La requête concerne, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, la violation alléguée du droit au respect de la vie privée de la requérante, à raison de son placement sous curatelle simple.
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE M.K. c. LUXEMBOURG
(Requête no 51746/18)
ARRÊT
Art 8 • Vie privée • Caractère proportionné et prévisible du placement d’une personne âgée et vulnérable en curatelle simple au motif de sa « prodigalité », interprétée par référence à l’ancien code civil français • Pratique récurrente de se référer à la jurisprudence ou à la doctrine françaises dans les matières où les institutions sont similaires et en l’absence de définition dans la loi et la jurisprudence nationales • Production d’un certificat médical non exigée dans la procédure • Évaluation approfondie des autorités judiciaires de la situation de la requérante impliquée dans l’examen de l’affaire • Équilibre entre le respect de la dignité et l’auto-détermination de la requérante et la nécessité de la protéger et de sauvegarder ses intérêts
STRASBOURG
18 mai 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire M.K. c. Luxembourg,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Paul Lemmens, président,
Dmitry Dedov,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu :
la requête (no 51746/18) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont une ressortissante de cet État, Mme M. K. (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 29 octobre 2018,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
la décision de ne pas dévoiler l’identité de la requérante (article 47 § 4 du règlement de la Cour),
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 avril 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, la violation alléguée du droit au respect de la vie privée de la requérante, à raison de son placement sous curatelle simple.
EN FAIT
2. La requérante est née en 1931 et réside à Luxembourg. Elle est représentée par Me O. Lang, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté successivement par ses agents, Mme Christine Goy et M. David Weis, de la Représentation permanente du Luxembourg auprès du Conseil de l’Europe.
I. Le contexte de l’affaire
4. La requérante est fille unique et célibataire sans enfants. Elle explique gérer seule son patrimoine mobilier et immobilier qui lui assure un confortable revenu et supporter mal l’idée d’une maison de retraite.
5. En septembre 2014, dans un magasin de bricolage, elle s’adressa à un jeune homme qu’elle croyait être un vendeur. Le jeune homme, S., âgé de 28 ans, était en fait un client du magasin, mais conseilla malgré tout la requérante. Reconnaissante de sa serviabilité, l’intéressée sollicita par la suite d’autres services de S., tels que des transports chez les médecins, notamment après une hospitalisation.
6. Une relation de confiance mutuelle s’installa, à tel point que la requérante conclut, le 19 octobre 2015, un contrat de travail avec S. et que celui-ci s’installa, en décembre 2015, dans le vaste appartement de la requérante, pour pouvoir être sur place en cas d’urgence. Selon la requérante, leurs relations s’apparentent désormais à celles d’une grand-mère avec son petit-fils.
7. Au courant du mois de décembre 2015, la banque X refusa d’enregistrer une procuration émise par la requérante en faveur de S. et bloqua les comptes de la requérante, sur dénonciation du 4 décembre 2015 de la Cellule de Renseignement Financier du parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg (« le tribunal »). La Cour ne dispose pas d’éléments renseignant sur les antécédents de cette dénonciation.
8. Il ressort du dossier que la requérante fut convoquée au service de police le 8 janvier 2016, pour être entendue comme témoin. Sur intervention de son avocat de l’époque, Me R., le commissaire de police se transporta au domicile de la requérante afin qu’elle n’eût pas besoin de se déplacer. Selon la requérante, le commissaire se présenta à son domicile, accompagné d’une collègue qui refusa de décliner son identité et qui fouilla les armoires et tiroirs à la recherche de documents qu’elle photographia. Un procès-verbal fut établi par la police (non fourni à la Cour).
9. Le 9 février 2016, le ministère public requit l’ouverture d’une information judiciaire contre S. du chef d’abus de faiblesse, ainsi que l’exécution de différentes mesures telles que des perquisitions auprès des banques, du notaire et d’un médecin de la requérante.
10. Par une ordonnance du 27 mai 2016, le juge des tutelles près du tribunal ouvrit d’office une procédure tendant à la mesure sous tutelle ou sous curatelle de la requérante.
II. Ordonnance de placement sous la sauvegarde de la justice
11. Par une ordonnance du 2 juin 2016, la requérante fut placée sous sauvegarde de justice pour la durée de l’instance en cours et Me M. fut désignée mandataire spéciale à l’effet d’assurer l’administration courante du patrimoine mobilier et immobilier de la requérante, dont le règlement de ses factures.
12. La décision était fondée sur un certificat du 12 août 2015 du Dr B., qui indiquait, selon le juge, que les facultés mentales de la requérante étaient tellement réduites qu’elle avait besoin d’être protégée dans les actes de la vie civile. La requérante conteste que le certificat en question eût mentionné une altération de ses facultés mentales. Le certificat indique ceci : « Ma patiente, étant gravement malade, est épuisée et sans forces et a un besoin vital d’une assistance extérieure » (« Meine Patientin ist wegen ihrer schweren Erkrankung erschöpft und kraftlos und auf fremde Hilfe dringend angewiesen »).
13. Le dispositif précisa que l’ordonnance était à notifier à la seule mandataire spéciale et non à la requérante, « vu son état de santé ».
14. Dans un certificat médical du 22 août 2016, un spécialiste en neurologie, le Dr T., se prononça contre la nécessité d’une mesure de protection à l’égard de la requérante.
15. Entre le 2 et le 24 novembre 2016, un rapport d’enquête sociale fut déposé par le service central d’assistance sociale (« SCAS »), la requérante fut auditionnée par le juge des tutelles en présence de son avocat et de S. et le dossier fut transmis au procureur d’État de Luxembourg, qui se prononça en faveur de l’ouverture d’une curatelle.
III. Jugement prononçant l’ouverture d’une curatelle simple
16. Le 11 janvier 2017, le juge des tutelles prononça l’ouverture d’une curatelle simple de la requérante.
17. Le juge notait qu’il se trouvait en présence de deux certificats médicaux, l’un précisant que la requérante, gravement malade, était dépendante de l’aide d’autrui (paragraphe 12 ci-dessus), l’autre certifiant que, d’un point de vue neurologique, elle ne nécessitait ni tutelle ni curatelle (paragraphe 14 ci-dessus).
18. Il constatait que la requérante était décrite par des personnes l’ayant rencontrée par le passé comme une personne excentrique, qui contrôlait tous les détails des contrats qui lui étaient soumis et prête à marchander des prestations sollicitées auprès des professionnels pour économiser des frais. Le juge relevait qu’il résultait des éléments du dossier que S. n’aidait pas uniquement la requérante quant aux courses et travaux manuels, mais que celui-ci était à l’origine de décisions qu’elle prenait dans le cadre de la gestion de ses biens. Ainsi, la requérante avait, à la demande de S., chargé Me R. de la constitution de deux sociétés commerciales ; or, l’intéressée n’était pas en mesure de donner des précisions quant à l’objet commercial de ces sociétés. Le juge notait par ailleurs que la requérante avait perdu son sens critique en ce qui concernait les factures en relation avec des travaux et soins commandés par S.
19. Le juge en déduisait que la requérante n’était certes pas hors d’état d’agir elle-même, mais qu’elle avait cependant besoin d’être assistée et conseillée dans les actes de la vie civile. Il estimait qu’il s’agissait d’une personne vulnérable qui, depuis sa rencontre avec S., avait pris des décisions qu’elle n’était pas en mesure de justifier et qui portaient atteinte à son patrimoine. Si l’intéressée possédait certes un patrimoine mobilier et immobilier important, le juge estimait toutefois ne pas pouvoir cautionner l’argument selon lequel elle ne risquait pas de tomber dans le besoin. La requérante étant capable de veiller au paiement des factures, le juge décidait qu’elle pouvait continuer à assurer la gestion courante à l’aide de ses revenus.
20. Le juge nomma dès lors Me M. curatrice de la requérante. Il précisa que toute dépense extraordinaire, d’éventuels travaux de rénovation à effectuer dans l’un des immeubles appartenant à la requérante, le prélèvement de ses comptes d’épargne, et toute vente d’immeuble ou constitution de société nécessitaient l’accord de la curatrice.
IV. Arrêt de la Cour d’appel
21. La requérante releva appel du jugement du 11 janvier 2017. Elle contestait toute prodigalité, intempérance ou oisiveté dans son chef. Précisant qu’elle disposait d’un important patrimoine, six appartements et plus d’un million d’euros en liquidités, elle soulignait que les débours mentionnés dans le jugement ne l’avaient à aucun moment exposée à un risque. Rappelant aussi que, selon des médecins spécialistes, elle ne souffrait d’aucune altération de ses facultés mentales, elle conclut à une « ingérence insupportable dans sa vie privée ».
22. Le 5 avril 2017, la Cour d’appel réforma partiellement le jugement en question, décidant que seuls les actes de disposition relatifs au patrimoine immobilier nécessitaient l’accord de la curatrice.
23. La Cour d’appel répondit, entre autres, à la demande de la requérante d’écarter des débats le procès-verbal rédigé par la police lors de son audition, dont les agissements s’étaient, selon elle, transformés en véritable perquisition illégale et contraire à l’article 8 de la Convention (paragraphe 8 ci-dessus). La Cour d’appel estima que la motivation de son arrêt ne s’appuyant sur aucun élément du procès-verbal de police critiqué, les griefs y relatifs étaient à considérer comme superfétatoires.
24. Elle renvoya aux articles 488 alinéa 1er et 508-1 du code civil (paragraphes 35 et 41 ci-dessous) et définit la prodigalité comme « le fait de se livrer à des dépenses excessives, qui attaquent le patrimoine de l’intéressée à tel point qu’elles constituent une menace sérieuse pour sa conservation ». Elle indiqua qu’au cas où la prodigalité était la cause de l’ouverture de la curatelle, il n’était pas nécessaire qu’un médecin constatât formellement une altération des facultés mentales ou corporelles. Elle expliqua qu’en effet, « la prodigalité n’[étai]t pas un concept médical [mais] un comportement de fait [qu’il appartenait] au juge d’apprécier souverainement ».
25. La Cour d’appel considéra que, s’il était incontestable que la privation de la capacité juridique constituait une ingérence sérieuse dans les droits de la requérante, l’intervention du juge des tutelles se faisait conformément aux buts légitimes de l’article 8 § 2 de la Convention. Elle conclut que « les prédites dispositions des articles 488 et 508-1 du code civil qui permett[ai]ent au juge des tutelles de prononcer une curatelle pour prodigalité en l’absence de certificat médical, n’enfreign[ai]ent pas l’article 8 de la Convention ».
26. La Cour d’appel poursuivit que « les deux conditions d’application de l’article 488 du code civil [étaient] la prodigalité du majeur à protéger et le risque qu’il tombe dans le besoin » et que « la mise sous curatelle était alors conçue comme une mesure de protection sociale, (…) destinée à éviter de voir la personne tomber dans l’indigence et être à la charge de la collectivité ».
27. Elle relata qu’il ressortait de l’enquête sociale que « l’assistant social a[vait] émis des doutes quant à [l]a capacité [de la requérante], eu égard à son âge et à une certaine faiblesse, de prendre des jugements corrects et s’[étai]t demandé si elle n’[étai]t pas fragile, facilement influençable et manipulable ».
28. La Cour d’appel analysa la situation personnelle et patrimoniale de la requérante, après avoir entendu celle-ci à l’audience. Elle conclut qu’au regard du danger très réel de se voir dépouiller de ses biens tant mobiliers qu’immobiliers et de se trouver rapidement dans le besoin, le maintien de la curatelle s’imposait pour conseiller et contrôler la requérante dans certains actes de la vie civile. Elle précisa ceci :
« 1. La curatelle permettra de faire annuler à la demande du curateur les actes accomplis sans son assistance lorsque celle-ci était requise pour leur validité.
2. Cependant, la curatelle ne saurait servir à contrecarrer un quelconque mode de vie d’une personne majeure, [la requérante] est en principe libre de disposer à sa guise de sa fortune et de sa pension de vieillesse, à condition de ne pas mettre en péril ses moyens de subsistance [ni] s’exposer à la précarité.
3. Il convient partant de confirmer le jugement d’ouverture d’une curatelle simple de [la requérante] et de nomination de Me [M.] comme curat[rice], en précisant, au vu de l’article 511 du code civil, que seuls les actes de disposition relatifs au patrimoine immobilier de [la requérante] nécessitent l’accord et l’assistance d[e la] curat[rice]. »
V. Arrêt de la Cour de cassation
29. Le 6 juin 2017, la requérante se pourvut en cassation. Elle reprochait notamment à la Cour d’appel de s’être limitée à constater, de manière abstraite, que l’intervention du juge des tutelles sur base des dispositions légales était conforme aux buts légitimes, sans s’assurer, au préalable, que l’ingérence était bel et bien prévue par la loi au sens de l’article 8 de la Convention.
30. Le 3 mai 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, aux motifs suivants :
« Attendu que, contrairement au[x affirmations de la requérante], les juges d’appel, par les motifs reproduits au moyen, ont répondu à suffisance au moyen de la [requérante] tiré de la non-conformité des dispositions du Code civil à la disposition conventionnelle en question. »
VI. Autres procédures et démarches intentées en amont de l’introduction de la requête devant la Cour
31. Parallèlement à la procédure de cassation, la requérante recueillit à nouveau l’avis d’un médecin, le Dr M., qui conclut, le 4 mars 2018, que le bilan cognitif de la requérante était normal et qu’il n’y avait dès lors pas d’indication neurologique pour une curatelle.
32. Le 28 mars 2018, la requérante déposa une requête en adoption simple de S. devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg siégeant en matière civile. Par un jugement du 11 juillet 2018, le tribunal prononça un sursis à statuer en attendant le résultat de l’action publique en cours.
33. Le 15 octobre 2018, le représentant de la requérante s’adressa au « service de documentation juridique » (qui regroupe les décisions de justice les plus importantes rendues par les tribunaux luxembourgeois), en quête de renseignements quant à l’existence d’éventuelles décisions qui auraient été rendues relativement aux articles 508-1 et 488 alinéa 3 combinés du code civil ou qui auraient interprété la notion de « prodigalité ». Le 16 octobre 2018, un substitut auprès du parquet général l’informa que la banque de données JUDOC n’avait donné aucun résultat relatif à cette demande de recherche.
34. Dans ses observations du 27 avril 2020, la requérante a fourni des informations quant à l’état actuel de l’affaire, qui ne sont pas contestées par le Gouvernement. Ainsi, le 28 juin 2019, eut lieu une nouvelle expertise psychiatrique, ordonnée le 24 janvier 2018 par le juge d’instruction en charge de l’information judiciaire ouverte pour abus de faiblesse (paragraphe 9 ci-dessus). La requérante indique ne pas avoir été informée des résultats de ces examens médicaux. Elle précise par ailleurs qu’à sa connaissance, aucun autre acte d’instruction n’a été posé, de sorte que la procédure d’adoption reste toujours suspendue.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
I. Les articles 488 et 490 du code civil luxembourgeois
35. L’article 488 alinéa 1er dispose qu’un majeur est « capable de tous les actes de la vie civile ». Les articles 488 et 490 prévoient les situations dans lesquelles un majeur peut être placé sous un régime de protection :
Article 488 alinéa 3
« Peut (…) être protégé le majeur qui, par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s’expose à tomber dans le besoin ou compromet l’exécution de ses obligations familiales. »
Article 490
« Lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l’âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l’un des régimes de protection prévus aux chapitres suivants.
Les mêmes régimes de protection sont applicables à l’altération des facultés corporelles, si elle empêche l’expression de la volonté.
L’altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement établie. »
36. L’article 488, dans sa teneur actuelle, a été introduit au Luxembourg par une « loi du 11 août 1982 portant réforme du droit des incapables majeurs ». L’« exposé des motifs » du projet de loi (no 2327 déposé le 23 mai 1979) y relatif indique ceci :
« Les textes existants prévoient la mise sous curatelle également à l’égard des prodigues, le prodigue étant celui qui dilapide sa fortune. Une protection spéciale contre ce trait de caractère, qui pouvait paraître scandaleux aux temps de la bourgeoisie patriarcale et attachée à la conservation de la fortune dans les familles, ne paraît plus indiquée d’après nos conceptions reconnaissant à chacun le droit de vivre selon son bon plaisir, à condition qu’il ne lèse pas des intérêts supérieurs d’autres personnes. Aussi, le projet ne prévoit-il la mise sous curatelle du prodigue que si par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté il s’expose à tomber dans le besoin, et constituera ainsi une charge pour la collectivité ou des membres de sa famille (…). »
37. Les décisions de justice luxembourgeoises s’inspirent et se réfèrent aux doctrines et jurisprudences des pays voisins dans la mesure où ceux-ci ont des dispositions légales similaires voire identiques. Ainsi, à l’égard de l’interprétation de la notion de « prodigalité » retenue sous l’article 488 alinéa 3 du code civil luxembourgeois, les éléments suivants ressortent de la jurisprudence rendue sous l’égide de l’ancien article 488 alinéa 3 du code civil français (disposition en vigueur jusqu’en 2007), d’une teneur identique à la disposition luxembourgeoise correspondante :
« Est justifiée une décision des juges du fond ayant décidé une mise sous curatelle au motif de « prodigalité ». Ceux-ci ont, en effet, pu souverainement constater que la personne âgée ayant vendu une partie importante de son patrimoine mobilier et immobilier, qui se préparait à céder le reste de son patrimoine immobilier pour s’acquitter d’une dette fiscale mais qui est « dans l’impossibilité de justifier de l’emploi de ses autres fonds et se borne à faire état de son désir de procéder dans l’avenir à des réinvestissements avantageux » (Civ. 1ère, 24 octobre 1995, arrêt no 1584P, RDSS 1996.156).
38. Il résultait de cette jurisprudence française que la production d’un certificat médical n’était pas exigée lorsque la requête tendant au placement d’une personne sous le régime de la curatelle était fondée sur la prodigalité (ibidem), d’une part, et que la prodigalité visait la dilapidation de revenus ou des dépenses excessives entraînant un état de besoin (Civ. 1ère, 24 septembre 2002, no 00-17.425), d’autre part.
II. Le majeur sous la sauvegarde de justice
39. L’article 491 du code civil luxembourgeois détermine les cas de figure du placement sous la sauvegarde de justice :
« Peut être placé sous la sauvegarde de justice le majeur qui, pour l’une des causes prévues à l’article 490, a besoin d’être protégé dans les actes de la vie civile. »
40. L’article 492-1 du même code prévoit les effets du placement sous la sauvegarde de justice :
« Le majeur placé sous la sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits.
Toutefois, les actes qu’il a passés et les engagements qu’il a contractés pourront être rescindés pour simple lésion ou réduits en cas d’excès (…).
Les tribunaux prendront, à ce sujet, en considération, la fortune de la personne protégée, la bonne ou mauvaise foi de ceux qui auront traité avec elle, l’utilité ou l’inutilité de l’opération. »
III. Le majeur en curatelle
41. Les articles 508 et 508-1 du code civil déterminent les cas de figure du placement sous le régime de curatelle :
Article 508
« Lorsqu’un majeur, pour l’une des causes prévues à l’article 490, sans être hors d’état d’agir lui-même, a besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous un régime de curatelle. »
Article 508-1
« Peut pareillement être placé sous le régime de la curatelle le majeur visé à l’alinéa 3 de l’article 488. »
42. Les articles 510, 510-1 et 511 du code civil prévoient les effets de la curatelle :
Article 510
« Le majeur en curatelle ne peut, sans l’assistance de son curateur, faire aucun acte qui, sous le régime de la tutelle des majeurs, requerrait une autorisation du conseil de famille. Il ne peut non plus, sans cette assistance, recevoir des capitaux ni en faire emploi.
Si le curateur refuse son assistance à un acte, la personne en curatelle peut demander au juge des tutelles une autorisation supplétive. »
Article 510-1
« Si le majeur en curatelle a fait seul un acte pour lequel l’assistance du curateur était requise, lui-même ou le curateur peuvent en demander l’annulation. (…). »
Article 511
« En ouvrant la curatelle ou dans un jugement postérieur, le juge, sur l’avis du médecin traitant, peut énumérer certains actes que la personne en curatelle aura la capacité de faire seule par dérogation à l’article 510 ou, à l’inverse, ajouter d’autres actes à ceux pour lesquels exige l’assistance du curateur. »
LE CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL PERTINENT
43. La Cour a résumé les « principes concernant la protection juridique des majeurs incapables », adoptés le 23 février 1999 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (recommandation no R (99) 4), dans l’affaire Chtoukatourov c. Russie (no 44009/05, § 59, CEDH 2008).
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
44. La requérante estime que son placement sous curatelle simple constitue une ingérence dans son droit à la vie privée, qui n’est pas « prévue par la loi », ne poursuit aucun but légitime et n’est pas « nécessaire » au sens de l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (…).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
45. Le Gouvernement estime que « toutes les conditions de forme et de fond quant à la recevabilité de la requête sont remplies », ce dont la requérante convient.
46. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) La requérante
47. La requérante, qui note que le Gouvernement admet l’existence d’une ingérence, estime que celle-ci n’est pas « prévue par la loi ».
D’emblée, elle conteste les arguments du Gouvernement relatifs aux consensus européen et marge d’appréciation, pour relever de l’analyse non pas de la qualité de « loi » mais de celle de la « proportionnalité » de l’ingérence. Par ailleurs, elle expose qu’elle n’appartient à aucun groupe de personnes vulnérables identifiés par la Cour, celle-ci n’ayant par ailleurs jamais reconnu la notion de « prodigalité » comme motif susceptible de justifier l’existence d’une obligation positive de protéger des majeurs.
Elle estime que la loi luxembourgeoise ne répond pas aux exigences de qualité requises, rien dans l’article 488 du code civil, ni dans la jurisprudence, ne permettant de discerner la portée de la notion de « prodigalité ». Elle indique avoir toujours contesté risquer de tomber dans le besoin et n’avoir jamais cerné en quoi consistait la prodigalité qui lui était prêtée.
48. Quant au « but légitime », la requérante expose que le législateur a cité celui du bien-être économique du pays (paragraphe 36 ci-dessus). Dans sa requête, elle a soutenu que ce but originaire avait toutefois perdu de sa légitimité dans son cas, où les autorités, qui jugeaient S. mal intentionné, préféraient « neutraliser » celui-ci en la plaçant sous curatelle, plutôt que d’agir dans le cadre normatif approprié de la procédure pénale pour abus de faiblesse. Elle conteste la protection du bien-être et du patrimoine du majeur vulnérable désormais invoquée par le Gouvernement, exposant ne pas pouvoir être considérée comme majeure vulnérable, à l’instar de ce qui était le cas du requérant impliqué dans l’affaire A.-M.V. c. Finlande (no 53251/13, 23 mars 2017) citée par le Gouvernement.
49. La requérante conteste la « proportionnalité » de la mesure.
Rapportant que de nombreux États ont renoncé aux motifs autres que médicaux pour justifier une mesure de protection, à l’instar des préconisations de la Recommandation no R(99)4 (paragraphe 43 ci-dessus), elle déplore le maintien par le Luxembourg du régime de la curatelle pour prodigalité – « notion d’un autre âge », selon elle – et l’absence d’alternatives légales moins attentatoires aux droits.
Ayant toujours géré seule son patrimoine et disposant de toute sa lucidité, elle rappelle avoir perdu pendant 10 mois tout regard sur ses comptes et être considérée encore à l’heure actuelle comme incapable de gérer toute la partie immobilière de son patrimoine qui constitue la substance de sa fortune. Soulignant que la présente affaire a trait à un aspect des plus intimes de sa vie privée, elle estime que la marge d’appréciation des autorités publiques doit être très restreinte et qu’il doit exister des raisons particulièrement graves pour justifier l’ingérence. Or, ces dernières n’existent au regard ni de la recherche du bien-être économique du pays ni de la protection des intérêts des majeurs vulnérables.
b) Le Gouvernement
50. Le Gouvernement estime que la curatelle simple constitue certes une ingérence, mais qui est « prévue par la loi ».
Tant par le contexte de son introduction dans la législation luxembourgeoise, que par son acception actuelle, la « prodigalité » constitue une notion qui traduit non pas l’état de santé mais le comportement factuel d’une personne. Bien que n’ayant pas fait l’objet de développements jurisprudentiels majeurs au Luxembourg, la notion est suffisamment claire et aisément compréhensible pour un justiciable ayant recours à un conseil juridique, ainsi qu’en témoigne la présente procédure interne, à laquelle renvoie le Gouvernement (paragraphes 22 et suivants ci-dessus).
Certes, il observe à travers le monde une tendance nette vers le renforcement de l’autonomie du majeur vulnérable. Toutefois, il estime qu’il devrait exister « une certaine marge d’appréciation » en la matière, en l’absence d’un consensus européen quant à l’adoption de motifs non médicaux pour protéger les majeurs vulnérables. Ainsi, la France a supprimé la notion de prodigalité en 2007, tandis que la Belgique l’a réintroduite dans son code civil en 2013. Concernant le « principe même de la conventionnalité de la notion de prodigalité appréciée au regard de l’article 8, [le Gouvernement] s’en remet à l’appréciation de la Cour ».
51. Tant la législation que la décision judiciaire prise en l’espèce, partagent comme « but légitime » celui de la « protection des intérêts et du bien-être du majeur vulnérable (A.-M.V. c. Finlande, précité, § 80) ». Le Gouvernement précise que « tel est le cas à moins que la Cour ne considère qu’en [la] matière, seuls des cas d’ouverture de mesures (…) liés à une altération (…) de l’état de santé puissent être considérés comme poursuivant ledit objectif légitime. À cet égard (…) le Gouvernement s’en remet à l’appréciation de la Cour ».
52. Quant à la « proportionnalité », le Gouvernement estime que la procédure judiciaire montre que les juges du fond, conscients de la volonté manifestée par la requérante, ont continuellement eu comme préoccupation première de choisir la mesure la plus apte à encadrer la situation de l’intéressée, sans dépasser le strict nécessaire. Ainsi, les décisions judiciaires progressivement adoptées témoignent d’une « mise en balance soigneuse entre le droit de la requérante à la protection de son autonomie (…) [et] l’obligation positive pesant sur l’État quant à la protection du patrimoine des majeurs vulnérables ».
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une « ingérence »
53. Les parties conviennent que la décision de placer la requérante sous curatelle simple a constitué une ingérence dans sa vie privée. Rappelant que la privation de la capacité juridique peut constituer une ingérence dans la vie privée de la personne concernée, même lorsque celle-ci n’a été privée de sa capacité juridique que partiellement (Ivinović c. Croatie, no 13006/13, § 35, 18 septembre 2014), la Cour estime que la mesure adoptée à l’égard de la requérante s’analyse en une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention.
54. La Cour rappelle qu’une atteinte au droit d’un individu au respect de sa vie privée viole l’article 8 si elle n’est pas « prévue par la loi », ne poursuit pas un but ou des buts légitimes visés par le paragraphe 2, ou n’est pas « nécessaire dans une société démocratique » en ce sens qu’elle n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis (voir, parmi d’autres, Chtoukatourov, précité, § 85).
b) Sur la question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi »
55. La Cour rappelle que l’expression « prévue par la loi » impose non seulement le respect du droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi, qui doit être compatible avec la prééminence du droit (Halford c. Royaume-Uni, 25 juin 1997, § 49, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III). En particulier, on ne peut considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 88, série A no 61). L’expression « prévue par la loi » implique donc que la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention (Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014 (extraits)).
56. Cependant, beaucoup de lois se servent, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (voir, sous l’angle de l’article 11 de la Convention, Kudrevičius et autres c. Lituanie [GC], no 37553/05, § 109, CEDH 2015, et les affaires qui y sont citées). À cet égard, la Cour rappelle qu’il appartient aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 169, 24 janvier 2017 ainsi que les références y citées). Enfin, la Cour a eu l’occasion de préciser qu’il faut bien qu’une norme juridique donnée soit un jour appliquée pour la première fois (Kudrevičius et autres, précité, § 115).
57. En l’espèce, la requérante a été placée sous le régime de la curatelle simple sur base des articles 508-1 et 488 alinéa 3 du code civil combinés (paragraphe 35 et 41 ci-dessus). Ce dernier article dispose que le majeur qui, par sa prodigalité, s’expose à tomber dans le besoin peut être protégé. Ni la loi ni la jurisprudence luxembourgeoise ne contiennent de définition de la notion de « prodigalité », la Cour d’appel ayant, elle-même, défini cette notion dans son arrêt rendu à l’égard de la requérante (paragraphe 24 ci‑dessus).
58. De l’avis de la Cour, malgré cette absence de définition dans la loi et la jurisprudence avant les faits de la présente affaire, il n’en reste pas moins que la notion peut être raisonnablement considérée comme à la portée d’un justiciable ayant recours à un conseil juridique. En effet, il est un fait que tant les avocats que les juridictions luxembourgeoises se réfèrent de manière récurrente à des décisions de justice ou de la doctrine françaises dans les matières où, comme en l’espèce, les institutions sont similaires. Or, la jurisprudence en vigueur sous l’égide de l’ancien article 488 du code civil français indiquait que la prodigalité visait la dilapidation de revenus ou des dépenses excessives entraînant un état de besoin et que la production d’un certificat médical n’était pas exigée pour la mise sous curatelle pour cause de prodigalité (paragraphes 37 et 38 ci-dessus). Certes, la Cour ne saurait ignorer que cette jurisprudence n’est plus en vigueur en France, dans la mesure où, en 2007, une réforme a supprimé les cas d’ouverture d’une curatelle prévus par l’ancien article 488. De l’avis de la Cour, le fait que ces principes ne sont plus à jour concernant la France ne leur ôte pas pour autant leur utilité dans le cadre d’affaires jugées au Luxembourg, où les dispositions de l’ancien article 488 alinéa 3 du code civil français (d’une teneur identique à la disposition luxembourgeoise) sont toujours d’actualité.
59. Dans ces circonstances, la Cour estime que la requérante était en mesure de prévoir à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce qu’elle pouvait être considérée comme tombant dans le champ d’application des articles 508-1 et 488 alinéa 3 du code civil luxembourgeois, en s’entourant au besoin de conseils éclairés (voir, mutatis mutandis, Dubská et Krejzová c. République tchèque [GC], nos 28859/11 et 28473/12, § 171, CEDH 2016).
60. La Cour conclut dès lors que l’ingérence était « prévue par la loi ».
c) Sur la poursuite d’un but légitime
61. La Cour estime qu’au regard des éléments développés par la Cour d’appel (paragraphes 22 et suivants ci-dessus), l’ingérence poursuivait comme double « but légitime », au sens du deuxième paragraphe de l’article 8 de la Convention, le bien-être économique du pays et la protection de la requérante. En effet, en prévenant qu’une personne, par des actes inconsidérés, tombe dans le besoin, il s’agit de protéger, d’une part, la société contre le risque de devoir assurer la subsistance de cette personne, et d’autre part, l’individu lui-même contre le danger d’une impécuniosité.
d) Sur la question de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique
62. La Cour rappelle que priver une personne de sa capacité juridique, même partiellement, est une mesure très grave qui devrait être réservée à des circonstances exceptionnelles (Ivinović, précité, § 38). Une marge d’appréciation doit cependant inévitablement être laissée aux autorités nationales qui, en raison de leur contact direct et continu avec les forces vives de leur pays, sont en principe mieux placées qu’une juridiction internationale pour évaluer les besoins et les conditions locales (Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 117, CEDH 2005 IX). Cette marge variera en fonction de la nature du droit de la Convention en cause, de son importance pour l’individu et de la nature des activités restreintes, ainsi que de la nature du but poursuivi par les restrictions. La marge aura tendance à être plus étroite lorsque le droit en jeu est crucial pour la jouissance effective par l’individu de droits intimes ou essentiels (A.-M.V. c. Finlande, précité, § 83).
63. Les garanties procédurales dont dispose l’individu seront particulièrement importantes pour déterminer si l’État défendeur est resté dans les limites de sa marge d’appréciation. En particulier, la Cour doit examiner si le processus décisionnel conduisant aux mesures d’ingérence a été équitable et de nature à assurer le respect des intérêts garantis à l’individu par l’article 8 (ibidem, § 84, et les références y citées).
64. En l’espèce, il y a lieu de constater, avant toute chose, que la décision de priver partiellement la requérante de sa capacité juridique ne reposait pas sur un constat d’altération de ses facultés mentales établie par des médecins (voir, a contrario, Ivinović, précité, § 40). Certes, un médecin avait constaté que la requérante était gravement malade et épuisée (paragraphe 12 ci-dessus), mais un autre médecin s’est prononcé, d’un point de vue neurologique, contre la nécessité d’une mesure de protection à l’égard de la requérante (paragraphe 14 ci-dessus) et après le prononcé de son arrêt par la Cour d’appel, un autre médecin est arrivé à la même conclusion (paragraphe 31 ci-dessus). La Cour d’appel a pris soin de préciser qu’il n’était pas nécessaire qu’un médecin constate formellement une altération des facultés mentales ou corporelles, puisque la prodigalité n’était pas un concept médical, mais un comportement de fait qu’il appartenait au juge d’apprécier souverainement (paragraphe 24 ci-dessus). Le Gouvernement a par ailleurs clairement confirmé cette approche dans ses observations. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il lui appartient de vérifier avec davantage d’attention si les juges nationaux ont soigneusement pesé tous les facteurs pertinents avant de prendre la décision de placement en curatelle litigieuse.
65. En amont de la prise des différentes décisions judiciaires, les autorités nationales ont instruit le dossier et recherché à établir les faits pertinents, par le biais notamment d’un rapport d’enquête sociale et d’une audition de la requérante (paragraphe 15 ci-dessus).
66. Ensuite, dans le cadre des décisions qu’ils ont rendues, les juges ont pris soin d’entendre à leur tour la requérante et de se livrer à un examen concret des faits. Ainsi notamment, la Cour d’appel a analysé la situation personnelle et patrimoniale de la requérante (paragraphe 28 ci-dessus), après s’être basée sur le fait que l’assistant social avait « émis des doutes quant à [l]a capacité [de la requérante], eu égard à son âge et à une certaine faiblesse, de prendre des jugements et s’[étai]t demandé si elle n’[étai]t pas fragile, facilement influençable et manipulable » (paragraphe 27 ci-dessus). Elle avait également à sa disposition la décision du juge de première instance qui avait vu la requérante et avait noté que celle-ci avait, à la demande de S., initié la constitution de deux sociétés commerciales à propos desquelles elle n’était pourtant pas en mesure de donner des précisions concernant leur objet commercial. Le premier juge avait ajouté qu’elle avait perdu son sens critique en ce qui concernait les factures en relation avec des travaux et soins commandés par S. (paragraphe 18 ci-dessus).
67. Certes, la Cour ne sous-estime pas l’impact qu’ont dû avoir les différentes procédures sur la vie privée de la requérante et n’ignore pas les complications, voire les souffrances, qui vont immanquablement de pair avec les démarches et mesures imposées. Elle estime toutefois que les autorités judiciaires ont procédé à une évaluation approfondie de la situation de la requérante, qui a été impliquée, par sa participation personnelle, dans l’examen de l’affaire. Elles se sont efforcées d’atteindre un équilibre entre le respect de la dignité et l’auto-détermination de la requérante et la nécessité de la protéger et de sauvegarder ses intérêts devant sa vulnérabilité qu’elles estimaient avoir identifiée, à partir de leur impression qu’elle ignorait la teneur et la portée de décisions importantes prises en son nom (paragraphe 18 ci-dessus). L’interférence, en définitive minime sur l’échelle des mesures possibles, est proportionnée et adaptée à sa situation individuelle, tout en étant en accord avec le but légitime de protéger son bien-être au sens large (voir, mutatis mutandis, A.-M.V. c. Finlande, précité, § 90). La Cour admet dès lors que l’interférence est demeurée dans les limites de la marge d’appréciation dont disposaient les autorités judiciaires en l’espèce.
68. Dans ces circonstances, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 mai 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan Blaško Paul Lemmens
Greffier Président
Dernière mise à jour le mai 18, 2021 par loisdumonde
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