Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 252
Juin 2021
Erkizia Almandoz c. Espagne – 5869/17
Arrêt 22.6.2021 [Section III]
Article 10
Article 10-1
Liberté d’expression
Discours prononcé lors d’un hommage à un membre de l’organisation terroriste ETA n’incitant pas directement ou indirectement à la violence terroriste : violation
En fait – Le requérant, ancien politicien basque indépendantiste, a été condamné à une peine d’un an de prison et sept ans de suspension du droit d’éligibilité pour le crime d’apologie du terrorisme, du fait de sa participation, en tant qu’orateur principal, à un événement qui visait à rendre hommage à un ancien membre de l’organisation terroriste ETA.
En droit – Article 10 :
La condamnation litigieuse constitue une ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression, qui poursuivait les buts légitimes de la sûreté publique, de la défense de l’ordre et de la prévention du crime, ou, encore, de la protection de la réputation ou des droits d’autrui.
Même si le requérant est une personne qui jouit d’une certaine importance dans le domaine politique, eu égard à sa longue trajectoire politique au Pays basque quelques années auparavant et à sa position de référence dans le cadre du mouvement indépendantiste basque, au moment des faits il n’agissait pas en sa qualité d’homme politique. En effet, l’intéressé ne s’est pas exprimé en qualité d’élu d’un groupe parlementaire ou d’un parti politique, car il n’avait pas un tel statut depuis des années.
Néanmoins, les propos du requérant relevaient d’un sujet d’intérêt général, dans le contexte sociétal espagnol, et notamment celui du Pays basque. Effectivement, la question de son indépendance et le débat à propos de l’usage ou non de la violence armée dans le but d’atteindre celle-ci ont longtemps été récurrents dans la société espagnole. En ce sens, la question de l’intégrité territoriale de l’Espagne est un sujet sensible qui génère différents points de vue et opinions au sein de la société espagnole, souvent forts et passionnés. Dès lors, il s’agit bien d’un débat public d’intérêt général.
Toutefois, il convient de déterminer si le discours tenu par le requérant a exhorté à l’usage de la violence ou s’il peut être considéré comme un discours de haine ou éloge ou justification du terrorisme. Dans ce but, la Cour est appelée à trancher la question de savoir si la sanction imposée au requérant peut être qualifiée de proportionnée au but légitime poursuivi, en tenant compte des différents critères qui caractérisent le discours de haine ou éloge ou justification du terrorisme.
En ce qui concerne, d’abord, le premier des critères, les propos du requérant ont été tenus dans un contexte politique et social tendu. En effet, la situation que l’Espagne a connue depuis de nombreuses années en matière de terrorisme, ainsi que la prise en considération du Pays basque en tant que « région politiquement sensible » ont été déjà appréciées par la Cour.
En ce qui concerne, ensuite, le deuxième des critères, il y a lieu d’examiner si les propos litigieux, correctement interprétés et appréciés dans leur contexte immédiat ou plus général, peuvent passer pour un appel direct ou indirect à la violence ou pour une justification de la violence, de la haine ou de l’intolérance. L’intéressé a participé, en tant qu’orateur principal, à un événement qui avait pour but de rendre hommage à un membre reconnu de l’organisation terroriste ETA et d’en faire l’éloge. Cependant, le discours lu dans son ensemble n’incite ni à l’usage de la violence ni à la résistance armée, soit directement ou indirectement. Et ceci bien que certaines expressions employées par le requérant pussent être considérées ambiguës. En effet, ce dernier exprima de façon explicite qu’il fallait choisir le chemin le plus adéquat pour conduire le peuple vers un scénario démocratique.
Il existe plusieurs ambiguïtés concernant le contexte de l’acte et les raisons fournies par le requérant pour y assister. En effet, bien que ce dernier allègue qu’il s’agissait d’un acte familial, il expose aussi qu’il s’agissait d’un acte politique. Le requérant allègue encore que ce fut un acte privé mais tenu dans un lieu public dans lequel une question d’intérêt public était discutée. Aussi, il expose que les assistants étaient des amis et familiers au nombre de 50, mais en réalité ce furent 250 personnes qui assistèrent finalement. Il convient de prendre en compte aussi que les autorités n’avaient pas été informées de la nature concrète de l’acte qui eut finalement lieu. En revanche, le requérant n’était ni l’organisateur de l’événement ni le responsable de la projection de photographies de membres cagoulés de l’ETA. Sa seule participation à l’acte ne peut pas être considérée, en elle-même, comme contenant un appel à l’usage de la violence ni comme constituant un discours de haine.
En ce qui concerne, le troisième des critères, les déclarations du requérant ont été prononcées oralement dans le cadre d’un événement qui rassemblait des sympathisants du mouvement indépendantiste du Pays basque. En ce sens, il n’apparaît pas de la manière dont les propos ont été formulés une aptitude particulière à nuire.
Compte tenu de l’ensemble des critères relatifs au contexte de l’affaire, la Cour ne saurait suivre l’appréciation des faits pertinents menée par la juridiction interne pour aboutir à la condamnation du requérant. En effet, le discours du requérant, ne s’inscrivait pas dans le « discours de haine ». Bien qu’il s’agît d’un discours prononcé dans le cadre d’un acte d’hommage à un membre de l’organisation terroriste ETA, le requérant ne visait pas à justifier des actes terroristes ou faire éloge du terrorisme. Bien au contraire, il ressort des mots du requérant qu’il prônait une réflexion afin d’entamer une nouvelle voie démocratique. À l’époque des faits d’espèce, les violences terroristes de l’ETA étaient encore une dure réalité. Cependant, ce facteur ne saurait justifier la condamnation du requérant, qui fut tenu responsable de l’ensemble des actes menés dans le cadre de l’hommage rendu.
Enfin, la condamnation du requérant ne saurait être considérée comme une mesure proportionnée.
À la lumière de ce qui précède et, notamment, que l’existence d’une incitation directe ou indirecte à la violence terroriste n’a pas été avérée et que le discours du requérant semblait plutôt défendre d’entamer une voie démocratique pour atteindre les objectifs politiques de la gauche abertzale, l’ingérence des autorités publiques dans le droit à la liberté d’expression du requérant ne saurait être qualifiée de « nécessaire dans une société démocratique ».
Conclusion : violation (quatre voix contre trois).
Article 41 : 6 000 EUR pour préjudice moral.
(Voir aussi Perinçek c. Suisse [GC], 27510/08, 15 octobre 2015, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le juin 22, 2021 par loisdumonde
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