M.K. c. Luxembourg (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 251
Mai 2021

M.K. c. Luxembourg51746/18

Arrêt 18.5.2021 [Section III]

Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée

Caractère proportionné et prévisible du placement d’une personne âgée et vulnérable en curatelle simple au motif de sa « prodigalité », interprétée par référence à l’ancien code civil français : non-violation

En fait – La requérante a été placée sous le régime de la curatelle simple. Elle en contesta en vain le motif à savoir toute prodigalité de sa part.

En droit – Article 8 :

La décision de placer la requérante sous le régime de la curatelle simple a constitué une ingérence dans sa vie privée.

a) Sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi » :

La décision de placement de la requérante sous la curatelle simple a été prise sur la base de deux articles du code civil combinés. L’un d’eux dispose que le majeur qui, par sa prodigalité, s’expose à tomber dans le besoin peut être protégé. Ni la loi ni la jurisprudence luxembourgeoise ne contiennent de définition de la notion de « prodigalité », la Cour d’appel ayant, elle-même, défini cette notion dans son arrêt rendu à l’égard de la requérante.

Malgré cette absence de définition dans la loi et la jurisprudence avant les faits de la présente affaire, il n’en reste pas moins que la notion peut être raisonnablement considérée comme à la portée d’un justiciable ayant recours à un conseil juridique. En effet, il est un fait que tant les avocats que les juridictions luxembourgeoises se réfèrent de manière récurrente à des décisions de justice ou de la doctrine françaises dans les matières où, comme en l’espèce, les institutions sont similaires. Or, la jurisprudence en vigueur sous l’égide d’un ancien article du code civil français indiquait que la prodigalité visait la dilapidation de revenus ou des dépenses excessives entraînant un état de besoin et que la production d’un certificat médical n’était pas exigée pour la mise sous curatelle pour cause de prodigalité. Certes, ces principes ne sont plus en vigueur en France, mais ceci ne leur ôte pas pour autant leur utilité dans le cadre d’affaires jugées au Luxembourg, où les dispositions de l’ancien article du code civil français (d’une teneur identique à la disposition luxembourgeoise) sont toujours d’actualité.

Dans ces circonstances, la requérante était en mesure de prévoir à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce qu’elle pouvait être considérée comme tombant dans le champ d’application des articles en question du code civil luxembourgeois, en s’entourant au besoin de conseils éclairés. Dès lors, l’ingérence était « prévue par la loi ».

b) Sur la poursuite d’un but légitime :

L’ingérence poursuivait les buts légitimes du bien-être économique du pays et de la protection de la requérante. En effet, en prévenant qu’une personne, par des actes inconsidérés, tombe dans le besoin, il s’agit de protéger, d’une part, la société contre le risque de devoir assurer la subsistance de cette personne, et d’autre part, l’individu lui-même contre le danger d’une impécuniosité.

c) Sur la question de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique

La décision de priver partiellement la requérante de sa capacité juridique ne reposait pas sur un constat d’altération de ses facultés mentales établie par des médecins. La Cour d’appel a pris soin de préciser qu’il n’était pas nécessaire qu’un médecin constate formellement une altération des facultés mentales ou corporelles, puisque la prodigalité n’était pas un concept médical, mais un comportement de fait qu’il appartenait au juge d’apprécier souverainement. Le Gouvernement a par ailleurs clairement confirmé cette approche dans ses observations. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il lui appartient de vérifier avec davantage d’attention si les juges nationaux ont soigneusement pesé tous les facteurs pertinents avant de prendre leur décision.

En amont de la prise des différentes décisions judiciaires, les autorités nationales ont instruit le dossier et recherché à établir les faits pertinents, par le biais notamment d’un rapport d’enquête sociale et d’une audition de la requérante.

Ensuite, dans le cadre des décisions qu’ils ont rendues, les juges ont pris soin d’entendre à leur tour la requérante et de se livrer à un examen concret des faits. Ainsi notamment, la Cour d’appel a analysé la situation personnelle et patrimoniale de la requérante, après s’être basée sur les doutes émis par l’assistant social quant à sa capacité, eu égard à son âge (86 ans) et à une certaine faiblesse, de prendre des jugements et sur son questionnement à savoir si elle n’était pas fragile, facilement influençable et manipulable. La Cour d’appel avait également à sa disposition la décision du juge de première instance qui avait vu la requérante et avait noté que celle-ci avait, à la demande d’une connaissance S., initié la constitution de deux sociétés commerciales à propos desquelles elle n’était pourtant pas en mesure de donner des précisions concernant leur objet commercial. Le premier juge avait ajouté qu’elle avait perdu son sens critique en ce qui concernait les factures en relation avec des travaux et soins commandés par S.

Certes, la Cour ne sous-estime pas l’impact qu’ont dû avoir les différentes procédures sur la vie privée de la requérante et n’ignore pas les complications, voire les souffrances, qui vont immanquablement de pair avec les démarches et mesures imposées. Elle estime toutefois que les autorités judiciaires ont procédé à une évaluation approfondie de la situation de la requérante, qui a été impliquée, par sa participation personnelle, dans l’examen de l’affaire. Elles se sont efforcées d’atteindre un équilibre entre le respect de la dignité et l’auto-détermination de la requérante et la nécessité de la protéger et de sauvegarder ses intérêts devant sa vulnérabilité qu’elles estimaient avoir identifiée, à partir de leur impression qu’elle ignorait la teneur et la portée de décisions importantes prises en son nom. L’ingérence, en définitive minime sur l’échelle des mesures possibles, est proportionnée et adaptée à sa situation individuelle, tout en étant en accord avec le but légitime de protéger son bien-être au sens large. Dès lors, l’ingérence est demeurée dans les limites de la marge d’appréciation dont disposaient les autorités judiciaires en l’espèce.

Conclusion : non-violation (unanimité).

Dernière mise à jour le mai 18, 2021 par loisdumonde

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *