AFFAIRE ILIEVI ET GANCHEVI c. BULGARIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requêtes nos 69154/11 et 69163/11

Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent que l’intervention de la police à leurs domiciles respectifs les a soumis à des traitements inhumains et dégradants. Sous l’angle de l’article 13, ils se plaignent que le droit interne ne leur offrait aucune voie de recours effective susceptible de remédier aux violations alléguées de leur droit garanti par l’article 3 de la Convention.


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ILIEVI ET GANCHEVI c. BULGARIE
(Requêtes nos 69154/11 et 69163/11)
ARRÊT

Art 3 • Traitement dégradant • Recours excessif par des policiers à la force physique contre les suspects lors de perquisitions à leurs domiciles • Absence d’atteinte à la dignité des membres de leurs familles

STRASBOURG
8 juin 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ilievi et Ganchevi c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Tim Eicke, président,
Yonko Grozev,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Armen Harutyunyan,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Ilse Freiwirth, Greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes (nos 69154/11 et 69163/11) dirigées contre la République de Bulgarie et dont cinq ressortissants de cet État, Mme Krasimira Tsaneva Ilieva, M. Georgi Yordanov Iliev, Mlle Simoneta Georgieva Ilieva, Mme Tereza Yordanova Gancheva et M. Georgi Stefanov Ganchev (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 17 octobre 2011,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mars et le 18 mai 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent que l’intervention de la police à leurs domiciles respectifs les a soumis à des traitements inhumains et dégradants. Sous l’angle de l’article 13, ils se plaignent que le droit interne ne leur offrait aucune voie de recours effective susceptible de remédier aux violations alléguées de leur droit garanti par l’article 3 de la Convention.

EN FAIT

2. Les cinq requérants, dont la liste figure en annexe, ont été représentés par Mes V. Koeva et Y. Yordanov, avocats à Veliko Tarnovo.

3. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme V. Hristova, du ministère de la Justice.

4. Mme Krasimira Ilieva et M. Georgi Iliev sont époux. Melle Simoneta Ilieva, qui à l’époque des faits avait dix-neuf ans, est leur fille.

5. Mme Tereza Gancheva et M. Georgi Ganchev sont époux.

I. L’opération policière du 18 avril 2011

6. Le 22 octobre 2010, le parquet régional de Veliko Tarnovo ouvrit des poursuites pénales contre cinq personnes, y compris contre M. Iliev et M. Ganchev, pour exercice illicite d’une activité financière et recel.

7. Dans le cadre de cette enquête, le 15 avril 2011, le tribunal régional de Veliko Tarnovo, statuant sur la demande du parquet régional, autorisa la perquisition du domicile de chaque requérant, sis à Veliko Tarnov et à Prisovo respectivement. Dans leurs décisions, les juges constatèrent qu’il y avait suffisamment de données permettant de conclure que les organes de l’enquête pouvaient retrouver des documents et objets liés à l’enquête pénale en cause dans les domiciles respectifs de M. Iliev et M. Ganchev. Aucune des décisions en cause ne mentionnait le fait qu’il s’agissait de logements familiaux, ne faisait référence à la présence éventuelle d’autres membres des deux familles dans les locaux visés ni ne contenait d’indication quant au mode opératoire que les policiers devraient adopter au cours des interventions planifiées.

A. L’intervention au domicile de la famille Ilievi

8. Le matin du 18 avril 2011, M. et Mme Ilievi ainsi que leur fille dormaient dans leur appartement situé à Veliko Tarnovo.

9. À 6 h 30, ils furent réveillés par la sonnette de la porte d’entrée. Mme Ilieva se leva, regarda à travers le judas de la porte d’entrée et aperçut une femme. À sa question « Qui est-ce ? », la femme lui répondit « Il y a un incendie. Ouvrez la porte ! ». En ouvrant la porte, elle aperçut plusieurs agents spéciaux cagoulés qui firent irruption dans l’appartement, en braquant leurs armes sur elle, et la repoussèrent dans le couloir. Ils criaient « Où est-il ? ».

10. M. Iliev arriva alors dans le couloir de l’appartement. À ce moment-là, les agents spéciaux l’allongèrent face contre terre et le menottèrent en braquant constamment leurs armes sur lui. Le requérant resta ainsi jusqu’à l’arrivée, peu après, de l’enquêteur chargé d’effectuer la perquisition. À l’arrivée de l’enquêteur, les policiers relevèrent l’intéressé et lui enlevèrent les menottes. Puis ils lui permirent de s’allonger sur le canapé du salon parce qu’il ne se sentait pas bien.

11. Melle Ilieva, alors âgée de dix-neuf ans, était arrivée dans le couloir de l’appartement où elle avait aperçu son père menotté, face contre terre. Elle s’était mise à pleurer et à crier que son père n’était pas un criminel.

12. Pendant la perquisition de l’appartement, effectuée entre 7 h 40 et 12 h 44, les policiers découvrirent et saisirent plusieurs documents personnels liés à l’activité professionnelle de M. Iliev, 4 000 levs bulgares en espèces, plusieurs bijoux, deux ordinateurs portables, sept téléphones mobiles, plusieurs supports de données électroniques (disque dur, clés USB, cartes mémoire).

13. Le même jour, à compter de 6 h 45, M. Iliev fut détenu par la police. Il était soupçonné d’avoir exercé de manière illicite une activité financière. Il fut libéré ce soir-là, à 21 heures, et rentra chez lui.

14. Les requérants exposent qu’ils ont été marqués par les événements survenus le 18 avril 2011. En effet, Mme Ilieva était très stressée. Depuis ces événements, elle a des crises d’hypertension. Également très stressée, Mlle Ilieva a pris des anxiolytiques.

B. L’intervention au domicile de la famille Ganchevi

15. Le matin du 18 avril 2011, Mme et M. Ganchevi, leurs deux fils mineurs et la mère de la requérante dormaient dans la maison familiale à Prisovo.

16. À 6 h 20, les requérants furent réveillés par des coups portés sur la porte d’entrée. Mme Gancheva se leva et se précipita vers la porte. Après l’avoir ouverte, elle aperçut plusieurs agents spéciaux cagoulés, qui firent irruption dans la maison, en braquant leurs armes sur elle, et la repoussèrent dans le couloir. Ils criaient « Où est-il ? ».

17. M. Ganchev arriva dans le couloir de la maison. Les agents spéciaux l’allongèrent face contre terre et le menottèrent en braquant constamment leurs armes sur lui. Le requérant resta ainsi jusqu’à l’arrivée, peu après, de l’enquêteur chargé d’effectuer la perquisition. Puis les policiers le relevèrent et lui enlevèrent les menottes.

18. Mme Gancheva fut autorisée à retourner dans sa chambre pour se vêtir. Elle se changea en présence d’un policier.

19. Pendant la perquisition de la maison, effectuée entre 6 h 55 et 10 h 05, les policiers découvrirent et saisirent plusieurs documents personnels liés à l’activité professionnelle de M. Ganchev, trois ordinateurs, quatre téléphones mobiles et des supports de données électroniques (clés USB et cartes mémoire).

20. Le même jour, à compter de 6 h 30, M. Ganchev fut détenu par la police. Il était soupçonné d’avoir exercé de manière illicite une activité financière. Il fut libéré ce soir-là, à 20 h 25, et rentra chez lui.

21. Les requérants exposent qu’ils ont été marqués par les événements survenus le 18 avril 2011. Les 19 avril et 2 mai 2011, la requérante consulta un médecin généraliste et un neurologue. Elle se plaignait de troubles du sommeil accompagnés de palpitations, d’essoufflement et de douleurs au bras droit. Le neurologue conclut qu’elle souffrait de troubles liés à un état d’anxiété et lui prescrit des anxiolytiques. Le requérant, quant à lui, se plaignait de céphalées répétitives.

II. Les poursuites pénales contre M. Iliev et M. Ganchev

22. Le 21 avril 2011, M. Iliev et M. Ganchev furent mis en examen pour avoir exercé de manière illicite et en réunion, avec trois autres personnes, une activité de prêteur d’argent entre 2004 et 2011.

23. Par la suite, les deux requérants furent également mis en examen pour avoir participé à une organisation criminelle spécialisée dans l’exercice illicite d’activités financières.

24. Le 11 mai 2015, le tribunal pénal spécialisé en matière de crime organisé mit fin à la procédure pénale contre M. Ganchev dans sa partie relative à l’exercice illicite de l’activité de prêteur d’argent. Par une ordonnance de non-lieu du 15 novembre 2019, qui devint définitive le 16 décembre 2019, le parquet spécialisé en matière de crime organisé mit fin à la procédure pénale contre l’intéressé pour le reste des charges, notamment pour celle relative à la participation à une organisation criminelle.

25. Par un jugement du 26 novembre 2018, le tribunal spécialisé acquitta M. Iliev de la charge relative à la participation à une organisation criminelle et le reconnut coupable, à titre individuel, de l’exercice illicite de l’activité de prêteur d’argent. Il fut condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis.

26. L’intéressé interjeta appel de ce jugement et, à la date du 19 février 2020, la procédure pénale engagée contre lui était toujours en cours devant la cour pénale d’appel spécialisée en matière de crime organisé.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

27. Le droit interne pertinent en matière de perquisitions et de saisies, ainsi que les dispositions pertinentes de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage, se trouvent résumés dans l’arrêt Gutsanovi c. Bulgarie (no 34529/10, §§ 59 et 67, CEDH 2013).

28. En vertu des articles 227, alinéa 1, et 230, alinéa 1, de la loi de 2006 sur le ministère de l’Intérieur, en vigueur à l’époque des faits, la procédure disciplinaire contre les agents du ministère pouvait être ouverte par le ministre ou le supérieur hiérarchique pour des manquements à la discipline professionnelle ou du code déontologique des agents (article 224, alinéa 1, de la loi). Elle pouvait aboutir à l’imposition d’une des sanctions disciplinaires suivantes : avertissement oral ou par écrit, blâme, interdiction temporaire de participer à des concours internes de promotion, rétrogradation, licenciement (article 226, alinéa 1, de la loi). La procédure comprenait une enquête disciplinaire avec la participation de l’agent (article 230, alinéas 2 et 3, de la loi) qui aboutissait, le cas échéant, à une décision écrite d’imposition d’une sanction disciplinaire, qui était notifiée à l’agent (article 232 de la loi) et pouvait être contestée devant les tribunaux administratifs (article 233 de la loi). Aucune disposition de la loi ou de son règlement d’application ne prévoyait la possibilité pour un particulier d’initier directement une telle procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent du ministère, de participer à celle-ci ou de contester la décision de ne pas imposer une sanction disciplinaire à l’agent visé.

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

29. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour décide de les joindre (article 42 § 1 du règlement) et de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

30. Les requérants soutiennent qu’en raison de l’intervention de la police à leurs domiciles respectifs, ils ont été soumis à des traitements incompatibles avec l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

31. Le Gouvernement excipe d’un non-épuisement des voies de recours internes. Il souligne en premier lieu que les requérants n’ont pas saisi les organes compétents pour engager la responsabilité disciplinaire des policiers en cause du fait de leurs agissements au cours de l’opération policière à leurs domiciles respectifs. En second lieu, les requérants n’auraient pas non plus intenté une action en dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage.

32. Les requérants rétorquent que les voies de recours internes suggérées par le Gouvernement ne sont pas suffisamment efficaces et accessibles. Ils font remarquer que les procédures disciplinaires en vertu de la loi sur le ministère de l’Intérieur peuvent être déclenchées uniquement par le ministre ou le supérieur hiérarchique des policiers impliqués. La législation interne ne prévoit pas la constitution en tant que parties à la procédure des victimes présumées de mauvais traitements commis par les policiers. Les victimes n’ont pas la possibilité de contester le refus éventuel d’imposer une sanction disciplinaire et ne peuvent pas former une demande de compensation pécuniaire dans le cadre de cette procédure. Par ailleurs, dans la présente espèce, les policiers n’auraient pas agi de leur propre initiative, mais auraient suivi les ordres des organes des poursuites pénales, qui avaient planifié et dirigé l’opération en cause.

33. Les requérants ajoutent que la voie compensatoire invoquée par le Gouvernement, à savoir une action en dommages et intérêts en vertu de l’article 1, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage, ne saurait être non plus considérée comme suffisamment effective. En invoquant les arrêts Iliya Stefanov c. Bulgarie (no 65755/01, § 28, 22 mai 2008) et Gutsanovi (précité, § 94), les requérants font observer que cette disposition légale ne trouvait à s’appliquer qu’en cas d’exercice de la fonction administrative, alors que l’opération policière en cause était effectuée dans le cadre d’une procédure pénale et visait à permettre la perquisition de leurs logements. Dans ces circonstances, une telle action compensatoire n’aurait eu aucune chance raisonnable de succès.

2. Appréciation de la Cour

34. Les principes généraux en matière d’épuisement des voies de recours internes ont été rappelés par la Grande Chambre dans son arrêt Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014). En particulier, l’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (ibidem, § 71).

35. Pour ce qui est du premier volet de l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement, à savoir la possibilité de déclencher des poursuites disciplinaires contre les policiers impliqués dans l’opération en cause, la Cour rappelle d’emblée que lorsqu’un individu soutient de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, de graves sévices illicites et contraires à l’article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de la Convention de « [reconnaître] à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (…) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l’instar de celle résultant de l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables (voir, parmi beaucoup d’autres, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000-IV) et assurer, entre autres, un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 137, CEDH 2004-IV (extraits)).

36. Force est de constater que, en vertu du droit interne en vigueur à l’époque des faits, une enquête disciplinaire contre des agents du ministère de l’Intérieur pouvait être ouverte uniquement à l’initiative du ministre ou du supérieur hiérarchique des agents et que les particuliers ne pouvaient ni initier de manière indépendante une telle enquête, ni participer à celle-ci, ni contester la décision de ne pas imposer une sanction disciplinaire à l’agent en cause (paragraphe 28 ci-dessus). Il s’ensuit que cette voie de recours ne peut pas être considérée comme suffisamment effective au regard de l’article 35 de la Convention pour remédier à la violation alléguée de l’article 3 et la Cour ne saurait donc exiger son épuisement préalable par les requérants dans le cas d’espèce.

37. Concernant le second volet de l’exception soulevée par le Gouvernement, la Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur l’efficacité de l’action en dommages et intérêts prévue à l’article 1, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage à l’occasion d’affaires similaires dont les faits datent de la même période. Dans son arrêt Gutsanovi, précité, elle a notamment conclu qu’en raison des lacunes de la législation interne cette action ne pouvait être considérée comme une voie de recours interne suffisamment effective pour les plaignants qui étaient placés dans une situation identique à celle des requérants en l’espèce : ce recours compensatoire contre l’État manquait d’effectivité eu égard à la portée limitée de l’examen que les tribunaux internes pouvaient effectuer dans le cadre d’une telle procédure (ibidem, §§ 94 et 97, voir également Govedarski c. Bulgarie, no 34957/12, § 38, 16 février 2016). La Cour estime que les mêmes conclusions s’imposent dans la présente affaire.

38. Pour ces motifs, la Cour considère qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

39. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Les requérants

40. Les requérants soutiennent que la façon dont l’opération policière a été exécutée à leurs domiciles respectifs est incompatible avec l’article 3 de la Convention. Le 18 avril 2011, tôt le matin, deux groupes de policiers cagoulés et lourdement armés auraient pénétré dans leurs logements. Les agents spéciaux auraient braqué leurs armes sur les requérants et auraient immobilisé et menotté M. Iliev et M. Ganchev.

41. Les requérants estiment qu’il n’y avait aucune raison de planifier et d’exécuter l’opération policière de cette façon : M. Iliev et M. Ganchev étaient soupçonnés d’infractions pénales non violentes, ils n’auraient pas d’antécédents judiciaires et il n’y aurait eu aucune raison de croire qu’ils auraient opposé de la résistance aux forces de l’ordre. Les perquisitions de leurs domiciles respectifs n’auraient pas pu relever de la catégorie des mesures d’instruction urgentes fondées sur l’article 161, alinéa 2, du code de procédure pénale.

42. Dans la préparation et l’exécution de l’opération policière, les forces de l’ordre n’auraient pas pris en compte la présence des autres requérantes, qui n’étaient aucunement impliquées dans les faits reprochés à M. Iliev et M. Ganchev.

43. L’action des policiers aurait eu un impact néfaste sur tous les requérants. Ses effets psychologiques, en particulier l’humiliation et l’anxiété ressenties par les requérants, auraient été suffisamment sévères pour dépasser le seuil exigé pour l’application de l’article 3 de la Convention et pour qualifier les traitements dénoncés d’inhumains et dégradants.

b) Le Gouvernement

44. Le Gouvernement s’oppose aux arguments des requérants. Il reconnaît que l’opération en cause a été effectuée par des équipes de la direction régionale du ministère qui comprenaient, entre autres, des agents spécialement entraînés pour contrer une éventuelle résistance de la part de M. Iliev et M. Ganchev. Cependant, les agents n’ont pas pénétré aux domiciles respectifs des requérants par effraction, aucun de leurs biens n’a été endommagé et ils n’ont subi aucun dommage corporel.

45. Le Gouvernement estime que l’opération policière avait été dûment planifiée et effectuée dans le respect de la dignité et des droits des requérants. Les perquisitions des domiciles respectifs des requérants s’inscrivaient dans le cadre d’une procédure pénale portant sur des faits graves, les autorités avaient obtenu préalablement les autorisations judicaires nécessaires et ces mesures d’instruction avaient été effectuées dans le strict respect des procédures et formalités applicables.

46. Selon le Gouvernement, les agents du ministère de l’Intérieur se sont conduits de manière professionnelle et ont eu un comportement respectueux vis-à-vis des requérants. Ils auraient pleinement respecté leurs droits, ne les auraient pas soumis à des traitements inhumains ou dégradants et, n’ayant eu aucune intention de les blesser, humilier ou intimider, n’auraient pas eu recours à la force excessive. Les allégations des requérants affirmant le contraire n’ont été étayées par aucune preuve.

47. Le Gouvernement considère enfin que la présente espèce doit être distinguée de la situation des requérants dans l’affaire Gutsanovi (précitée), dans la mesure où les agents impliqués n’appartenaient pas aux forces spéciales du ministère, mais étaient des policiers ordinaires de la direction régionale à Veliko Tarnovo, l’opération a été effectuée de jour, de manière non traumatisante et sans brutalité. Par ailleurs, les autorités disposaient d’autorisations judiciaires motivées leur permettant de procéder aux perquisitions des domiciles respectifs des requérants.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

48. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques ou psychologiques ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. La Cour a jugé un traitement « inhumain » notamment en raison de son application avec préméditation pendant des heures et des lésions corporelles ou vives souffrances physiques et morales causées. Elle a considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à créer chez ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (Labita, précité, § 120). La souffrance psychologique peut résulter d’une situation dans laquelle des agents de l’État créent délibérément chez les victimes un sentiment de peur en les menaçant de mort ou de maltraitance (Hristovi c. Bulgarie, no 42697/05, § 80, 11 octobre 2011).

49. La Cour rappelle également que l’article 3 de la Convention ne prohibe pas le recours à la force par les agents de police lors d’une interpellation. Néanmoins, le recours à la force doit être proportionné et absolument nécessaire eu égard aux circonstances de l’espèce (voir, parmi beaucoup d’autres, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 76, CEDH 2000‑XII, et Altay c. Turquie, no 22279/93, § 54, 22 mai 2001). À cet égard, il importe par exemple de savoir s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation, ou bien tentera de fuir, ou de provoquer des blessures ou dommages, ou de supprimer des preuves (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 56, Recueil 1997-VIII). La Cour tient à rappeler en particulier que lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par cette disposition (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, §§ 88 et 100, CEDH 2015). On ne saurait voir dans les mots « en principe » l’indication qu’il y aurait des situations où une telle conclusion de violation ne s’imposerait pas parce que le seuil de gravité ne serait pas atteint. En affectant la dignité humaine, c’est l’essence même de la Convention que l’on touche. Pour cette raison, toute conduite des forces de l’ordre à l’encontre d’une personne qui porte atteinte à la dignité humaine constitue une violation de l’article 3 de la Convention. Il en va en particulier ainsi de l’utilisation par elles de la force physique à l’égard d’un individu alors que cela n’est pas rendu strictement nécessaire par son comportement, quel que soit l’impact que cela a eu par ailleurs sur l’intéressé (ibidem, § 101).

50. La Cour rappelle enfin que les allégations de mauvais traitements, contraires à l’article 3 de la Convention, doivent être étayées devant elle par des éléments de preuve appropriés. Pour l’établissement des faits, elle se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161 in fine, série A no 25). Toutefois, une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII).

b) Application dans le cas d’espèce

51. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe en premier lieu que l’opération policière en cause poursuivait le but légitime d’effectuer une arrestation, une perquisition et une saisie ainsi que l’objectif d’intérêt général de la répression des infractions. Elle doit s’assurer qu’un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la société et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de l’individu a été respecté dans les circonstances de l’affaire. Elle relève que les requérants n’ont pas été physiquement blessés au cours des deux interventions policières contestées et que les policiers n’ont pas pénétré par effraction dans leurs domiciles respectifs. Cependant, les interventions ont impliqué un certain recours à la force physique : plusieurs policiers cagoulés et armés se sont introduits, très tôt le matin et par surprise, aux domiciles des requérants et ils ont repoussé Mme Ilieva et Mme Gancheva (paragraphes 9 et 16 ci-dessus), M. Iliev et M. Ganchev ont été immobilisés par terre et menottés (paragraphes 10 et 17 ci-dessus). La Cour se doit donc d’établir si ce recours à la force physique a été rendu strictement nécessaire par le comportement des requérants (Bouyid, précité, §§ 100 et 101). Compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour estime approprié d’examiner séparément la situation de MM. Iliev et Ganchev et celle des trois autres requérantes.

i. Concernant les traitements subis par M. Iliev et M. Ganchev

52. Le but des interventions policières aux domiciles respectifs des requérants ce jour-là était d’appréhender M. Iliev et M. Ganchev, tous deux soupçonnés d’avoir exercé de manière illicite une activité financière et de recel (paragraphe 6 ci-dessus), et d’effectuer une perquisition dans les locaux pour rechercher des preuves matérielles et documentaires dans le cadre de cette même enquête pénale. Il ressort des pièces du dossier que l’enquête en cause avait été ouverte six mois auparavant et qu’il y avait plusieurs suspects dans cette affaire (ibidem). Or il ne s’agissait clairement pas d’un groupe d’individus soupçonnés d’avoir commis des actes criminels violents.

53. Il est vrai qu’à la différence de l’affaire Gutsanovi (précitée), dans la présente affaire les autorités avaient reçu les autorisations préalables nécessaires pour procéder aux perquisitions des domiciles respectifs des requérants (paragraphe 7 ci-dessus). Force est de constater cependant que, en exerçant la compétence que le droit interne leur attribue, les juges ayant délivré ces autorisations ont examiné la conformité des perquisitions demandées avec les dispositions du droit interne sans se pencher sur le mode opératoire que les policiers devraient adopter au cours des interventions planifiées (ibidem).

54. La Cour observe ensuite qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que M. Iliev et M. Ganchev avaient des antécédents violents et qu’ils auraient pu représenter un danger pour les agents de police amenés à intervenir à leurs domiciles.

55. La Cour constate que ni M. Iliev ni M. Ganchev n’ont opposé de la résistance aux policiers lors des interventions à leurs domiciles respectifs (paragraphes 10 et 17 ci-dessus).

56. Ce sont autant d’éléments qui indiquaient clairement le caractère excessif du comportement des policiers qui ont plaqué les deux requérants au sol, les ont menottés de force et ont braqué leurs armes sur eux (paragraphes 10 et 17 ci-dessus). La Cour estime que, à la lumière de ces circonstances, le degré de force utilisé contre M. Iliev et M. Ganchev, qui n’a pas été rendu strictement nécessaire par leur comportement, a porté atteinte à leur dignité humaine et était par conséquent contraire à l’article 3. De ce fait, les deux requérants concernés ont été soumis à des traitements dégradants.

57. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention concernant M. Iliev et M. Ganchev.

ii. Concernant les traitements subis par les trois autres requérantes

58. La Cour observe que les équipes d’intervention ont choisi de ne pas forcer les portes d’entrée des logements des requérants : les policiers ont sonné aux portes d’entrée et Mme Ilieva et Mme Gancheva sont allées les ouvrir (paragraphes 9 et 16 ci-dessus). De ce fait, les équipes qui devaient pénétrer aux domiciles respectifs des requérants se sont retrouvées face à face avec ces deux requérantes, qui ne s’y attendaient pas. Dans ces circonstances, la Cour admet que c’est en entrant que les policiers ont repoussé les deux requérantes en question et qu’ils ont brièvement pointé leurs armes vers elles. L’interaction physique entre les policiers et Mme Ilieva et Mme Gancheva a donc été très brève et d’une intensité minime.

59. La Cour constate ensuite que, d’après les pièces du dossier, il n’y a eu aucun contact physique entre Mlle Ilieva et les policiers : l’intéressée a vu son père se faire arrêter par les agents et elle a réagi de manière émotionnelle à cet événement (paragraphe 11 ci-dessus).

60. La Cour n’aperçoit aucun élément lui permettant de conclure que les policiers ont porté atteinte à la dignité humaine de ces trois requérantes. Elle rappelle à cet égard que les opérations policières impliquant l’intervention au domicile et l’arrestation des suspects engendrent inévitablement des émotions négatives chez les personnes visées par ces mesures, ce qui est aussi vrai dans le cas des trois requérantes (paragraphes 14 et 21 ci-dessus). Cependant, aucune d’elles ne semble particulièrement affectée par les agissements des policiers en raison, par exemple, d’un état de santé particulièrement fragile ou du jeune âge de Mlle Ilieva. Il convient de noter à cet égard qu’aucune des trois requérantes n’a présenté des preuves permettant de conclure que l’une d’elles souffrait d’une pathologie pouvant être exacerbée par les agissements des policiers et qu’à l’époque des faits Mlle Ilieva n’était pas une jeune enfant, mais avait dix-neuf ans (paragraphe 4 ci-dessus ; voir, a contrario, Govedarski c. Bulgarie, no 34957/12, § 62 in fine, 16 février 2016).

61. À la lumière de ces éléments, et dans les circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour considère que les agissements des policiers à l’égard de ces trois requérantes, qui ont été très brefs et d’une faible intensité, n’apparaissent pas comme étant disproportionnés par rapport au comportement de Mme Ilieva, Mlle Ilieva et Mme Gancheva face à un événement inattendu et stressant, telle que l’entrée de la police tôt le matin à leurs domiciles respectifs, et que ces agissements n’ont pas porté atteinte à leur dignité humaine.

62. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 3 de la Convention concernant les trois requérantes en question.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

63. Les requérants estiment qu’ils ne disposaient pas de voies de recours internes effectives pour remédier aux violations alléguées de leur droit à ne pas être soumis à des traitements dégradants. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

64. Le Gouvernement, en réitérant ses arguments concernant la recevabilité du grief fondé sur l’article 3 (paragraphe 31 ci-dessus), soutient que le droit interne offrait aux requérants des voies de recours internes effectives pour remédier à la violation constatée en l’espèce, notamment la possibilité d’initier une procédure disciplinaire contre les policiers et l’introduction d’une action en dommages et intérêts en vertu de l’article 1, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage.

A. Sur la recevabilité

65. Constatant que le grief, soulevé par les cinq requérants sous l’angle de l’article 13, n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

66. La Cour rappelle que, à l’issue de son examen de la recevabilité du grief formulé sous l’angle de l’article 3 de la Convention, elle a constaté que ni la procédure disciplinaire en vertu de la loi sur le ministère de l’Intérieur ni l’action en dommages et intérêts contre l’État ne constituaient des voies de recours internes suffisamment effectives dans la présente espèce (paragraphes 35-38 ci-dessus). Force est de constater que le Gouvernement n’a invoqué aucune autre voie de recours qui aurait permis aux requérants concernés de faire valoir leur droit à ne pas être soumis à des traitements dégradants.

67. La Cour estime que ces mêmes motifs peuvent être retenus dans le cadre de l’examen du grief défendable soulevé sur le terrain de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention et qu’ils suffisent pour conclure que les cinq requérants ne disposaient d’aucune voie de recours interne qui leur aurait permis de faire valoir leur droit à ne pas être soumis à des traitements contraires à l’article 3.

68. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention concernant tous les requérants.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

70. M. Iliev, Mme Ilieva et Mlle Ilieva demandent conjointement 35 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi. M. Ganchev et Mme Gancheva réclament conjointement 23 500 EUR au même titre.

71. Le Gouvernement estime que les sommes sollicitées sont excessives et non étayées. Il observe également que les sommes allouées au titre du dommage moral dans cette affaire ne devraient pas dépasser les montants octroyés dans d’autres affaires similaires.

72. Compte tenu de toutes les circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour estime que le constat de violation de l’article 13 de la Convention concernant Mme Ilieva, Mlle Ilieva et Mme Gancheva représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par ces trois requérantes.

73. Pour ce qui est de M. Iliev et M. Ganchev, la Cour estime que ces deux requérants ont subi un certain dommage moral à raison des violations constatées de leurs droits garantis par les articles 3 et 13 de la Convention. Elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun de ces requérants 3 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

74. Les requérants exposent que leurs représentants ont travaillé à titre gracieux et ont effectué un travail juridique de quarante heures pour chacune des deux requêtes dans le cadre de la procédure devant la Cour. Ils demandent l’octroi d’une somme à ce titre sans préciser le montant exact.

75. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas lieu d’allouer une quelconque somme pour frais et dépens étant donné que les requérants n’ont pas formulé une demande à cet effet.

76. Selon la jurisprudence établie de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La réalité des honoraires d’un représentant est établie si le requérant les a payés ou doit les payer. Partant, les honoraires d’un représentant ayant agi à titre gracieux n’ont pas réellement été déboursés (Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 371, 28 novembre 2017, avec les références citées).

77. En l’espèce, les requérants n’ont pas produit de documents montrant qu’ils avaient payé ou avaient l’obligation juridique de payer de quelconques honoraires facturés par leurs représentants ou les frais engagés par eux dans le cadre de la procédure devant la Cour (paragraphe 74 ci-dessus). Elle ne voit donc rien qui puisse l’amener à admettre la réalité d’une quelconque somme à allouer pour frais et dépens dans la présente procédure.

78. Il s’ensuit que la demande pour frais et dépens doit être rejetée.

C. Intérêts moratoires

79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention concernant M. Iliev et M. Ganchev ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention concernant Mme Ilieva, Mlle Ilieva et Mme Gancheva ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention concernant les cinq requérants ;

6. Dit que le constat de violation de l’article 13 de la Convention fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par Mme Ilieva, Mlle Ilieva et Mme Gancheva du fait de cette violation ;

7. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :

i. 3 000 EUR (trois mille euros) à M. Iliev, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,

ii. 3 000 EUR (trois mille euros) à M. Ganchev, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth                                       Tim Eicke
Greffière adjointe                                 Président

___________

Annexe

Liste des requérants :

Requête no 69154/11

No Prénom NOM Année de naissance Nationalité Lieu de résidence
1. Krasimira Tsaneva ILIEVA 1967 bulgare Veliko Tarnovo
2. Georgi Yordanov ILIEV 1967 bulgare Veliko Tarnovo
3. Simoneta Georgieva ILIEVA 1991 bulgare Veliko Tarnovo

Requête no 69163/11

No Prénom NOM Année de naissance Nationalité Lieu de résidence
1. Tereza Yordanova GANCHEVA 1987 bulgare Prisovo
2. Georgi Stefanov GANCHEV 1976 bulgare Prisovo

Dernière mise à jour le juin 14, 2021 par loisdumonde

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