécessaires pour s’acquitter de leurs obligations et pour prendre les mesures nécessaires concernant la protection de ces informations.

(2) La responsabilité de protéger les informations classées secrètes incombe au responsable de l’autorité, de l’institution publique ou de la personne morale qui détient les informations, selon le cas. »

Article 39

« (1) Tout manquement aux règles relatives à la protection des informations classées secrètesentraîne la responsabilité disciplinaire, administrative, civile ou pénale de son auteur, selon le cas.

(2) Les personnes qui exercent des fonctions au sein des services de renseignement et de sécurité, de l’armée ou du service des relations extérieures ainsi que celles qui ont été spécialement chargées de la protection des informations relevant du secret‑défense perdent définitivement leurs fonctions (calitatea) si elles se rendent coupables intentionnellement ou par négligence d’actes de nature à aboutir à la divulgation ou à la fuite d’informations secrètes. »

6. L’ordonnance du gouvernement no 194/2002sur le régime des étrangers en Roumanie

52. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’OUG no 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :

Article 85
La déclaration d’un étranger comme personne indésirable

« (1) La déclaration [qu’une personne comme personne] indésirable est une mesure prise à l’encontre d’un étranger qui a mené, mène ou [à l’égard duquel] il existe des indices forts (indiciitemeinice) démontrant son intention de mener des activités de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public.

(2) La mesure prévue au paragraphe 1 est prononcée par la cour d’appel de Bucarest, sur demande du procureur (…), qui la saisit sur proposition des institutions chargées du maintien de l’ordre public et de la protection de la sécurité nationale qui disposent de pareils indices (…).

(3) Les données et renseignements qui fondent la proposition de déclarer un étranger indésirable pour raisons de sécurité nationale sont mis à la disposition de la [cour d’appel], dans les conditions prévues par les textes qui régissent les activités relatives à la sûreté nationale et la protection des renseignements classés secrets.

(4) La demande visée au paragraphe 2 est examinée en chambre du conseil, avec la citation des parties. La cour d’appel informe l’étranger concerné des faits qui fondent la demande, dans le respect des dispositions des textes régissant les activités relatives à la sûreté nationale et la protection des renseignements classés secrets.

(5) La cour d’appel rend un arrêt motivé, dans un délai de dix jours à compter de la date à laquelle elle a été saisie de la demande visée au paragraphe 2. La décision de la juridiction est définitive. Lorsqu’elle déclare un étranger indésirable pour raisons de sécurité nationale, elle n’indique pas dans son arrêt les données et renseignements qui justifient cette décision.

(…)

(9). Un étranger peut être déclaré indésirable pour une période de cinq à quinze ans (…) »

Article 86
Recours ouverts contre l’arrêt [rendu en vertu de] l’article 85 § 5

« L’arrêt prévu à l’article 85 § 5 peut faire l’objet d’un recours devant la Haute Cour de cassation et de justice dans un délai de dix jours à compter de la date de sa communication [à l’intéressé]. La Haute Cour statue dans un délai de cinq jours à compter de la date du dépôt du recours. »

7. L’arrêtégouvernemental no 585/2002

53. Les dispositions pertinentes des normes nationales de protection des informations classées secrètes en Roumanie, approuvées par l’arrêté gouvernemental no 585/2002, sont ainsi libellées :

Article 19

« Les informations [classées] secret-défense peut être déclassifiées par un arrêté du gouvernement, sur demande motivée de l’[organe] émetteur. »

Article 20

« (1) Les informations [classiées secrètes] sont déclassifiées dans les cas suivants :

a) la durée de couverture par le secret a expiré ;

b) la divulgation des informations ne risque plus de nuire à la sûreté nationale (…) ;

c) [la classification] a été réalisée par une personne non autorisée (neîmputernicită) par la loi à le faire.

(2) La déclassification ou le déclassement des informations [classées] secret-défense sont prononcés par des personnes mandatées à cette fin ou par des fonctionnaires de rang supérieur habilités par la loi à attribuer les différents niveaux de classification, après avis des institutions qui coordonnent les activités de protection des informations classées secrètes et le contrôle des mesures correspondantes (…). »

Article 26

« La transmission des informations classées secrètes peut être faite aux personnes qui détiennent des habilitations de sécurité ou des autorisations d’accès correspondant au niveau de classification [des informations]. »

Article 159

« Les situations suivantes imputables au demandeur [d’accès aux informations classifiées] (…) représentent des situations d’incompatibilité pour l’accès aux informations [classifiées] secret-défense :

a) si l’individu a commis ou a prévu de commettre des actes d’espionnage, de terrorisme ou de trahison, ou d’autres infractions contre la sûreté de l’État (…); »

8. La procédure d’obtention d’un certificat ORNISS

54. Depuis 2010, les avocats peuvent solliciter la délivrance d’un certificat de sécurité émis par l’ORNISS (« certificat ORNISS ») afin d’avoir accès à des documents classés secrets. Pour ce faire, l’avocat intéressé doit soumettre sa demande au bâtonnier de son barreau, qui la transmet à l’Union nationale des barreaux de Roumanie (« l’UNBR »). L’avocat doit joindre à sa demande, parmi d’autres documents, une copie du pouvoir que son client lui a remis pour l’autoriser à le représenter dans son affaire ainsi qu’une note, émanant de l’autorité saisie de l’affaire de son client, attestant que des éléments classés secret ont été produits à titre de preuve et qu’il a besoin d’un certificat pour accéder aux éléments en question pour préparer la défense de son client. L’UNBR ouvre alors la procédure, et l’autorité compétente conduit des vérifications préalables sur la situation de l’avocat. La durée de la procédure de vérification menée dans le cadre d’une demande d’accès à des renseignements classés « secrets » est de soixante jours ouvrés (article 148 de l’arrêté gouvernemental no 585/2002). À l’issue des vérifications, l’autorité compétente remet ses conclusions à l’ORNISS. Celui-ci rend son avis et le communique à l’UNBR. Cette dernière dispose alors de cinq jours pour émettre la décision d’accès aux documents classés secrets.

55. Lorsqu’il reçoit le certificat ORNISS, l’avocat doit signer un engagement de confidentialité pour la protection des informations classées secrètes dont il prendra connaissance. Une fois délivré, le certificat ORNISS est valable quatre ans. Pendant cette période de validité, les services compétents peuvent procéder à tout moment à de nouvelles vérifications relatives à l’avocat.

56. Le 10 octobre 2013, le président de l’UNBR a sollicité l’avis de l’ORNISS sur la possibilité de publier, sur les sites des différents barreaux, les noms des avocats titulaires de certificats leur donnant accès à des informations classées secrètes. Le 6 novembre 2013, l’ORNISS a rendu son avis. Il y observait qu’une telle publication aurait pour effet l’instauration de catégories d’avocats différentes au sein du même système, et donc une situation discriminatoire à l’égard des avocats non titulaires du certificat. Il soulignait que, en vertu de l’article 2 de la loi no 182/2002, l’accès à des informations classées secrètes n’était pas un droit légalement garanti à tous les citoyens et n’était autorisé que dans les cas et conditions prévus par la loi, et que dès lors, rien ne permettait de dire que tous les avocats inscrits au barreau pourraient obtenir un tel accès. Il concluait qu’il n’y avait pas lieu de publier sur les sites des différents barreaux ou sur celui de l’UNBR les noms des avocats autorisés à accéder à des informations classées secrètes.

57. Il ressort d’une lettre adressée par l’UNBR au Gouvernement en janvier 2018 que publier une liste des avocats titulaires d’un certificat ORNISS pourrait être contraire à l’article 24 de la Constitution (droit de choisir son propre avocat). En réponse à une demande des requérants, l’UNBR a précisé dans une lettre du 19 avril 2019 que tout avocat qui a été choisi ou désigné pour représenter une personne concernée par des informations classées secrètes ou pour lui apporter une assistance judiciaire peut solliciter la délivrance d’un certificat ORNISS, que, par conséquent, il n’existe pas de « liste des avocats titulaires d’un certificat ORNISS », et que l’élaboration et l’utilisation d’une telle liste seraient en outre contraires à l’article 24 de la Constitution.

58. Se fondant sur des renseignements qui lui ont été fournis par les autorités nationales compétentes en la matière, le Gouvernement a indiqué qu’en décembre 2012, huit avocats étaient titulaires d’un certificat ORNISS, et que de 2011 jusqu’à la date à laquelle il a communiqué ses observations à la Grande Chambre, trente-trois avocats avaient été autorisés à accéder à des informations classées secrètes.

B. La jurisprudence interne pertinente

59. Les parties ont versé au dossier de l’affaire des décisions de justice relatives à des contestations formées contre des décisions d’interdiction de séjour sur le territoire roumain ou contre des refus, de la part de l’Office roumain de l’immigration (l’ORI), d’octroyer un droit de résidence permanente en Roumanie.

60. Dans plusieurs arrêts (28 janvier 2011, 18 octobre 2011, 14 mars 2012, 9 juillet 2012, 26 octobre 2012, 9 novembre 2012, 20 décembre 2012, 22 août 2013, 7 novembre 2013 et 2 avril 2015), la cour d’appel a considéré que l’acte introductif d’instance, qui indiquait que les étrangers concernés étaient soupçonnés d’activités liées au terrorisme au sens de l’article 3 lettres i) et l) de la loi no 51/1991, renfermait des renseignements suffisants pour permettre aux intéressés de préparer leur défense.

61. Dans d’autres arrêts, elle n’a pas seulement cité le texte de l’article 3 lettres i) et l) de la loi no 51/1991, elle a aussi précisé certains éléments factuels concrets. Par exemple, elle a indiqué que les étrangers faisant l’objet de la procédure étaient soupçonnés de nourrir le projet de mener des activités subversives en faveur d’une organisation terroriste (arrêts des 24 août 2012, 10 juin 2015 et 30 août 2016), d’apporter un soutien financier à une organisation terroriste, de faire de la propagande (arrêts des 6 février 2013, 19 juillet 2017, 2 août 2017, 13 décembre 2017, 7 mars 2019, 26 mars 2019 et 3 avril 2019) ou de l’espionnage pour des organisations étrangères, d’avoir pris contact par internet avec des organisations terroristes ou d’avoir manifesté la volonté de commettre des actes de violence au nom d’une idéologie terroriste (arrêts des 17 mai 2012, 23 avril 2013, 31 mars 2015, 29 décembre 2015, 14 juin 2016, 1er septembre 2016, 1er mars 2017, 14 novembre 2017, 4 avril 2018 et 20 juin 2018, par exemple).

62. Il ressort des exemples de jurisprudence versés au dossier par le Gouvernement que dans deux affaires, après avoir examiné dans leur intégralité les preuves mises à sa disposition et leur crédibilité, la cour d’appel n’a accueilli que partiellement la demande d’interdiction du territoire présentée par le parquet (arrêt du 31 mars 2015 et arrêt du 19 juillet 2017).

63. Dans plusieurs affaires, des étrangers ont contesté une décision par laquelle l’ORI avait refusé de leur octroyer un droit de résidence permanente en Roumanie au motif qu’il ressortait de preuves classées secrètes qu’ils menaient des activités de nature à porter atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale. Dans certains cas, les juridictions nationales compétentes (cour d’appel et Haute Cour) ont fait droit à leur recours, estimant que le refus de l’ORI n’était justifié ni par des éléments objectifs ni par les pièces classées secrètes versées au dossier (voir les arrêts définitifs de la Haute Cour en date des 28 septembre 2010, 22 février 2011, 24 mars 2011, 16 septembre 2011, 8 mars 2012, 29 mai 2014 et 25 septembre 2018). Dans d’autres, la Haute Cour a rejeté les recours formés par les étrangers, jugeant fondé le refus que leur avait opposé l’ORI (arrêts définitifs de la Haute Cour en date des 16 juin 2011, 19 juin 2012 et 28 février 2014).

64. Dans certaines des affaires versées au dossier par le Gouvernement, les juridictions nationales n’ont pas informé les intéressés de ce qu’ils avaient la possibilité de se faire assister d’un avocat (arrêts de la cour d’appel des 24 août 2012, 26 octobre 2012 et 7 mars 2019). Dans d’autres affaires, la cour d’appel a informé les étrangers de ce que seules des personnes titulaires d’une autorisation spéciale pouvaient avoir accès aux documents classés secrets mais elle a omis de dire que certains avocats étaient titulaires de cette autorisation (arrêts des 7 novembre 2013, 2 avril 2015 et 1er septembre 2016).

65. Dans plusieurs affaires où l’étranger concerné avait introduit une demande d’ajournement afin de pouvoir engager un avocat, la cour d’appel a rejeté cette demande aux motifs que la loi imposait de mener avec célérité les procédures de ce type et que l’étranger en question conservait la possibilité de former un recours (arrêts des 9 juillet 2012, 7 novembre 2013, 10 juin 2015, 14 juin 2016 et 30 août 2016 ; voir aussi l’arrêt de la Haute Cour en date du 8 janvier 2016, où il est précisé qu’il ne peut être dérogé au délai fixé par la loi pour statuer sur ce type de recours).

66. Dans d’autres de ces affaires, les juridictions nationales ont fait droit à la demande, et ont précisé que l’étranger devrait choisir un avocat déjà titulaire d’un certificat ORNISS (cour d’appel, affaire no 2138/2/2018, et Haute Cour, jugement avant-dire droit du 11 juillet 2016) car, du fait des délais légaux, il ne serait pas possible à un avocat non titulaire de ce certificat de l’obtenir pendant le déroulement de la procédure. Cependant, dans deux procédure liée à l’immigration, l’une de 2017 et l’autre de 2019, les juridictions nationales ont ajourné la procédure à plusieurs reprises et au‑delà du délai légal, afin que l’avocat du justiciable fasse les démarches nécessaires pour obtenir un certificat ORNISS.

II. LeS DOCUMENTS du conseil de l’Europe

A. Le rapport explicatif du Protocole no 7 à la Convention

67. Le rapport explicatif du Protocole no 7 a été rédigé par le Comité directeur pour les droits de l’homme et soumis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Il y est précisé d’emblée qu’il « ne constitue pas un instrument d’interprétation authentique du texte du Protocole, bien qu’il puisse faciliter la compréhension des dispositions qui y sont contenues ».

68. En ses parties pertinentes en l’espèce, il se lit comme suit :

« Article 1

6. Dans l’esprit de la remarque générale faite dans l’introduction (voir supra, paragraphe 4), il convient de souligner qu’un étranger se trouvant sur le territoire d’un État membre du Conseil de l’Europe bénéficie déjà, s’il fait l’objet d’une mesure d’expulsion, de certaines garanties. Il s’agit en particulier de celles qui sont accordées par les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), combinés avec l’article 13 (droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, tels qu’interprétés par la Cour et la Commission européennes des Droits de l’Homme, et – dans les États qui y sont Parties – par la Convention européenne d’établissement de 1955 (article 3), la Charte sociale européenne de 1961 (article 19, paragraphe 8), le Traité instituant la Communauté économique européenne de 1957 (article 48), la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 (articles 32 et 33) et le Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques de 1966 (article 13).

7. Compte tenu des droits qui sont ainsi reconnus aux étrangers, le présent article a été ajouté à la Convention européenne des Droits de l’Homme afin de donner à ces personnes des garanties minimales en cas d’expulsion du territoire d’une Partie contractante. Cela permet de leur assurer une protection dans les cas qui ne sont pas couverts par d’autres instruments internationaux et d’introduire cette protection dans le système de contrôle prévu par la Convention européenne des Droits de l’Homme.

(…)

11. Le paragraphe 1 de cet article prévoit tout d’abord que les personnes concernées ne peuvent être expulsées « qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi ». Cette règle ne souffre aucune exception. Par ailleurs, ici encore, le mot « loi » désigne la loi nationale de l’État en question. La décision doit donc être prise par l’autorité compétente conformément aux dispositions du droit matériel et aux règles de procédure applicables.

12. Les alinéas a, b et c de ce même paragraphe énumèrent ensuite trois garanties. À la différence du libellé de l’article 13 du Pacte de Nations Unies, ces trois garanties ont été clairement distinguées dans trois alinéas différents.

13.1. La première garantie consiste dans le droit, pour la personne concernée, de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion. Les conditions de l’exercice de ce droit relèvent de la législation nationale. En prévoyant pour cette garantie un alinéa particulier, on a voulu indiquer clairement qu’un étranger peut l’exercer avant même d’avoir pu faire examiner son cas.

13.2. La deuxième garantie est le droit de la personne concernée de faire examiner son cas. Ce droit n’exige pas nécessairement que la procédure se déroule en deux étapes devant des autorités différentes ; il requiert seulement un examen du cas par l’autorité compétente à la lumière des raisons militant contre l’expulsion que l’intéressé aura fait valoir. Sous réserve de cette condition et de l’alinéa c, il appartient à la législation interne de déterminer la forme que doit revêtir cet examen. Dans certains États, un étranger a la possibilité d’exercer un recours contre la décision prise à l’issue de l’examen de son cas. Le présent article ne concerne pas cette phase de la procédure et n’exige donc pas que la personne en cause soit autorisée à rester sur le territoire de l’État en attendant qu’il soit statué sur le recours qu’elle a pu exercer contre la décision prise à l’issue de l’examen de son cas.

13.3. L’alinéa c prévoit que l’intéressé doit avoir le droit de se faire représenter devant l’autorité compétente [par] ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité. L’« autorité compétente » peut être une autorité administrative ou judiciaire. En outre, l’« autorité compétente » pour examiner le cas n’est pas nécessairement celle à qui il appartient de statuer en dernier ressort sur la question de l’expulsion. Ainsi, une procédure en vertu de laquelle un tribunal, ayant examiné le cas conformément à l’alinéa b, adresserait une recommandation d’expulsion à une autorité administrative à qui il appartiendrait de trancher en dernier ressort, satisferait aux dispositions de l’article. Une législation interne ne serait pas non plus en contradiction avec les exigences de cet article ou de l’article 14 de la Convention, si elle établissait des procédures différentes et désignait des autorités différentes pour examiner certaines catégories de cas, à condition que les garanties contenues dans l’article soient par ailleurs respectées.

(…)

16. La Commission européenne des Droits de l’Homme a déclaré à propos de la Requête no 7729/76, que la décision d’expulser une personne «n’implique aucune décision sur ses droits et obligations de caractère civil, ni sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre lui» au sens de l’article 6 de la Convention. Le présent article n’affecte pas cette interprétation de l’article 6. (…) »

B. La Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant

69. L’article 9 § 5 de la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant signée à Strasbourg du 24 novembre 1977 se lit ainsi :

« Le permis de séjour, délivré conformément aux dispositions des paragraphes 1 à 3 du présent article, pourra être retiré:

a) pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public ou de bonne mœurs;

b) si le titulaire refuse, après avoir été dûment informé des conséquences d’un tel refus, de se conformer aux prescriptions édictées par une autorité publique médicale à son égard dans un but de protection de la santé publique;

c) si une condition substantielle pour sa délivrance ou sa validité n’est pas remplie.

Toute Partie contractante s’engage toutefois à assurer aux travailleurs migrants à l’égard desquels une telle mesure de retrait du permis de séjour serait prise un droit de recours effectif, conformément à la procédure prévue par sa législation, auprès d’une autorité judiciaire ou administrative. »

C. La Convention européenned’établissement

70. L’article 3 § 2 de la Convention européenne d’établissement signé à Paris le 13 décembre 1955 se lit ainsi:

« Ceux d’entre eux qui résident régulièrement depuis plus de deux ans sur le territoire de l’une des Parties contractantes ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’expulsion qu’après avoir été admis, à moins de motifs impérieux touchant à la sécurité de l’État, à faire valoir les raisons qu’ils peuvent invoquer contre leur expulsion, à présenter un recours à cet effet et à se faire représenter devant une autorité compétente ou devant une ou plusieurs personnes spécialement désignées par l’autorité compétente. »

III. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE et la jurisprudence de la Cour DE justice de l’union europÉenne

71. L’article 12 § 1 de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, se lit ainsi :

« Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles.

Les informations relatives aux motifs de fait peuvent être limitées lorsque le droit national permet de restreindre le droit à l’information, en particulier pour sauvegarder la sécurité nationale, la défense et la sécurité publique, ou à des fins de prévention et de détection des infractions pénales et d’enquêtes et de poursuites en la matière. »

72. Les articles pertinents de la Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres se lisent ainsi :

Article 28

Protection contre l’éloignement

« 1. Avant de prendre une décision d’éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, l’État membre d’accueil tient compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.

2. L’État membre d’accueil ne peut pas prendre une décision d’éloignement du territoire à l’encontre d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité, qui ont acquis un droit de séjour permanent sur son territoire sauf pour des raisons impérieuses d’ordre public ou de sécurité publique.

3. Une décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre des citoyens de l’Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des motifs graves de sécurité publique définis par les États membres, si ceux-ci:

a) ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes; ou

b) sont mineurs, sauf si l’éloignement est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant, comme prévu dans la convention des Nations unies sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989. »

Article 31

Garanties procédurales

« 1. Les personnes concernées ont accès aux voies de recours juridictionnelles et, le cas échéant, administratives dans l’État membre d’accueil pour attaquer une décision prise à leur encontre pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

2. Lorsque le recours formé contre une décision d’éloignement est accompagné d’une demande en référé visant à obtenir le sursis à l’exécution de cette décision, l’éloignement effectif du territoire ne peut pas avoir lieu tant qu’une ordonnance de référé n’a pas été prise, sauf:

– lorsque la décision d’éloignement se fonde sur une décision judiciaire antérieure, ou

– lorsque les personnes concernées ont eu auparavant accès à un recours juridictionnel, ou

– lorsque la décision d’éloignement se fonde sur des motifs impérieux de sécurité publique prévus à l’article 28, paragraphe 3.

3. Les procédures de recours permettent un examen de la légalité de la décision ainsi que des faits et circonstances justifiant la mesure envisagée. Elles font également en sorte que la décision ne soit pas disproportionnée, notamment par rapport aux exigences posées par l’article 28.

4. Les États membres peuvent refuser la présence de l’intéressé sur leur territoire au cours de la procédure de recours, mais ils ne peuvent pas lui interdire de présenter ses moyens de défense en personne, sauf si sa comparution risque de provoquer des troubles graves à l’ordre et à la sécurité publics ou lorsque le recours porte sur un refus d’entrer sur le territoire. »

73. Dans la décision préjudicielle rendue dans l’affaire ZZ c. Royaume‑Uni (affaire C‑300/11, 4 juin 2013), qui portait sur une décision mettant en cause la citoyenneté et les droits de libre circulation des personnes en vertu du droit de l’Union en ce qu’elle avait refusé l’admission d’un citoyen de l’Union dans un État membre de celle-ci pour des motifs de sécurité nationale, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est exprimée ainsi :

« 65. À cet égard, d’une part, compte tenu du respect nécessaire de l’article 47 de la Charte, ladite procédure doit garantir, dans la mesure la plus large possible, le respect du principe du contradictoire, afin de permettre à l’intéressé de contester les motifs sur lesquels est fondée la décision en cause ainsi que de présenter des observations au sujet des éléments de preuve afférents à celle-ci et, partant, de faire valoir utilement ses moyens de défense. Notamment, il importe que soit communiquée à l’intéressé, en tout état de cause, la substance des motifs sur lesquels est fondée une décision de refus d’entrée (…), la protection nécessaire de la sûreté de l’État ne pouvant avoir pour effet de priver l’intéressé de son droit d’être entendu et, partant, de rendre ineffectif son droit de recours (…).

66. D’autre part, la pondération du droit à une protection juridictionnelle effective avec la nécessité d’assurer la protection de la sûreté de l’État membre concerné sur laquelle repose la conclusion énoncée au point précédent ne vaut pas de la même manière pour les éléments de preuve à la base des motifs produits devant le juge national compétent. En effet, dans certains cas, la divulgation de ces éléments de preuve est susceptible de compromettre de manière directe et particulière la sûreté de l’État, en ce qu’elle peut notamment mettre en danger la vie, la santé ou la liberté de personnes ou dévoiler les méthodes d’investigation spécifiquement employées par les autorités nationales de sécurité et ainsi entraver sérieusement, voire empêcher, l’accomplissement futur des tâches de ces autorités.

67. Dans ce contexte, il appartient au juge national compétent d’apprécier si et dans quelle mesure les restrictions aux droits de la défense du requérant découlant notamment d’une non-divulgation des éléments de preuve et des motifs précis et complets sur lesquels est fondée la décision (…) sont de nature à influer sur la force probante des éléments de preuve confidentiels.

68. Dans ces conditions, il incombe au juge national compétent, d’une part, de veiller à ce que la substance des motifs qui constituent le fondement de la décision en cause soit communiquée à l’intéressé d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve et, d’autre part, de tirer, en vertu du droit national, les conséquences d’une éventuelle méconnaissance de cette obligation de communication. »

IV. Autres textes internationaux

A. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

74. En son article 13, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Roumanie est partie depuis son entrée en vigueur le 23 mars 1976, prévoit ceci :

« Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un État partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin. »

B. La Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent

75. L’article 7 de la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent, annexée à la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies 40/144 du 13 décembre 1985, se lit ainsi :

« Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un état ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin. L’expulsion individuelle ou collective d’étrangers se trouvant dans cette situation pour des motifs de race, de couleur, de religion, de culture, d’ascendance ou d’origine nationale ou ethnique est interdite. »

C. La recommandation générale no 30 (2004) du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

76. Dans sa recommandation générale no 30 (2004) concernant la discrimination contre les non-ressortissants, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a recommandé aux états parties à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de :

« 25. Veiller à ce que (…) les non ressortissants aient un accès égal à des recours efficaces, notamment le droit de contester une mesure d’expulsion, et qu’ils soient autorisés à utiliser ces recours effectivement. »

D. Le projet d’articles sur l’expulsion des étrangers de la Commission du droit international

77. Lors de sa soixante-sixième session, en 2014, la Commission du droit international a adopté un projet d’articles sur l’expulsion des étrangers. Ce texte, dont l’Assemblée générale des Nations unies a pris note (Résolution A/RES/69/119 du 10 décembre 2014), comprend notamment les dispositions suivantes :

Article 26

Droits procéduraux de l’étranger objet de l’expulsion

« 1. L’étranger objet de l’expulsion jouit des droits procéduraux suivants:

a) Le droit à la notification de la décision d’expulsion;

b) Le droit de contester la décision d’expulsion, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent;

c) Le droit d’être entendu par une autorité compétente;

d) Le droit d’accès à des recours effectifs pour contester la décision d’expulsion;

e) Le droit de se faire représenter devant l’autorité compétente;

f) Le droit de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée par l’autorité compétente. »

Commentaire

1) Le projet d’article 26 énonce, en son paragraphe 1, une liste de droits procéduraux dont doit bénéficier tout étranger faisant l’objet d’une expulsion, indépendamment du caractère légal ou non de sa présence sur le territoire de l’État expulsant, sous la seule réserve − visée au paragraphe 4 du projet d’article − des étrangers qui se trouvent illégalement sur le territoire de cet État depuis une courte période.

2) Le paragraphe 1 a) énonce le droit à la notification de la décision d’expulsion. Il s’agit d’une garantie essentielle dont le respect par l’État expulsant constitue une conditio sine qua non de l’exercice par l’étranger objet de l’expulsion de l’ensemble de ses droits procéduraux. Cette condition a reçu une consécration explicite au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention internationale de 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui énonce que la décision d’expulsion « doit être notifiée aux intéressés dans une langue qu’ils comprennent ». Déjà en 1892, l’Institut de droit international a considéré que «[l]’acte ordonnant l’expulsion est notifié à l’expulsé […] » et en outre que, « si l’expulsé a la faculté de recourir à une haute cour judiciaire ou administrative, il doit être informé, par l’acte même, et de cette circonstance et du délai à observer ». On notera également que l’obligation de notifier la décision d’expulsion à l’étranger concerné est consacrée par la législation de plusieurs États.

3) Le paragraphe 1 b) énonce le droit de contester la décision d’expulsion, qui est bien établi en droit international. Au niveau universel, l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît à l’individu sous le coup d’une expulsion, « à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent », le droit de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion (…). L’article 7 de la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent, annexée à la résolution 40/144 de l’Assemblée générale du 13 décembre 1985, consacre la même garantie : « [u]n étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un État (…) à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent (…) doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion ». Au niveau régional, la lettre a) du paragraphe 1 de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme dispose qu’un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État et objet d’une mesure d’expulsion doit pouvoir « faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion ». Le paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention européenne d’établissement offre la même garantie en disposant que ceux d’entre les ressortissants des Parties contractantes « qui résident régulièrement depuis plus de deux ans sur le territoire de l’une des Parties contractantes ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’expulsion qu’après avoir été admis, à moins de motifs impérieux touchant à la sécurité d’État, à faire valoir les raisons qu’ils peuvent invoquer contre leur expulsion ». Enfin, le droit de l’étranger de contester son expulsion est également consacré par les législations internes.

4) Le droit d’être entendu par une autorité compétente, qui est énoncé au paragraphe 1 c), est essentiel à l’exercice du droit de contester la décision d’expulsion qui fait l’objet du paragraphe 1 b). Bien que l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’accorde pas expressément à l’étranger le droit d’être entendu, le Comité des droits de l’homme a estimé que l’idée qu’une décision d’expulsion puisse être prise sans que l’étranger ait eu la possibilité d’être entendu pouvait soulever des questions au titre de l’article 13 du Pacte :

(…)

L’article 83 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, l’article 32, paragraphe 2, de la Convention relative au statut des réfugiés, l’article 31, paragraphe 2, de la Convention relative au statut des apatrides, l’article 9, paragraphe 5, de la Convention européenne relative au statut juridique des travailleurs migrants et l’article 26, paragraphe 2, de la Charte arabe des droits de l’homme exigent aussi que la décision d’expulsion soit assortie d’une possibilité de recours. Ce droit de recours a également été consacré par l’Assemblée générale, en des termes identiques à ceux de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l’article 7 de la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent, annexée à sa résolution 40/144.

(…)

5) Le paragraphe 1 d) énonce le droit d’accès à des recours effectifs pour contester la décision d’expulsion. L’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques donne à l’étranger se trouvant légalement dans l’État expulsant un droit de recours contre l’expulsion, sans pour autant préciser le type d’organe qui doit examiner le recours (…)

Le Comité des droits de l’homme a rappelé que le droit de recours et les autres garanties visées à l’article 13 ne pouvaient être supprimés que si « des raisons impérieuses de sécurité nationale » l’exigeaient. Il a aussi souligné que le recours ouvert à l’étranger expulsé devait être effectif :

(…)

6) Le paragraphe 1 e), dont la teneur est basée sur celle de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, énonce le droit de l’étranger objet de l’expulsion de se faire représenter devant l’autorité compétente. Au regard du droit international, ce droit ne comporte pas nécessairement, dans le contexte d’une procédure d’expulsion, le droit de se faire représenter par un avocat. En tout état de cause, il ne comporte pas une obligation pour l’État expulsant de payer les frais de la représentation.

7) Le droit de l’étranger de se faire assister gratuitement d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée par l’autorité compétente, énoncé au paragraphe 1 f) et reconnu dans la législation de plusieurs États, est une composante essentielle du droit d’être entendu qui est reconnu au paragraphe 1 c). Il revêt également une pertinence certaine en relation avec le droit à la notification de la décision d’expulsion et le droit de contester cette décision, auxquels se réfèrent les paragraphes 1 a) et 1 b) du présent projet d’article (…) »

E. L’arrêt rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) le 30 novembre 2010 dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo

78. Le 30 novembre 2010, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu son arrêt dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo ((République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt, C.I.J., Recueil 2010, p.639). Dans cette affaire, la CIJ était appelée à se prononcer sur l’allégation de la Guinée selon laquelle l’expulsion dont M. Diallo avait fait l’objet était contraire à l’article 13 du Pacte et à l’article 12 § 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (« la Charte africaine »). Elle a relevé que pour être compatible avec ces dispositions, la décision d’expulser un étranger se trouvant légalement sur le territoire d’un état partie à ces instruments devait être prise conformément au droit national applicable en la matière – lequel devait lui-même être compatible avec les autres exigences du Pacte et de la Charte africaine – et ne devait pas revêtir un caractère arbitraire. Elle a estimé que le décret d’expulsion litigieux n’était pas conforme aux dispositions du droit congolais pour deux raisons : il n’avait pas été précédé de la consultation de l’autorité nationale compétente et n’était pas « motivé », contrairement aux exigences du droit interne. Elle a conclu que sur ces deux points, l’expulsion litigieuse n’avait pas été prononcée « conformément à la loi » et qu’elle avait violé l’article 13 du Pacte et l’article 12 § 4 de la Charte africaine. Elle a également jugé que la Guinée était fondée à soutenir que le droit reconnu par l’article 13 du Pacte à l’étranger se trouvant sous le coup d’une mesure d’expulsion de « faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente » n’avait pas été respecté dans le cas de M. Diallo. Elle a aussi constaté que la République démocratique du Congo n’avait pas établi l’existence des « raisons impérieuses de sécurité nationale » censées justifier le fait que M. Diallo se soit vu refuser le droit de faire valoir les raisons militant contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente. Elle a conclu, pour ce motif également, que l’article 13 du Pacte avait été violé eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo avait été expulsé.

V. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

79. À la lumière des informations comparatives dont dispose la Cour concernant quarante États membres, dans une large majorité de ces États, la législation permet de limiter l’accès à des preuves classées secrètes et aux informations confidentielles qui fondent une décision d’expulsion nécessaire pour la protection de la sécurité nationale, même dans le cadre des procédures judiciaires.

80. En ce qui concerne l’étendue des informations factuelles communiquées aux étrangers qui font l’objet d’une procédure d’expulsion pour raisons de sécurité nationale, il apparaît que dans six des États membres étudiés les étrangers concernés sont informés en général de l’intégralité de l’affaire qui est à l’origine de la procédure dont ils font l’objet mais l’accès aux informations classées secrètes peut être restreint. Dans treize États membres, ces étrangers sont informés en termes généraux des faits qui fondent l’expulsion mais les motifs de sécurité nationale qui sous-tendent la décision ne leur sont pas entièrement divulgués. Dans dix‑sept États, ils sont informés de manière générale des faits qui leur sont reprochés, sans que des informations liées à des preuves classées secrètes ne leur soient communiquées.

81. En Arménie, il n’y a pas de limitation du droit d’accès aux documents classés secrets dans le cadre des procédures d’expulsion pour raisons de sécurité nationale. Dans onze États membres, les tribunaux déterminent si et dans quelle mesure les étrangers en cause peuvent accéder aux preuves classées secrètes. Dans douze autres États, les étrangers en question n’ont en principe pas accès aux preuves classées secrètes. Dans certains de ces douze États, un tribunal ou une autre autorité compétente peut néanmoins leur accorder l’accès à des informations classées secrètes dans des circonstances spécifiques. Dans sept États, l’accès à des documents classés secrets peut être restreint par les autorités nationales. Dans deux États, ni le requérant ni son représentant n’ont accès à ce type de documents.

82. Dans vingt-quatre États membres, lorsque l’accès à des documents classés secrets est refusé et que l’étranger concerné n’est pas informé des faits qui lui sont reprochés, les tribunaux doivent mettre en balance les différents intérêts en jeu. Au Royaume-Uni, l’avocat spécial analyse ces intérêts lors de l’examen de la pertinence de la demande de non‑divulgation de documents classés secrets. Dans quatre autres États, les tribunaux peuvent procéder à une telle mise en balance. Dans un cinquième État, les juridictions ont réalisé cette mise en balance dans certaines affaires mais non dans d’autres.

83. Dans treize États, les juridictions nationales ont le pouvoir de vérifier si la classification des documents est justifiée par des motifs de sécurité nationale. Dans seize autre États, elles ne l’ont pas.

84. En Finlande, les tribunaux peuvent déclassifier eux-mêmes des documents s’ils l’estiment nécessaire. Dans sept autres États membres, ils peuvent demander la déclassification de données ou documents classés secrets mais ils ne peuvent pas déclassifier eux-mêmes les informations. Dans quinze États, les tribunaux ne peuvent ni demander la déclassification ni déclassifier eux-mêmes des documents classés secrets.

85. Dans vingt-deux États, les tribunaux peuvent vérifier l’exactitude et la pertinence des informations contenues dans les documents classés secrets qui leur sont soumis. Dans huit autres États, ils n’ont pas ce pouvoir.

86. Dans dix-sept États, les avocats qui représentent un étranger peuvent avoir accès à des documents classés secrets. Dans quinze autres États, ils ne le peuvent pas. Dans certains de ces quinze États, l’avocat peut obtenir une habilitation de sécurité lui donnant le droit d’accéder aux documents classés secrets. Au Royaume-Uni et en Norvège, il y a des « avocats spéciaux ».

87. En Islande, il n’y a pas de base légale permettant d’expulser pour raisons de sécurité nationale un étranger en situation de séjour régulier. Au Liechtenstein, l’éloignement se rapporte uniquement à des affaires pénales de droit commun.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION

88. Invoquant l’article 1 § 1 du Protocole no 7 et l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié de garanties procédurales adéquates et, dès lors, de ne pas avoir pu se défendre utilement dans la procédure à l’issue de laquelle ils ont été déclarés indésirables sur le territoire roumain pour raisons de sécurité nationale. Plus particulièrement, ils indiquent qu’ils n’ont été aucunement informés au cours de la procédure des faits concrets qui leur étaient reprochés, alors qu’ils ne pouvaient pas avoir accès aux documents du dossier.

89. Le Gouvernement s’oppose à la thèse des requérants.

90. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 113-115 et 126, 20 mars 2018), la Cour estime approprié d’examiner les allégations des requérants sous le seul angle de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention. En ses parties pertinentes en l’espèce, cette disposition est ainsi libellée :

« 1. Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :

a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion,

b) faire examiner son cas, et

c) se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité. »

A. Sur la recevabilité

91. La Cour rappelle que les garanties prévues par l’article 1 du Protocole no 7 ne s’appliquent qu’aux étrangers « résidant régulièrement » sur le territoire d’un État ayant ratifié ce Protocole (Géorgie c. Russie (I) [GC], no 13255/07, § 228, CEDH 2014 (extraits), et Sejdovic et Sulejmanovic c. Italie (déc.), no 57575/00, 14 mars 2002). En l’espèce, les requérants sont arrivés en Roumanie munis de visas de long séjour, afin d’y suivre des études universitaires (paragraphes 9 et 10 ci‑dessus). Ils résidaient donc régulièrement sur le territoire roumain lorsque la procédure d’interdiction de séjour a été engagée à leur encontre. Dès lors, compte tenu de ce que les intéressés ont fait l’objet d’une procédure d’expulsion alors qu’ils étaient des étrangers résidant régulièrement sur le territoire de la Roumanie, l’article 1 du Protocole no 7 est applicable en l’espèce ratione materiae.

92. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties et observations des tiers intervenants

a) Les requérants

93. Les requérants se plaignent de ce que ni eux-mêmes ni leurs avocates n’aient eu la possibilité de prendre connaissance des faits qui leur étaient reprochés concrètement car la procédure dont ils faisaient l’objet était fondée sur des documents classés « secret ». Ils estiment qu’en l’espèce le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté.

94. Ils affirment qu’aucune autorité administrative ou judiciaire ne leur a donné connaissance des faits qui leur étaient reprochés, et ils soutiennent que le fait qu’un interprète les ait informés devant la cour d’appel de la mesure proposée à leur encontre et des articles correspondants de la loi roumaine n’équivaut pas à une « communication » de l’acte introductif d’instance. Ils soulignent à cet égard qu’en toute hypothèse, l’acte lui-même ne renfermait aucune indication quant aux faits qui leur étaient reprochés.

95. Ils arguent que les conditions imposées par les différentes dispositions légales de protection des informations classées secrètes (paragraphes 43 et 51 ci-dessus) ont empêché les juridictions nationales de leur donner connaissance des faits qui leur étaient reprochés concrètement.

96. Ils se plaignent également que dans son communiqué de presse du 6 décembre 2012 (paragraphe 30 ci‑dessus), le SRI ait rendu publiques des informations plus détaillées sur les activités qui leur étaient imputées. Ils estiment qu’une telle différence d’approche entre la cour d’appel et le SRI quant à l’étendue des informations qui pouvaient être rendues publiques permet de douter de la nécessité de classer secrètes ces informations.

97. Ils ajoutent que rien dans le dossier ne permet de dire qu’il était justifié de classer secrets les documents présentés comme relevant de la classification « secret ». Ils précisent que, d’une part, la loi n’oblige pas les juridictions internes à vérifier le bien-fondé de la classification attribuée aux informations par le SRI ni à examiner les raisons que celui-ci invoque pour refuser de communiquer aux justiciables les informations qui les concernent, et que, d’autre part, elle ne leur permet pas de déclassifier les documents et informations classés secrets (paragraphe 51 ci-dessus).

98. Ils exposent également que pour ce type de litiges, le droit roumain n’impose aux autorités judiciaires aucune obligation d’assurer aux justiciables l’assistance d’un avocat ni de les informer de ce qu’ils peuvent bénéficier d’une telle assistance ou de ce que certains avocats sont titulaires d’un certificat ORNISS. Ils admettent qu’en vertu des dispositions légales régissant la procédure civile, ils auraient pu, théoriquement, se faire assister devant la cour d’appel par un avocat de leur choix, mais ils affirment que compte tenu de la vitesse à laquelle s’est déroulée la procédure et de la distance qu’ils ont dû parcourir pour assister à l’audience de la cour d’appel, ils n’ont pas disposé de suffisamment de temps pour trouver un avocat.

99. Sur la question de la possibilité pour les avocates qui les ont représentés devant la Haute Cour d’obtenir un certificat ORNISS, ils indiquent que la durée de la procédure à suivre à cette fin est bien plus longue que celle de la procédure prévue par la loi roumaine pour déclarer une personne indésirable (paragraphes 35 et 54 ci‑dessus). Pour ce qui est de la possibilité de se faire représenter dès le début de la procédure par un avocat titulaire d’un certificat ORNISS, ils indiquent que, d’après leurs recherches, le site du barreau de Bucarest ne comporte aucune information permettant de trouver un avocat titulaire de ce certificat. Ils renvoient à une lettre de l’UNBR qui explique qu’il n’y a pas de liste disponible des avocats titulaires d’un certificat ORNISS (paragraphe 58 ci‑dessus). Ils ajoutent qu’en tout état de cause, eu égard à la réglementation interne applicable (paragraphes 43 et 51 ci-dessus), même un avocat titulaire de ce certificat n’aurait pas pu leur communiquer des informations classées secrètes.

100. Ils exposent que même si, en vertu des dispositions légales régissant ce type de procédure, rien n’empêche le juge de vérifier les informations que lui communiquent le SRI et le parquet, par exemple en administrant les preuves d’office, ils doutent de l’étendue du contrôle effectué par les juridictions nationales quant au bien-fondé de la mesure ordonnée contre eux. À cet égard, ils avancent que la Haute Cour a refusé d’obtenir par la voie officielle des informations bancaires les concernant, et ils considèrent que la procédure a été purement formelle et que les juges se sont contentés de présumer fondées les demandes du SRI et du parquet.

101. Enfin, les requérants estiment avoir subi un préjudice du fait de leur éloignement : celui-ci les aurait empêchés de poursuivre leurs études universitaires et les aurait isolés socialement et coupés de leur famille, et les graves accusations portées contre eux auraient entaché leur réputation. Après leur retour au Pakistan, ils auraient fait l’objet d’une enquête visant à vérifier les allégations dont ils faisaient l’objet, mais les enquêteurs n’auraient rien trouvé à leur reprocher.

b) Le Gouvernement

102. Le Gouvernement expose que la prévention des atteintes à la sûreté de l’État et la lutte contre les menaces à la sécurité nationale représentent des tâches prioritaires pour les autorités de défense de la sécurité nationale. En sa qualité d’autorité nationale légalement chargée de la prévention et de la répression du terrorisme, le SRI serait compétent pour solliciter la limitation de certains droits des étrangers sur le territoire roumain. De même, afin de prévenir la commission d’actes terroristes, il serait compétent pour collecter, vérifier et exploiter, en utilisant des techniques spéciales, les informations nécessaires pour la prévention du terrorisme, en coopération avec d’autres autorités de défense de la sécurité nationale. En vertu des dispositions légales pertinentes (paragraphe 51 ci‑dessus), les informations qu’il obtiendrait dans ce cadre ainsi que les moyens et les équipements utilisés à cette fin seraient classés « secret‑défense ».

103. Le Gouvernement explique que les mesures d’interdiction de séjour et d’éloignement du territoire sont des mesures administratives destinées à prévenir et combattre le terrorisme. Il expose que la procédure se déroule de la manière suivante : le SRI communique d’abord au parquet près la cour d’appel de Bucarest les informations sur la base desquelles il estime qu’il y a lieu de demander que tel ou tel étranger soit déclaré indésirable sur le territoire ; si, après examen de ces informations, le parquet estime la demande fondée, il saisit la cour d’appel de Bucarest ; enfin, l’acte introductif d’instance – qui renferme la qualification juridique des faits reprochés à l’étranger concerné et, parfois, certains éléments factuels concrets – est communiqué à l’intéressé.

104. Le Gouvernement explique qu’ensuite, en vertu du droit interne, les juridictions nationales compétentes pour examiner ce type d’affaires, dont il souligne qu’elles sont indépendantes et impartiales, ont accès à l’intégralité des documents secrets sur lesquels repose la demande du parquet et que même si ces juridictions ne sont pas elles-mêmes compétentes pour lever le secret des données et informations mises à leur disposition, elles ont la possibilité de demander à l’autorité compétente d’examiner l’opportunité d’une déclassification ou d’une reclassification des documents correspondants aux fins de leur versement au dossier pour consultation par le justiciable concerné. Il reconnaît qu’aucune disposition légale ne permet aux juridictions nationales d’examiner d’office le bien-fondé de la classification des informations secrètes, mais il précise que lorsque la légalité de la classification des documents correspondants est contestée dans le cadre du recours, la juridiction compétente peut examiner cette question, dans les limites prévues par la loi.

105. Renvoyant aux exemples de jurisprudence communiqués à la Cour (paragraphes 60 à 61 ci-dessus), le Gouvernement indique également qu’en règle générale, après avoir examiné les documents secrets versés au dossier par le parquet, la cour d’appel communique à l’intéressé les informations qu’elle juge suffisantes pour permettre à celui-ci de comprendre, avec l’aide d’un interprète, la substancedes faits qui sous-tendent la procédure dont il fait l’objet. Il précise qu’elle ne divulgue toutefois pas les données dont elle estime qu’elles sont de nature à engager la sécurité nationale. Il expose que lorsqu’elles s’acquittent de l’obligation qui leur incombe d’informer les étrangers des faits qui leur sont reprochés, les juridictions roumaines doivent ménager un juste équilibre entre les intérêts en présence : d’une part, elles doivent informer suffisamment les étrangers pour leur permettre de se défendre et, d’autre part, elles doivent respecter les dispositions légales régissant la confidentialité des informations classées secrètes.

106. Le Gouvernement soutient que la pratique des juridictions roumaines consistant à informer les étrangers de la substance des accusations dont il font l’objet est conforme tant à la jurisprudence de la CJUE – il cite à cet égard les arrêts Ben Alayacontre BundesrepublikDeutschland (10 septembre 2014, affaire C-491/13, EU:C:2014:2187, point 33) et ZZ contre Secretary of State for the Home Department(4 juin 2013, affaire C‑300/11, ECLI:EU:C:2013:363) – qu’à celle de la Cour, et en particulier à l’arrêt Regner c. République tchèque ([GC], no35289/11, 19 septembre 2017). Il indique que, si la pratique des juridictions internes a été fluctuante jusqu’en 2015 ou 2016 quant à l’étendue des informations factuelles à divulguer aux étrangers faisant l’objet de ce type de procédures, la jurisprudence s’est ensuite consolidée dans le sens d’une transmission aux intéressés d’informations concrètes. En ce qui concerne le cas des requérants, il argue que, à supposer même que, comme ils l’ont affirmé, la cour d’appel ne leur ait pas fourni suffisamment d’informations factuelles quant aux soupçons qui pesaient sur eux, ils en auraient au moins eu connaissance par le communiqué de presse du 6 décembre 2012. Il explique à ce sujet que le SRI informe le public par voie de communiqué de presse des éléments d’intérêt public, sans toutefois dévoiler les informations classées secrètes.

107. Renvoyant aux exemples de jurisprudence qu’il a communiqués à la Cour (paragraphes 62 et 63 ci-dessus), le Gouvernement soutient que lorsqu’elles examinent la nécessité de déclarer un étranger indésirable sur le territoire, les juridictions nationales tiennent compte non seulement des documents secrets mais aussi de toutes les autres preuves et informations, y compris celles portées à leur connaissance par l’intéressé, ainsi que des conséquences que les activités dont celui-ci est soupçonné pourraient avoir sur la sécurité nationale s’il n’était pas éloigné du territoire. Il précise que lorsque la décision de déclarer une personne indésirable sur le territoire repose sur des données ou des informations classées secrètes liées à la sécurité nationale, la loi interdit expressément de mentionner les éléments secrets dans le texte de la décision.

108. Enfin, le Gouvernement expose que, en vertu du droit interne, un étranger faisant l’objet d’une procédure d’interdiction de séjour ne peut pas avoir accès aux documents classés secrets mais a la possibilité de se faire représenter par un avocat titulaire d’un certificat ORNISS qui pourra, lui, y accéder. Il explique que si l’avocat choisi par l’étranger concerné n’est pas titulaire de ce certificat, il doit demander que la procédure soit ajournée pour lui laisser le temps d’entreprendre les démarches nécessaires à l’obtention du certificat ou de contacter un avocat qui en est déjà titulaire. Il estime que l’obligation pour l’avocat titulaire du certificat ORNISS de respecter les dispositions légales relatives à la protection des documents classés secrets qu’il a pu consulter n’est pas un obstacle à la préparation de la défense de l’étranger mis en cause et n’empêche pas l’avocat de réunir des preuves visant à réfuter les informations que renferment ces documents. Il souligne qu’en l’espèce, les avocates choisies par les requérants n’étaient pas titulaires d’un certificat ORNISS et n’ont pas demandé l’ajournement de la procédure aux fins d’entreprendre les démarches d’obtention de ce certificat ou de se faire remplacer par d’autres avocats qui en auraient été titulaires.

109. Le Gouvernement conclut qu’en l’espèce, les requérants ont bénéficié de garanties conformes à l’article 1 du Protocole no 7 et à la jurisprudence de la Cour. Il estime que même s’ils n’ont pas pu accéder aux données et informations secrètes, ils ont été suffisamment informés pour préparer leur défense. Il argue que la décision rendue à leur égard a été prise dans le respect des dispositions légales applicables, que leur cause a été examinée de manière effective par deux juridictions indépendantes et impartiales qui ont eu accès à l’ensemble des documents et qui ont jugé justifié de les éloigner du territoire pour protéger la sécurité nationale. Ils ont pu assister aux audiences tenues par ces juridictions et s’y faire représenter par des avocats.

c) Les tiers intervenants

i. La Fondation Helsinki pour les droits de l’homme et l’Association pour l’intervention juridique

110. La Fondation Helsinki pour les droits de l’homme et l’Association pour l’intervention juridique (StowarzyszenieInterwencjiPrawnej) considèrent que, indépendamment du fait que le tribunal qui rendra la décision ait ou non accès aux documents classés secrets, les garanties procédurales minimales imposées par l’article 1 du Protocole no 7 ne peuvent pas être assurées si l’étranger qui fait l’objet d’une procédure d’expulsion n’est pas informé de la substance des motifs qui en sont à l’origine. Elles estiment que, pour que la procédure soit conforme à la jurisprudence pertinente de la CJUE ainsi qu’à la législation européenne et aux standards des Nations Unies en matière d’expulsion d’étrangers, il faut que l’étranger, ou le cas échéant son représentant, soit informé des raisons factuelles qui la sous-tendent une décision d’expulsion.

ii. Amnesty International

111. Amnesty International est d’avis que les garanties découlant du droit à un procès équitable sont transposables sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 7. Ainsi, le respect des principes du contradictoire et de l’égalité des armes, l’obligation pour les tribunaux de motiver leurs décisions et la protection contre l’arbitraire s’opposeraient à l’utilisation dans des procédures judiciaires de documents classés secrets auxquels l’étranger concerné et son représentant n’ont pas accès et en l’absence desquels ils ne peuvent pas utilement préparer la défense de l’intéressé. L’utilisation de tels documents serait encore plus problématique lorsque l’étranger en question allègue au cours de la procédure qu’il risquerait s’il était éloigné du territoire de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

iii. La Rapporteure spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte anti‑terroriste

112. Selon la Rapporteure spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte anti-terroriste (« la Rapporteure spéciale »), l’utilisation d’éléments de preuve secrets doit demeurer exceptionnelle, que ce soit en matière pénale, en matière civile ou en matière de droit des étrangers, car elle va à l’encontre des principes du libre accès à un tribunal, du caractère contradictoire des procédures judiciaires et de l’égalité des armes. La Rapporteure spéciale estime qu’il faut définir avec précision la notion de « sécurité nationale » afin d’en éviter un emploi abusif, et qu’il incombe aux autorités de prouver qu’une affaire relève de la sécurité nationale. Elle observe que les différents droits nationaux renferment souvent peu de dispositions visant à encadrer l’utilisation d’éléments de preuve classés secrets, et elle considère que le recours à de tels éléments devrait demeurer exceptionnel et que les preuves correspondantes devraient être soumises à des critères de recevabilité très stricts. Elle appelle l’attention de la Cour sur le fait qu’une procédure d’expulsion dirigée contre un individu au motif que des informations secrètes indiquent qu’il pourrait être impliqué dans des activités terroristes ou affilié à un groupe terroriste peut être lourde de conséquences pour l’intéressé, du fait de la catégorisation à laquelle elle l’expose.

2. Appréciation de la Cour

113. La Cour note que les requérants invoquent le droit d’être informés, au cours de la procédure les déclarant indésirables, des raisons factuelles concrètes qui sous-tendent la décision de leur expulsion. Les requérants estiment également que le refus de communication des documents classifiés versés par le parquet au dossier présenté à la cour d’appel afin de justifier la demande de leur éloignement méconnaît leur droit d’accès au dossier de l’affaire.

a) Les principesgénéraux

i. L’état de la jurisprudence

114. La Cour rappelle que, d’après un principe de droit international bien établi, les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux des traités, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux de leur sol.La Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d’entrer ou de résider dans un pays particulier (voir, parmi beaucoup d’autres, De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, § 77,CEDH 2012, etIlias et Ahmed c. Hongrie [GC], no47287/15, § 125, 21 novembre 2019).

115. La procédure administrative d’expulsion d’un étranger n’implique pas une décision sur des droits et obligations de caractère civil, ni une décision sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 38, CEDH 2000‑X). Conscients de ce que l’article 6 de la Convention n’était pas applicable aux procédures d’expulsion, les États ont souhaité prendre des mesures spécifiques dans ce domaine et ont adopté l’article 1 du Protocole no 7 qui définit des garanties procédurales applicables à ce type de procédure (Maaouia, précité, § 36 ; voir aussi les points 6, 7 et 16 du rapport explicatif relatif au Protocole no 7 cité au paragraphe 68 ci-dessus).

116. L’article 1 § 1 du Protocole no 7 se réfère expressément aux étrangers « résidant régulièrement sur le territoire d’un État » (Géorgie c. Russie (I), précité, § 228) qui, en cas d’expulsion, bénéficient des garanties spécifiques prévues par cette disposition (C.G. et autres c. Bulgarie, no 1365/07, § 70, 24 avril 2008, et Ljatifi c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no19017/16, § 32, 17 mai 2018). L’article 1 § 2 du Protocole no 7 prévoit une exception qui permet aux États d’expulser un étranger résidant régulièrement sur leur territoire même avant l’exercice par l’intéressé des garanties procédurales prévues en sa faveur à l’article 1 § 1 du Protocole no 7, lorsque l’intérêt de l’ordre public ou des motifs de sécurité nationale l’imposent.

117. D’après le rapport explicatif relatif au Protocole no 7, en adoptant l’article 1 du Protocole no 7, les États ont consenti à des garanties procédurales « minimales » en cas d’expulsion (voir le point 7 dudit rapport cité au paragraphe 68 ci-dessus).

118. Une première garantie fondamentale énoncée par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 prévoit que l’étranger concerné ne peut être expulsé qu’« en exécution d’une décision prise conformément à la loi ». Cette expression revêt un sens similaire partout où elle est employée dans la Convention et ses Protocoles (C.G. et autres, précité, § 73). Elle requiert non seulement l’existence d’une base légale en droit interne, mais aussi la qualité de la loi, ce qui suppose l’accessibilité et la prévisibilité de celle-ci, ainsi qu’une certaine protection contre les atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention (Lupsa c. Roumanie, no 10337/04, § 55, CEDH 2006‑VII, et Baltaji c. Bulgarie, no 12919/04, § 55, 12 juillet 2011). Cela vaut également pour les articles de la Convention qui renferment des garanties procédurales, comme le fait l’article 1 du Protocole no 7, car il est de jurisprudence constante que la prééminence du droit, expressément mentionnée dans le préambule de la Convention, est inhérente à tous les articles de la Convention (Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 117, 23 juin 2016). L’arbitraire, qui implique la négation de l’État de droit (Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 145, 21 juin 2016), est tout aussi intolérable en matière de droits procéduraux qu’en matière de droits substantiels.

119. Outre la condition générale de légalité, l’article 1 § 1 du Protocole no 7 prévoit trois garanties spécifiques de procédure : l’étranger doit pouvoir faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, faire examiner son cas et, enfin, se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente (voir le point 12 du rapport explicatif cité au paragraphe 68 ci-dessus).

120. Dans certaines affaires, la Cour a examiné non seulement la qualité de la loi interne, mais aussi le respect des garanties énumérées au paragraphe 1 de l’article 1 du Protocole no 7. Afin de vérifier si ces garanties étaient accordées dans les cas pertinents, elle a tenu compte des circonstances suivantes : l’acte de saisine de l’instance n’avait pas été notifié à l’intéressé (Lupsa, précité, § 59) ; les tribunaux avaient refusé d’examiner au fond un recours contre la décision d’expulsion et aucun organe indépendant et impartial n’avait examiné ladite décision (Baltaji, précité, § 57) ; l’intéressé n’avait pu, à aucun moment de la procédure, prendre connaissance des raisons factuelles – même des moindres – de son expulsion, si bien qu’il n’avait pas pu faire valoir les raisons qui militaient contre cette mesure (Lupsa, précité, § 59, Ahmed c. Roumanie, no 34621/03, § 53, 13 juillet 2010, Geleri c. Roumanie, no 33118/05, § 46, 15 février 2011, et Baltaji, précité, § 58) ; la juridiction compétente avait rejeté toute demande d’ajournement, empêchant ainsi l’avocat du requérant d’étudier l’ordonnance prise à l’encontre de celui-ci (Lupsa, précité, § 59) ; et le contrôle purement formel réalisé par les juridictions internes (C.G. et autres, précité, §§ 73 et 74, Kaushal et autres c. Bulgarie, no 1537/08, § 49, 2 septembre 2010, Geleri, précité, § 48, et Takush c. Grèce, no 2853/09, §§ 60-63, 17 janvier 2012).

121. Plus récemment, dans l’affaire Ljatifi c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, précitée, en examinant la compatibilité avec l’article 1 § 1 a) et b) du Protocole no 7 d’une décision d’expulsion fondée sur des motifs liés à la protection de la sécurité nationale, la Cour a résumé ainsi les principes applicables en la matière :

« 35. Dans la mesure où l’ordonnance incriminée reposait sur des considérations de sécurité nationale, la Cour a estimé que l’exigence de prévisibilité n’allait pas jusqu’à obliger les États à adopter des dispositions juridiques énumérant en détail tous les comportements susceptibles de donner lieu à une décision d’expulser une personne pour des raisons de sécurité nationale. Pourtant, même lorsque des impératifs de sécurité nationale entrent en ligne de compte, les principes de légalité et de prééminence du droit applicables dans une société démocratique exigent que toute mesure d’éloignement qui touche aux droits fondamentaux de la personne puisse être soumise à une forme de procédure contradictoire devant un organe ou un tribunal indépendant compétent pour examiner effectivement les motifs de la décision en question et les preuves pertinentes, prévoyant, si nécessaire, des limitations procédurales adéquates quant à l’utilisation d’informations classifiées. Devant cet organe de contrôle, la personne concernée doit pouvoir contester l’affirmation des autorités selon laquelle la sécurité nationale est en jeu. L’appréciation portée par les autorités sur ce qui constitue une menace pour la sécurité nationale a évidemment un poids important, mais l’organe ou le tribunal indépendant doit pouvoir réagir au cas où la mise en avant de cette notion serait dénuée de toute base factuelle raisonnable ou révélerait une interprétation de la « sécurité nationale » illicite ou contraire au bon sens et arbitraire (C.G. et autres, précité, § 40). »

122. Dans le contexte de l’article 1 du Protocole no 7, la Cour a tenu compte de ce que l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des droits de l’homme, appellent à comprendre et à appliquer ses dispositions d’une manière qui en rend les exigences concrètes et effectives, et non théoriques et illusoires (Geleri, précité, § 48, et Takush, précité, § 63). Il s’agit là d’un principe général d’interprétation de l’ensemble des dispositions de la Convention et de ses Protocoles (voir, par exemple, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37, Soering c. Royaume‑Uni, 7 juillet 1989, § 87, série A no 161, et Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 121, 8 novembre 2016).

123. Il ressort de ce qui précède que s’agissant de l’article 1 § 1 du Protocole no 7, la Cour a toujours été soucieuse de s’assurer que la décision d’expulsion n’était pas arbitraire (paragraphes 116 et 121 ci-dessus) et que l’étranger concerné a pu exercer de manière effective les droits énumérés au premier paragraphe de l’article susmentionné (paragraphes 119 et 121 ci‑dessus).

124. La Cour examinera successivement, à la lumière de cette jurisprudence, si les droits revendiqués par les requérants sont garantis par l’article 1 du Protocole no 7, et dans l’affirmative, quelle est leur portée (ii), s’il est possible d’y apporter des restrictions (iii) et quels sont les critères à prendre en considération pour statuer sur la compatibilité d’une restriction apportée auxdits droits avec l’article 1 du Protocole no 7 (iv).

ii. Sur la question de savoir si les droits revendiqués par les requérants sont garantis par l’article 1 du Protocole no 7, et dans l’affirmative, quelle est leur portée

125. La Cour observe que les droits revendiqués par les requérants, à savoir le droit d’être informés des raisons de leur expulsion et celui d’avoir accès aux documents versés au dossier de l’affaire, ne sont pas expressément mentionnés dans le texte de l’article 1 du Protocole no 7. Il appartient donc à la Cour de déterminer, en gardant à l’esprit que la Convention garantit des droits « concrets et effectifs », si ces droits peuvent être considérés comme découlant de l’article 1 § 1 susmentionné, et dans l’affirmative, quelle est leur portée.

126. La Cour rappelle que la condition imposée par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 de n’être expulsé qu’en exécution d’une décision prise « conformément à la loi » implique, comme mentionné plus haut, que la loi remplit les qualités requises par la jurisprudence de la Cour en la matière, y compris celle d’assurer une certaine protection contre l’arbitraire des autorités (paragraphe 118 ci-dessus). En outre, l’article 1 § 1 a) du Protocole no 7 garantit expressément le droit pour l’étranger concerné de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion. Or, de l’avis de la Cour, un étranger ne peut pas utilement contester les allégations des autorités selon lesquelles la sécurité nationale est en cause ni faire raisonnablement valoir les raisons qui militent contre son expulsion sans connaître les éléments factuels pertinents qui ont conduit les autorités internes à considérer que l’intéressé met en danger la sécurité nationale. Une telle information est essentielle pour assurer un exercice effectif par l’étranger en question du droit consacré à l’article 1 § 1 a) du Protocole no 7.

127. Dans les affaires examinées jusqu’à présent par la Cour sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 7, les requérants n’ont pas été informés des faits concrets qui leur étaient reprochés, ni même du contexte général justifiant l’expulsion, les actes de saisine des instances se limitant à dire qu’il y avait des indices que les personnes mises en cause menaient des activités de nature à mettre en danger la sécurité nationale (voir, par exemple, Lupsa, précité, § 10, Kaushal et autres, précité, § 6, Baltaji, précité, § 9, et Ljatifi, précité § 7). Dans ces affaires, la Cour a exigé qu’au minimum « un organe ou un tribunal indépendant » soit informé des « motifs de la décision en question et des preuves pertinentes », sans pour autant s’être prononcé sur la question de savoir s’il était également nécessaire que les motifs susmentionnés soient communiqués à la personne concernée. Toutefois, la Cour a jugé que l’article 1 du Protocole no 7 implique le droit pour l’étranger concerné de se voir notifier les reproches portées contre lui (Lupsa, précité, § 59) et elle a toujours sanctionné l’absence de toute information fournie aux intéressés quant aux raisons qui fondaient la décision d’expulsion (Lupsa, précité, §§ 40 et 56, Ahmed, précité, § 53, Kaushal et autres, précité, §§ 30 et 48, Baltaji, précité, § 58, et Ljatifi, précité, §§ 36 à 39).

128. Quant au droit d’avoir accès aux pièces du dossier, il n’a pas, à ce jour, été consacré en tant que tel dans la jurisprudence de la Cour sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 7. La Cour a toutefois été amenée à dire que, même lorsque la sécurité nationale était en jeu, une mesure d’éloignement doit être soumise à une forme de procédure contradictoire, prévoyant, si nécessaire, des limitations procédurales adéquates quant à l’utilisation d’informations classifiées (Ljatifi, précité, § 35). De l’avis de la Cour, l’article 1 du Protocole no 7 garantit à l’étranger concerné le droit d’être informé, de préférence par écrit et en tout état de cause d’une manière telle qu’il puisse se défendre de façon effective, du contenu des documents et des informations sur lesquels s’est fondée l’autorité nationale compétente pour décider de l’expulsion, sans préjudice de la possibilité d’apporter, si nécessaire, des restrictions dûment justifiées quant à ce type d’information.

129. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que l’article 1 du Protocole no 7 exige en principe que les étrangers concernés soient informés des éléments factuels pertinents qui ont conduit l’autorité nationale compétente à considérer qu’ils représentent une menace pour la sécurité nationale et qu’ils aient accès au contenu des documents et des informations du dossier de l’affaire sur lesquels ladite autorité s’est fondée pour décider de leur expulsion.

iii. Sur les restrictions qui peuvent être apportées au droit d’être informé des éléments factuels pertinents motivant la décision d’expulsion et à celui d’avoir accès au contenu des documents et des informations sur lesquels s’est fondée l’autorité nationale compétente

130. Pour autant, ces droits ne sont pas absolus. En effet, comme certaines procédures pénales, une procédure administrative d’expulsion peut, elle aussi, être caractérisée par la présence d’intérêts concurrents – tels que la sécurité nationale et la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes d’enquête policières – qui doivent être mis en balance avec les droits de l’étranger concerné (voir, parmi beaucoup d’autres, Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, § 52, 16 février 2000, pour le cas d’une procédure pénale, et Regner, précité, § 148, pour une procédure administrative). La Cour a d’ailleurs considéré que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation en la matière (Regner, précité, § 147)

131. La Cour a également accepté des restrictions aux droits d’accéder au dossier et d’être informé des faits reprochés dans des affaires portant sur des procédures d’expulsion lorsque la sécurité nationale était en cause (voir, parmi d’autres, Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 137, 20 juin 2002, concernant les articles 8 et 13 de la Convention, et Ljatifi, précité, § 35, concernant l’article 1 du Protocole no 7). Par ailleurs, la Cour constate que s’agissant de la possibilité de restreindre les droits procéduraux des étrangers sous le coup d’une mesure d’expulsion, la vaste majorité des États membres prévoient expressément dans leur législation interne la possibilité de limiter ces droits lorsque la sécurité nationale est en cause (paragraphe 79 ci‑dessus).

132. La Cour réitère qu’elle est pleinement consciente de l’ampleur du danger que représente le terrorisme pour la collectivité et, par conséquent, de l’importance des enjeux de la lutte antiterroriste. Elle est aussi au courant des difficultés considérables que rencontrent à notre époque les États pour protéger leur population de la violence terroriste (voir, parmi d’autres, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 179, CEDH 2005‑IV, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 126, CEDH 2009,et A. c. Pays‑Bas, no 4900/06, § 143, 20 juillet 2010). Dès lors, il convient de ne pas appliquer l’article 1 du Protocole no 7 d’une manière qui entraînerait pour les autorités compétentes des difficultés excessives pour combattre efficacement le terrorisme et d’autres crimes graves, comme il leur revient de le faire au titre de l’obligation, découlant pour elles des articles 2, 3 et 5 § 1 de la Convention, de protéger le droit à la vie et le droit à l’intégrité physique des membres de la population (voir, mutatis mutandis, Sher et autres c. Royaume-Uni, no 5201/11, § 149,CEDH 2015 (extraits), et Ibrahim et autres c. Royaume‑Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 252, 13 septembre 2016).

133. Pour autant, les restrictions apportées aux droits en question ne doivent pas réduire à néant la protection procédurale assurée par l’article 1 du Protocole no 7 en touchant à la substance même des garanties prévues par cette disposition (voir, mutatis mutandis, Regner, précité, § 148). Même lorsqu’il existe des limitations, l’étranger doit se voir offrir une possibilité effective de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et bénéficier d’une protection contre l’arbitraire. La Cour doit donc tout d’abord rechercher si l’autorité indépendante compétente a jugé que les limitations apportées aux droits procéduraux de l’étranger étaient dûment justifiées à la lumière des circonstances de l’espèce. La Cour examinera ensuite si les difficultés causées par ces limitations à l’étranger concerné ont été suffisamment contrebalancées par des facteurs compensateurs. En effet, seules sont admissibles au regard de l’article 1 du Protocole no 7 les restrictions qui, eu égard aux circonstances de la cause, sont dûment justifiées et suffisamment contrebalancées.

iv. Sur les critères à prendre en compte pour statuer sur la compatibilité avec l’article 1 § 1 du Protocole no 7 de restrictions apportées au droit d’être informé des éléments factuels pertinents motivant la décision d’expulsion et à celui d’avoir accès au contenu des documents et des informations sur lesquels s’est fondée l’autorité nationale compétente

134. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, que même lorsque la sécurité nationale ou l’ordre public étaient en cause, seules étaient légitimes les limitations des droits procéduraux qui n’atteignent pas ceux-ci dans leur substance même (voir, par exemple, Regner, précité, § 148, et, mutatis mutandis, Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 54, série A no 294‑B, et Omar c. France, 29 juillet 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V). En présence de limitations de certains droits procéduraux, elle a fréquemment considéré que les autorités nationales avaient l’obligation d’appliquer des mesures destinées à compenser de manière adéquate les effets de ces limitations sur la situation des intéressés (voir, par exemple, Jasper, précité, § 52, Fitt c. Royaume-Uni [GC], no 29777/96, § 45 avec d’autres références, CEDH 2000-II, et Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 107, CEDH 2015, quant à l’article 6 de la Convention, et A. et autres, précité, § 218, quant à l’article 5 § 4 de la Convention).

135. Bien que l’on ne puisse déduire de la jurisprudence précitée relative aux articles 5 et 6 de la Convention que l’étendue des garanties procédurales attachées à l’article 1 § 1 du Protocole no 7 devrait nécessairement être identique à celle des garanties inhérentes aux dispositions susmentionnées, ladite jurisprudence fournit des indications utiles quant à la méthodologie à suivre pour apprécier les restrictions apportées aux droits consacrés par l’article 1 du Protocole no 7.

136. Aussi la Cour doit-elle déterminer dans quelles circonstances les restrictions apportées au droit d’être informé des éléments factuels qui sous‑tendent la décision d’expulsion et/ou les restrictions du droit d’avoir accès au contenu des documents et des informations sur lesquels s’est fondée l’autorité nationale compétente pour décider de l’expulsion sont compatibles avec l’article 1 § 1 du Protocole no 7. Pour des raisons pratiques, ces droits seront appelés ci-après les « droits procéduraux » des étrangers.

137. Pour ce faire, la Cour doit d’abord rechercher si les restrictions en question étaient dûment justifiées dans les circonstances de l’affaire, puis apprécier si ces restrictions ont été suffisamment compensées, notamment par des garanties procédurales solides, de manière à préserver la substance même des droits en cause (paragraphe 133 ci-dessus).

138. La Cour effectue son examen eu égard aux circonstances concrètes d’une affaire donnée, en prenant en compte l’ensemble de la procédure en cause. Une telle démarche correspond au rôle de la Cour, à qui il n’incombe pas d’examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont touché le requérant a enfreint la Convention (voir, mutatis mutandis, N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 56, CEDH 2002‑X).

1) Sur la question de savoir si les restrictions aux « droits procéduraux » des étrangers étaient dûment justifiées

139. La Cour admet qu’il peut exister des motifs dûment justifiés, tels que la nécessité de protéger la sécurité nationale, d’imposer des restrictions aux droits procéduraux des étrangers. Conformément au principe de subsidiarité, il revient en premier lieu aux autorités nationales d’apprécier si les restrictions apportées dans une affaire donnée aux droits procéduraux des étrangers sont nécessaires et dûment justifiées (voir, mutatis mutandis, Schatschaschwili, précité, § 119). En conséquence, la Cour examinera le processus décisionnel ayant conduit aux limitations apportées aux droits procéduraux de l’étranger. À cet égard, la Cour rappelle que dans une société démocratique régie par l’État de droit, l’appréciation de la nécessité des restrictions apportées aux droits procéduraux d’un étranger doit être entourée de garanties contre l’arbitraire (paragraphe 118 ci-dessus). À cet effet, il faut notamment que la décision imposant de telles restrictions soit dûment motivée et qu’il existe une procédure permettant d’en contrôler les motifs de manière appropriée, notamment lorsqu’ils ne sont pas divulgués à l’intéressé.

140. Pour qu’un tel contrôle réponde aux exigences de l’État de droit, qui sont incompatibles avec l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire illimité à l’exécutif (voir, mutatis mutandis, Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 56, CEDH 2000‑II), il est souhaitable que ce contrôle soit confié à une autorité – juridictionnelle ou autre – indépendante de l’autorité exécutive ayant imposé la limitation (voir, mutatis mutandis, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 55-56, série A no 28, et Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, § 233, CEDH 2015). À cet égard, il est rappelé que dans le cadre de l’examen de la compatibilité d’une décision d’expulsion pour des raisons de sécurité nationale avec l’article 1 § 1 a) et b) du Protocole no 7, la Cour a souligné la nécessité d’un contrôle indépendant de l’appréciation de ces motifs (Ljatifi, précité, § 35).

141. La question de savoir si une autorité nationale indépendante a examiné la nécessité des restrictions aux droits procéduraux de l’étranger mis en cause est donc un premier critère dans l’examen de la Cour sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 7. Dans ce contexte, la Cour attachera de l’importance à l’étendue des compétences de ladite autorité nationale et notamment au point de savoir si celle-ci peut contrôler la nécessité de maintenir la confidentialité des données classifiées (voir, mutatis mutandis, Regner, précité, § 152).

142. Ensuite, la Cour devra s’intéresser aussi aux pouvoirs dévolus à l’autorité indépendante en fonction du constat qu’elle aura fait dans un cas donné quant à la nécessité de restreindre les droits procéduraux des étrangers. Plus précisément, il conviendra de rechercher si, lorsque l’autorité indépendante estime que la sécurité nationale ne justifie pas le refus de transmettre à l’étranger concerné le contenu des documents et des informations sur lesquels s’est fondée l’autorité compétente pour décider de l’expulsion, ladite autorité indépendante peut demander à l’organe compétent en matière de sécurité nationale de revoir la classification des documents en cause, voire les déclassifier elle-même (voir, mutatis mutandis, Regner, précité, § 152) en vue de les transmettre à l’étranger en question ou, à tout le moins, lui en communiquer le contenu.

143. En revanche, dans l’hypothèse où l’autorité indépendante estimerait que la protection de la sécurité nationale s’oppose à la divulgation à l’intéressé du contenu des documents classifiés, la Cour devra rechercher si, pour parvenir à cette conclusion, ladite autorité a dûment identifié les intérêts en jeu et mis en balance les intérêts tenant à la préservation de la sécurité nationale et ceux des étrangers concernés.

144. Toutefois, le fait que les autorités nationales n’aient pas examiné ou qu’elles aient insuffisamment examiné et justifié la nécessité de restrictions aux droits procéduraux des étrangers mis en cause ne suffit pas, à lui seul, à emporter violation de l’article 1 § 1 du Protocole no 7. En tout état de cause, la Cour recherchera également si des éléments compensateurs ont été appliqués dans le cas concret de l’intéressé et s’ils ont été suffisants pour contrebalancer les effets des restrictions apportées à ses droits procéduraux, de manière à préserver la substance même de ceux-ci.

145. À cet égard, moins les autorités nationales seront rigoureuses dans l’examen de la nécessité d’apporter des restrictions aux droits procéduraux des étrangers concernés, plus le contrôle par la Cour des éléments compensateurs mis en place pour contrebalancer la limitation des droits en cause devra être strict (voir, pour la méthodologie, mutatis mutandis, Ibrahim et autres, précité, § 265 ; voir aussi le paragraphe 133 ci-dessus). Concrètement, un examen trop sommaire au niveau national de la nécessité d’apporter des restrictions aux droits en question appellera la mise en place d’éléments compensateurs renforcés pour préserver, en fonction des circonstances de l’espèce, la substance même des droits garantis par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 (paragraphe 133 ci-dessus).

146. Dans son appréciation, la Cour sera guidée par deux principes de base : plus les informations fournies à l’étranger concerné sont limitées, plus les garanties mises en place pour contrebalancer la limitation de ses droits procéduraux doivent être importantes ; lorsque les circonstances d’une affaire révèlent un enjeu particulièrement important pour l’étranger en question, les garanties compensatoires doivent encore être renforcées.

2) Sur les éléments susceptibles de compenser suffisamment les restrictions apportées aux « droits procéduraux » des étrangers concernés

147. Dans un deuxième temps (paragraphe 136 ci-dessus), la Cour recherchera si les restrictions apportées aux droits procéduraux des étrangers ont été compensées par des garanties adéquates et suffisantes.

148. À cet égard, la Cour remarque que les données à sa disposition ne mettent pas en évidence l’existence d’un consensus au niveau européen quant aux types de facteurs susceptibles de compenser les limitations des droits procéduraux des étrangers ou quant à leur portée. En effet, les limitations aux droits d’accès aux documents classé secrets et aux raisons qui fondent une décision d’expulsion sont atténuées à travers des mécanismes variant selon les spécificités de la législation ou de la procédure mise en place dans un pays donné (paragraphes 82 à 86 ci-dessus).

149. La Cour en déduit que sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 7, les États bénéficient d’une certaine marge d’appréciation dans le choix des facteurs à mettre en place pour compenser la restriction des droits procéduraux. Cette marge d’appréciation va toutefois de pair avec un contrôle européen, la tâche de la Cour consistant en l’occurrence à s’assurer que la protection procédurale garantie par l’article 1 du Protocole no 7 n’est pas réduite à néant (paragraphe 133 ci-dessus).

150. Lorsque la procédure d’expulsion est examinée dans son ensemble de manière à mesurer les conséquences de certaines restrictions sur l’exercice effectif par un étranger de ses droits procéduraux, les éléments suivants, énumérés ci-après de manière non-limitative et découlant de la jurisprudence de la Cour ainsi que de l’analyse comparative (paragraphes 80-86 ci-dessus), doivent être pris en compte (voir aussi, mutatis mutandis, Ibrahim et autres, précité, § 274, et Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 150, 9 novembre 2018).

‒ Sur la pertinence des informations communiquées aux étrangers quant aux raisons de leur expulsion et l’accès au contenu des documents sur lesquels les autorités se sont fondées

151. La jurisprudence de la Cour ne fixe pas dans l’abstrait le volume de l’information à fournir aux étrangers concernés, ce volume variant au cas par cas selon les circonstances de chaque espèce. Par conséquent, la Cour tiendra compte, dans chaque cas, de la pertinence des informations effectivement communiquées aux étrangers mis en cause dans une affaire donnée quant aux éléments factuels qui sous-tendent la décision d’expulsion et quant à l’accès au contenu des documents et des informations sur lesquels l’autorité de décision s’est fondée. Elle recherchera si les autorités nationales ont, dans toute la mesure compatible avec la préservation de la confidentialité et la bonne conduite des investigations, informé les intéressés, dans le cadre de la procédure, de la substance des reproches dont ils ont fait l’objet (voir, en ce sens, Lupsa, précité, § 59, Ljatifi, précité, § 39, et, mutatis mutandis, Regner, précité, § 153).

152. Revêt aussi de l’importance la question de savoir s’il appartient à une autorité indépendante, juridictionnelle ou autre, de déterminer, dans une affaire donnée, après avoir examiné l’ensemble des preuves classées secrètes, quelles sont les informations factuelles qui peuvent être communiquées aux intéressés sans que la sécurité nationale soit mise en péril et cela dans une phase de la procédure où l’intéressé pourrait encore les contester utilement.

‒ Sur l’information des étrangers quant au déroulement de la procédure et quant aux dispositifs prévus au niveau interne pour compenser la limitation de leurs droits

153. La Cour considère en outre qu’une mise à la disposition des intéressés d’informations minimales mais suffisantes sur les droits dont ils bénéficient en droit interne constitue un élément inhérent préalable à un exercice effectif de ceux-ci (voir, mutatis mutandis, Ibrahim et autres, précité, § 272, et Beuze, précité, § 129). Dans ce type d’affaire, la Cour recherchera si les autorités internes ont fourni ces informations à l’intéressé, au moins à des moments clés dans le déroulement de la procédure. En particulier ces informations se révèlent utiles lorsque l’étranger concerné n’est pas représenté et lorsqu’un défaut d’information à ce sujet risque d’avoir pour conséquence que l’intéressé omette d’exercer des droits prévus en sa faveur par le droit interne. Enfin, cette obligation d’information s’avérera d’autant plus importante quand les règles de procédure interne imposent une certaine célérité dans l’examen de l’affaire.

‒ Sur la représentation des étrangers

154. Comme l’indique l’article 1 § 1 c) du Protocole no 7, les étrangers doivent pouvoir se faire représenter devant l’autorité compétente pour décider de leur expulsion. Cela implique tout d’abord l’existence en droit interne de normes légales assurant une possibilité effective pour les étrangers de se faire représenter. La possibilité de se faire représenter par un avocat, voire par un avocat spécialisé en la matière et titulaire des habilitations donnant accès aux documents classés secrets du dossier de l’affaire qui ne sont pas accessibles à l’étranger concerné, est un facteur compensateur important. De même, la Cour aura égard à la possibilité concrète pour l’étranger concerné d’avoir un accès effectif à une telle représentation au cours de la procédure engagée contre lui.

155. La Cour considérera comme une autre garantie importante les droits dont dispose le représentant de l’étranger concerné dans une affaire donnée. À ce titre, elle s’intéressera par exemple, à l’étendue du droit d’accès au dossier dont dispose le représentant de l’étranger en question, y compris aux documents classés secrets qui ne sont pas accessibles à ce dernier. Ou encore à la question de savoir si, après avoir obtenu un accès à des pièces classées secrètes, la communication entre le représentant et son client a été restreinte ou non (voir, mutatis mutandis, A. et autres, précité, § 220).

‒ Sur l’intervention d’une autorité indépendante dans la procédure

156. L’article 1 § 1 a) et b) du Protocole no 7 prévoit en faveur de l’étranger concerné le droit de « faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion » et celui de « faire examiner son cas ». De l’avis de la Cour, les éléments suivants pourraient être pris en compte dans l’évaluation du respect de ces dispositions :

i) Une ou des autorités indépendantes, administratives ou juridictionnelles, sont-elles intervenues dans la procédure, selon le cas, soit pour prendre elles-mêmes la mesure d’expulsion, soit pour en contrôler la légalité voire le bien-fondé (voir, parmi beaucoup d’autres, Al-Nashif, précité, § 137, Lupsa, précité, § 56, et Ljatifi, précité, § 32) et, dans l’hypothèse d’une autorité juridictionnelle, quelle était sa place dans la hiérarchie des juridictions internes ? À cet égard, un contrôle juridictionnel de la mesure d’expulsion aura en principe un effet compensatoire supérieur à un contrôle de type administratif.

ii) Le requérant a-t-il eu la possibilité de contester de manière effective devant une autorité indépendante les motifs retenus contre lui selon lesquels il représente un danger pour la sécurité nationale (Ljatifi, précité, § 35) ?

iii) L’autorité indépendante était-elle compétente pour examiner de manière effective les motifs qui fondaient la demande ou, le cas échéant, la décision d’expulsion et les éléments de preuve présentés à l’appui et, dans l’affirmative, a-t-elle dûment exercé cette compétence dans le cas d’espèce (C.G. et autres, précité, §§ 73 et 74, Geleri, précité, § 48, et Ljatifi, précité, § 35) ? Sur ce point, la Cour prendra en considération si, pour remplir sa mission, ladite autorité avait accès à l’intégralité du dossier constitué par l’organe compétent en matière de sécurité nationale en vue d’engager son action contre l’étranger mis en cause, y compris aux documents classifiés (Ljatifi, précité, § 32). Un autre élément important sera la compétence de ladite autorité de vérifier l’authenticité des pièces du dossier ainsi que la crédibilité et la réalité des informations classifiées présentées à l’appui de la demande ou, le cas échéant, de la décision d’expulsion (voir C.G. et autres, précité, §§ 73-74, Kaushal et autres, précité, § 49, et, mutatis mutandis, Regner, § 152). À cet égard, il n’existe pas de présomption en faveur de l’existence et du bien-fondé des raisons tirées de la sûreté de l’État invoquées par l’organe compétent en matière de sécurité nationale : l’autorité indépendante devrait pouvoir vérifier les faits à la lumière des preuves soumises (Kaushal et autres, précité, §§ 31-32 et 49).

iv) L’autorité indépendante appelée à contrôler une décision d’expulsion disposait-elle du pouvoir d’annuler ou de réformer celle-ci au cas où elle aurait estimé, au vu du dossier, que l’invocation de la notion de sécurité nationale était dénuée d’une base factuelle raisonnable et suffisante ?

v) La nécessité de l’expulsion apparaît-elle suffisamment plausible à la lumière des circonstances de l’affaire et du raisonnement fourni par l’autorité indépendante pour justifier sa décision ? Dans ce contexte, la Cour recherchera si la nature et l’intensité du contrôle exercé par l’autorité nationale sur les faits reprochés à l’étranger concerné se manifestent, même sommairement, dans la motivation de la décision prise par celle-ci.

157. Au terme de cette énumération, la Cour tient à préciser que le respect de l’article 1 § 1 du Protocole no 7 ne requiert pas nécessairement la mise en place de manière cumulative de tous les éléments énumérés ci‑dessus. Cette énumération ne contient que des exemples de facteurs susceptibles de compenser adéquatement la limitation des droits procéduraux que les étrangers tirent de l’article 1 § 1 du Protocole no 7, étant entendu que l’évaluation de la nature et de l’ampleur des facteurs compensateurs à mettre en place pourra varier en fonction des circonstances du cas d’espèce (voir, mutatis mutandis, Ibrahim et autres, précité, § 274, et Beuze, précité, § 150). À chaque fois, il s’agira pour la Cour de déterminer, à la lumière de la procédure dans son ensemble, si la substance même des droits garantis par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 aux étrangers a été préservée (paragraphe 133 ci-dessus).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

i. La restriction apportée aux droits procéduraux des requérants

158. S’agissant du droit des requérants d’être informés des éléments factuels qui sous-tendaient la décision d’expulsion, il convient de noter qu’en vertu de l’article 85 (3) et (4) de l’OUG no 194/2002 telle qu’en vigueur à l’époque des faits, la cour d’appel avait l’obligation d’informer les étrangers des faits qui fondaient la demande tendant à les déclarer indésirables, « dans le respect des dispositions des actes normatifs qui régissent les activités liées à la sûreté nationale et la protection des renseignements classifiés ». Selon l’article 85 (5) de la même OUG no 194/2002, lorsque la décision de déclarer un étranger indésirable était fondée sur des raisons liées à la sécurité nationale, les données et les informations ainsi que les raisons factuelles (motivele de fapt) ayant forgé l’opinion des juges ne pouvaient pas être mentionnées dans l’arrêt. Par ailleurs, les dispositions légales pertinentes de la loi no 182/2002 (paragraphes 51 et 53 ci-dessus) s’opposaient à la divulgation des informations classées secrètes à des personnes qui n’étaient pas titulaires d’un certificat les autorisant à avoir accès à ce type de documents. En faisant une application combinée de ces dispositions légales, les juridictions nationales ont jugé en l’espèce qu’elles étaient contraintes par la loi de ne pas fournir aux requérants des informations concrètes sur les faits et les motifs qui fondaient la demande d’expulsion.

159. Au sujet du droit des requérants d’être informés du contenu des documents et des informations du dossier fondant les reproches portés contre eux, la Cour relève que dès le début de la procédure, en appliquant les dispositions légales pertinentes, les juridictions internes ont estimé que les requérants ne pouvaient pas avoir accès aux pièces du dossier, celles-ci étant classées secrètes (paragraphe 21 ci‑dessus).

160. Il en résulte une limitation importante des droits des requérants d’être informés des éléments factuels et du contenu des documents qui sous‑tendaient tant la demande d’expulsion formulée contre eux par le parquet que la décision des juridictions nationales d’ordonner leur éloignement du territoire.

161. La Cour examinera ci-dessous la nécessité des restrictions ainsi apportées aux droits procéduraux des requérants (paragraphes 139 à 143 ci‑dessus) et les mesures compensatoires mises en place par les autorités nationales pour contrebalancer ces restrictions (paragraphes144 à 156 ci‑dessus) avant d’évaluer leur impact concret sur la situation des requérants à la lumière de la procédure dans son ensemble (paragraphes 136 et 144 ci‑dessus). À cet égard, la Cour note que l’expulsion des requérants a eu pour effet principal de rendre impossible la poursuite de leurs études universitaires et de couper tous les liens sociaux qu’ils avaient tissés en Roumanie. En outre, les accusations portées contre eux étaient très graves en ce qu’ils étaient soupçonnés de vouloir mener des activités terroristes sur le territoire roumain. Elles ont ainsi porté atteinte à leur réputation (paragraphe 101 ci-dessus).

ii. Sur la question de savoir si les limitations apportées aux droits procéduraux des requérants étaient dûment justifiées

162. En l’espèce, la Cour note que les juridictions nationales, en appliquant les dispositions légales pertinentes (paragraphes 51 et 53 ci‑dessus), ont jugé d’emblée que les requérants ne pouvaient pas avoir accès au dossier, au motif que les documents étaient classés secrets (paragraphe 158 ci-dessus). Le droit interne, quant à lui, ne prévoit pas la possibilité pour les juridictions nationales de vérifier d’office si la sauvegarde de la sécurité nationale impose dans une affaire donnée la non‑divulgation du dossier (paragraphes 51 et 53 ci-dessus ; voir, pour une situation contraire, Regner, précité, § 152).

163. Il ne ressort pas non plus des arrêts rendus par les juridictions nationales qu’elles ont procédé en l’espèce à un examen de la nécessité de restreindre les droits procéduraux des requérants et donc de ne pas leur divulguer les documents confidentiels. Les raisons concrètes tirées de la protection de la sécurité nationale qui, de l’avis des autorités, s’opposaient à la divulgation des preuves et des informations classées secrètes à l’égard des requérants n’ont aucunement été explicitées par les juridictions nationales. Qui plus est, lorsque les requérants ont exposé devant la Haute Cour leurs doutes quant au niveau de classification appliqué en l’espèce, aucun éclaircissement n’a été apporté sur ce point par la juridiction de recours (paragraphe 33 ci‑dessus).

164. Enfin, de l’avis de la Cour, le fait que le communiqué de presse publié par le SRI le lendemain de l’arrêt rendu par la cour d’appel contenait des informations factuelles plus détaillées que celles qui avaient été fournies aux requérants dans l’acte de saisine d’instance et pendant la procédure de première instance contredit la thèse selon laquelle il était nécessaire de priver les intéressés de toute information concrète sur les raisons factuelles avancées à l’appui de leur expulsion.

165. Dès lors, à défaut de tout examen par les juridictions saisies de l’affaire de la nécessité de restreindre les droits procéduraux des requérants, la Cour exercera un contrôle strict pour établir si les facteurs compensateurs mis en place étaient de nature à contrebalancer efficacement en l’espèce les restrictions apportées aux droits procéduraux des requérants. À cet égard, la Cour tiendra compte de ce que ces restrictions étaient importantes (paragraphe 161 ci-dessus).

iii. Quant aux éléments compensateurs existant en l’espèce

166. La Cour note que selon le Gouvernement, plusieurs aspects doivent être pris en considération par la Cour lorsqu’elle examine le respect des droits des requérants en l’espèce. Il a souligné plus particulièrement que dans la procédure et dans le communiqué de presse du SRI (paragraphe 106 ci-dessus), les requérants ont quand même été informés de certains éléments factuels retenus contre eux, qu’ils pouvaient bénéficier de l’assistance d’un avocat titulaire d’un certificat ORNISS (paragraphe 108 ci-dessus) et surtout que des hautes juridictions impartiales et indépendantes ont conduit la procédure et décidé de la nécessité de l’expulsion, à la lumière des pièces classifiées (paragraphes 104 et 107 ci-dessus).

167. La Cour examinera ci-dessous l’impact concret qu’a eu chacun des facteurs mentionnés par le Gouvernement en l’espèce. Le cas échéant, elle prendra en compte aussi d’autres éléments que ceux mentionnés par le Gouvernement et qu’elle a identifiés ci-dessus (paragraphes 151 à 156 ci‑dessus).

1) Sur l’étendue des informations fournies aux requérants quant aux éléments factuels sous-tendant leur expulsion

168. S’agissant de l’étendue des informations fournies aux requérants au sujet des éléments factuels sous-tendant leur expulsion, la Cour relève que lors de l’audience du 5 décembre 2012 devant la cour d’appel, les intéressés se sont vu communiquer, à l’aide d’un interprète, l’acte de saisine d’instance (paragraphe 20 ci-dessus). Seuls les numéros des articles de loi qui régissaient, d’après le parquet, la conduite reprochée aux intéressés étaient mentionnés dans l’acte de saisine d’instance sans que ladite conduite y soit décrite. Aucun fait concret retenu contre les requérants n’y était mentionné. Il est vrai qu’un interprète a assisté les requérants dans la traduction de l’acte de saisine d’instance. Toutefois, de l’avis de la Cour, une simple énumération des numéros des articles de loi ne saurait constituer, même a minima, une information suffisante sur les faits reprochés (voir, par exemple, mutatis mutandis, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 41, série A no 182, et Kerr c. Royaume-Uni (déc.), no 40451/98, 7 décembre 1999). La Cour en conclut qu’au cours de la procédure devant la cour d’appel, aucune information quant aux raisons factuelles justifiant la mesure d’expulsion n’a été fournie aux requérants.

169. Il convient de rechercher à présent si les requérants ont reçu plus d’informations pendant la procédure de recours devant la Haute Cour.

170. À cet égard, et s’agissant tout d’abord des informations que les requérants auraient pu tirer de l’arrêt de la cour d’appel, la Cour observe que celle-ci s’est contentée de reproduire dans son arrêt les parties de l’article 3 de la loi no 51/1991 qu’elle estimait pertinentes, délimitant ainsi le cadre juridique dans lequel s’inscrivaient les faits reprochés aux requérants, à savoir la conception d’actes terroristes ainsi que l’adhésion et l’appui par tout moyen à de tels actes. Certes, la mention de l’article 3 i) et l) de la loi no 51/1991 donnait aux intéressés des indications générales sur les faits qui pouvaient constituer les infractions retenues et sur leur qualification juridique. Néanmoins, ici non plus, aucun fait concret n’a été mentionné.

171. La Cour note ensuite que le lendemain du prononcé de l’arrêt de la cour d’appel et alors que la procédure en recours était pendante, le SRI a diffusé un communiqué de presse présentant certains faits reprochés aux requérants (paragraphe 30 ci-dessus). Toutefois, elle n’estime pas nécessaire de s’interroger plus avant sur la question de savoir si l’étendue de l’information présentée dans le communiqué de presse aurait pu permettre aux intéressés de contester utilement leur expulsion et si ces informations auraient ainsi été suffisantes pour satisfaire aux exigences de l’article 1 § 1 du Protocole no 7. À supposer même que l’information contenue dans ce communiqué de presse soit suffisante pour permettre aux requérants de préparer leur défense, la Cour considère qu’en l’espèce, le communiqué de presse ne peut pas être pris en considération comme une source valide d’information, pour les raisons suivantes.

172. Tout d’abord, il n’apparaît pas que le communiqué de presse du SRI aurait été versé au dossier de l’affaire devant la Haute Cour. Il n’est pas non plus établi que le parquet aurait considéré les faits mentionnés dans ledit communiqué comme étant à la base de sa demande ni que la Haute Cour aurait confirmé auprès des requérants que lesdits faits fondaient les accusations portées contre eux.

173. Ensuite, après avoir pris connaissance des faits qui leur étaient reprochés dans le communiqué de presse, dans leurs moyens de recours soulevés devant la Haute Cour, les requérants ont formulé leur défense par rapport à ceux-ci (paragraphe 38 ci‑dessus). Or, il ne ressort pas du dossier ni du libellé de l’arrêt définitif de la Haute Cour que cette dernière se serait appuyée sur ce communiqué de presse et son contenu pour motiver son arrêt.

174. Enfin et surtout, un communiqué de presse, fût-il diffusé par une instance officielle, ne saurait constituer un moyen adéquat pour fournir aux parties à une procédure juridictionnelle les informations dont elles ont besoin pour plaider leur cause devant l’autorité compétente. Par nature, en effet, un communiqué de presse, même quand il concerne une procédure juridictionnelle, présente un contenu adapté à l’objectif qui consiste à informer l’opinion publique de manière générale. Or, les parties à un litige qui peuvent aisément être contactées par les autorités ont droit à une information officielle dont le niveau de spécificité et de précision est calibré en fonction des particularités du litige en question et de l’ampleur de leurs droits procéduraux. À cet égard, la Cour relève également que le SRI n’était pas partie à la procédure.

175. Il en résulte qu’au niveau de la procédure devant la Haute Cour non plus, les requérants n’ont pas été informés des griefs retenus contre eux d’une façon qui leur eût permis d’exercer de manière effective les droits procéduraux qu’ils tirent de l’article 1 du Protocole no 7.

176. La Cour prend note des exemples présentés par le Gouvernement pour démontrer l’évolution de la jurisprudence interne quant à l’étendue de l’information à fournir aux intéressés dans ce type de procédure (paragraphe 61 ci-dessus). Cependant, les éléments factuels transmis à l’intéressé s’apprécient au cas par cas et dans le contexte de la procédure le concernant, de sorte que ces exemples, bien que louables, n’ont pas d’incidence sur la situation concrète des requérants. En outre, si ces exemples démontrent la compétence des juridictions nationales d’informer l’étranger mis en cause de certains faits, ils n’expliquent pas pour quelles raisons ces juridictions ont décidé de ne pas l’exercer en l’espèce.

177. La Cour considère qu’à défaut de toute information concrète transmise aux requérants dans le cadre de la procédure par une autorité indépendante, l’information fournie n’est pas de nature à contrebalancer en l’espèce la restriction des droits procéduraux des requérants. Il conviendrait donc de rechercher plus loin si d’autres éléments ont été mis en place dans le cas des requérants. En outre, les importantes restrictions apportées à la communication d’informations concrètes appellent des garanties compensatoires solides (paragraphe 146 ci-dessus).

2) L’information des requérants au sujet du déroulement de la procédure et de leurs droits procéduraux

178. La Cour note que dans la soirée du 4 décembre 2012, les requérants ont été cités à comparaître le lendemain, à 9 heures, devant la cour d’appel de Bucarest, dans le cadre d’une procédure engagée sur demande du parquet tendant à les déclarer personnes indésirables (paragraphe 15 ci‑dessus). Aucun document ou information concernant le déroulement ou l’objet de la procédure n’a été joint aux citations à comparaître.

179. Par la suite, au cours de l’audience du 5 décembre 2012, la cour d’appel s’est assurée que les requérants bénéficiaient de l’assistance d’un interprète pour la traduction de l’acte de saisine d’instance (paragraphes19 et 20 ci-dessus). Elle a aussi indiqué aux requérants que les documents du dossier étaient confidentiels et que seul le juge y avait accès de par l’autorisation dont il disposait (paragraphe 21 ci-dessus). La cour d’appel a ainsi informé les requérants de la restriction apportée à leur droit d’accès aux pièces du dossier ainsi que de la garantie prévue par le droit interne pour compenser ce défaut d’accès, à savoir l’accès du juge auxdits documents.

180. Toutefois, la Cour observe que la cour d’appel n’a pas estimé nécessaire de s’assurer que les requérants – des étrangers dont le premier était arrivé depuis peu de temps en Roumanie et l’un d’eux ne parlait pas le roumain – étaient bien informés du déroulement de la procédure devant elle et de l’existence en droit interne d’autres garanties destinés à compenser les effets de la restriction apportée à leurs droits procéduraux.

181. Ainsi la cour d’appel n’a-t-elle pas vérifié si les requérants savaient qu’en vertu du droit roumain ils avaient la possibilité, s’ils le souhaitaient, de se faire représenter par un avocat et à quel moment de la procédure une demande de représentation pouvait être faite utilement. De même, alors que la cour d’appel a bien informé les requérants de la limitation de leur droit d’accès au dossier, elle ne leur a fourni aucune information quant à l’existence d’avocats titulaires d’un certificat ORNISS autorisés à avoir accès aux documents classés secrets versés au dossier.

182. De l’avis de la Cour, une telle lacune dans l’information fournie aux requérants au sujet du déroulement de la procédure devant la cour d’appel et des droits dont ils auraient pu bénéficier, combinée avec la célérité de la procédure, a eu pour effet d’anéantir les garanties procédurales dont les requérants avaient le droit de jouir devant cette juridiction.

183. La Cour note ensuite que pendant la procédure de recours, les requérants ont été assistés par deux avocates de leur choix. La Cour laisse ouverte la question de savoir si le fait que les requérants ont été représentés par des avocates de leur choix devant la Haute Cour délivre les autorités nationales de leur obligation d’informer les intéressés des droits et des garanties dont ils auraient pu bénéficier en vertu du droit interne. Quoi qu’il en soit, il transparait du dossier que la Haute Cour n’a pas informé d’office les intéressés des garanties procédurales existant en droit interne de sorte que cet élément compensatoire n’a pas agi en l’espèce pour estomper la restriction apportée aux droits procéduraux des intéressés.

3) La représentation des requérants

184. La Cour note d’abord que selon le droit interne, les autorités nationales n’avaient pas l’obligation d’assurer, au bénéfice des requérants, les services d’un représentant dans la procédure. Il était toutefois loisible aux requérants, s’ils le souhaitaient, de se faire représenter par un avocat.

185. La Cour observe ensuite que les autorités internes, tant judiciaires qu’administratives, n’étaient pas tenues en droit interne d’informer les intéressés de la possibilité de se faire représenter par un avocat titulaire d’un certificat ORNISS. Elle note en outre que le nombre d’avocats titulaires d’un tel certificat était très réduit (paragraphe 58 ci-dessus) et que le nom de ces avocats ne faisait pas l’objet d’une communication par le barreau des avocats (paragraphe 57 ci-dessus).

186. La Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel les avocates des requérants auraient dû aider leurs clients à trouver un avocat titulaire d’un certificat ORNISS (paragraphe 108 ci-dessus). À supposer même que l’on puisse attendre de l’avocat choisi par un étranger qu’il aide son client à trouver un autre avocat titulaire d’un certificat ORNISS, la Cour relève que le Gouvernement n’a pas précisé par quel moyen les avocates des requérants auraient pu, à l’époque pertinente, accéder effectivement et en temps utile à la liste des avocats titulaires d’un tel certificat (paragraphes 57 et 58 ci-dessus).

187. La Cour estime que, dans le contexte décrit ci-dessus (paragraphes 184 et 185 ci-dessus) et eu égard à la célérité de la procédure de première instance, les requérants n’ont pas bénéficié d’une possibilité effective d’engager un avocat, voire un avocat titulaire d’un certificat ORNISS, pour les représenter devant la cour d’appel.

188. La Cour constate ensuite que devant la Haute Cour, les requérants ont été représentés par deux avocates choisies par eux-mêmes qui n’étaient pas titulaires d’un certificat ORNISS. Reste donc à rechercher si l’assistance assurée par ces avocates en vertu des compétences dont elles disposaient selon le droit interne était suffisante afin d’assurer aux intéressés une défense effective.

189. À cet égard, la Cour prend en compte qu’à défaut d’être titulaires d’un certificat ORNISS, les avocates choisies par les requérants ne pouvaient pas avoir accès aux documents classés secrets versés au dossier. S’agissant de la possibilité pour ces avocates de demander l’ajournement de la procédure de recours afin d’obtenir un certificat ORNISS, la Cour remarque que les délais prévus par la loi interne pour l’obtention d’un tel certificat (paragraphe 52 ci-dessus) dépassaient ceux qui étaient prévus pour le déroulement d’une procédure de déclaration d’un étranger comme personne indésirable (paragraphe 54 ci-dessus). Une demande d’ajournement n’aurait donc pas permis, en principe, aux avocates en question de se procurer un tel certificat pour s’en prévaloir dans le cadre de la procédure de recours. Les exemples de jurisprudence versés au dossier par les parties confortent cette affirmation (paragraphes 65 et 66 ci-dessus), aucun exemple de pratique permettant d’ajourner la procédure au-delà du délai prévu par le droit interne n’étant contemporain aux faits de l’espèce.

190. Par ailleurs, selon les informations fournies par les parties, un avocat qui engage la procédure d’obtention d’un certificat doit produire une copie du pouvoir que son client lui a remis pour l’autoriser à le représenter dans son affaire (paragraphes 54 et 57 ci-dessus). Il n’est donc pas certain que les avocates des requérants auraient pu demander un tel certificat avant d’avoir été choisies par les requérants pour les représenter dans la procédure.

191. La Cour considère donc qu’en l’occurrence, la présence des avocates des requérants devant la Haute Cour, sans aucune possibilité de connaître les reproches portées contre leurs clients, n’était pas de nature à assurer leur défense effective.

192. Il résulte de tout ceci que la représentation des requérants n’a pas été suffisamment effective pour pouvoir contrebalancer de manière significative les restrictions subies par les requérants dans l’exercice de leurs droits procéduraux.

4) Le contrôle indépendant de la décision d’expulsion

193. La Cour observe d’emblée que la procédure prévue en droit roumain pour déclarer une personne indésirable revêtait un caractère judiciaire. Les juridictions compétentes en la matière, la cour d’appel et la Haute Cour, jouissaient de l’indépendance requise au sens de la jurisprudence de la Cour, ce qui n’a d’ailleurs pas été remis en cause par les intéressés (S.C.c. Roumanie, no 9356/11, § 73, 10 février 2015 ; voir, parmi beaucoup d’autres, pour ce qui est de la définition d’un tribunal indépendant,Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009). La Cour accorde aussi une importance particulière au fait que la procédure s’est déroulée devant des juridictions supérieures dans la hiérarchie des juridictions roumaines, la Haute Cour représentant l’autorité judiciaire la plus élevée. De l’avis de la Cour, il s’agit là de garanties importantes à prendre en considération dans l’évaluation des facteurs ayant pu atténuer les effets des restrictions subies par les requérants dans la jouissance de leurs droits procéduraux.

194. Devant ces juridictions, vu les informations très réduites et générales dont ils disposaient, les requérants ne pouvaient se fonder, pour défendre leur cause, que sur des suppositions et sur des aspects généraux de leur vie d’étudiant ou de leur situation financière (paragraphes 37 et 38 ci‑dessus), sans pouvoir contester concrètement tel ou tel comportement dont il serait affirmé qu’il met en danger la sécurité nationale. De l’avis de la Cour, dans une telle hypothèse, l’étendue du contrôle opéré par les juridictions nationales quant au bien-fondé de l’expulsion demandée devrait être d’autant plus approfondie.

195. En droit roumain, en vertu de l’article 85 (2) et (3) de l’OUG 194/2002, il revenait à la cour d’appel de décider si la mesure demandée par le parquet était nécessaire et justifiée. En vertu de ces dispositions légales, la cour d’appel et la Haute Cour – cette dernière en tant que juridiction de contrôle – devaient avoir accès aux documents classés secrets qui fondaient la demande du parquet (voir, pour une situation différente, Abou Amer c. Roumanie, no 14521/03, § 58, 24 mai 2011, et Ljatifi, précité, § 40). Les juges devaient ainsi être, en principe, dûment informés des faits qui étaient reprochés aux requérants et qui faisaient l’objet des informations classées secrètes. Il leur appartenait de vérifier sur cette base si les requérants représentaient véritablement un danger pour la sécurité nationale.

196. De même, afin d’ordonner l’expulsion, la cour d’appel pouvait, en vertu de l’article 85 (1) et (2) de l’OUG 194/2002, se contenter de s’assurer qu’il existait « des informations suffisantes » ou des « indices » que l’étranger en question avait l’intention de mener des activités qui mettaient en danger la sécurité nationale. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence (C.G. et autres, précité, § 74, et Kaushal et autres, précité, § 49), la juridiction nationale compétente pour décider de l’expulsion devrait vérifier si la demande d’expulsion dont elle se voit saisie est justifiée par les pièces présentées à l’appui de celle-ci.

197. En l’occurrence, le parquet a versé au dossier devant la cour d’appel « un écrit » qui, selon le Gouvernement, détaillait les activités reprochées aux requérants et mentionnait des données et des informations concrètes recueillies par le SRI concernant l’implication des deux requérants dans des activités qui constituaient des menaces à la sécurité nationale (paragraphe 14 ci-dessus). Pour autant, il n’en ressort pas clairement si les juridictions nationales ont effectivement eu accès à l’ensemble des informations classées secrètes qui fondaient la demande d’expulsion ou seulement à cet « écrit ». Bien qu’invité à le faire, le Gouvernement n’a pas éclairci ce point.

198. Qui plus est, lorsque les requérants ont exposé devant la Haute Cour leurs doutes sur la présence dans le dossier des documents classés secrets, aucun éclaircissement n’a été apporté sur ce point par la juridiction de recours (paragraphe 33 ci‑dessus). En outre, celle-ci a refusé d’ordonner la production de la seule preuve demandée par les intéressés en vue de réfuter les allégations selon lesquelles ils finançaient des activités terroristes (paragraphes38 et 40 ci-dessus). En d’autres termes, aucun élément du dossier ne laisse entrevoir qu’une vérification a bien été réalisée par les juridictions nationales quant à la crédibilité et à la réalité des informations qui lui ont été soumises par le parquet (voir, mutatis mutandis, Raza c. Bulgarie, no 31465/08, § 54, 11 février 2010).

199. De surcroît, les juridictions nationales ont fourni des réponses très générales pour rejeter les affirmations des requérants selon lesquelles ils n’avaient pas agi au détriment de la sécurité nationale. Elles se sont limitées à indiquer qu’il ressortait des preuves instruites l’existence d’indices forts selon lesquels les requérants avaient l’intention de mener des activités de nature à mettre en danger la sécurité nationale sans aucune vérification de la crédibilité de l’écrit mis à leur disposition par le parquet.

200. La Cour prend acte des efforts entrepris par les juridictions nationales pour se reporter à sa jurisprudence pertinente en la matière. Elle constate en particulier que la Haute Cour a fait référence dans son arrêt à la jurisprudence de la Cour qui indiquait aux autorités nationales la nécessité de mettre en place un contrôle réalisé par une juridiction indépendante comme garantie contre l’arbitraire du pouvoir public (paragraphes 44 et 45 ci-dessus).

201. En effet, la Cour accepte que l’examen de l’affaire par une autorité judiciaire indépendante est une garantie de grand poids pour contrebalancer la restriction apportée aux droits procéduraux des requérants. Cependant – et tel est le cas en l’espèce, une telle garantie n’est pas à elle seule suffisante pour combler la restriction apportée aux droits procéduraux des intéressés si la nature et l’intensité du contrôle exercé par les autorités indépendantes ne se manifestent pas, même sommairement, dans la motivation des décisions prises par celles-ci (paragraphe 156in fine ci-dessus).

202. La Cour note aussi que certains des exemples de jurisprudence fournis par le Gouvernement démontrent que la cour d’appel peut, à la lumière des documents classifiés à sa disposition, vérifier la réalité et la crédibilité des informations qui lui sont présentées (paragraphes 62 et 63 ci‑dessus). Toutefois, les exemples relatifs à l’époque des faits du cas présent sont peu nombreux. En tout état de cause, les pièces du dossier ne font pas apparaître qu’en l’espèce les juridictions nationales ont effectivement et suffisamment exercé les pouvoirs dont elles disposaient à cet effet.

iv. Conclusion quant au respect de l’article 1 du Protocole no 7

203. La Cour rappelle qu’en l’espèce, les requérants ont subi des restrictions importantes dans l’exercice de leur droit d’être informés des éléments factuels qui sous-tendaient la décision de les expulser et de celui d’avoir accès au contenu des documents et des informations du dossier sur lesquels l’autorité compétente avait fondé sa décision (paragraphe 160 ci‑dessus). Il ne ressort pas du dossier que la nécessité de cette restriction ait été examinée et jugée dûment justifiée par une autorité indépendante au niveau national. Dès lors, la Cour est appelée à exercer un contrôle strict des éléments mis en place dans la procédure concernant les requérants pour contrebalancer les effets de ces restrictions, dans le but de préserver la substance même de leurs droits garantis par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 (paragraphes 133, 144 et 145 ci-dessus).

204. Or, en l’occurrence, la Cour note que les requérants n’ont reçu que des informations très générales sur la qualification juridique des faits retenus contre eux, sans qu’aucun de leurs comportements concrets susceptibles de mettre en danger la sécurité nationale ne transparaisse du dossier. De même, aucune information ne leur a été fournie quant au déroulement des moments clés de la procédure et quant à la possibilité d’avoir accès aux preuves classifiées du dossier par le biais d’un avocat titulaire d’un certificat ORNISS.

205. Quant à l’étendue du contrôle opéré par une autorité indépendante, la Cour considère que le seul fait que la décision d’expulsion a été prise par des hautes autorités judiciaires indépendantes, sans qu’il puisse être constaté qu’elles ont exercé concrètement les pouvoirs que la loi roumaine leur conférait, n’est pas de nature à pouvoir compenser les restrictions subies par les intéressés dans l’exercice de leurs droits procéduraux.

206. En conclusion, eu égard à la procédure dans son ensemble et tout en tenant compte de la marge d’appréciation dont disposent les États en la matière, la Cour estime que les restrictions subies par les requérants dans la jouissance des droits qu’ils tirent de l’article 1 du Protocole no 7 n’ont pas été compensées dans la procédure interne de manière à préserver la substance même de ces droits.

c) Conclusion générale

207. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

208. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

209. Les requérants demandent chacun la somme de 104 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’ils estiment avoir subi. Ils indiquent que cette somme correspond à la perte de la possibilité effective pour eux de trouver un emploi, depuis leur éloignement de Roumanie, pendant plus de deux ans. Ils incluent également dans la somme sollicitée la perte de chances quant à la conduite à leur terme d’études de doctorat et à la poursuite d’une carrière universitaire. Ils réclament également 10 000 EUR chacun au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi.

210. Pour ce qui est de la somme demandée au titre du préjudice matériel, le Gouvernement indique qu’il n’y a pas de lien réel entre la décision d’éloignement des requérants du territoire et le préjudice allégué, et que les intéressés n’ont pas soumis les modalités de calcul du montant réclamé. Pour ce qui est du préjudice moral, il invite la Cour à considérer qu’un éventuel constat de violation représenterait une réparation suffisante, et, subsidiairement, à tenir compte de sa jurisprudence dans l’examen de la prétention des requérants.

211. La Cour rappelle que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que les requérants n’ont pas bénéficié de garanties procédurales suffisantes dans la procédure qui a abouti à leur éloignement du territoire. La Cour ne saurait spéculer sur ce qu’aurait été l’issue du procès dans le cas contraire. En tout état de cause, elle considère que le dommage matériel allégué n’est pas établi par les pièces du dossier. Dès lors, il convient de rejeter la prétention afférente au préjudice matériel.

212. La Cour estime toutefois que les intéressés ont subi un préjudice moral certain qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation. Compte tenu de la nature de la violation constatée, la Cour, statuant en équité, alloue à chacun des requérants 10 000 EUR pour préjudice moral.

B. Frais et dépens

213. Les requérants, qui ont formulé leur demande alors que l’affaire était pendante devant la Chambre, demandent 3 000 EUR au titre des frais et dépens, pour les honoraires d’avocat devant les instances nationales et devant la Cour. Le Gouvernement soutient que la somme sollicitée au titre de frais et dépens devant la Chambre n’est pas justifiée par des documents suffisants et lisibles.

214. Les requérants ont formulé une demande d’assistance judiciaire devant la Grande Chambre et ont demandé le remboursement des frais encourus par leurs avocates pour les assister devant la Grande Chambre et pour participer à l’audience devant la Cour, en fournissant des justificatifs. Lors de l’audience devant la Grande Chambre, ils ont demandé le remboursement intégral de leurs frais encourus pour la participation de leurs avocates à l’audience.

215. La Cour note que seule la demande des requérants concernant le remboursement des frais liés à la présence de leurs avocates à l’audience est étayée par des documents pertinents et lisibles. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour en la matière (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI) et de ce que les requérants n’ont bénéficié que d’un remboursement partiel des frais de déplacement à l’audience dans le cadre de l’assistance judiciaire, la Cour octroie conjointement aux requérants 1 365 EUR à ce titre.

C. Intérêtsmoratoires

216. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention ;

3. Dit, par quatorze voix contre trois :

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 365 EUR (mille trois cent soixante-cinq euros), conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 octobre 2020.

Johan Callewaert RobertSpano
Adjoint au Greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante commune aux juges Nußberger, Lemmens et Koskelo ;

– opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque, à laquelle se rallie la juge Elósegui ;

– opinion concordante du juge Serghides ;

– opinion concordante de la juge Elósegui ;

– opinion dissidente commune aux juges Yudkivska, Motoc et Paczolay.

R.S.O.
J.C.

Opinion concordante commune aux juges NUSSBERGER, LEMMENS ET KOSKELO

(Traduction)

1. Nous souscrivons à la conclusion de la majorité selon laquelle il y a eu en l’espèce violation de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention.

Toutefois, l’approche suivie par la majorité nous pose des problèmes méthodologiques à deux égards. En premier lieu, on ne saurait ignorer la disposition spécifique relative aux expulsions « basée[s] sur des motifs de sécurité nationale » que renferme l’article 1 § 2 du Protocole no 7, car le texte même de la Convention doit toujours constituer le point de départ de toute interprétation. En second lieu, l’article en question se distingue de l’article 6 en ce que l’examen des garanties procédurales spécifiques qu’il instaure ne peut être remplacé par une appréciation de « l’équité globale ». Pareille approche méconnaît la spécificité des garanties mises en place par l’article 1 du Protocole no 7.

A. La structure de l’article 1 du Protocole no 7

2. L’article 1 du Protocole no 7 est ainsi libellé :

« 1. Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :

a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion,

b) faire examiner son cas, et

c) se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité.

2. Un étranger peut être expulsé avant l’exercice des droits énumérés au paragraphe 1. a), b) et c) de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale. »

L’article 1 possède donc une structure similaire à celle de nombreuses autres dispositions matérielles de la Convention : son premier paragraphe énonce les garanties protégées, tandis que son second paragraphe fixe les conditions auxquelles sont soumises les restrictions pouvant y être apportées.

3. L’article 1 § 1 vise à offrir des « garanties minimales » aux étrangers (voir le rapport explicatif du Protocole no 7, § 7). Les rédacteurs du Protocole no 7, qui étaient au fait de la jurisprudence excluant l’applicabilité de l’article 6 de la Convention aux affaires d’expulsion, ont expressément indiqué que l’article 1 du Protocole no 7 « n’affect[ait] pas cette interprétation de l’article 6 » (ibidem, § 16). Bien que les garanties consacrées par l’article 1 du Protocole no 7 puissent correspondre à certaines des garanties offertes par l’article 6 de la Convention, il n’entrait certainement pas dans l’intention des rédacteurs de ce Protocole d’accorder aux étrangers l’ensemble des garanties découlant de la notion de « procès équitable ».

Les garanties énoncées au paragraphe 1 sont de deux ordres.

Premièrement, toute décision d’expulsion doit être prise « conformément à la loi » (paragraphe 118 de l’arrêt). Cette garantie ne paraissant pas pertinente en l’espèce, nous n’y reviendrons pas.

Deuxièmement, un étranger menacé d’expulsion bénéficie de trois garanties : il doit pouvoir a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, b) faire examiner son cas, et c) se faire représenter devant l’autorité compétente (paragraphe 119 de l’arrêt). À la différence du libellé de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ces trois garanties ont été « clairement distinguées » dans trois alinéas différents dans le Protocole no 7 (rapport explicatif, § 12). La majorité les qualifie de garanties « spécifiques » de procédure (paragraphe 119 de l’arrêt), ce à quoi nous souscrivons entièrement.

4. Le second paragraphe « autorise des exceptions » en prévoyant les cas où l’expulsion peut intervenir « avant l’exercice de[s] (…) droits [prévus aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 1] » (rapport explicatif, § 15).

Un étranger peut être expulsé sans avoir eu au préalable la possibilité d’exercer les droits en question dans deux situations. La première concerne les cas où l’expulsion est « nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ». En pareils cas, l’exécution d’une décision d’expulsion est considérée comme une mesure « exceptionnelle », dont l’État doit pouvoir prouver le caractère nécessaire au regard des circonstances de l’espèce (ibidem). La seconde concerne les expulsions « basée[s] sur des motifs de sécurité nationale ». Nous reviendrons ci-dessous sur cette deuxième exception (au paragraphe 10 de la présente opinion).

L’article 1 du Protocole no 7ne prévoit aucune autre exception. Compte tenu de la structure de l’article 1, nous considérons qu’à l’instar de celles que prévoient d’autres articles de la Convention, les exceptions énumérées au paragraphe 2 sont « d’interprétation restrictive » (Perinçek c. Suisse [GC], no 27510/08, § 122, CEDH 2015 (extraits)). Il s’ensuit non seulement qu’elles appellent une interprétation étroite, mais aussi que les garanties consacrées par le premier paragraphe n’admettent aucune autre limitation implicite. En effet, des limitations implicites ne peuvent être autorisées qu’en l’absence d’énumération exhaustive des exceptions expressément admises (Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce [GC], no 42202/07, § 64, CEDH 2012).

B. Les droits ou garanties en jeu

5. La majorité considère que les requérants revendiquent deux droits, à savoir « le droit d’être informés des raisons de leur expulsion » et « celui d’avoir accès aux documents versés au dossier de l’affaire » (paragraphe 125 de l’arrêt). Elle considère que ces deux droits doivent être examinés sous l’angle de l’article 1 § 1 a) du Protocole no 7, qui confère aux étrangers le droit « de faire valoir les raisons qui militent contre [leur] expulsion ».

Nous souscrivons à cette analyse.

6. Toutefois, nous estimons que d’autres droits sont également en jeu dans la présente affaire.

En effet, les requérants se plaignent de « l’étendue du contrôle effectué par les juridictions nationales quant au bien-fondé de la mesure ordonnée contre eux » (paragraphe 100 de l’arrêt). Ils soutiennent que « la procédure a été purement formelle » (ibidem). Nous considérons que ce grief doit être examiné sous l’angle de l’article 1 § 1 b) du Protocole no 7, qui garantit aux étrangers le droit de « faire examiner [leur] cas » et implique, pour les autorités compétentes (en l’occurrence, la cour d’appel et, sur pourvoi, la Haute Cour de Cassation et de Justice), l’obligation d’examiner les « raisons militant contre l’expulsion que l’intéressé aura fait valoir » (rapport explicatif, § 13.2). Le soin apporté à cet examen est évidemment un élément à prendre en compte aux fins de l’appréciation du respect du droit en question.

Les requérants soutiennent par ailleurs qu’ils se sont trouvés dans l’impossibilité pratique de s’assurer l’assistance d’un avocat « compte tenu de la vitesse à laquelle s’est déroulée la procédure et de la distance qu’ils ont dû parcourir pour assister à l’audience de la cour d’appel » (paragraphe 98 de l’arrêt). À cet égard, ils se plaignent en particulier des difficultés qui, selon eux, les ont empêchés de se faire représenter par un avocat titulaire d’un certificat ORNISS (paragraphe 99 de l’arrêt). Nous estimons que ces griefs doivent être examinés sur le terrain de l’article 1 § 1 c) du Protocole no 7, qui garantit le droit de « se faire représenter (…) devant l’autorité compétente (…) ».

Nous regrettons que la majorité ne réponde pas explicitement à ces griefs. Elle semble considérer que le respect des droits garantis par l’article 1 § 1 b) et c) est un simple facteur compensateur susceptible de contrebalancer les limitations apportées au droit consacré par l’article 1 § 1 a) (paragraphes 154 et 156-57 de l’arrêt). Nous pensons que cela ne rend pas justice à l’autonomie des droits protégés par les alinéas b) et c). En outre, ce genre de raisonnement a tendance à aboutir à une approche globale centrée sur la qualité du processus décisionnel. De fait, la majorité estime devoir examiner la procédure d’expulsion « dans son ensemble » (paragraphes 150, 157, 161 et 206 de l’arrêt). À nos yeux, cette approche méconnaît le caractère spécifique des droits garantis par l’article 1 § 1.

7. En bref, nous estimons que les requérants allèguent que chacun de leurs droits garantis par l’article 1 § 1 a), b) et c) du Protocole no 7 a été violé.

Nous considérons que chacun de ces griefs doit être examiné séparément, puisque les droits en cause se rattachent à des garanties « spécifiques » et distinctes les unes des autres (paragraphe 3 ci-dessus). Nous ne pensons pas que l’article 1 § 1 habilite la Cour à conclure, à la lumière d’un examen de la procédure dans son ensemble, que certaines ou l’intégralité des dispositions de cet article ont été méconnues. C’est pourtant ce qu’a fait la majorité (voir la conclusion à laquelle elle est parvenue au paragraphe 206 de l’arrêt).

C. Les restrictions apportées aux droits des requérants

8. Les droits dont la violation est alléguée ayant été identifiés, il nous faut maintenant rechercher si les restrictions qui leur ont été apportées étaient en l’espèce justifiées.

L’approche adoptée par la majorité consiste à examiner s’il existait des motifs dûment justifiés, « tels que » la nécessité de protéger la sécurité nationale (paragraphe 139 de l’arrêt), d’imposer les restrictions litigieuses, et si celles-ci étaient suffisamment contrebalancées, notamment par des garanties procédurales (paragraphes 133 et 137 de l’arrêt). Cette approche semble s’inspirer largement de celle suivie dans les affaires mettant en cause des restrictions aux droits garantis par l’article 6 de la Convention (comparer le paragraphe 133 du présent arrêt avec l’arrêt Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 148, 19 septembre 2017, auquel il renvoie).

Avec tout le respect que nous devons à nos collègues de la majorité, nous estimons que la transposition des principes élaborés dans le contexte de l’article 6 de la Convention à l’examen d’une affaire relevant de l’article 1 du Protocole no 7 n’est pas justifiée. D’une part, comme indiqué au paragraphe 4 ci-dessus, l’article 1 du Protocole no 7, contrairement à l’article 6 de la Convention, n’admet pas de limitations implicites des droits procéduraux mais fixe lui-même les conditions auxquelles sont soumises les restrictions pouvant être apportées aux droits qu’il garantit. D’autre part, l’article 1 du Protocole no 7 ne garantit pas de manière générale l’équité du procès, ou l’équité de la procédure dans son ensemble, mais seulement le respect de certains droits procéduraux spécifiques (paragraphe 3 ci-dessus).

Dans ces conditions, nous nous voyons contraints de nous écarter de l’approche adoptée par la majorité pour apprécier si les limitations apportées aux droits procéduraux des requérants étaient ou non compatibles avec l’article 1 du Protocole no 7 (paragraphes 130-206 de l’arrêt).

9. À notre avis, les restrictions apportées au droit des requérants ne peuvent se justifier que si elles figurent au nombre des exceptions prévues par l’article 1 § 2 du Protocole no 7, disposition dont la majorité ne fait aucun cas.

Dans l’arrêtLjatifi c. l’« ex-République yougoslave de Macédoine » (no 19017/16§ 41, 17 mai 2018), il est indiqué que l’article 1 § 2 « concerne les situations dans lesquelles un étranger a déjà été expulsé ». La Haute Cour de Cassation et de Justice a adopté la même position dans l’affaire des requérants (paragraphe 44 de l’arrêt). Toutefois, nous ne faisons pas la même lecture de cette disposition. L’article 1 § 2 autorise l’expulsion d’un étranger « avant l’exercice des droits énumérés au paragraphe 1 a), b) et c) », mais cela ne signifie pas que ces garanties n’entrent en jeu que de manière rétroactive, lorsque l’expulsion est déjà intervenue. Les droits des étrangers peuvent être limités même au cours de la procédure d’expulsion, comme dans le cas des requérants, et il est tout à fait logique que ces limitations soient soumises aux mêmes conditions que celles qui « s’appliquent » dans le cas où l’étranger a déjà été expulsé. D’ailleurs, c’est précisément lorsque la procédure d’expulsion est pendante que la question des conditions auxquelles sont soumises les restrictions éventuellement apportées aux droits procéduraux des étrangers est pertinente ; dès lors qu’un étranger a été expulsé, il sera moins enclin à prendre la peine de se prévaloir de ses droits découlant de l’article 1 du Protocole no 7, car il devrait pour cela engager une action depuis l’étranger en vue de contester son expulsion.

10. En l’espèce, les limitations apportées aux droits procéduraux des requérants garantis par l’article 1 § 1 a), b) et c) étaient basées sur des motifs de « sécurité nationale ».

Pour que la Cour puisse apprécier si ces limitations étaient justifiées au regard de l’exception de « sécurité nationale » prévue par l’article 1 § 2, il lui faut en premier lieu rechercher si l’expulsion des requérants était fondée sur de « véritables motifs » de sécurité nationale (comparer avec C.G. et autres c. Bulgarie, no 1365/07, § 77, 24 avril 2008). Lorsque le gouvernement défendeur « ne produit aucun élément ou preuve propre à corroborer sa thèse selon laquelle les intérêts de la sécurité nationale (…) étaient en jeu », il ne peut se prévaloir de l’exception prévue à l’article 1 § 2 (Nolan et K. c. Russie, no 2512/04, § 115, 12 février 2009).

Comme l’a relevé la majorité, « [l]es raisons concrètes tirées de la protection de la sécurité nationale qui, de l’avis des autorités, s’opposaient à la divulgation des preuves et des informations classées secrètes à l’égard des requérants n’ont aucunement été explicitées par les juridictions nationales » (paragraphe 163 de l’arrêt). Certes, le communiqué de presse du Service roumain du renseignement (SRI) contient un certain nombre d’informations (paragraphe 30 de l’arrêt), mais trop imprécises selon nous pour démontrer l’existence de « véritables » motifs de sécurité nationale pouvant être invoqués à l’encontre des requérants. Nous relevons que le gouvernement défendeur n’a fourni à la Cour aucune autre information sur ce point.

Ce défaut de motivation nous suffit pour conclure que l’exception prévue à l’article 1 § 2 n’est pas applicable en l’espèce. Il n’y a donc pas lieu de rechercher en outre si l’existence éventuelle de véritables motifs de sécurité nationale aurait suffi pour justifier les restrictions imposées aux droits procéduraux des requérants (voir ce qu’en dit le paragraphe 15 du rapport explicatif du Protocole no 7), ou si le gouvernement défendeur aurait alors dû démontrer que les restrictions en question étaient proportionnées au but poursuivi (voir C.G. et autres,précité, § 77; voir aussi le rapport explicatif du Protocole no 7, § 15).

D. Conclusion

11. En bref, nous estimons que les requérants ont subi des restrictions de leurs droits procéduraux garantis par l’article 1 § 1 a), b) et c) du Protocole no 7, et que celles-ci n’étaient pas justifiées au regard de l’article 1 § 2.

En conséquence, nous concluons, comme la majorité mais pour d’autres raisons, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 7.

 

Opinion concordante du juge PINTO DE ALBUQUERQUE, à laquelle se rallie lajuge ELÓSEGUI

(Traduction)

Introduction

1. Je souscris au constat de violation auquel la Grande Chambre est parvenue dans la présente affaire, mais j’estime que le raisonnement tenu en l’espèce est incorrect sur deux points cruciaux. La Grande Chambre omet non seulement de définir ce qui constitue la substance du droit garanti par l’article 1 du Protocole no 7, mais encore confond l’examen de cette substance avec le contrôle de proportionnalité. La présente opinion vise d’abord à justifier ces deux assertions, puis à exposer les raisons pour lesquelles je considère qu’il y a eu violation de cette disposition.

La protection de la substance des droits par le droit national et international

2. La garantie de la protection de la substance des droits et libertés n’est pas une nouveauté pour les ordres juridiques internes. La notion de substance des droits et libertés constitutionnels figure dans certaines Constitutions ou lois constitutionnelles telles que celles de l’Allemagne (article 19-2 de la Loi fondamentale de 1949), du Portugal (article 18-3 de la Constitution de 1976), de l’Espagne (article 53-1 de la Constitution de 1978), de la Turquie (article 13 de la Constitution de 1982), de la Roumanie (article 53-2 de la Constitution de 1991), de la République tchèque (article 4-4 de la Charte des droits et libertés fondamentaux tchèque de 1991, combiné avec l’article 3 de la Constitution de 1992), de l’Estonie (article 11 de la Constitution de 1992), de la Slovaquie (article 13-4 de la Constitution de 1992), de la Géorgie (article 21-2 de la Constitution de 1995), de la Pologne (article 31-3 de la Constitution de 1997), de la Suisse (article 36-4 de la Constitution de 1999), de la Serbie (article 18-2 de la Constitution de 2006) et de la Hongrie (article I-3 de la Constitution de 2011), ainsi que dans la jurisprudence constitutionnelle italienne[1] et russe[2].

3. Les dispositions susmentionnées exigent que les éventuelles limitations à l’exercice des droits et libertés constitutionnels respectent leur substance. Dans les situations d’état d’urgence, spécialement, le niveau de protection des droits et libertés constitutionnels ne doit pas tomber en dessous d’un seuil minimal, c’est-à-dire que les dérogations apportées aux droits et libertés en question au nom de la sauvegarde de l’ordre public ou de la sûreté nationale ne peuvent porter atteinte à leur substance.

4. La même notion figure dans le droit de l’Union européenne. L’article 52 § 1 de la Charte des droits fondamentaux admet que l’exercice des droits puisse subir des limitations à condition qu’elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits, et il précise que, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui[3]. Il ressort de l’arrêt Schrems[4] qu’une mesure portant atteinte au contenu essentiel d’un droit fondamental est en soi inacceptable, sans qu’il soit nécessaire de mesurer par ailleurs le poids respectif des droits et intérêts concurrents. En d’autres termes, une mesure touchant à la substance d’un droit fondamental est automatiquement disproportionnée. Mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Comme l’ont démontré les arrêts Digital Rights Ireland[5] et Tele2 Sverige[6], une mesure respectant la substance d’un droit fondamental n’est pas ipso facto conforme au principe de proportionnalité.

5. La notion de substance des droits est aussi abondamment utilisée dans le cadre de la Charte sociale européenne, où elle se distingue du principe de proportionnalité[7].

6. La question du contenu de la notion de substance des droits et libertés fait depuis longtemps l’objet de discussions dans le monde judiciaire et universitaire[8]. Selon l’opinion prédominante, cette notion postule que les droits et libertés constitutionnels possèdent tous un noyau dur et des aspects accessoires. En exigeant le respect de la substance des droits et libertés quelles que soient les circonstances du moment, le législateur constitutionnel entend garantir l’intangibilité de ce noyau dur et impose aux éventuelles ingérences de l’état une limite intangible, ne souffrant aucune exception. Il s’ensuit, comme l’a observé Koen Lenaerts, que « [p]our que la notion de contenu essentiel soit opérante du point de vue constitutionnel, les juridictions de l’UE et les tribunaux internes doivent « contrôler le respect de la substance » avant de se pencher sur la question de la proportionnalité[9] ».

La protection de la substance des droits dans la jurisprudence de la Cour

7. C’est dans l’ « Affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique[10] » que la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») a pour la première fois fait état de la notion de « substance du droit » en tant que limite au pouvoir de l’état de réglementer le droit à l’instruction. Cette approche novatrice a par la suite été étendue à de nombreux autres articles de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») et de ses Protocoles, notamment les articles 5[11], 6[12], 8[13], 9[14], 10[15], 11[16], 12[17] et 34[18] de la Convention ainsi que les articles 1[19], 2[20] et 3[21] du Protocole no 1 et l’article 2 du Protocole no 7[22].

8. Le caractère problématique de cette notion juridique est aggravé par la terminologie flottante et imprécise employée par la Cour, qui utilise de façon interchangeable les expressions « substance[23] », « substance même[24] », « essence[25] », « essence même[26] », « cœur[27] », « cœur même[28] », « core[29] » ou « noyau dur[30] », comme si ces termes avaient la même signification. En outre, on peut déceler deux approches méthodologiques dans la pratique de la Cour, à savoir une approche utilitariste et une approche essentialiste.

L’approche utilitariste de la Cour

9. La grande majorité des arrêts et décisions de la Cour ne mentionnent pas la substance du droit sur lequel ils portent, la Cour se livrant plutôt à un exercice de mise en balance des droits et intérêts en cause pour régler le différend dont elle est saisie. Lorsqu’elle mentionne cette notion, la Cour procède souvent à une appréciation de la proportionnalité de la mesure nationale contestée, estime que celle-ci est proportionnée et en conclut de manière axiomatique que le droit en cause n’a pas non plus été atteint dans sa substance[31]. Il arrive parfois à la Cour d’inverser les termes de son contrôle en s’interrogeant d’abord sur l’existence d’une atteinte à la substance du droit, et en appréciant ensuite la proportionnalité de la mesure interne litigieuse. Dans l’arrêt novateur qu’elle a rendu dans l’affaire Young, James et Webster c. Royaume-Uni, l’ancienne Cour s’est exprimée ainsi : « [t]ouche donc à la substance même de cet article (art. 11) l’exercice de pressions, du genre de celles infligées aux intéressés, visant à forcer quelqu’un à adhérer à une association contrairement à ses convictions[32] ». Bien que le gouvernement défendeur eût expressément déclaré que si la Cour constatait une atteinte à un droit garanti par le paragraphe 1 de l’article 11, il ne chercherait pas à plaider que celle-ci se justifiait au regard du paragraphe 2, la Cour a résolu d’examiner la question d’office et elle a conclu que le tort infligé à MM. Young, James et Webster se révélait supérieur à ce qu’exigeait la réalisation d’un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, et qu’il ne pouvait être considéré comme proportionné aux buts poursuivis. La nouvelle Cour a procédé exactement de la même manière dans l’affaire Matos e Silva Lda., et autres c. Portugal, estimant que les actes litigieux touchaient non seulement à « la substance même de la propriété en ce que trois d’entre eux reconnaiss[ai]ent par avance la légalité d’une expropriation[33] », mais aussi qu’ils avaient rompu le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit au respect des biens et les exigences de l’intérêt général. De même, dans la récente affaire Centre pour la démocratie et l’état de droit c. Ukraine, la Cour a déclaré qu’ « en refusant de communiquer à l’organisation requérante les informations sur la formation et le parcours professionnel que les principaux candidats avaient fait figurer dans les CV déposés auprès de la CEC dans le cadre de leur candidature au Parlement, les autorités internes l’[avaient] empêchée exercer sa liberté de recevoir et de communiquer des informations et [avaient] ainsi porté atteinte à la substance même de ses droits garantis par l’article 10[34] », mais elle a ensuite examiné la légalité de la mesure litigieuse, la légitimité du but poursuivi par celle-ci et sa proportionnalité. La Cour a en définitive conclu à la violation de la Convention, au motif que le refus opposé par les autorités n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

10. Toutefois, l’atteinte portée à la substance d’un droit n’implique pas nécessairement un constat de violation. Dans l’affaire Sporrong et Lönnroth c. Suède, la Cour a jugé que les permis d’exproprier litigieux touchaient à « la substance même de la propriété en ce qu’ils reconnaissaient par avance la légalité d’une expropriation et autorisaient la ville de Stockholm à y procéder à tout moment qu’elle trouverait opportun[35] ». Sans se prononcer sur la substance du droit de propriété, la Cour a ensuite recherché si la limitation incriminée était justifiée en procédant à un exercice de mise en balance. Étonnamment, le fait que les permis en question touchaient à « la substance même de la propriété » n’a pas empêché la Cour de juger que la limitation en cause était légitime.

11. En résumé, la notion de substance des droits et libertés conventionnels ne fait pas efficacement barrage aux ingérences étatiques, dont la validité dépend en dernier ressort de la mise en balance des intérêts en jeu.

12. La Cour nuance son approche utilitariste lorsqu’il s’agit de circonscrire la marge d’appréciation de l’état. Si c’est un aspect non pas fondamental mais secondaire ou accessoire du droit qui est touché, la marge nationale d’appréciation sera plus large et l’ingérence, par sa nature, sera plus vraisemblablement proportionnée[36]. La Cour admet implicitement que l’ingérence peut toucher le noyau même d’un droit conventionnel, bien que celle-ci ait alors moins de chances d’être jugée proportionnée. Vue sous cet angle, la notion de substance d’un droit semble apporter à la marge d’appréciation de l’état une limitation bien ténue.

Critique de l’approche utilitariste de la Cour

13. L’approche utilitariste de la Cour encourt une critique fondamentale, que je résumerai en trois points essentiels pour les besoins de la présente opinion. Premièrement, comme l’ont rappelé les juges Raimondi, Sicilianos, Spano, Ravarani et PastorVilanova dans l’affaire Regner c. République tchèque[37], il n’est guère raisonnable de conclure, dans telle ou telle affaire, que la substance d’un droit n’a pas été touchée sans définir dans le même temps en quoi celle-ci consiste. Cette critique vaut pour la présente affaire.

14. Deuxièmement, la majorité reconnaît en l’espèce que la communication à l’étranger des « éléments factuels pertinents qui ont conduit les autorités internes à considérer que l’intéressé met en danger la sécurité nationale » est « essentielle pour assurer un exercice effectif par l’étranger en question du droit consacré à l’article 1 § 1 a) du Protocole no 7[38] ». Pourtant, la majorité est prête à sacrifier cette information « essentielle » lorsque doivent prévaloir des « intérêts concurrents », tels que la sécurité nationale[39]. Elle admet même, par principe, l’existence de situations dans lesquelles ces motifs « ne sont pas divulgués à l’intéressé[40] ». Je ne comprends pas comment l’accès de l’étranger à ces éléments factuels peut être qualifié d’« essentiel » à la sauvegarde du droit consacré par l’article 1 § 1 a) sans qu’il fasse pour autant partie de la substance du droit en question et que l’on puisse s’en dispenser au point de le rendre inopérant. Force est de constater que la position contradictoire adoptée par la majorité réduit la substance du droit consacré par l’article 1 § 1 a) à une garantie vide de sens.

15. En réalité, pour la majorité, il importe « tout d’abord de rechercher si l’autorité indépendante compétente a jugé que les limitations apportées aux droits procéduraux de l’étranger étaient dûment justifiées à la lumière des circonstances de l’espèce » et «[d’] examiner ensuite si les difficultés causées par ces limitations à l’étranger concerné ont été suffisamment contrebalancées par des facteurs compensateurs[41] ». La majorité recense les éléments compensateurs en question dans la partie de l’arrêt intitulée « [s]ur les éléments susceptibles de compenser suffisamment les restrictions apportées aux « droits procéduraux » des étrangers concernés[42] », mais sans aucun souci d’exhaustivité, car ces éléments sont « énumérés (…) de manière non-limitative[43] », et sans les présenter par ordre de prévalence ou d’importance dès lors qu’aucun d’entre eux, pris isolément, ni aucun de leurs aspects constitutifs ne peut passer pour obligatoire, la majorité indiquant clairement que « le respect de l’article 1 § 1 du Protocole no 7 ne requiert pas nécessairement la mise en place de manière cumulative de tous les éléments énumérés[44] ».

16. Troisièmement, et surtout, la majorité considère que l’examen de la substance du droit à un procès équitable et la recherche de facteurs compensateurs se recoupent. En effet, pour reprendre les termes de la majorité,

« En tout état de cause, la Cour recherchera également si des éléments compensateurs ont été appliqués dans le cas concret de l’intéressé et s’ils ont été suffisants pour contrebalancer les effets des restrictions apportées à ses droits procéduraux, de manière à préserver la substance même de ceux-ci[45]. »

De même,

« Concrètement, un examen trop sommaire au niveau national de la nécessité d’apporter des restrictions aux droits en question appellera la mise en place d’éléments compensateurs renforcés pour préserver, en fonction des circonstances de l’espèce, la substance même des droits garantis par l’article 1 § 1 du Protocole no 7[46] (…) ».

Et plus précisément,

« Dès lors, la Cour est appelée à exercer un contrôle strict des éléments mis en place dans la procédure concernant les requérants pour contrebalancer les effets de ces restrictions, dans le but de préserver la substance même de leurs droits garantis par l’article 1 § 1 du Protocole no 7[47] (…) ».

17. Cette argumentation est erronée du point de vue logique et historique. Elle est erronée du point de vue logique car la question de la proportionnalité (et l’exercice de mise en balance qu’elle implique) ne peut se poser que « de façon subsidiaire, au cas où la substance même du droit à un tribunal n’a pas été touchée[48] ». Il est illogique d’affirmer qu’une limitation touchant la « substance même » d’un droit puisse être compensée par des procédures judiciaires ultérieures[49]. Or c’est précisément ce que la majorité persiste à soutenir, à tort, dans le présent arrêt.

18. Comme indiqué ci-dessus, la notion de substance des droits et libertés est historiquement une création du droit constitutionnel et du droit international destinée à fixer une limite intangible et ne souffrant aucune exception aux ingérences de l’état. Or le raisonnement de la majorité transforme cette notion en un instrument rhétorique donnant carte blanche aux ingérences de l’état. Par exemple, la majorité admet que « le fait que les autorités nationales n’aient pas examiné ou qu’elles aient insuffisamment examiné et justifié la nécessité de restrictions aux droits procéduraux des étrangers mis en cause ne suffit pas, à lui seul, à emporter violation de l’article 1 § 1 du Protocole no 7[50] ». à vrai dire, elle est également prête à s’accommoder d’« un examen trop sommaire au niveau national de la nécessité d’apporter des restrictions aux droits en question[51] », et même de situations où « l’étranger concerné n’est pas représenté et lorsqu’un défaut d’information à ce sujet risque d’avoir pour conséquence que l’intéressé omette d’exercer des droits prévus en sa faveur par le droit interne[52] » pourvu qu’il soit possible de déceler un facteur compensateur, quel qu’il soit.

19. En bref, l’interprétation casuistique de la Convention à laquelle se livre la majorité transforme la notion de substance des droits en un produit malléable de son environnement[53]. Cela ressort de manière flagrante du lien créé par la majorité entre cette notion et les circonstances de la cause (« en fonction des circonstances de l’espèce[54] »). Il est encore plus inquiétant de constater que la majorité propose aux autorités nationales un menu à la carte de facteurs compensateurs, dans lequel celles-ci peuvent choisir ce que bon leur semble pour telle ou telle affaire[55]. Cette doctrine judiciaire casuistique ne donne pas d’orientation claire aux autorités nationales et n’offre pas de protection efficace contre l’arbitraire[56].

20. La majorité finit par révéler son but inavoué, qui consiste à introduire le critère de l’équité globale dans le domaine de l’article 1 du Protocole no 7, ce à quoi elle parvient par trois mentions discrètes (« en prenant en compte l’ensemble de la procédure en cause[57] », « [l]orsque la procédure d’expulsion est examinée dans son ensemble[58] » et « à la lumière de la procédure dans son ensemble[59] ») et un renvoi mutatis mutandis déterminant au regrettable paragraphe 274 de l’arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], qui énonce de manière explicite le critère de l’équité globale[60]. En déclarant que la Cour doit rechercher « à la lumière de la procédure dans son ensemble[61] » si « la substance même des droits garantis par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 » a été préservée, la majorité entérine la dissolution complète de cette garantie. Dans ces conditions, l’amalgame pratiqué par la majorité au paragraphe 206 du présent arrêt entre le critère de l’équité globale, la marge d’appréciation, l’examen des facteurs compensateurs et la substance du droit à un procès équitable n’est guère surprenant :

« (…) eu égard à la procédure dans son ensemble et tout en tenant compte de la marge d’appréciation dont disposent les États en la matière, la Cour estime que les restrictions subies par les requérants dans la jouissance des droits qu’ils tirent de l’article 1 du Protocole no 7 n’ont pas été compensées dans la procédure interne de manière à préserver la substance même de ces droits ».

21. Pour le dire autrement, dès lors que la préservation de la substance des droits garantis par la Convention dépend de l’existence de facteurs compensateurs et que les états doivent se voir accorder une « certaine marge d’appréciation » dans le choix desdits facteurs[62], la « substance même » des droits disparaît en tant que notion conventionnelle autonome à même de limiter efficacement les ingérences de l’État. En définitive, la substance des droits et libertés protégés par la Convention ne constitue pour la majorité qu’un simple élément de langage inapte à limiter l’exercice, par les états, de leur marge d’appréciation. Si le procédé consistant à orner une déclaration relative au contenu d’un droit conventionnel des atours de son essence/substance/noyau peut répondre à un besoin éthique des juges, il ne saurait dissimuler les négociations à coloration idéologique qui transparaissent dans certains arrêts rendus à Strasbourg[63].

22. Pire encore, l’influence omniprésente de la doctrine de « l’équité globale », conçue pour exonérer les autorités nationales et la Cour elle-même de l’obligation de respecter strictement les garanties consacrées par l’article 6 dans le cadre des procédures pénales, s’est désormais subrepticement étendue au domaine des procédures d’expulsion. Bien qu’elle ait d’emblée déclaré que l’article 6 ne s’applique pas aux procédures d’expulsion[64], la majorité se contredit en invoquant une doctrine précisément élaborée sur le terrain de cette disposition. Le message de la majorité est clair : les autorités nationales doivent se voir accorder dans les procédures d’expulsion un pouvoir d’appréciation illimité identique à celui que leur a octroyé l’arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni (précité) dans le domaine des procédures pénales. À une époque où les états multiplient leursrevendications liées à la sécurité nationale, le message de la majorité offre aux gouvernements qui font étalage de leur zèle le pouvoir de court-circuiter les règles et d’agir comme bon leur semble avec les terroristes présumés et leurs homologues, réduisant ainsi l’indispensable « contrôle européen[65] » au rang de simple exercice de ratification des choix nationaux. Une confiance aussi aveugle dans les décisions des autorités internes constitue une renonciation claire au devoir de contrôle incombant à la Cour. Un certain nombre de gouvernements en Europe se réjouiront de ce chèque en blanc qui leur est donné pour préserver leurs intérêts politiques dans les procédures d’expulsion.

23. J’ai déjà exprimé mon avis sur la doctrine de l’« équité globale » et sur les conséquences délétères qu’elle produit – et continuera de produire – sur la jurisprudence de la Cour[66], ainsi que sur la méthode d’interprétation casuistique qui lui est inhérente[67]. Il n’est pas nécessaire d’y revenir dans la présente opinion. À ce stade, je ne peux que regretter que se trouve désormais confirmé le pressentiment que j’avais exprimé dans l’affaire Murtazaliyeva c.Russie, selon lequel cette doctrine néfaste risquait de se propager à d’autres domaines de la jurisprudence de Strasbourg. Ainsi, sous couvert d’une apparente légalité, cette doctrine dépouille peu à peu les droits conventionnels de leur substance, et la Cour de sa crédibilité.

24. Enfin, je n’engagerai pas ici une discussion philosophique plus profonde sur les fondements de l’approche utilitariste de la Cour, qui se trouve parfaitement exprimée dans la conclusion selon laquelle toutes les limitations apportées aux droits conventionnels peuvent être « contrebalancées par des facteurs compensateurs[68] ». Je souligne simplement que l’emploi du verbe « contrebalancer » en dit long sur le fondement idéologique de l’approche utilitariste employée dans le présent arrêt. En ce qui me concerne, j’abhorre la Weltanschauung inhérente à cette approche, d’où il découle que toute anomalie juridique peut être rachetée, ou, en résumé, que tout est négociable.

L’approche essentialiste de la Cour

25. La question de savoir s’il a été porté atteinte à la substance d’un droit conventionnel doit constituer la première étape de la méthodologie suivie par la Cour pour trancher les affaires dont elle est saisie, avant l’examen de la légitimité du but poursuivi par l’ingérence reprochée à l’État et de la proportionnalité de celle-ci[69]. La raison en est qu’aucun but légitime ne peut justifier qu’il soit porté atteinte à la substance d’un droit protégé par la Convention, que ce soit en temps ordinaire ou dans une période troublée telle qu’un état d’urgence. Ni la clause de dérogation prévue à l’article 15 de la Convention ni les clauses de limitation telles que celles stipulées aux articles 8 à 11 ne peuvent justifier une atteinte à la substance de l’un quelconque des droits et libertés conventionnels[70]. En outre, il ressort clairement de l’article 17 de la Convention[71] qu’il existe une limite absolue aux ingérences de l’État dans les droits et libertés conventionnels, puisque cette disposition énonce que les états contractants ne peuvent se livrer à une activité ou accomplir un acte visant à la destruction desdits droits ou libertés ou à des limitations plus amples que celles prévues à la Convention[72]. La logique qui sous-tend l’article 17 est que chacun des droits et libertés reconnus par la Convention comporte des éléments fondamentaux garantissant à leurs titulaires une sphère de protection qui doit rester à jamais hors d’atteinte des ingérences de l’État. Par conséquent, le principe selon lequel les états ne disposent d’aucune marge d’appréciation s’agissant de la préservation de la substance de chacun des droits conventionnels n’est guère contesté[73]. Ce principe ne résulte pas d’une interprétation extensive qui imposerait de nouvelles obligations aux états contractants, mais des termes mêmes de la Convention lue dans son contexte et à la lumière de son objet et de son but en tant que « traité normatif[74] », et des principes généraux du droit constitutionnel et du droit international.

26. Il convient donc d’opérer une nette distinction entre l’examen de la substance d’un droit et le contrôle de proportionnalité. Il est vrai que l’un et l’autre peuvent se recouper en ce qu’une mesure portant atteinte à la substance d’un droit fondamental emporte ipso facto violation du principe de proportionnalité. Il est également exact qu’une mesure conforme au principe de proportionnalité respecte également la substance du droit fondamental en cause. Cela dit, une mesure peut respecter la substance d’un droit fondamental tout en étant contraire au principe de proportionnalité.

27. Cette distinction a deux conséquences cruciales pour le droit à un procès équitable et les droits de la défense. En premier lieu, une atteinte portée à la substance du droit à un procès équitable doit être qualifiée de « déni de justice flagrant ». En second lieu, il est possible – et cela a déjà été fait – de déduire de la substance du droit à un procès équitable de nouveaux droits tels que le droit d’accès à un tribunal[75], le droit de garder le silence[76] et le droit à une procédure contradictoire[77].

28. S’agissant des limitations apportées au droit d’accès à un tribunal, la Cour a jugé, à juste titre, que :

« « Bien entendu, le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu; il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il « appelle de par sa nature même une réglementation par l’État (…) ». En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation (…).

Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (…) En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 par. 1 (…) que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé[78]. »

Il s’agit là de la première formulation, par la Cour, de l’approche méthodologique essentialiste. Selon cette approche juridique méritoire, l’examen de la légitimité du but poursuivi et le contrôle de proportionnalité constituent deux garanties venant s’ajouter (« en outre ») à la garantie de la substance du droit au procès équitable. Dans cette ligne jurisprudentielle louable, à laquelle je souscris entièrement[79], ces deux garanties supplémentaires ne se recoupent pas. Elles sont distinctes l’une de l’autre, du point de vue logique et axiologique. En outre, un déni de justice flagrant – autrement dit, une violation de la substance du droit à un procès équitable – va au-delà de simples irrégularités de la procédure précédant le procès ou du procès lui-même, il suppose une violation si grave qu’elle entraîne l’annulation (ou l’anéantissement[80]) du droit garanti par l’article 6. Il s’agit d’erreurs ou d’omissions structurelles auxquelles il ne peut être remédié, car elles franchissent les lignes rouges sur lesquelles j’ai attiré l’attention de la Cour, avec d’autres juges dissidents, dans une opinion séparée jointe à l’arrêt Dvorski c. Croatie[81]. Dès lors qu’une telle erreur ou omission structurelle a été constatée, celle-ci ne peut être mise en balance avec d’autres intérêts, quelle que soit leur importance politique ou sociale, tels que la lutte contre le terrorisme[82].

29. Un déni de justice flagrant ne peut faire l’objet d’aucun compromis. Par exemple, dans l’affaire Baka c. Hongrie, l’interruption prématurée des fonctions de président de la Kúria hongroise exercées par le requérant était insusceptible de recours juridictionnel, même devant la Cour constitutionnelle, car elle découlait d’une disposition de nature constitutionnelle. La Cour y a vu un motif suffisant pour conclure que « l’État défendeur a[vait] porté atteinte à la substance même du droit pour le requérant d’accéder à un tribunal[83] », sans examen subséquent du but et de la proportionnalité de la mesure litigieuse[84]. On retrouve cette méthodologie dans certaines affaires portant sur d’autres droits garantis par la Convention et ses Protocoles, tels que celui de participer aux élections[85].

L’application de l’approche essentialiste au cas d’espèce

30. Il ressort du rapport explicatif du Protocole no 7 que l’article 1 de cet instrument donne « des garanties minimales » aux étrangers. Il est donc tout à fait logique qu’il puisse être nécessaire de reconnaître des droits implicites pour garantir une protection effective aux droits consacrés par l’article 1 du Protocole no 7.

La majorité avance qu’il n’existe pas de consensus européen quant aux types de facteurs susceptibles de compenser les limitations des droits procéduraux des étrangers ou quant à leur portée[86]. Elle déduit de cette absence de consensus que les états contractants doivent se voir reconnaître « une certaine marge d’appréciation dans le choix des facteurs à mettre en place pour compenser la restriction des droits procéduraux[87] ».

31. Ce type de raisonnement a pour défaut manifeste de ne pas tenir compte du sens initial de la notion de substance des droits et de négliger l’immense contribution du droit international à la création de garanties procédurales fondamentales et intangibles devant être respectées dans les procédures d’expulsion, y compris celles qui sont fondées sur des motifs de sécurité nationale. Cette omission est d’autant plus surprenante que les normes de droit international pertinentes sont citées dans l’arrêt[88].

32. à ce stade, je souhaiterais rappeler ce que j’ai écrit sur ce sujet[89]. Dans un souci de concision, je me bornerai ici à réaffirmer que le droit des étrangers de faire valoir les raisons qui militent contre leur expulsion (article 1 § 1 a) du Protocole no 7) est fondé sur le principe juridique audialterampartem, qui implique logiquement et axiologiquement le droit de prendre connaissance des assertions factuelles, des documents et des informations dont se prévaut la partie adverse. Le principe selon lequel les étrangers doivent obtenir suffisamment d’informations pour répondre aux allégations formulées contre eux est un principe de justice naturelle[90]. Faute d’obtenir ces informations, les intéressés n’ont pas la possibilité de faire véritablement entendre et examiner leur cause à la lumière des raisons qui militent contre leur expulsion (article 1 § 1 du Protocole no 7[91]).

33. En l’espèce, les juridictions roumaines n’ont communiqué aux requérants et à leurs avocats aucune information précise sur les faits motivant la décision d’expulsion dirigée contre les intéressés. En outre, les requérants et leurs avocats n’ont été autorisés à prendre connaissance des prétendus documents à charge à aucun moment de la procédure d’expulsion. Ces deux déficiences structurelles sont suffisantes pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une atteinte à la substance du droit des intéressés de faire valoir les raisons militant contre leur expulsion (article 1 § 1 du Protocole no 7). La jurisprudence concernant les affaires dirigées contre la Roumanie confirme cette conclusion de façon constante : dans l’affaire Lupsa c. Roumanie, la Cour a jugé que le contrôle juridictionnel exercé par la cour d’appel était « purement formel » parce que les autorités n’avaient pas fourni au requérant « le moindre indice concernant les faits qui lui étaient reprochés[92] », dans l’affaire Kaya c. Roumanie, elle a également conclu que ce contrôle était « purement formel » parce que « les autorités n’[avaient] pas fourni au requérant le moindre indice concernant les faits qui lui étaient reprochés[93] », dans l’affaire Ahmed c. Roumanie, elle a constaté que la communication faite au requérant ne contenait « aucune référence aux faits reprochés, ayant un caractère purement formel [94] » et dans l’affaire Geleri c. Roumanie, elle a de nouveau conclu que la communication faite au requérant ne contenait « aucune référence aux faits reprochés et [qu’elle] avait un caractère purement formel[95] ». Aucune de ces affaires n’a donné lieu, de la part de la Cour, à un examen des éventuels facteurs compensateurs destiné à épargner au gouvernement défendeur un constat immédiat de violation[96]. Pourquoi la majorité s’est-elle livrée à un tel exercice de mise en balance en l’espèce ?

34. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de se pencher sur les autres particularités de l’espèce, notamment le fait que les juridictions nationales n’ont même pas recherché si la sauvegarde de la sécurité nationale imposait la non divulgation du dossier et qu’elles n’ont apporté aucun éclaircissement sur la question de savoir si le niveau de classification appliqué en l’espèce était ou non approprié[97]. Il est également inutile de s’arrêter sur le fait stupéfiant que le communiqué de presse publié par le SRI contenait des informations factuelles plus détaillées que celles fournies aux requérants[98].

Les raisons pour lesquelles la majorité croit devoir s’interroger sur l’existence éventuelle de facteurs compensateurs « à défaut de tout examen par les juridictions saisies de l’affaire de la nécessité de restreindre les droits procéduraux des requérants[99] », après avoir elle-même conclu que le communiqué de presse « contredi[sai]t la thèse selon laquelle il était nécessaire de priver les intéressés de toute information concrète sur les raisons factuelles avancées à l’appui de leur expulsion[100] » – autrement dit que la limitation des droits procéduraux n’était pas nécessaire, dépasse mon entendement. L’examen subséquent des facteurs compensateurs auquel la majorité s’est livrée dans le présent arrêt ne peut s’expliquer que par l’hypothèse selon laquelle la majorité aurait été prête à conclure à la non-violation de l’article 1 du Protocole no 7 malgré la gravité des défaillances structurelles de la procédure interne. Ce type de raisonnement donne à penser que l’atteinte portée à la substance de cette disposition aurait pu être jugée justifiée dans d’autres circonstances.

35. Dans l’arrêt Malone c. Royaume-Uni, la Cour a déclaré que « le danger d’arbitraire apparaît avec une netteté singulière là où un pouvoir de l’exécutif s’exerce en secret[101] ». Toute limitation apportée au principe audialterampartem peut facilement amener des juges à tenir pour acquis, sans se poser de questions et en toute bonne foi, que des faits, des documents ou d’autres informations dont se prévaut un gouvernement sont authentiques, en particulier lorsque ceux-ci constituent la matière quotidienne de leur travail. Ce message de la Cour plein de sagesse semble avoir été oublié dans le présent arrêt. L’arrêt rendu par la majorité incrimine à juste titre la Roumanie, mais il ouvre la porte à des combinaisons discrétionnaires – en d’autres termes, à devéritables manipulations des « facteurs compensateurs » – par les autorités nationales dans les procédures d’expulsion, dès lors que la Cour ne donne aucune directive claire sur les rapports qu’entretiennent entre eux les facteurs en question ni aucune explication sur la manière dont ils sont effectivement limités par la « substance même » du droit protégé par l’article 1 du Protocole no 7[102].

Conclusion

36. Faute de définir la substance des droits de la défense dans les procédures d’expulsion fondées sur des impératifs de sécurité nationale, la majorité se dérobe à son obligation de motiver ses conclusions. Dans l’affaire Heaney et McGuinness c. Irlande, la Cour n’avait pas hésité à déclarer, dans les termes les plus catégoriques, que des préoccupations de sécurité et d’ordre publics ne pouvaient primer sur la substance du droit à un procès équitable et des droits de la défense[103]. Dans un domaine aussi sensible que celui de la protection de la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme, si propice aux abus des autorités étatiques et aux excès de zèle de certains dirigeants, dont d’illustres cours suprêmes ou constitutionnelles se rendent parfois complices, on aurait pu s’attendre à ce que la Cour demeure aujourd’hui encore la gardienne de la sécurité juridique et des libertés civiles. Malheureusement, il n’en est rien. La Cour actuelle est très différente de celle qui a rendu l’arrêt Heaney et McGuinness. Ma conscience me dicte de m’en tenir à la jurisprudence traditionnelle de la Cour. À Strasbourg, le progressisme consiste aujourd’hui à maintenir la tradition. Partant, je souscris au constat de violation de l’article 1 du Protocole no 7 opéré par la majorité, mais pour des motifs fondamentalement différents.

 

opinion concordante du juge SERGHIDES

(Traduction)

L’article 1 du Protocole no 7 : un droit absolu, avec toutes les conséquences que cela entraîne

a) Le grief des requérants

1. En l’espèce, les requérants allèguent qu’ils n’ont pas bénéficié des garanties procédurales requises par l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention et qu’ils n’ont donc pas pu se défendre utilement dans la procédure visant à les faire déclarer indésirables en Roumanie, qui a abouti à leur expulsion pour des raisons de sécurité nationale, alors pourtant qu’ils résidaient régulièrement sur le territoire roumain, où ils poursuivaient des études. Plus particulièrement, ils indiquent qu’ils n’ont aucunement été informés des faits concrets qui leur étaient reprochés, et qu’ils n’ont pas pu avoir accès aux documents du dossier (paragraphe 88 du présent arrêt).

b) Les clauses de l’article 1 du Protocole no 7

2. Le paragraphe 90 du présent arrêt cite l’article 1 du Protocole no 7, mais il omet de mentionner le second paragraphe de cette disposition. Bien que celui-ci ne soit pas applicable en l’espèce, puisqu’il concerne uniquement le cas où l’expulsion intervient avant l’exercice des droits procéduraux minimaux garantis par le premier paragraphe, il est impossible d’interpréter et d’appliquer correctement ce premier paragraphe sans examiner et interpréter l’article 1 dans son ensemble. Pour cette raison, et par souci de commodité, je reproduirai ci-après l’intégralité de cet article, intitulé « garanties procédurales en cas d’expulsion d’étrangers » :

« 1. Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :

a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion,

b) faire examiner son cas, et

c) se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité.

2. Un étranger peut être expulsé avant l’exercice des droits énumérés au paragraphe 1. a), b) et c) de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale[104]. »

c) L’arrêt et les raisons de mon dissentiment

3. Le présent arrêt conclut qu’« eu égard à la procédure dans son ensemble et tout en tenant compte de la marge d’appréciation dont disposent les États en la matière, (…) les restrictions subies par les requérants dans la jouissance des droits qu’ils tirent de l’article 1 du Protocole no 7 n’ont pas été compensées dans la procédure interne de manière à préserver la substance même de ces droits » (paragraphe 206) et, « [p]artant, [qu’] il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention » (paragraphe 207).

4. Bien que je souscrive au constat de violation de l’article 1 du Protocole no 7 opéré dans le présent arrêt, je marque respectueusement mon désaccord avec le raisonnement suivi dans la mesure où celui-ci a) considère que le droit garanti par cette disposition n’est pas absolu et qu’il peut donc subir des limitations, et b) estime en conséquence nécessaire que soient mis en place des facteurs compensateurs – ou des garanties à mettre en balance avec les limitations en question – visant à « compenser » les difficultés pouvant découler. Il s’agit là d’une approche très complexe et certainement étrangère à ce que les rédacteurs de cet article avaient prévu s’agissant des garanties procédurales minimales à accorder aux étrangers en situation régulière. Surtout, à mon humble avis, cette approche est incompatible avec la lettre et l’objet de cet article, et elle sape l’efficacité de la protection assurée par le droit qu’il garantit, comme je l’expliquerai ci‑après.

5. La méthode mise en œuvre dans le présent arrêt, qui consiste à analyser d’abord les limitations, puis les facteurs compensateurs, peut présenter un intérêt lorsqu’il s’agit d’examiner des allégations de violation de droits non absolus. Toutefois, avec tout le respect que je dois à mes collègues, c’est à tort que le présent arrêt applique la méthode en question à des garanties procédurales minimales qui revêtent un caractère absolu. Les droits absolus ne souffrant aucune limitation, quelles que soient les circonstances invoquées pour les justifier, il ne saurait être question de facteurs compensateurs ou de contrôle de proportionnalité. Dès lors que l’article 1 § 1 du Protocole no 7 consacre un droit absolu, il s’ensuit ipso facto que la Cour n’aurait pas dû admettre que des limitations lui soient apportées ni rechercher s’il existait en l’espèce des facteurs compensateurs.

d) La nature, le contenu et la substance du droit ici en cause

6. à mon avis, bien que l’article 1 du Protocole no 7 soit intitulé « garanties procédurales en cas d’expulsion d’étrangers », il consacre un droit composite unique renfermant trois garanties procédurales individuelles, ou encore trois droits procéduraux dérivés. Il s’agit du « droit d’un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État » de ne pas « en être expulsé », sauf i) « en exécution d’une décision prise conformément à la loi », et ii) seulement s’il a bénéficié des trois garanties – ou droits procéduraux dérivés – énoncées aux alinéas a), b) et c) de l’article 1 § 1. Dès lors que le préambule du Protocole no 7 précise que cet instrument est destiné à garantir « certains droits et libertés », il est clair que chacun des cinq premiers articles de ce Protocole[105] consacre au minimum un droit ou une liberté. Le second paragraphe de l’article 1 qualifie de « droits » les garanties procédurales minimales protégées par le premier paragraphe. La thèse ici défendue, selon laquelle l’article 1 § 1 confère à ses bénéficiaires un droit composé de trois droits dérivés[106], s’en trouve renforcée.

7. J’estime pour ma part que le droit garanti par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 est un droit procédural dont la nature, le contenu et la substance revêtent un caractère absolu, et qui n’admet aucune limitation. Ce droit peut être invoqué dans toutes les affaires d’expulsion mettant en cause un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État, que l’expulsion ait lieu avant ou après l’exercice dudit droit. Le second paragraphe de l’article 1 du Protocole no 7 prévoit qu’un étranger peut être expulsé avant d’exercer le droit garanti par le premier paragraphe. La nature, le contenu et la substance de ce droit absolu ne sont pas affectés par cette limitation ou exception temporelle, qui influe seulement sur le moment où il peut être exercé en prévoyant que dans certaines circonstances, l’expulsion peut intervenir avant qu’il ne soit exercé. Conformément à la règle générale énoncée au premier paragraphe, l’exercice de ce droit doit précéder l’exécution de la mesure d’expulsion. Toutefois, dans les deux circonstances exceptionnelles énumérées au second paragraphe (lorsque sont en jeu « (…) l’intérêt de l’ordre public ou (…) des motifs de sécurité nationale[107] »), ce droit pourra être exercé après l’expulsion de l’étranger concerné. La limitation prévue par le second paragraphe de l’article 1 se présente donc comme une exception à la règle générale voulant que ce droit s’exerce avant l’expulsion.

8. Il convient de souligner que les deux paragraphes de l’article 1 portent l’un et l’autre sur le même droit composite qui, comme indiqué ci-dessus, renferme les trois garanties procédurales minimales– ou droits procéduraux dérivés – énumérées au premier paragraphe, que les étrangers concernés doivent pouvoir exercer que ce soit avant ou après leur expulsion. Cela ressort clairement de l’expression « avant l’exercice des droits énumérés au paragraphe 1 (a), (b) et (c) de cet article » employée dans le second paragraphe, qui indique sans équivoque a) que ces trois droits procéduraux peuvent être exercés même si l’expulsion a déjà eu lieu[108], et b) qu’ils ne peuvent être limités ou méconnus. Cela ressort aussi clairement du paragraphe 15 du rapport explicatif du Protocole no 7 (Strasbourg, 22.XI.1984), lequel précise que dans les cas exceptionnels mentionnés au second paragraphe, « l’intéressé doit être autorisé à exercer les droits énoncés au paragraphe 1 après son expulsion ». À cet égard, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Nolan et K. c. Russie (no 2512/04, § 114, 12 février 2009), la Cour a rappelé que :

« [l]es Hautes Parties contractantes ont un pouvoir discrétionnaire pour décider de l’expulsion d’un étranger qui se trouve sur leur territoire, mais ce pouvoir doit être exercé de telle sorte qu’il ne porte pas atteinte aux droits garantis à l’intéressé par la Convention (…) Le premier paragraphe de cet article dispose que la personne concernée ne peut être expulsée qu’« en exécution d’une décision prise conformément à la loi » et sous réserve de l’exercice de certaines garanties procédurales. Son second paragraphe ne permet aux autorités de procéder à une expulsion avant l’exercice de ces garanties que si cette mesure est nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ou de la sécurité nationale ».

e) Analyse juridique étayant le caractère absolu du droit ici en cause

9. La thèse selon laquelle le droit protégé par l’article 1 § 1 revêt un caractère absolu repose sur des arguments convaincants qui ne laissent subsister aucun doute sur le fait que ce droit n’admet aucune limitation ou exception.

10. En premier lieu, cela ressort clairement du texte même de l’article 1 § 1 :

a) Cette disposition ne mentionne aucune limitation explicite ou implicite au droit qu’elle garantit. Pour indiquer sans équivoque que ce droit n’admet aucune limitation, elle énonce qu’un étranger « ne peut » (« shall not » dans la version anglaise) être expulsé « qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi », et elle instaure les garanties procédurales minimales qu’elle énumère ensuite en utilisant à nouveau une expression impérative – « doit pouvoir » (« shallbeallowed » dans la version anglaise) – pour signifier qu’il s’agit là de prérogatives dont l’étranger doit obligatoirement bénéficier. La répétition du terme « shall » dans la version anglaise de l’article 1 § 1 du Protocole no 7 marque la volonté d’instaurer des garanties procédurales obligatoires. On ne retrouve nulle part ailleurs dans la Convention pareille répétition de cette formulation impérative.

b) La notion de garanties procédurales minimales expresses et la nature de celles-ci excluent que des limitations implicites et imprécises puissent leur être apportées, d’autant plus qu’elles bénéficient à des étrangers résidant régulièrement sur le territoire d’un État. Dans le cas contraire, elles seraient dépourvues de sens et d’effet utile. La mise en œuvre effective de garanties minimales implique nécessairement que les prérogatives extrêmement réduites qui s’y attachent ne puissent être davantage restreintes.

En conséquence, l’article 1 § 1 ne laisse à l’État aucune option ou latitude pour accorder ces garanties procédurales, et n’admet aucune exception à ce principe. Si les garanties procédurales de l’article 1 § 1 ne revêtaient pas un caractère absolu, la Convention serait impuissante à protéger les requérants contre les mesures abusives ou arbitraires imputées aux autorités internes dans ce genre d’affaires.

11. En second lieu, la thèse selon laquelle le droit garanti par l’article 1 § 1 revêt un caractère absolu est corroborée par une lecture cohérente et globale des dispositions de l’article 1 §§ 1 et 2, conformément au principe, bien ancré dans la jurisprudence la Cour, selon lequel il faut parvenir à une harmonie ou une cohérence internes dans l’interprétation des dispositions de la Convention[109]. En lisant l’article 1 § 1 du Protocole no 7 dans son ensemble, on peut soutenir que si ses rédacteurs avaient voulu que des restrictions puissent être apportées aux garanties procédurales minimales – ou droits dérivés – prévues par cette disposition, ils l’auraient mentionné dans son libellé, comme ils l’ont fait dans le second paragraphe du même article. L’absence, dans le premier paragraphe de l’article 1, de toute mention autorisant des limitations ne peut être comprise comme un simple oubli, mais doit au contraire être interprétée en accord avec les termes catégoriques employés dans le libellé de cet article, ce qui permet de déduire que la Cour ne peut autoriser aucune limitation au nom de la préservation d’autres intérêts concurrents.

12. Il ressort clairement de l’expression « et doit pouvoir » employée dans l’article 1 § 1 que les trois garanties procédurales minimales – ou droits dérivés – énumérées par la suite constituent des exigences autonomes venant s’ajouter à celle d’« une décision prise conformément à la loi » précédemment mentionnée dans ce même paragraphe. Il s’ensuit que la législation et la jurisprudence internes ne peuvent en aucune manière compromettre, limiter ou méconnaître ces garanties procédurales minimales – ou droits dérivés – sous prétexte ou dans le souci de les réglementer. Pour le dire autrement, ces droits dérivés sont expressément régis par le premier paragraphe de l’article 1, et prévalent en conséquence sur toute réglementation interne ultérieure.

13. L’énumération de ces garanties procédurales minimales – ou droits dérivés – vise à empêcher l’état de substituer une garantie à une autre. Par exemple, comme l’indique clairement le paragraphe 13 du rapport explicatif du Protocole no 7, il ne suffit pas que l’étranger concerné puisse faire réexaminer son cas par une autorité indépendante compétente, encore faut-il qu’il puisse faire valoir les raisons militant contre son expulsion. En l’espèce, par exemple, l’examen des preuves à charge par les juridictions internes ne pouvait remplacer le droit des requérants d’être informés des faits qui leur étaient reprochés. L’article 1 n’autorise aucun compromis et n’admet aucune limitation. Il vise à assurer l’égalité des armes dans les procédures auxquelles il s’applique, qui mettent les étrangers dans une situation de vulnérabilité en ce qu’ils risquent d’être expulsés de l’état sur le territoire duquel ils résident régulièrement. L’issue de ces procédures peut avoir des conséquences dévastatrices sur la situation des étrangers concernés et la vie qu’ils ont construite dans l’état hôte, qu’ils ne pourront plus continuer à mener. Dans la présente affaire, les requérants ont non seulement été empêchés de poursuivre leurs études, mais ils ont aussi été inquiétés à leur retour dans leur pays d’origine. Compte tenu des intérêts considérables qui s’attachent à l’issue des procédures d’expulsion, il est primordial que les états garantissent un niveau minimal de protection procédurale de manière à ce que ces décisions soient prises en toute équité, raison pour laquelle les rédacteurs ont consacré ces obligations dans l’article 1 § 1 du Protocole no 7. La possibilité, pour un étranger, de prendre connaissance des faits qui lui sont reprochés par les autorités est un élément fondamental pour l’exercice effectif de son droit de faire valoir les raisons militant contre son expulsion. Il n’en faut pas moins pour garantir l’égalité des armes dans la procédure.

14. Au vu de ce qui précède, il faut préciser que les garanties procédurales minimales énoncées à l’article 1 § 1 servent de bouclier à l’équité matérielle et qu’elles revêtent un caractère fondamental pour le principe d’équité inhérent à la Convention. L’interprétation de la Convention ne saurait aboutir à des solutions injustes et compromettre la protection effective des droits les plus fondamentaux de chacun, a fortiori lorsque ces droits revêtent un caractère absolu. Il s’ensuit que la Cour ne peut autoriser les états à apporter des limitations aux garanties procédurales minimales protégées par l’article 1 du Protocole no 7, sans lesquelles l’équité ne peut être assurée. Il est impossible de qualifier d’ « équitable » une procédure qui ne permet pas à la personne qu’elle vise de prendre connaissance des faits qui lui sont reprochés. Dans son arrêt Malone c. Royaume-Uni (2 août 1984, § 67, série A no 82), la Cour a fort justement observé que « le danger d’arbitraire apparaît avec une netteté singulière là où un pouvoir de l’exécutif s’exerce en secret (…) ». Selon moi, c’est ce qui s’est produit en l’espèce. Le refus absolu des autorités de porter à la connaissance des requérants les accusations dirigées contre eux était non seulement arbitraire mais aussi injuste, car il a compromis leur défense et également violé les principes du contradictoire et de l’égalité des armes[110]. Ce genre de refus absolu, inacceptable lorsqu’il porte atteinte à des droits non absolus, est encore plus grave lorsque sont en cause des droits absolus n’admettant aucune limitation.

f) Le droit en cause et le principe d’effectivité en tant que norme de droit international et méthode d’interprétation

15. En tant que norme de droit international inhérente à l’ensemble des dispositions de la Convention[111], le principe d’effectivité irrigue le texte de l’article 1 § 1 du Protocole no 7 tout entier, y compris les trois garanties procédurales minimales – ou droits dérivés – énoncées aux alinéas a), b) et c). Eu égard à ce qui précède, j’estime que le principe d’effectivité exige que le droit d’une personne résidant régulièrement sur le territoire d’un état de ne pas en être expulsé, si ce n’est en exécution d’une décision prise conformément à la loi et à condition de bénéficier des garanties procédurales requises, soit effectif et considéré comme tel.

Je considère en outre que le principe d’effectivité est aussi une méthode ou un outil interprétatif venant au soutien de la règle de l’effectivité en tant que norme de droit international, de manière à ce que l’article 1 § 1 du Protocole no 7 soit interprété dans un sens garantissant en pratique à ses dispositions l’efficacité voulue[112].

Par ailleurs, le principe de légalité[113] est aussi clairement exprimé dans l’article 1 § 1, cette disposition exigeant en effet que la décision d’expulsion soit « prise conformément à la loi ». Le critère de qualité de la loi est un corollaire de cette exigence. En d’autres termes, la loi interne doit être libellée de manière à empêcher tout arbitraire des autorités compétentes vis-à-vis de l’étranger concerné. Comme le présent arrêt l’indique à juste titre, « [l’]arbitraire (…) implique la négation de l’État de droit » (paragraphe 118). La protection contre l’arbitraire est un aspect, un élément ou une fonction du principe d’effectivité en tant que norme de droit international. Le principe de légalité inhérent à l’article 1 § 1 se reflète également dans l’exigence de résidence régulière de l’étranger concerné sur le territoire de l’état.

16. Le présent arrêt indique fort justement que « [d]ans le contexte de l’article 1 du Protocole no 7, la Cour a tenu compte de ce que l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des droits de l’homme, appellent à comprendre et à appliquer ses dispositions d’une manière qui en rend les exigences concrètes et effectives, et non théoriques et illusoires » (paragraphe 122). Ce principe – le principe d’effectivité – y est ensuite qualifié, à juste titre, de « principe général d’interprétation de l’ensemble des dispositions de la Convention et de ses Protocoles ». C’est la première fois, à ma connaissance, que la Cour déclare expressément que ce principe s’applique de manière générale à toutes les dispositions de la Convention. Le présent arrêt précise ensuite que la Cour a toujours été soucieuse d’appliquer ce principe dans le contexte de l’article 1 § 1 du Protocole no 7 (paragraphe 123). Toutefois, avec tout le respect que je dois à mes collègues, la Cour applique ce principe de manière erronée en l’espèce, car elle considère que le droit garanti par cette disposition ne revêt pas un caractère absolu. En effet, le présent arrêt se penche sur la question de savoir si l’exercice de mise en balance effectué par les autorités internes préserve la substance même du droit en question. Pourtant, une telle mise en balance est à mon avis inutile pour assurer la protection effective de ce droit. Il est indéniable que le fait de permettre aux Parties contractantes d’imposer et de justifier des limitations au droit des étrangers de faire valoir les raisons qui militent contre leur expulsion – dont le droit de connaître les raisons concrètes d’une expulsion fondée sur des motifs de sécurité nationale est indissociable – amoindrit considérablement l’effectivité de la protection accordée. À cet égard, on notera avec regret que les requérants ont été informés de certaines des raisons de leur expulsion par un communiqué de presse du Service roumain du renseignement (« le SRI ») repris dans deux articles de presse (paragraphes 30-31), et non au moyen d’une notification en bonne et due forme émise par l’autorité compétente. S’appuyant sur ces informations mises à la disposition du public, les requérants ont essayé de reconstituer les motifs de leur expulsion et de produire en instance d’appel des preuves propres à réfuter les accusations portées contre eux, notamment en priant laHaute Cour de se procurer auprès de leur banque un document bancaire attestant de leur situation financière, qui aurait démenti les accusations en question (paragraphe 38). Le parquet s’est opposé à cette demande, estimant que ce document bancaire était dénué de pertinence (paragraphe 39). L’inégalité d’information existant entre les autorités de poursuite et les requérants a irrémédiablement compromis la défense des intéressés et entravé de ce fait le cours de la justice. Admettre que l’État puisse légitimement, dans certaines circonstances, refuser de divulguer les motifs de l’expulsion d’un étranger affaiblirait grandement ou réduirait à néant le principe d’effectivité. En l’absence d’une protection absolue des garanties procédurales minimales, la protection conférée par l’article 1 du Protocole no 7 devient inopérante. Comme indiqué ci-dessus, ce qui est arrivé aux requérants est la conséquence inéluctable du refus des autorités de reconnaître le caractère absolu des garanties procédurales minimales instaurées par l’article 1.

17. Comme cela a déjà été précisé, le principe d’effectivité en tant qu’outil interprétatif vient au soutien de la règle d’effectivité en tant que norme de droit international inhérente aux dispositions de la Convention. Cela étant, l’utilité de ce soutien suppose au préalable une bonne compréhension de la règle d’effectivité inhérente à la disposition conventionnelle en cause, qui est liée au caractère – absolu ou non absolu – du droit protégé. Le présent arrêt ne fait pas expressément état du principe d’effectivité en tant que norme de droit international inhérente à l’article 1 du Protocole no 7. En outre, en se méprenant sur la nature des garanties procédurales minimales – ou droits dérivés – énumérées à l’article 1 § 1 du Protocole no 7, et en considérant à tort que le droit composite unique garanti par cette disposition ne revêt pas un caractère absolu, le présent arrêt méconnaît la nature même de la norme d’effectivité inhérente à cette disposition, ce qui le conduit à interpréter et à appliquer de manière erronée ladite norme dans la présente affaire. À mon humble avis, le principe d’effectivité, en tant que norme inhérente à l’article 1 § 1, exclut toute limitation du droit protégé par cette disposition, y compris l’ensemble des garanties procédurales minimales – ou droits dérivés, qui doivent être appliquées cumulativement et sans exception.

18. Au vu de ce qui précède, on peut soutenir à juste titre qu’en tant qu’outil interprétatif, le principe d’effectivité ne saurait atteindre son but s’il est employé pour faciliter l’interprétation et l’application d’une règle dont la nature et le contenu ont été d’emblée mal compris. En tant que méthode d’interprétation, le principe d’effectivité doit reposer sur la bonne base, la bonne règle. En effet, la protection d’un droit absolu est plus étendue que celle d’un droit non absolu, qui connaît des limitations. Il en résulte nécessairement que la règle de l’effectivité n’a pas le même contenu et la même nature à l’égard de droits absolus qu’à l’égard de droits non absolus. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu que dans toutes les affaires où elle fait état du principe d’effectivité, la Cour devrait expressément mentionner les deux dimensions de ce principe, c’est-à-dire sa fonction de norme de droit international et sa fonction de méthode d’interprétation. Elle devrait également mettre en évidence les liens et l’interdépendance qui existent entre ces deux fonctions, et préciser la manière dont elles s’appliquent aux faits de l’affaire dont elle est saisie. Il est regrettable que la fonction de norme de droit international du principe d’effectivité ait jusqu’à présent été négligée ou seulement sous-entendue dans la jurisprudence de la Cour, qui ne la mentionne pas expressément. Pourtant, il est constant que la Convention fait partie du droit international, et que ses dispositions sont des normes de droit international. Il ne faut donc pas perdre de vue qu’en tant que norme de droit international, le principe d’effectivité est inhérent à toutes les dispositions de la Convention. Si la Cour néglige les deux fonctions de ce principe et si elle ne les emploie pas correctement, elle risque de l’appliquer comme méthode d’interprétation sur la base d’une norme d’effectivité erronée. Avec tout le respect dû à mes collègues, je pense que tel est le cas en l’espèce. Comme l’a observé Ingo Venzke[114], « [l]e développement de règles internationales dans la pratique de l’interprétation mérite une attention particulière[115] ». La présente affaire méritait une attention particulière, qu’elle n’a pas reçue.

g) Conclusion

19. Les droits absolus ne peuvent être efficacement protégés si on leur applique le régime propre aux droits non absolus en essayant inutilement de préserver leur substance même par des facteurs compensateurs. C’est sur ce point que je marque respectueusement mon désaccord avec le raisonnement suivi dans le présent arrêt. J’estime que le droit ici en cause est un droit absolu et qu’il doit être considéré comme tel, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

 

opinion concordante dE LA juge ELÓSEGUI

(Traduction)

1. Je souhaite préciser d’emblée que je souscris pleinement à la conclusion à laquelle la Grande Chambre est parvenue dans la présente affaire. Mon opinion concordante vise simplement à souligner, comme l’a fait le juge Pinto de Albuquerque dans la sienne, que le présent arrêt aurait gagné à opérer une distinction plus nette entre le critère de la substance des droits et le contrôle de proportionnalité (l’appréciation des éléments compensateurs). Comme l’ont expliqué le HCR, la Cour et la Commission interaméricaines des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle fédérale allemande (BVerfG) et de nombreuses autres cours constitutionnelles, ces deux éléments sont très différents. Sur ce point, je renvoie à l’ouvrage de Robert Alexy intitulé A Theory of ConstitutionalRights[116].

2. La question sur laquelle porte l’arrêt Muhammad et Muhammad c. Roumanie revêt aujourd’hui une importance cruciale, car il y a danger à justifier la violation de la substance des droits fondamentaux au nom de la prévention du terrorisme[117]. Il est désormais assez fréquent, chez les juristes et les universitaires, de justifier le recours à la torture tendant à l’obtention de renseignements dans le contexte de la lutte contre le terrorisme[118]. La Cour européenne des droits de l’homme condamne sans équivoque le recours à la torture, qui s’analyse selon elle en une violation de l’article 3 de la Convention[119].

3. En l’espèce, les requérants se plaignaient de ne pas avoir été informés des faits concrets qui leur étaient reprochés au cours de la procédure ayant conduit à leur éloignement du territoire roumain en raison de leurs liens avec des activités terroristes, au mépris, selon eux, des garanties procédurales prévues par l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention.

4. La principale question qui se posait à la Grande Chambre consistait à savoir quelle est l’étendue minimale des garanties procédurales offertes aux étrangers par l’article 1 § 1 du Protocole no 7 dans le cadre d’une procédure administrative d’éloignement lorsque leurs droits d’être informés des motifs justifiant leur expulsion et d’accéder au dossier sont restreints pour des raisons liées à la sécurité nationale.

5. Après avoir exposé l’état de la jurisprudence relative à l’article 1 § 1 du Protocole no 7, la Grande Chambre a recherché si – et, le cas échéant, dans quelle mesure – les droits revendiqués par les requérants étaient garantis par cette disposition (paragraphes 118-122). Pour ce faire, la Grande Chambre s’est fondée sur le texte de l’article 1 § 1 du Protocole no 7 et la jurisprudence de la Cour en la matière. Dans son arrêt, elle a conclu que cet article exige en principe que les étrangers concernés soient informés des éléments factuels pertinents ayant conduit l’autorité nationale compétente à considérer qu’ils représentent une menace pour la sécurité nationale, et qu’ils aient accès au contenu des documents du dossier de l’affaire sur lesquels cette autorité s’est fondée pour décider de leur expulsion.

6. La Cour a ensuite cherché à définir le seuil à respecter pour que l’article 1 du Protocole no 7 ne soit pas méconnu même en cas de limitation des droits procéduraux qu’il garantit. Dans le droit fil de la jurisprudence Regner c. République tchèque ([GC], no 35289/11, § 148, 19 septembre 2017), la Cour a jugé que la substance même des droits garantis aux étrangers par l’article 1 du Protocole no 7 doit être préservée.

7. L’arrêt établit également les critères à prendre en compte pour statuer sur la compatibilité avec l’article 1 § 1 du Protocole no 7 des restrictions apportées aux droits procéduraux. À cet égard, la Cour doit rechercher si ces restrictions sont nécessaires et si la préservation de la substance même des droits en cause exige des mesures compensatoires et, dans l’affirmative, lesquelles.

8. Deux points méritent d’être soulignés. En premier lieu, l’absence de tout examen ou un examen insuffisant par les autorités nationales de la nécessité des restrictions apportées aux droits procéduraux de l’étranger concerné ne suffisent pas, à eux seuls, à emporter violation de l’article 1 § 1 du Protocole no 7. En tout état de cause, la Cour recherchera si des éléments compensateurs ont été appliqués dans le cas concret de l’intéressé. Cela étant, moins les autorités nationales seront rigoureuses dans l’examen de la nécessité d’apporter des restrictions aux droits procéduraux d’un étranger, plus le contrôle par la Cour des éléments compensateurs sera strict. En second lieu, le respect de l’article 1 § 1 du Protocole no 7 ne requiert pas nécessairement la mise en place de manière cumulative de tous les éléments compensateurs énumérés dans l’arrêt. L’énumération ne contient que des exemples de facteurs susceptibles de compenser adéquatement la limitation des droits procéduraux, étant entendu que l’évaluation de la nature et de l’ampleur de ces facteurs pourra varier en fonction des circonstances de l’espèce (paragraphe 150).

9. Enfin, en appliquant les critères susmentionnés, la Cour a recherché si la substance même des droits découlant pour les requérants de l’article 1 du Protocole no 7 avait été préservée en l’espèce (paragraphes 151-199). Après analyse, elle a conclu qu’il y avait eu en l’espèce violation de l’article 1 du Protocole no 7.

10. Le juge Pinto de Albuquerque ayant traité du principe de la substance des droits dans son opinion, je m’intéresserai ici au contrôle de proportionnalité.

11. Dans la présente opinion, qui repose sur le postulat selon lequel il est légitime de restreindre certains droits pour assurer la coexistence harmonieuse de l’ensemble des droits et intérêts concurrents, je prendrai pour hypothèse que le principe de proportionnalité offre une structure argumentative permettant de contrôler la légitimité des restrictions permises aux droits fondamentaux.

12. J’ai exposé dans divers articles les principales thèses développées sur le principe de proportionnalité dans les milieux universitaires, en particulier européens, concluant que cette technique aide les juges à construire un raisonnement structuré en vue de la résolution d’une affaire. J’ai souligné l’utilité de la théorie de Robert Alexy pour l’analyse du raisonnement réellement suivi par les tribunaux[120]. Je souscris également à la thèse de Carlos Bernal selon laquelle il est impossible d’exclure la subjectivité du juge dans l’exercice de mise en balance. Toutefois, cet élément demeure compatible avec la rationalité si le juge applique et justifie chacune des phases du contrôle de proportionnalité. Cette idée peut sans aucun doute se rattacher au cadre théorique qui puise son origine dans les travaux de Robert Alexy et de ses disciples (Borowski[121], BernalPulido, Klatt[122], Möller), parmi lesquels j’ai l’honneur de figurer. Le professeur Alexy a participé à un séminaire organisé par la Cour européenne des droits de l’homme en avril 2019, où il a présenté une analyse du principe de proportionnalité appliqué dans l’affaire Delfi c. Estonie, qui fait l’objetd’un article à paraître prochainement chez Springer[123]. Auxfins de la présente opinion, je renvoie également aux articles du professeur Laura Clérico[124], une autre disciple de Robert Alexy. Parmi les autres chercheurs ou auteurs ayant contribué par leurs écrits à ces travaux figurent un certain nombre de professeurs belges, notamment Eva Brems, Sébastien Van Drooghenbroeck et Françoise Tulkens, ancienne juge de la Cour. D’autres auteurs tels que Barak[125], Bomhoff[126], Cohen-Eliya[127], Porat et Ducoulombier ont eux aussi apporté des contributions fondamentales sur ce sujet.

13. En ce qui concerne le principe selon lequel la limitation doit être prévue par la loi et poursuivre un but légitime, la Cour se borne à vérifier que la mesure restrictive vise à protéger des droits ou intérêts qui satisfont aux critères qu’elle a fixés pour autoriser les limitations.

14. Par ailleurs la Cour recherche si la mesure adoptée revêt uncaractère approprié en se fondant sur la nécessité de celle-ci, mais non de manière directe car ce contrôle est intégré dans son analyse du caractère légitime du but poursuivi. Elle vérifie dans un premier temps si la mesure est prévue par la loi et, dans un second temps, si le but poursuivi est légitime. Le contrôle du caractère approprié exercé par la Cour diffère de celui appliqué dans le contrôle de proportionnalité tel que le conçoit la doctrine constitutionnelle allemande. La Cour se borne en effet à vérifier si la mesure restrictive a une base légale, sans rechercher ni exposer la justification précise du lien de causalité entre la mesure en question et le but poursuivi. En d’autres termes, elle ne vérifie pas si la mesure restrictive contribue à la réalisation du but poursuivi. Elle met l’accent sur l’appréciation de l’ingérence découlant de la restriction, et c’est à ce stade qu’elle se livre à un exercice de mise en balance.

15. En ce qui concerne la nécessité de la mesure et l’existence éventuelle d’autres mesures moins restrictives, la Cour s’abstient en général de porter une appréciation sur ces questions et ne vérifie pas toujours si la mesure la moins restrictive a été appliquée, se bornant à rechercher si les autorités internes se sont conformées aux critères autorisant des restrictions aux droits fondamentaux qu’elle a elle-même fixés. Elle laisse ces questions à l’appréciation des juridictions internes, respectant ainsi la latitude reconnue aux états. En conséquence, la Cour ne procède généralement pas à un examen séparé de l’existence éventuelle d’autres mesures moins préjudiciables, cet examen s’inscrivant dans son appréciation de la nécessité de l’atteinte à un droit protégé par la Convention dans une société démocratique.

16. Il importe avant tout de relever que le contrôle exercé par la Cour diffère du contrôle de proportionnalité stricto sensu tel que le conçoit la doctrine constitutionnelle allemande, lequel comporte habituellement trois phases. Pour ma part, j’ai joint à l’arrêt Voynov c. Russie[128]une opinion concordante dans laquelle je me suis efforcée d’appliquer le principe de proportionnalité stricto sensu en évaluant les différents droits en cause et en recherchant s’il existait une autre mesure susceptible de répondre à l’objectif poursuivi par le gouvernement mais moins contraignante pour le requérant. Dans mon argumentation, j’ai appliqué dans une certaine mesure la formule du professeur Alexy[129].

17. Il ne fait aucun doute que la troisième phase du contrôle de proportionnalité au sens strict ne fait pas l’objet d’une analyse détaillée de la part de la Cour. L’une des principales raisons en est que la Cour recherche si les juridictions internes ont correctement procédé à l’exercice de mise en balance. Dans le cas contraire, la Cour s’efforce généralement d’en faire état, en renvoyant pour l’essentiel aux critères ou principes qui se dégagent de ses arrêts de principe, sans pour autant substituer sa propre appréciation à celle des juridictions internes. L’idée selon laquelle il convient de respecter la marge d’appréciation des états a incontestablement gagné du terrain au sein de la Cour, surtout depuis la Déclaration de Brighton d’avril 2012 sur la réforme du système de la Convention.

18. Toutefois, la Cour accorde à ses propres principes jurisprudentiels un poids considérable lorsqu’elle les applique à l’affaire dont elle est saisie. Cette démarche conduit à l’élaboration de principes issus de règles fondées sur les résultats. La Cour exerce ainsi son contrôle de proportionnalité au regard des principes généraux qu’elle fixe au fil de sa jurisprudence.

 

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX juges Yudkivska, Motoc et Paczolay

Nous ne pouvons nous rallier à la majorité dans cette affaire, pour deux considérations essentielles : à notre avis, l’arrêt rendu par la majorité s’écarte substantiellement de l’arrêt Regner c. République tchèque ([GC], no 35289/11, 19 septembre 2017), se rapprochant plutôt de l’opinion en partie dissidente qui y a été jointe par les juges Raimondi, Sicilianos, Spano, Ravarani et PastorVilanova, et il ne tient pas compte de la possibilité, prévue par le droit roumain, de permettre aux avocats titulaires d’un certificat ORNISS d’accéder aux informations sensibles des dossiers. Notre objection principale tient à ce que la protection offerte par l’article 1 du Protocole no 7 est supérieure à celle conférée par l’article 6, situation qui nous semble paradoxale. Le préambule du texte du rapport explicatif du Protocole no 7 mentionne expressément qu’en adoptant l’article 1 de cet instrument, les États ont consenti à des garanties procédurales « minimales ».

Pour rappel, l’arrêt Regner, précité, concernait une décision administrative ayant mis fin à la validité d’une attestation de sécurité dont le requérant avait absolument besoin pour exercer de hautes fonctions au ministère de la Défense. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention, le requérant se plaignait de ne pas avoir pu prendre connaissance d’un élément de preuve déterminant, qualifié d’information confidentielle, au cours de la procédure qu’il avait intentée pour contester le retrait de son attestation de sécurité. Dans son arrêt, la Cour a relevé que la procédure intentée par le requérant afin de contester le retrait de son attestation de sécurité avait subi deux limitations par rapport aux règles de droit commun tendant à garantir un procès équitable : d’une part, les documents et informations classifiés n’étaient accessibles ni à lui-même ni à son avocat et, d’autre part, dans la mesure où la décision de retrait était fondée sur de telles pièces, les motifs à la base de la décision ne lui avaient pas été communiqués.

Pour déterminer si le droit du requérant à un procès équitable avait été atteint dans sa substance, la Cour a estimé qu’elle devait considérer la procédure dans son ensemble et rechercher si les limitations aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes, tels qu’applicables dans la procédure civile, avaient été suffisamment compensées par d’autres garanties procédurales. Après analyse, la Cour a jugé, eu égard à la procédure dans son ensemble, à la nature du litige et à la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales, que les limitations subies par le requérant dans la jouissance des droits qu’il tirait des principes du contradictoire et de l’égalité des armes avaient été compensées de telle manière que le juste équilibre entre les parties n’avait pas été affecté au point de porter atteinte à la substance même du droit de l’intéressé à un procès équitable (Regner, précité, § 161).

L’affaire Muhammad et Muhammad c. Roumanie présente à l’évidence des similitudes factuelles avec l’affaire Regner : elles portent toutes deux sur des procédures contentieuses administratives dans lesquelles les intéressés ont vu leurs droits procéduraux limités par l’impossibilité d’avoir accès aux pièces du dossier. Dans ces deux affaires, les pièces sur lesquelles reposaient les décisions des juridictions nationales étaient classifiées et les avocats représentant les intéressés n’y avaient pas accès. En revanche, les juridictions nationales avaient accès à l’ensemble des pièces du dossier, y compris aux preuves confidentielles.

Si la Cour a examiné le grief du requérant sur le terrain de l’article 6 de la Convention dans l’affaire Regner, elle était appelée en l’espèce à examiner des allégations similaires sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 7. En effet, dans la présente affaire, la Cour a noté d’emblée que l’article 6 de la Convention n’était pas applicable (paragraphe 115 du présent arrêt). En outre, elle a rappelé le texte du rapport explicatif, qui mentionne expressément qu’en adoptant l’article 1 du Protocole no 7, les États ont consenti à des garanties procédurales « minimales » en cas d’expulsion (paragraphe 117 du présent arrêt).

Étant donné que les articles de la Convention respectivement applicables dans l’une et l’autre de ces affaires garantissent tous deux des droits procéduraux mais qu’ils n’en sont pas moins différents, et surtout que l’article 1 du Protocole no 7 prévoit des garanties procédurales « minimales », les droits procéduraux respectivement reconnus aux justiciables par ces deux articles ne devraient pas avoir la même portée. Il est même naturel que l’étendue des garanties procédurales offertes par l’article 1 du Protocole no 7 soit moins élevée que celle des garanties consacrées par l’article 6 de la Convention.

D’ailleurs, dans son arrêt, la Cour est consciente de cette distinction à opérer entre les portées respectives des droits garantis par ces deux articles, et elle ne transpose pas sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 7 les droits protégés par l’article 6 de la Convention. Ainsi, après un rappel de sa jurisprudence relative à l’article 1 du Protocole no 7, la Cour limite la portée des droits garantis par cette disposition : si l’article 6 de la Convention garantit en principe au justiciable le droit d’être informé de tous les faits qui lui sont reprochés et d’avoir accès à l’ensemble des pièces du dossier, l’article 1 du Protocole no 7 « exige en principe que les étrangers concernés soient informés des éléments factuels pertinents qui ont conduit l’autorité nationale compétente à considérer qu’ils représentent une menace pour la sécurité nationale et qu’ils aient accès au contenu des documents et des informations du dossier de l’affaire sur lesquels ladite autorité s’est fondée pour décider de leur expulsion » (paragraphe 129 du présent arrêt).

Dans son examen des éventuelles limitations apportées aux droits procéduraux des étrangers et de leur compatibilité avec l’article 1 du Protocole no 7, la Cour indique s’inspirer de la méthodologie utilisée dans des affaires antérieures pour apprécier des restrictions imposées aux droits procéduraux protégés par la Convention, et plus particulièrement ceux garantis par les articles 5 et 6 de cet instrument (paragraphe 135 de l’arrêt).

Nous doutons cependant que la fusion des garanties de l’article 1 du Protocole no 7 avec celles des articles 6 et 5 reflète la nature des droits respectivement en jeu dans ces dispositions : les garanties applicables en matière de détention et de procédure pénale ne doivent pas nécessairement être identiques à celles qui s’appliquent au simple renvoi, exempt de risques, d’une personne dans son pays.

Par la suite, la Cour développe un raisonnement qu’elle essaye de rendre compatible avec l’arrêt Regner. Ainsi, pour statuer sur la compatibilité avec la Convention d’une limitation apportée en l’espèce aux droits des requérants, la Cour adopte le même critère que celui qu’elle applique sur le terrain de l’article 6 de la Convention : « les restrictions apportées aux droits en question ne doivent pas réduire à néant la protection procédurale assurée par l’article 1 du Protocole no 7 en touchant à la substance même des garanties prévues par cette disposition (voir, mutatis mutandis, Regner, précité, § 148) » (paragraphe 133 du présent arrêt). De même, toutes les difficultés causées à la partie requérante par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées (voir le paragraphe 133 du présent arrêt et Regner, § 148). Comme indiqué dans l’arrêt Regner (précité, § 161), l’examen de la compatibilité des limitations avec l’article 1 du Protocole no 7 doit être fait à la lumière de la procédure dans son ensemble (paragraphe 157 du présent arrêt).

Si la prise en compte de la jurisprudence de la Cour quant à la méthodologie à suivre en cas de limitation des droits procéduraux est pertinente, il n’en reste pas moins qu’à y regarder de plus près, l’énumération des critères à prendre en considération pour examiner la compatibilité des limitations apportées aux droits procéduraux à laquelle la Cour se livre dans le présent arrêt paraît transposer les éléments retenus par la Cour dans l’arrêt Regner, voire élargir des obligations qui pèsent sur les États contractants en la matière.

Ainsi, s’agissant du critère selon lequel une limitation doit être dûment justifiée, il convient de noter que la Cour se penche sur les compétences des juridictions nationales en matière de classification des documents. Alors que dans l’arrêt Regner, la Cour avait jugé suffisant que les juridictions tchèques aient le pouvoir d’apprécier si la non-communication des pièces classifiées était justifiée et d’ordonner la communication de celles qui ne méritaient pas de l’être, elle croit devoir examiner, dans la présente affaire, si une autorité indépendante « peut contrôler la nécessité de maintenir la confidentialité des données classifiées » et, dans le cas où ladite autorité estimerait que la protection de la sécurité nationale s’oppose à la divulgation à l’intéressé du contenu des documents classifiés, si elle a dûment identifié les intérêts en jeu et mis en balance les intérêts tenant à la préservation de la sécurité nationale et ceux des étrangers concernés (paragraphes 141et143 du présent arrêt). Cela implique qu’une autorité compétente non seulement contrôle la nécessité de rendre confidentiels certains documents, mais aussi qu’elle fournisse une certaine motivation, après une mise en balance des intérêts en cause. Or une telle exigence va au-delà de la compétence des juridictions nationales jugée suffisante par la Cour dans l’arrêt Regner.

S’agissant ensuite des facteurs susceptibles de compenser suffisamment les restrictions apportées aux droits procéduraux des étrangers concernés, la Cour en dresse une liste non limitative et en décrit le contenu.

Le premier facteur a trait à la pertinence des informations communiquées aux étrangers quant aux raisons de leur expulsion. Bien que la Cour admette que l’étendue des informations à fournir s’apprécie au cas par cas, il n’en reste pas moins qu’elle estime devoir rechercher « si les autorités nationales ont, dans toute la mesure compatible avec la préservation de la confidentialité et la bonne conduite des investigations, informé les intéressés, dans le cadre de la procédure, de la substance des reproches dont ils ont fait l’objet » (paragraphe 151 du présent arrêt). Or dans l’arrêt Regner, la Cour avait jugé que « le droit tchèque aurait pu prévoir, dans toute la mesure compatible avec la préservation de la confidentialité et de la bonne conduite des investigations visant une personne, que celle-ci soit informée, à tout le moins sommairement, dans le cadre de la procédure, de la substance des reproches dont elle fait l’objet. » (Regner, précité, § 153).

On note ici une divergence évidente, entre ces deux affaires, en ce qui concerne le contenu de l’information dont la Cour exige la communication aux intéressés. Le fait que la Cour ait supprimé l’expression « à tout le moins sommairement » dans le présent arrêt indique qu’elle estime que l’intéressé devrait être informé, au titre de l’article 1 du Protocole no 7, de la substance des reproches dont il fait l’objet, et qu’une information sommaire de la substance de ces faits ne saurait être considérée comme suffisante. On en déduit que l’arrêt Muhammad et Muhammad impose une exigence distincte de celle formulée dans l’arrêt Regner. Peut-on y voir un renforcement implicite des garanties procédurales devant être accordées au titre de l’article 1 du Protocole no 7 – article censé offrir des garanties procédurales « minimales » – par rapport à celles exigées sur le terrain de l’article 6 de la Convention ?

On observe donc que la majorité a développé en l’espèce des garanties procédurales que non seulement les « pères de la Convention » n’entendaient pas octroyer, mais qui ne font pas non plus l’objet d’un consensus européen. À cet égard, force est de constater que deux « États fondateurs » de la Convention – le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ainsi que l’Allemagne, n’ont jamais ratifié le Protocole no 7, et que la Suisse l’a ratifié avec cette réserve claire : « [l]orsque l’expulsion intervient à la suite d’une décision du Conseil fédéral (…) pour menace de la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse, la personne concernée ne bénéficie pas des droits énumérés au 1er alinéa, même après l’exécution de l’expulsion ».

S’agissant de la représentation des intéressés, la Cour n’a pas examiné dans l’arrêt Regner si l’avocat du requérant aurait pu avoir accès aux documents classifiés et, dans l’affirmative, dans quelles conditions. À cet égard, il faut noter que dans l’affaire Muhammad et Muhammad, le système judiciaire roumain permettait aux intéressés de se faire assister par un avocat titulaire d’un certificat ORNISS lui donnant accès aux documents classifiés. Une telle garantie peut compenser de manière efficace la limitation du droit d’accès aux pièces du dossier. Or en l’espèce, les requérants ont été représentés pendant la procédure de recours par deux avocates qui auraient pu – et auraient dû – les informer de la possibilité de se faire représenter par un avocat titulaire d’un certificat ORNISS, voire les assister dans leurs démarches auprès du barreau pour trouver un tel avocat.

Enfin, s’agissant du facteur relatif à l’intervention dans la procédure d’une autorité indépendante, il faut noter que dans l’arrêt Muhammad et Muhammad, la Cour définit son contenu en prenant en compte des éléments qu’elle a considérés pertinents et suffisants dans l’arrêt Regner pour contrebalancer la limitation des droits procéduraux du requérant : l’autorité compétente doit jouir d’indépendance, elle doit avoir accès aux documents classifiés qui fondent la demande d’expulsion, elle doit pouvoir décider du bien-fondé de la décision ou au moins de sa légalité et sanctionner, le cas échéant, une décision arbitraire, elle doit dûment exercer le pouvoir de contrôle dont elle dispose dans ce type de procédure et fournir une certaine motivation pour justifier sa décision au regard des circonstances concrètes du cas d’espèce.

Une lecture parallèle du présent arrêt et de l’arrêt Regner permet donc de constater qu’après avoir déclaré que les garanties accordées par l’article 6 de la Convention n’étaient pas transposables à l’article 1 du Protocole no 7, la Cour n’en a pas moins suivi en l’espèce un raisonnement qui reprend les éléments dont elle avait tenu compte dans l’arrêt Regner.

Qui plus est, comme indiqué ci-dessus, la Cour énonce dans le présent arrêt une exigence plus stricte quant à l’information à fournir aux intéressés.

Bien que la Cour souligne que l’article 1 § 1 du Protocole no 7 ne requiert pas nécessairement la mise en place de manière cumulative de tous les éléments énumérés dans son arrêt (paragraphe 157 du présent arrêt), il n’en reste pas moins que les garanties « minimales » offertes par cette disposition paraissent similaires à celles accordées par l’article 6 de la Convention pour un même type de limitation des droits procéduraux.

Les aspects mis en évidence ci-dessus nous conduisent à conclure que dans le présent arrêt, la Cour s’écarte de sa propre jurisprudence récente telle qu’elle ressort de l’arrêt Regner, ou qu’elle entend revenir indirectement sur les constats opérés par elle dans ce dernier arrêt.

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[1] Voir Gatto c. Italie (déc.), n° 19424/08, § 18, 8 mars 2016, qui renvoie à l’ arrêt n° 231 rendu en 1975 par la Cour constitutionnelle italienne, où il est fait état de la notion de « substance » du droit à la défense.
[2] Voir Kimlya et autres c. Russie, n° 76836/01, § 59, 1er octobre 2009, qui renvoie à un arrêt n° 16-P rendu par la Cour constitutionnelle russe le 23 novembre 1999 ; et Zinovchik c. Russie, n° 27217/06, § 34, 9 février 2016, qui renvoie à deux arrêts de cette même Cour (nos 43-O et 231-O), rendus le 14 janvier 2003 et le 20 juin 2006 respectivement.
[3] Voir les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) Volker und Markus Schecke et Eifert(C-92/09 et C-93/09), 9 novembre 2010; et Conseil c. Manufacturing Support &ProcurementKalaNaft (C-348/12 P), §§ 65-73, 28 novembre 2013; l’arrêt du Tribunal de première instance de l’Union européenne Ben Ali c. Conseil (T-133/12), §§ 76, 80, 2 avril 2014; ainsi que les arrêts de la CJUE Digital Rights Ireland etSeitlinger et autres (affaires jointes C-293/12 et C-594/12), § 39, 8 avril 2014; Spasic(C-129/14 PPU), §§ 55, 57-59, 62-65, 68, 73, 74, 27 mai 2014; et Schrems c. Data Protection Commissioner (C-362/14), §§ 94 et 95, 6 octobre 2015.
[4] Voir Schrems,CJUE,précité.
[5] Voir Digital Rights Ireland Ltd. et Seitlinger et autres, CJUE, arrêt du 8 avril 2014, précité.
[6] Voir Tele2 Sverige AB et Tom Watson et autres (affaires jointes C-203/15 et C-698/15), CJUE, arrêt du 21 décembre 2016.
[7] Voir, entre autres, Confédération des entreprises suédoises c. Suède, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 12/2002, § 30, 22 mai 2003; Centrale générale des services publics (CGSP) c. Belgique, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 25/2004, § 41, 9 mai 2005; Fédération des entreprises finlandaises c. Finlande, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 35/2006, §§ 29-30, 16 octobre 2007; Confédération européenne de Police (EuroCOP) c. Irlande, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 83/2012, § 212, 2 décembre 2013; Conseil Européen des Syndicats de Police (CESP) c. France, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 101/2013, § 134, 27 janvier 2016; Bedriftsforbundet c. Norvège, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 103/2013, § 76, 17 mai 2016; ConfederazioneGeneraleItalianadelLavoro (CGIL) c. Italie, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 140/2016, § 144, 22 janvier 2019.
[8] Pour une introduction au débat scientifique sur ce sujet du point de vue de la Convention européenne des droits de l’homme, voir F. Sudre, « Droits intangibles et/ou droits fondamentaux : y a-t-il des droits prééminents dans la Convention européenne des droits de l’homme ? », in Liber Amicorum Marc-André Eissen, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 381-398; O. de Frouville, « L’intangibilité des droits de l’homme en droit international – Régime conventionnel des droits de l’homme et droits des traités », Paris, Pedone, 2004; M. Afroukh, « La hiérarchie des droits et libertés dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Bruxelles, Bruylant, 2011 ; Blanc-Fily, « Les valeurs dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Essai critique sur l’interprétation axiologique du juge européen », Bruxelles, Bruylant, 2016 ; O. Rouziere-Beaulieu, « La protection de la substance du droit par la Cour européenne des droits de l’homme », Thèse doctorale, université de Montpellier, 2017 ; et S. Van Drooghenbroeck et C. Rizcallah, « The ECHR and the Essence of FundamentalRights: Searching for Sugar in Hot Milk ? », inGerman Law Journal (2019), 20, pp. 904-923.
[9] Koen Lenaerts, « Limits on Limitations: The Essence of Fundamental Rights in the EU », in German Law Journal, Volume 20, numérospécial 6, septembre 2019, p. 779.
[10] Voir Affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique, nos 1474/62, 1677/62, 1691/62, 1769/63, 1994/63, 2126/64, partie en droit,§ 5, 23 juillet 1968.
[11] La substance de l’article 5 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Winterwerp c. Pays-Bas, n° 6301/73, § 60, 24 octobre 1979 ; puis par la nouvelle Cour dans les arrêts Freimanis et Lidums c. Lettonie, nos 73443/01 et 74860/01, § 96, 9 février 2006 ; et Koutalidis c. Grèce, n° 18785/13, § 40, 27 novembre 2014 ; et par la Grande Chambre dans les arrêts Medvedyev et autres c. France [GC], n° 3394/03, § 100, CEDH 2010 ; et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], n° 47848/08, § 113, CEDH 2014.
[12] La substance de l’article 6 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 38, série A n° 18 ; puis dans les arrêts Philis c. Grèce (n°1), 27 août 1991, § 65, série A n° 209 ; et Fayed c. Royaume-Uni, n° 17101/90, § 65, 21 septembre 1994, ainsi que dans de nombreuses autres affaires (voir la note de bas de page n° 78).
[13] La substance de l’article 8 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêtPhinikaridou c. Chypre, n° 23890/02, § 65, 20 décembre 2007 ; et à nouveau dans les arrêts

Backlund c. Finlande, n° 36498/05, § 56, 6 juillet 2010, et Schüth c. Allemagne, n° 1620/03, § 71, 23 septembre 2010 ; et en dernier lieu par la Grande Chambre dans l’arrêt Fernández Martínez c. Espagne [GC], n° 56030/07, § 132, CEDH 2014.
[14] La notion de substance de l’article 9 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n° 30985/96, § 62, CEDH 2000‑XI ; et développée plus récemment dans l’arrêt Sinan Isik c. Turquie, n° 21924/05, § 42, 2 février 2010.
[15] La substance de l’article 10 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Barthold c. Allemagne, n° 8734/79, § 53, 25 mars1985 ; puis par la nouvelle Cour dans l’arrêt Appleby et autres c. Royaume-Uni, n° 44306/98, § 47, 6 mai 2003.
[16] La substance de l’article 11 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni, 13 août 1981, §§ 52, 55 et 57, série A n° 44 ; puis développée par la nouvelle Cour dans les arrêts Wilson, National Union of Journalists et autres c. Royaume-Uni, nos 30668/96, 30671/96 et 30678/96, § 46, CEDH 2002‑V ; et Association Rhino et autres c. Suisse, n° 48848/07, § 66, 11 octobre 2011.
[17] La substance de l’article 12 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Rees c. Royaume-Uni, n° 9532/81, 17 octobre 1986, § 50, série A n° 106 ; puis par la nouvelle Cour dans l’arrêt I. c. Royaume-Uni [GC], n° 25680/94, § 79, 11 juillet 2002.
[18] La substance de l’article 34 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Cruz Varas et autres c. Suède, 20 mars 1991, § 99, série A n° 201 ; puis par la nouvelle Cour dans l’arrêt Tanrikulu c. Turquie [GC], n° 23763/94, § 132, CEDH 1999‑IV.
[19] La substance de l’article 1 du Protocole n° 1 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, §§ 60 et 63, série A n° 52 ; et de nouveau dans l’arrêt Matos e Silva Lda., et autres c. Portugal, n° 15777/89, § 79, 16 septembre 1996.
[20] La substance de l’article 2 du Protocole n° 1 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Chypre c. Turquie [GC], n° 25781/94, § 278, CEDH 2001‑IV ; et cette notion a été réaffirmée dans l’arrêt Leyla Sahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, §154, 10 novembre 2005.
[21] La substance de l’article 3 du Protocole n° 1 a été mentionnée pour la première fois dans l’arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 52, série A n° 113 ; et de nouveau par la nouvelle Cour dans l’arrêt Matthews c. Royaume-Uni [GC], n° 24833/94, §§ 63 et 65, CEDH 1999‑I.
[22] La substance de l’article 2 du Protocole n° 7 a été mentionnée pour la première fois dans la décision Haser c. Suisse (déc.), n° 33050/96, 27 avril 2000 ; et de nouveau dans l’arrêt Krombach c. France, n° 29731/96, § 96, 13 février 2001.
[23] Voir Affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique, précitée, partie en droit, § 5.
[24] Voir Young, James et Webster, précité, §§ 52, 55 et 57.
[25] Voir T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], n° 28945/95, § 98, CEDH 2001‑V (extraits). Le terme « essence » employé dans le paragraphe 98 de la version anglaise de cet arrêt a été traduit par « substance » dans la version française.
[26] Voir Winterwerp, précité, § 60, et Brogan et autres c. Royaume-Uni, §§ 59 et 62, série A n° 145‑B.
[27] Voir Görgülü c. Allemagne, n° 74969/01, § 59, 26 février 2004 ; Vasilakis c. Grèce, n° 25145/05, § 43, 17 janvier 2008 ; et Garib c. Pays-Bas [GC], n° 43494/09, § 141, 6 novembre 2017.
[28] Voir Hassan et Tchaouch, précité, § 62, et Schüth c. Allemagne, précité, § 71.
[29] Voir Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France, nos 48151/11 et 77769/13, § 186, 18 janvier 2018.Le terme « core » employé dans le paragraphe 186 de la version anglaise de cet arrêt correspond au terme « cœur » dans la version française.
[30] Voir Losonci Rose et Rose c. Suisse, n° 664/06, §§ 51 et 52, 9 novembre 2010.
[31] Voir Platakou c. Grèce, n° 38460/97, § 49, 11 janvier 2001 ; Nedzela c. France, n° 73695/01, § 58, 27 juillet 2006, Phinikaridou, précité, §§ 65 et 66 ; Association Rhino et autres, précité, § 66 ; et Wallishauser c. Autriche, n° 156/04, § 72, 17 juillet 2012.
[32] Voir Young, James et Webster, précité, § 57.
[33] Voir Matos e Silva Lda., et autres, précité, § 79.
[34] Voir Centre pour la démocratie et l’état de droit c. Ukraine, no 10090/16, § 102, 26 mars 2020.
[35] Voir Sporrong et Lönnroth, précité, §§ 60 et 63.
[36] Voir National Union of Rail, Maritime and Transport Workersc. Royaume-Uni, n° 31045/10, § 87, CEDH 2014, et Tek Gida Is Sendikasi c. Turquie, n° 35009/05, § 36, 4 avril 2017.
[37] Voir Regner c. République tchèque [GC], no35289/11, 19 septembre 2017. Voir aussi le paragraphe 8 de l’opinion du juge Wojtyczek jointe à l’arrêtNaït-Liman c. Suisse [GC], n° 51357/07, § 112, 15 mars 2018.
[38] Voir le paragraphe 126 du présent arrêt.
[39] Voir le paragraphe 130 du présent arrêt.
[40] Voir le paragraphe 139 du présent arrêt.
[41] Voir le paragraphe 133 du présent arrêt. Il n’y a donc aucune place autonome pour l’examen de la « substance même » du droit en cause dans l’approche en deux temps utilisée dans le raisonnement de la majorité, approche que l’on retrouve au paragraphe 137 du présent arrêt.
[42] Voir les paragraphes 147-157 du présent arrêt.
[43] Voir le paragraphe 150 du présent arrêt.
[44] Voir le paragraphe 157 du présent arrêt.
[45] Voir le paragraphe 144 du présent arrêt (italiques ajoutés).
[46] Voir le paragraphe 145 du présent arrêt (italiques ajoutés).
[47] Voir le paragraphe 203 du présent arrêt (italiques ajoutés).
[48] Voir l’opinion du juge Costa jointe à l’arrêt Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, CEDH 2001‑VIII, et, dans le même sens et jointe au même arrêt, l’opinion du juge Ress, à laquelle s’est rallié le juge Zupančič ; l’opinion des juges Russo et Spielmann jointe à l’arrêt Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986,série A n° 102 ; les opinions des juges Jambrek, Martens et Matscher jointes à l’arrêt Gustafsson c. Suède (révision), 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI; l’opinion du juge Bonello, à laquelle se sont ralliés les juges Zupančič et Gyulumyan, jointe à l’arrêt Kart c. Turquie [GC], n° 8917/05, CEDH 2009 ; ainsi que l’opinion du juge Serghides jointe à l’arrêt Regner, précité, § 44.
[49] Voir l’opinion du juge Sajo jointe à l’arrêt Regner, précité, §§ 5 et 15. Voir aussi Van Droogenbroeck, « La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Prendre l’idée simple au sérieux », Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 406 et suiv. ; et Muzny, « La technique de proportionnalité et le juge de la Convention européenne des droits de l’homme. Essai sur un instrument nécessaire dans une société démocratique », Aix-en-Provence, Presses universitaires, 2005, pp. 293 et suiv.
[50] Voir le paragraphe 137 du présent arrêt.
[51] Voir le paragraphe 138 du présent arrêt.
[52] Voir le paragraphe 146 du présent arrêt.
[53] Voir Van Der Schyff, « Limitation of Rights: a study of the European Convention on Human Rights and the South African Bill of Rights », Nijmegen, Wolf, 2005, p. 166.
[54] Voir le paragraphe 145 du présent arrêt.
[55] Dans les limites d’une « certaine marge d’appréciation » (§ 149 du présent arrêt), quoi que cela puisse signifier.
[56] Voir le paragraphe 132 du présent arrêt.
[57] Voir le paragraphe 137 du présent arrêt.
[58] Voir le paragraphe 150 du présent arrêt.
[59] Voir le paragraphe 157 du présent arrêt.
[60] Au paragraphe 150 du présent arrêt, la majorité cite les arrêts Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 274, 13 septembre 2016, et Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 150, 9 novembre 2018. Au paragraphe 153, elle cite à nouveau ces arrêts et, au paragraphe 168, d’autres arrêts de principe rendus dans des affaires pénales. Ce faisant, elle renforce l’impression générale selon laquelle est paraît désormais vouloir assimiler les procédures d’expulsion aux procédures pénales. Faut-il en déduire qu’elle s’apprête à revenir sur le regrettable paragraphe 38 de l’arrêt Maaouia c. France [GC], no 39652/98, 5 octobre 2000, malgré la déclaration pieuse en sens contraire formulée au paragraphe 115 du présent arrêt ? Pour ma part, j’ai déjà dit que Maaouia était une mauvaise décision à laquelle l’article 1 du Protocole n° 7 n’apportait pas entièrement remède (voir la note de bas de page n° 49 de mon opinion jointe à l’arrêt HirsiJamaa et autres c. Italie [GC],no 27765/09, CEDH 2012; et la note de bas de page n° 38 de mon opinion jointe à l’arrêt De Souza Ribeiro c. France [GC], n° 22689/07, CEDH 2012).
[61] Voir le paragraphe § 157 du présent arrêt.
[62] Voir le paragraphe § 149 du présent arrêt.
[63] J’ai eu l’occasion d’aborder cet aspect de la jurisprudence de Strasbourg dans mon opinion jointe à l’arrêt Hutchinson c. Royaume-Uni [GC], no 57592/08, 17 janvier 2017, en particulier aux §§ 38-40 de celle-ci.
[64] Voir le paragraphe § 115 du présent arrêt.
[65] Voir le paragraphe 149 du présent arrêt.
[66] Voir mes opinions jointes aux arrêts Murtazaliyeva c. Russie [GC], no36658/05, 18 décembre 2018, etFarrugia c. Malte, no 63041/13, 4 juin 2019.
[67] J’oppose à cette lecture casuistique de la Convention une interprétation fondée sur des principes. Voir mon opinion jointe à l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité.
[68] À laquelle la majorité est parvenue dans les paragraphes 133 et 157 du présent arrêt, qui revêtent une importance cruciale.
[69] Cette méthode est aussi celle employée par la CJUE (voir Koen Lenaerts, précité, p.787 : « la Cour recherchera d’abord si la mesure sous examen respecte la substance des droits fondamentaux en cause et ne portera une appréciation sur sa proportionnalité que si la réponse à cette première question est affirmative »).
[70] Voir le paragraphe 71 de mon opinion jointe à l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], n° 56080/13, 19 décembre 2017.
[71] Ainsi que de l’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 29 a) de la Convention interaméricaine des droits de l’homme.
[72] Comme l’ont observé le juge Van Dijk au paragraphe 8 de son opinion jointe à l’arrêt Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni, 30 juillet 1998, Recueil 1998‑V; les juges Pejchal, Dedov, Ravarani, Eicke et Paczolay aux paragraphes 7-19 de leur opinion séparée commune jointe à l’arrêt Navalnyy c. Russie, nos 29580/12 et autres, 15 novembre 2018 ; le juge Serghides aux paragraphes 44 et 50 de son opinion jointe à l’arrêt Regner, précité ; ainsi que Frouville, précité, pp. 236-237 ; Rouziere-Beaulieu, précité, p. 92 ; et S. Van Drooghenbroeck et C. Rizcallah. précité, p. 908.
[73] Voir le paragraphe 2 de l’opinion du juge De Meyer jointe à l’arrêt Tinnelly& Sons Ltd et autres et McElduff et autres c. Royaume-Uni, 10 juillet 1998, Recueil 1998‑IV ; et le paragraphe 8 de l’opinion du juge Van Dijk jointe à l’arrêt Sheffield et Horsham, précité.
[74] Voir Golder, précité, § 36.
[75] VoirGolder, précité, § 38.
[76] Voir Heaney et McGuinness c. Irlande, no34720/97, § 58, CEDH 2000‑XII ; et Serves c. France, 20 octobre 1997, § 47,Recueil 1997‑VI.
[77] Voir Matelly c. France, n° 10609/10, § 57, 2 octobre 2014 ; Regner, précité, § 148 ; et Ognevenko c. Russie, n° 44873/09, § 59, 20 novembre 2018.
[78] Voir Ashingdane c. Royaume-Uni, n° 8225/78, § 57, série A n° 93 (italiques ajoutés); Lithgow et autres, précité, § 194; Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52; Fayed, précité; Bellet c. France, n° 23805/94, 4 décembre 1995, § 31, série A n° 333‑B; Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, § 50, 52 et 56,Recueil 1996‑IV; Tinnelly& Sons Ltd et autres etMcElduff et autres, précités, § 72 ; T.P. et K.M. c. Royaume-Uni, précité, § 98; Z et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 93, CEDH 2001; R.P. et autres c. Royaume-Uni, no 38245/08 § 64, 9 octobre 2012; Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 129, 21 juin 2016; Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 89, 29 novembre 2016; Naït-Liman,précité, §§ 114-15 ; Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, § 78, 5 avril 2018; et Nicolae VirgiliuTănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 195, 25 juin 2019.
[79] Voir mes opinions séparées jointes aux arrêts Mouvement raëlien suisse c. Suisse [GC], no 16354/06, CEDH 2012; Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, CEDH 2012; et Lopes de Sousa Fernandes [GC], précité.
[80] En général, la Cour rattache la violation de la substance d’un droit conventionnel à la privation totale de la possibilité de l’exercer, c’est-à-dire à son anéantissement (Heaney et McGuinness c. Irlande, précité, § 55, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002‑IX ; Appleby et autres, précité, § 47 ; Aziz c. Chypre, n° 69949/01 §§ 29 et 30, 22 juin 2004 ; Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 101, CEDH 2006‑IX ; Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 260, CEDH 2012; R.P. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 65; Al-Dulimi et Montana Management Inc., précité, § 129 ; Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 155, 8 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres, précité, § 99 ; et Al Nashiri c. Roumanie, no 33234/12, § 717, 31 mai 2018). Il arrive aussi à la Cour de considérer que certains actes des autorités nationales reviennent à nier la substance même du droit conventionnel en cause (voir, par exemple, Tanrikulu, précité, § 132 ; et Brogan et autres, précité, § 59).
[81] En ce qui concerne la conséquence des erreurs structurelles sur l’équité du procès pénal, voir l’opinion partiellement dissidente jointe à l’arrêt Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, CEDH 2015.
[82] Dans l’arrêt Brogan et autres, précité, § 61, la Cour a admis que « [l]a recherche des infractions terroristes place sans nul doute les autorités devant des problèmes particuliers », ce qui ne l’a pas empêchée de conclure que l’« [o]n élargirait de manière inacceptable le sens manifeste d’ « aussitôt » si l’on attachait aux caractéristiques de la cause un poids assez grand pour justifier une si longue détention sans comparution devant un juge ou un « autre magistrat ». On mutilerait de la sorte, au détriment de l’individu, une garantie de procédure offerte par l’article 5 par. 3 (art. 5-3) et l’on aboutirait à des conséquences contraires à la substance même du droit protégé par lui ».Elle l’a dit de manière encore plus claire dans l’arrêt Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990,§ 32, série A n° 182 : « la nécessité de combattre la criminalité terroriste ne saurait justifier que l’on étende la notion de « plausibilité » jusqu’à porter atteinte à la substance de la garantie assurée par l’article 5 § 1 c) (art. 5-1-c) ». Cette position est exactement identique à celle que la Cour de justice de l’Union européenne a adoptée dans l’arrêt Schrems, précité (selon Koen Lenaerts, précité, p. 782 : « En premier lieu, [cet arrêt] indique clairement qu’aucun motif ne peut justifier une mesure portant atteinte à la substance d’un droit fondamental, même dans le cas où la sécurité nationale d’un État tiers est en jeu »).
[83] Voir Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, §§ 120 et 121, 23 juin 2016.
[84] Toutefois, la jurisprudence de la Cour n’est pas toujours cohérente. La Cour a estimé, dans l’arrêt Károly Nagy c. Hongrie, qu’une interdiction totale d’accès à un tribunal ne portait pas atteinte à la substance du droit protégé par l’article 6(Károly Nagyc. Hongrie [GC], no 56665/09, 14 septembre 2017). Cette incohérence m’a conduit à m’écarter de la conclusion à laquelle la majorité est parvenue dans cette affaire.
[85] Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52 ; Matthews, précité, §§ 63 et 65 ; et Aziz, précité, § 30.
[86] Voir le paragraphe 148 du présent arrêt.
[87] Voir le paragraphe 149 du présent arrêt.
[88] Voir les paragraphes 71-78 du présent arrêt.
[89] En ce qui concerne l’expulsion d’un étranger en phase terminale, voir S.J.c. Belgique [GC], no 70055/10, CEDH 2015 ; en ce qui concerne l’expulsion d’un étranger sans papiers, voirDe Souza Ribeiro, précité ; en ce qui concerne le refoulement collectif de demandeurs d’asile interceptés en haute mer, voir HirsiJamaa et autres, précité ; en ce qui concerne l’expulsion d’un jeune étranger condamné pour coups et blessures graves, voir Zakharchuk c. Russie, no 2967/12, 17 décembre 2019; en ce qui concerne le refoulement d’un demandeur d’asile à la frontière, voir M.A. c. Lituanie, no59793/17, 11 décembre 2018; en ce qui concerne l’expulsion administrative d’un étranger condamné pour infraction sexuelle, alors même que la juridiction répressive avait sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, voir Vasquez c. Suisse, no1785/08, 26 novembre 2013; en ce qui concerne l’expulsion d’un étranger condamné pour trafic de stupéfiants, voir Kissiwa Koffi c. Suisse, no 38005/07, 15 novembre 2012; et, en ce qui concerne l’expulsion d’un étranger condamné pour plusieurs infractions de faible gravité, voir Shala c. Suisse, no 52873/09, 15 novembre 2012.
[90] En ce qui concerne les procédures d’expulsion fondées sur des motifs de sécurité nationale, ce principe a été énoncé dans les affaires Ljatifi c. l’« ex-République yougoslave de Macédoine », no19017/16, § 35, 17 mai 2018 ; ZZ c.Secretary of State for the Home Department (C-300/11), Cour de justice de l’Union européenne, arrêt du 4 juin 2013, § 65 ; Ahani c. Canada, Comité des droits de l’homme des Nations unies, communication n° 1051/2002, §§ 10.5-10.8 ; etBachan Singh Sogi c. Canada, Comité des Nations unies contre la torture, communication n° 297/2006, §§ 10.4-10.5.
[91] Voir C.G. et autres c. Bulgarie, no 1365/07, § 74, 24 avril 2008.
[92] Lupsa c. Roumanie, no 10337/04, § 59, CEDH 2006.
[93] Kaya c. Roumanie, no 33970/05, § 59, 12 octobre 2006.
[94] Ahmed c. Roumanie, no 34621/03, § 53, 13 juillet 2010.
[95] Geleri c. Roumanie, no 33118/05, § 46, 15 février 2011. Ce problème ne touche pas uniquement la Roumanie. Voir, par exemple, l’affaire Baltaji c. Bulgarie, n° 12919/04, § 58, 12 juillet 2011, dans laquelle la Cour a conclu que le recours ouvert au requérant était « purement formel », car celui-ci n’avait pu prendre connaissance des raisons factuelles de son expulsion.
[96] Il est donc tout simplement inexact de dire, comme le fait la majorité au paragraphe 127 du présent arrêt, que la Cour n’a pas examiné « la question de savoir s’il était également nécessaire que les motifs susmentionnés soient communiqués à la personne concernée » dans les affaires dont elle a eu jusqu’à présent à connaître. La Cour a imposé la communication aux personnes concernées des raisons factuelles de leur expulsion dans l’ensemble des affaires roumaines précitées, et elle a en conséquence conclu à la violation de l’article 1 du Protocole n° 7 à chaque fois qu’elle a constaté que les autorités roumaines – notamment les juridictions internes – n’avaient pas révélé aux intéressés les faits ayant motivé leur expulsion.
[97] Voir les paragraphes 162 et 163 du présent arrêt.
[98] Voir le paragraphe 164 du présent arrêt.
[99] Voir le paragraphe 165 du présent arrêt.
[100] Voir le paragraphe 164 du présent arrêt.
[101] Malone c. Royaume-Uni, n° 8691/79, 2 août 1984, § 67, série A n° 82.
[102] Voir Jonas Christoffersen, in « Fair Balance: Proportionality, and Primarity in the European Convention on HumanRights », Leyde, 2009, p. 137, où Christoffersen observe que « [p]our comprendre le principe de proportionnalité, il est essentiel de savoir comment la substance même est délimitée, et comment les moyens de délimitation interagissent avec les autres facteurs inhérents au contrôle de proportionnalité ». Le présent arrêt ne délimite pas la notion de substance et ne dit rien des interactions en question.
[103] Heaney et McGuinness, précité, § 58: « La Cour estime donc que les préoccupations de sécurité et d’ordre publics qu’invoque le Gouvernement ne sauraient justifier une disposition vidant de leur substance même les droits des requérants de garder le silence et de ne pas contribuer à leur propre incrimination garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. »
[104] Sur cette disposition, voir, de manière générale, Harris, O’Boyle et Warbrick, « Law of the European Convention on Human Rights », 4e éd., Oxford, 2018, pp. 957-959; William A. Schabas, « The European Convention on Human Rights – A commentary »,Oxford, 2015, pp. 1125-1133; KeesFlinterman, « Procedural Safeguards Relating to Expulsion of Aliens » (chapitre 25), in Pieter van Dijk, Fried van Hoof, Arjen van Rijn et Leo Zwaak (éds.), « Theory and Practice of the European Convention on Human Rights »,Cambridge-Antwerp-Portland, 2018, pp. 965-969; et Juan Fernando Durán Alba, « Guarantees against Expulsion of Aliens under Article 1 of Protocol No. 7 », in Javier Garcia Roca et Pablo Santolaya (éds.), « Europe of Rights: A Compendium on the European Convention of Human Rights », Leiden-Boston, 2012, pp. 635-640.
[105] Les quatre autres articles de ce Protocole ne revêtent pas un caractère matériel.
[106] William A. Schabas, précité,p. 1125, avance que le préambule du Protocole n° 7, « succinct et plutôt laconique », « n’apporte aucune contribution significative à [l’]interprétation [de cet instrument] », ajoutant qu’« [i]l ne semble pas que [ce préambule] ait jamais été cité dans la jurisprudence des organes de la Convention » (ibidem). Toutefois, la position exprimée dans la présente opinion montre que ce préambule, enfin cité dans la jurisprudence de la Cour – ne fût-ce que par le biais d’une opinion séparée, peut contribuer à l’interprétation du Protocole en question.
[107] « Ces exceptions doivent être appliquées en tenant comptedu principe de proportionnalité tel que défini par la jurisprudence de la Cour (…) ». Voir le paragraphe 15 du rapport explicatif du Protocole n° 7 (Strasbourg, 22.XI.1984).
[108] Sur ce point, voir O’BoyleetWarbrick, précité, p. 958; Schabas, précité,pp. 1127, 1132; et Flinterman, précité, pp. 965, 968-9.
[109] Voir, par exemple,Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, §§ 57-58, série A n° 112. Pour plus d’informations sur ceprincipe, voir, entre autres, John G. Merrills, « The Development of International Law by the European Court of Human Rights », 2eéd., Manchester, 1993, pp. 72 et suiv..; Bernadette Rainey, Elizabeth Wicks, et Clare Ovey (éds.), Jacobs, White et Ovey, « The European Convention on Human Rights », 7eéd.,Oxford, 2017, 69 et suiv.; Daniel Rietiker, « « The Principle of Effectiveness » in the Recent Jurisprudence of the European Court of Human rights: its Different Dimensions and its Consistency with Public International Law – no Need for the Concept of Treaty Sui Generis », Nordic Journal of International Law, 2010, 79, 245pp. 271 et suiv.; Céline Brawmann et August Reinisch, « Effet Utile », in Joseph Klingler, Yuri Parkhomenko et ConstantinosSalonidis (éds.), « Between the Lines of the Vienna Convention? – Canons and Other Principles of Interpretation in Public International Law », Alphen aan den Rijn, 2019, 47 etsuiv.
[110] Voir le paragraphe 20 de l’opinion en partie dissidente du juge Serghidesjointe à l’arrêtRegnerc. République tchèque [GC], n° 35289/11, 19 septembre 2017.
[111] Sur le rôle du principe d’effectivité en tant que méthode d’interprétation et que norme de droit international, voirGeorgios A. Serghides, « The Principle of Effectiveness in the European Convention on HumanRights, in Particularits Relationship to the Other Convention Principles », Annuaire de La Haye de Droit International, 2017, Vol. 30, pp. 1 et suiv.; les paragraphes 15 et 22 de l’opinion concordante du jugeSerghidesjointe à l’arrêtS.M. c. Croatie[GC], n° 60561/14, 25 juin 2020; le paragraphe 19 de l’opinion concordante du jugeSerghidesjointe à l’arrêtObote c. Russie, n° 58954/09, 19 novembre 2019; les paragraphes 8-12 de l’opinion dissidente du jugeSerghidesjointe à l’arrêtRashkinc. Russie, n° 69575/10, 7 juillet 2020 (non encore définitif); etle paragraphe 6 de l’opinion concordante du jugeSerghidesjointe à l’arrêtOOO Regnumc. Russie, n° 22649/08, 8 septembre 2020 (non encore définitif).
[112] Voir Georgios A. Serghides, « The Principle of Effectiveness (…) », précité, pp. 5-6.
[113] Sur ce principe en général, voir,entre autres, Xavier Souvignet, « La prééminence du droit dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme », Bruxelles, 2012.
[114] Voir Ingo Venzke, « How Interpretation Makes International Law: on Semantic Change and Normative Twists », Oxford, 2012.
[115] Ibidem., p. 7.
[116] Robert Alexy, « A Theory of ConstitutionalRights », publié pour la première fois en 1985 (deuxième éd. 2002), traduction de Julian Rivers, Oxford: Oxford UniversityPress.
[117]Voir Richard Posner, « Torture, Terrorism and Interrogation », in Sanford Levinson (éd.), Torture. A Collection, Oxford, 2004, pp. 291-298.
[118] Elaine Scarry, « Five errors in the Reasoning of Alan Dershowitz », in Sanford Levinson (éd.), précité, pp. 281-290. Pour une condamnation de la torture, voir Aksoy c. Turquie, n° 21987/93, 18 décembre 1996.
[119] Voir Al Nashiri c. Roumanie, n° 33234/12, 31 mai 2018; Al Nashiri c. Pologne, n° 28761/11, 24 juillet 2014; etAbu Zubaydah c. Lituanie, n° 46454/11, 31 mai 2018.
[120] Alexy, R. « On Balancing and Subsumption. A Structural Comparison », Ratio Juris, 10, 2003, 433-449. Alexy, R. « Kollision und AbwägungalsGrundprobleme der Grunrechtsdogmatik » World Constitutional Law Review, 6, 2002, 9-26. Alexy, A, « Die Abwägung in der Rechtsanwendung ».Jahresbericht des Institutes fürRechtswissenschaften an der MeeijGakuinUniversität, 2002, 17, 69-83, MaríaElósegui, (coordinatrice), « El principio de proporcionalidad de Alexy y losacomodamientosrazonablesen el caso del TEDH Eweida y otros c. ReinoUnido/ Das Verhältnismässigenanpassungen in der Entscheidung des EuropäischenGerichtshofsfürMenschenrechte (EGMR) im Fall Eweida und Anderegegen das VereignigteKönigsreich », « Los principios y la interpretación judicial de losDerechosFundamentales. Homenaje a Robert Alexy en su 70 Aniversario », Zaragoza, Fondation GiménezAbad, Alexander von Humboldt Stiftung et Marcial Pons, 2016. Alejandra Flores, María Elósegui et Enrique Uribe (éds.) « El neoconstitucionalismo en la teoría de la argumentación de Robert Alexy. Homenaje en su 70 Aniversario », Mexico, EditorialPorrúa et Université autonome de l’État de Mexico, 2015.
[121] Martin Borowski, « GrundrechtealsPrinzipien », deuxième édition, Baden-Baden, Nomos, 2007.
[122] Matthias Klatt et Moritz Meister partagent cette opinion, voir Matthias Klatt et Moritz Meister (éds.), « The Constitutional Structure of Proportionality », Oxford UniversityPress, 2012, 9 : « l’analyse du contrôle de proportionnalité proposée par Alexy est aussi proche que possible de la jurisprudence de la CEDH ».
[123] Robert Alexy, « The Responsibility of Internet Portal Providers for Readers´Comments. Argumentation and Balancing in the Case of Delfi A.S. v. Estonia », inMaríaElósegui, Iulia Motoc et Alina Miron (éds.), The Rule of Law. Recent Challenges and JudicialResponses. Springer, 2020 (sous presse).
[124] Laura Clérico, « El examen de proporcionalidad en el DerechoConstitucional », Eudeba, Buenos Aires, 2009.
[125] Aharon Barak, « Proportionality: Constitutional Rights and their Limitations », Cambridge University Press, 2012.
[126] JaccoBomhoff, « Balancing Constitutional Rights: The Origins and Meaning of Postwar Legal Discourse » (Cambridge Studies in Constitutional Law), Cambridge University Press, 2015.
[127] Moshe Cohen-EliyaetIddoPorat, « Proportionality and Constitutional Culture », Cambridge University Press, 2013.
[128] CEDH, Voynov c. Russie (requête n° 39747/10), troisième section, opinion concordante de la juge Elósegui.
[129] Alexy, R. « Die Gewichtsformel » in J. Jickeli, P. Kreutz et D. Reuter (éds.). Gedächtnisschriftfür Jürgen Sonnenschein, Berlín: De Gruyter, 2003.

Dernière mise à jour le novembre 9, 2020 par loisdumonde

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