Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 253
Juillet 2021
Association Burestop 55 et autres c. France – 56176/18
Arrêt 1.7.2021 [Section V]
Article 6
Procédure civile
Article 6-1
Accès à un tribunal
ONG environnementale déclarée sans intérêt à agir pour contester la justesse des informations sur la gestion des déchets radioactifs diffusées par une autorité publique : violation
Article 10
Article 10-1
Liberté de recevoir des informations
Contrôle effectif par les tribunaux du contenu et de la qualité de l’information sur la gestion des déchets radioactifs diffusée par une autorité publique en vertu d’une obligation légale d’informer : non-violation
En fait – Les associations requérantes sont six associations de protection de l’environnement qui s’opposent au projet de centre industriel de stockage géologique (le projet) destiné à stocker, sur un site, en couche géologique profonde les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, produits par l’ensemble des installations nucléaires françaises et par le traitement des combustibles utilisés dans les centrales nucléaires.
Dans son rapport de synthèse sur l’étude géothermique se fondant sur les résultats d’un forage sur le site en question, l’ANDRA, autorité publique, signala que la ressource géothermique à l’échelle de la zone de transposition était faible et qu’il n’y avait donc pas de risque de forage intempestif après la disparition de la mémoire des enfouissements. Par une lettre, les associations requérantes demandèrent sans succès à l’ANDRA de reconnaître qu’en donnant l’indication ci-dessus, elle avait diffusé des informations scientifiques et technologiques erronées et insincères et avait en conséquence commis une faute, incompatible avec sa mission légale d’information.
Les associations requérantes assignèrent l’ANDRA devant le tribunal de grande instance en vue de l’indemnisation du préjudice résultant de manquements fautifs à son obligation d’information du public. La juridiction déclara la demande d’une d’entre elles irrecevable pour défaut d’intérêt à agir. Cinq autres associations requérantes virent leur action jugée au fond et furent déboutées.
En droit – Article 6 § 1 :
1. Applicabilité
L’action engagée par les associations requérantes devant le juge interne visait à obtenir l’indemnisation du préjudice résultant d’une exécution qu’elles estimaient fautive de la mission d’information du public mise à la charge de l’ANDRA par l’article L. 542-12 7o du code de l’environnement. Ainsi, comme dans l’affaire Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox – Collectif Stop Melox et Mox Mox c. France (déc.), au cœur de leurs prétentions se trouvait la question du droit à l’information et à la participation au processus décisionnel en matière d’environnement. Il s’ensuit que si la « contestation » qu’elles soulevaient avait indéniablement pour objet la défense de l’intérêt général, elle portait également sur un « droit » de nature « civile » reconnu en droit interne dont les associations requérantes pouvaient se dire titulaires.
En outre, si les associations requérantes ont agi ensemble devant les juridictions internes, elles ont chacune présenté leur propre demande en réparation du préjudice moral que, selon elle, leur avait causé la diffusion par l’ANDRA d’informations erronées. Cela confirme qu’elles entendaient défendre leur propre droit à l’information.
Quant au sérieux de la contestation, il peut se déduire en l’espèce de la substance des moyens relatifs à la méconnaissance de ce droit développés par les associations requérantes dans leur recours et de la motivation retenue par le juge interne pour les écarter. Enfin, la procédure engagée par les associations requérantes, qui visait à obtenir la réparation du préjudice que la méconnaissance du droit à l’information et à la participation au processus décisionnel en matière d’environnement leur avait prétendument causé, était directement déterminante pour ce droit.
Conclusion : article 6 § 1 applicable.
2. Fond
Lorsque l’article 6 § 1 s’applique, il constitue une lex specialis par rapport à l’article 13.
Ensuite, dès lors que l’article 6 § 1 s’applique, la décision déclarant l’action dont l’association MIRABEL-LNE avait saisi le juge interne irrecevable pour défaut d’intérêt à agir soulève une question au regard du droit d’accès à un tribunal que garantit cette disposition.
Pour justifier l’irrecevabilité opposée à l’action de l’association requérante, le Gouvernement renvoie aux conditions de l’accès des associations à la justice lorsqu’elles entendent faire valoir les intérêts collectifs qu’elle se sont donnés pour but de défendre. À cet égard, la condition de principe, dont la cour d’appel a contrôlé le respect, repose sur la corrélation entre l’objet statutaire de l’association demandeuse et les intérêts collectifs qu’elle veut défendre devant le juge. Pour le Gouvernement, cette limitation a pour objectif d’éviter l’engorgement des juridictions et d’éventuels abus par les associations, tels que l’utilisation du droit d’accès à la justice dans un but lucratif.
La Cour ne met pas en cause la légitimité de tels objectifs. Toutefois, l’action dont l’association MIRABEL‑LNE entendait saisir le juge tendait notamment à l’examen d’une contestation portant sur un droit de caractère civil dont elle était titulaire : le droit à l’information et à la participation en matière d’environnement. Cette action tendait donc aussi à la défense des intérêts propres de l’association MIRABEL-LNE. Or, le Gouvernement, qui se place exclusivement sur le terrain de la défense, par des associations, d’intérêts collectifs, ne fournit aucun élément susceptible de justifier que le refus d’examiner une contestation sur un droit de cette nature poursuivait, dans les circonstances de l’espèce, un but légitime et était proportionné à ce but.
Au surplus, en premier lieu, la cour d’appel n’a pas tenu compte de ce que l’association MIRABLE-LNE était agréée au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement. Or, un tel agrément lui conférait en principe intérêt à agir, car ces associations « peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement (…) ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection (…) ainsi qu’aux textes pris pour leur application ». D’ailleurs la loi du 13 juin 2006 a expressément étendu l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement agréées aux litiges relatifs à des faits constituant une infraction aux textes ayant pour objet « la sûreté nucléaire et la radioprotection ». En deuxième lieu , la cour d’appel a retenu qu’à la différence des autres associations requérantes, son objet statutaire ne comportait pas expressément la lutte contre les risques pour l’environnement et la santé que représentent l’industrie nucléaire et les activités et projets d’aménagement liés, ou l’information du public sur les dangers de l’enfouissement des déchets radioactifs, mais était rédigé en des termes plus généraux, selon lesquels elle avait pour but la protection de l’environnement. Cette approche ne saurait toutefois emporter l’adhésion. En effet, d’une part, elle revient à faire une distinction entre la protection contre les risques nucléaires et la protection de l’environnement alors qu’il est manifeste que la première se rattache pleinement à la seconde. D’autre part, l’interprétation retenue des statuts de l’association requérante a pour effet de limiter de manière excessivement restrictive le champ de son objet social, alors même que déjà à l’époque des faits, l’article 2 de ses statuts visait la prévention des « risques technologiques ».
La conclusion de la cour d’appel, entérinée par la Cour de cassation, qui a apporté une restriction disproportionnée au droit d’accès au tribunal, apparaît donc manifestement déraisonnable.
Conclusion : violation dans le chef de l’association MIRABEL-LNE (unanimité).
Article 10 :
1. Applicabilité
L’article 10 n’ouvre pas un droit général d’accès aux informations détenues par l’État mais garantit seulement, dans une certaine mesure et sous certaines conditions, un droit d’accéder à de telles informations et une obligation pour les autorités publiques de les communiquer selon l’arrêt Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC]. Les principes énoncés dans cet arrêt ne vaudraient pas que dans l’hypothèse où l’administration a opposé un refus à une demande d’information.
Certes, dès lors que le droit de recevoir des informations n’impose pas aux États des obligations positives de collecte et de diffusion, motu proprio, d’informations, c’est principalement dans l’hypothèse où une demande d’accès à une information est rejetée par les autorités d’un État qu’un problème est susceptible de surgir au regard de cette disposition. Un État peut toutefois se prescrire une obligation de collecter ou de diffuser des informations motu proprio.
Or, en l’espèce, le droit interne impose à l’ANDRA, un établissement public, l’obligation de mettre à la disposition du public des informations relatives à la gestion des déchets radioactifs. Cette obligation impliquait celle d’informer motu proprio le public de l’évolution du projet, en particulier au regard du potentiel géothermique du site.
Ceci étant, les circonstances de l’espèce relèvent de la seconde branche de l’alternative exposée dans l’arrêt Magyar Helsinki Bizottság, selon laquelle un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique et une obligation pour l’État de les communiquer peuvent naître, au regard de l’article 10, lorsque l’accès à l’information est déterminant pour l’exercice par l’individu de son droit à la liberté d’expression, en particulier la liberté de recevoir et de communiquer des informations, et que refuser cet accès constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit.
La question de savoir si et dans quelle mesure le refus de donner accès à des informations a constitué une ingérence dans l’exercice par un requérant du droit à la liberté d’expression doit s’apprécier au cas par cas à la lumière des circonstances particulières de la cause, et en fonction des critères suivants : 1o le but de la demande d’information ; 2o la nature de l’information recherchée ; 3o le rôle de la requérante ; 4o le fait que les informations sont déjà disponibles.
Il doit en aller de même lorsque l’ingérence alléguée ne résulte pas d’un refus de donner accès à une information mais, comme en l’espèce, dans le caractère prétendument insincère, inexact ou insuffisant d’une information fournie par une autorité publique en vertu d’une obligation d’informer prescrite par le droit interne qui s’apparente à un refus d’informer.
S’agissant du premier des quatre critères, en accord avec leur objet social, les associations requérantes se sont notamment données pour mission d’informer le public des risques environnementaux et sanitaires que présente le projet. Les informations litigieuses, relatives précisément à ces risques, s’inscrivaient donc directement dans l’exercice de leur liberté de communiquer des informations.
Quant au deuxième critère, l’information litigieuse s’inscrivait directement dans le débat relatif aux risques environnementaux et sanitaires que présente le projet, lequel concerne l’acheminement, la manutention et l’enfouissement sur le site de quantités importantes de déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, particulièrement dangereux pour la santé et l’environnement. Un sujet de cette nature relève de l’intérêt public.
S’agissant du troisième critère, les associations requérantes joue un rôle de « chien de garde », attirant l’attention de l’opinion sur des sujets d’intérêt publics, mais agissant aussi auprès des autorités en faveur de la mise à la disposition du public d’informations relatives à de tels sujets. De plus les associations requérantes bénéficient, en droit interne, d’un agrément au titre de leur activité dans le domaine de la protection de l’environnement.
Quant au quatrième critère, les informations litigeuses étaient disponibles.
Conclusion : article 10 applicable
2. Fond
L’accès à un contrôle de l’information revêt une importance particulière lorsqu’il s’agit d’informations relatives à un projet représentant un risque environnemental majeur. Il en va particulièrement ainsi lorsqu’il s’agit du risque nucléaire, qui est susceptible de produire, s’il se réalise, des effets sur plusieurs générations. Or il y a un lien direct entre le potentiel géothermique du site sur lequel portait la communication litigieuse de l’ANDRA et le risque nucléaire que représente le projet. Il ressort en effet du guide de sûreté relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde de l’autorité de sûreté nucléaire que les sites présentant ce potentiel sont inappropriés à cette fin, car ils sont susceptibles de faire l’objet de forages à visée géothermiques une fois la mémoire de l’enfouissement perdue.
En l’espèce, les associations requérantes ont assigné l’ANDRA devant le juge civil en vue de la réparation du préjudice résultant de manquements fautifs à son obligation d’informer le public. Si leur action a été déclarée irrecevable en première instance, elle a été déclarée recevable en appel pour autant qu’elle était présentée par les cinq associations requérantes.
À l’issue d’un débat contradictoire, dans le cadre duquel les cinq associations requérantes ont pu faire pleinement valoir leurs arguments, la cour d’appel a estimé qu’aucune faute n’était caractérisée.
La cour d’appel a tout d’abord jugé que l’ANDRA avait à juste titre fait valoir que les résultats de ses travaux avaient été corroborés par tous ses partenaires institutionnels, faisant ainsi nécessairement référence aux avis de l’autorité de sûreté nucléaire, de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et de la commission nationale d’évaluation.
La cour d’appel a ensuite considéré que l’existence d’une divergence d’appréciation sur les éléments techniques discutés ne suffisait pas en elle-même à démontrer que l’ANDRA aurait fait preuve d’incompétence, de négligence, ou de partialité dans la position qu’elle avait exprimée, et que la formulation, après études approfondies, de conclusions favorables à la création du projet ne pouvait être en elle-même fautive.
Les associations requérantes concernées ont eu la possibilité de se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. La Cour de cassation a jugé que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision.
La Cour déduit de l’ensemble des considérations qui précèdent, que cinq des six associations requérantes ont pu saisir les juridictions internes d’un recours qui a permis, dans le cadre d’une procédure pleinement contradictoire, l’exercice d’un contrôle effectif du respect par l’ANDRA de son obligation légale de mettre à la disposition du public des informations relatives à la gestion des déchets radioactifs et portant, au cas particulier, sur le contenu et la qualité de l’information diffusée par l’ANDRA quant au potentiel géothermique du site. La motivation de l’arrêt de la cour d’appel n’est certes pas exempte de toute critique. Il aurait été souhaitable que les juges d’appel étayent davantage leur réponse à la contestation par les requérantes de la fiabilité de l’indication figurant dans le rapport de synthèse de l’ANDRA selon laquelle la ressource géothermique à l’échelle de la zone concernée était faible. Cela ne suffit cependant pas, dans les circonstances de l’espèce, pour mettre en cause le constat que les cinq associations ont eu accès à un recours répondant aux exigences de l’article 10.
Conclusion : non-violation dans le chef des cinq associations (unanimité).
Quant à l’association MIRABEL-LNE, le fait que son recours a été déclaré irrecevable par la cour d’appel emportait violation de l’article 6 § 1. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’examiner si cette circonstance caractérise une méconnaissance dans le chef de cette dernière du volet procédural de l’article 10.
Article 41 : 3 000 EUR pour préjudice moral à l’association MIRABEL-LNE.
(Voir aussi Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox – Collectif Stop Melox et Mox Mox c. France (déc.), 75218/01, 28 mars 2006 ; Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], 18030/11, 8 novembre 2016, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le juillet 2, 2021 par loisdumonde
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