AFFAIRE ZAMFIRESCU c. ROUMANIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 14132/14

La requête concerne l’équité de la procédure pénale pour trafic d’influence menée contre le requérant, qui était procureur au moment des faits, ainsi que les interceptions téléphoniques, la mise sur écoute de l’intéressé et la perquisition de son bureau où il affirme avoir passé une partie de sa vie privée. Elle soulève des questions sous l’angle des articles 6 et 8 de la Convention.


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ZAMFIRESCU c. ROUMANIE
(Requête no 14132/14)
ARRÊT
STRASBOURG
18 mai 2021

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Zamfirescu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu la requête (no 14132/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ciprian-Calin Zamfirescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 février 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») les griefs relatifs à l’équité de la procédure pénale et aux interceptions téléphoniques, à la mise sur écoute du requérant et à la perquisition de son bureau, et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

Vu les observations des parties,

Vu la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 avril 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne l’équité de la procédure pénale pour trafic d’influence menée contre le requérant, qui était procureur au moment des faits, ainsi que les interceptions téléphoniques, la mise sur écoute de l’intéressé et la perquisition de son bureau où il affirme avoir passé une partie de sa vie privée. Elle soulève des questions sous l’angle des articles 6 et 8 de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1971 et réside à Timişoara. Il est représenté par Me C.-L. Popescu, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme O. F. Ezer, représentante permanente de la Roumanie à la Cour européenne des droits de l’homme.

I. Le contexte de l’affaire

4. À l’époque des faits, le requérant exerçait la fonction de procureur en chef au parquet près le tribunal de première instance de Sânnicolau‑Mare. Son domicile officiel était situé à Timişoara d’où il partait pour se rendre quotidiennement à Sânnicolau‑Mare. Il disposait, dans l’immeuble du parquet, d’un bureau composé de deux pièces.

5. Le requérant soutient qu’il passait une partie importante de sa vie privée sur son lieu de travail situé dans l’immeuble du parquet à Sânnicolau‑Mare. Il explique que son bureau était composé d’un bureau proprement dit et d’une pièce attenante à laquelle l’accès n’était possible que par son bureau et qui disposait d’un lit. Cette pièce était destinée à son usage exclusif et il disposait d’une clé pour y accéder. Il y prenait ses repas et y dormait la nuit. Il y avait installé des meubles (un réfrigérateur) et il y gardait des objets personnels (vêtements et objets d’hygiène). Il y avait entretenu des relations sexuelles avec d’autres femmes que son épouse. Un agent technique du parquet y pénétrait, sur ses instructions, pour faire le ménage et faire nettoyer ses vêtements et ceux des femmes avec lesquelles il entretenait des relations. Il indique qu’il y passait une grande partie de sa vie privée, parce que son domicile officiel était éloigné et que les relations avec son épouse s’étaient détériorées à l’époque des faits. Il allègue également que cette situation de fait était connue et tolérée par sa hiérarchie.

6. Le Gouvernement indique que le bureau en question était destiné à un usage exclusivement professionnel et ne représentait pas un logement de service (locuinţă de serviciu). Il précise que le requérant n’avait pas le droit, en vertu de la législation applicable, à un logement de service parce qu’il était conjointement avec son épouse propriétaire d’un appartement à Sânnicolau‑Mare. En outre, aucune base légale ni aucune pratique institutionnelle ne permettaient aux procureurs d’aménager des logements dans l’immeuble d’un parquet. La pièce attenante au bureau du procureur figurait dans les registres du parquet de Sânnicolau‑Mare comme étant une « salle de réunions ». Les registres du parquet ne faisaient en outre mention ni d’heures supplémentaires effectuées par le requérant ni des visiteurs qu’il aurait reçus en dehors des heures de bureau. Le Gouvernement soutient que l’intéressé n’avait pas fourni de preuves à l’appui de l’affirmation selon laquelle la situation de fait décrite par lui était tolérée par la hiérarchie, d’autant plus qu’il était le procureur en chef et qu’il n’avait pas de supérieur hiérarchique sur place.

II. Les mesures de surveillance décidées dans le cadre des poursuites pénales

A. Les interceptions téléphoniques et la mise sur écoute des conversations du requérant (înregistrări în mediu ambiental)

7. Le 15 avril 2010, par ordonnance du procureur, la Direction nationale anticorruption (« la DNA ») autorisa, à titre provisoire et pour une durée de quarante-huit heures, l’interception des communications téléphoniques du requérant avec des tiers ainsi que la mise sur écoute de ses conversations (înregistrări în mediu ambiental), l’intéressé étant soupçonné d’avoir commis des faits de corruption qui avaient été dénoncés par le témoin L.L.M.

8. Par une décision avant dire droit datée du 19 avril 2010, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») confirma l’ordonnance susmentionnée du procureur, au motif qu’il existait des indices convaincants de la préparation et de la commission des faits de corruption et que des mesures de surveillance s’imposaient compte tenu du fait que la localisation et l’identification des personnes impliquées ne pouvaient être effectuées autrement. Elle estima à cet égard qu’au vu de la rapidité du déroulement des faits, l’ordonnance délivrée par le procureur était justifiée et que l’obtention d’une autorisation judiciaire, à la demande du procureur, aurait eu pour conséquence de retarder la mise en exécution de ces mesures. Elle autorisa en outre la continuation de l’exécution des mesures d’interception et de mise sur écoute pour une durée de vingt-huit jours supplémentaires, jugeant qu’elles étaient nécessaires pour clarifier la nature des relations entre les personnes soupçonnées. La décision de la Haute Cour n’indiquait pas de plages horaires délimitant le temps consacré à la réalisation des enregistrements.

9. Les 14 mai, 11 juin et 14 juillet 2010, la Haute Cour prolongea à chaque fois l’autorisation d’interception et de mise sur écoute pour une durée de trente jours. Ces trois décisions visaient expressément la mise sur écoute du requérant sur son lieu de travail situé dans l’immeuble du parquet à Sânnicolau‑Mare. Il ressortait de ces décisions que les mesures de surveillance avaient révélé l’existence d’indices liés à d’autres faits de corruption en relation avec T.Z.P.D. et R.C.I., gérants de deux sociétés (paragraphes 15-16 ci-dessous). La Haute Cour jugea ainsi nécessaire d’obtenir, par le moyen d’interceptions et de mise sur écoute, la clarification des éléments de fait pertinents. Les décisions en question n’indiquaient pas davantage de plages horaires.

10. Il ressort du dossier qu’un équipement technique avait été installé dans le bureau du requérant, mais que ni l’emplacement exact de cet équipement ni le nombre de micros installés n’y sont précisés. Le requérant soutient que l’enregistrement visait les deux pièces de son bureau et que des agents de l’État avaient pénétré dans cet espace tous les trois jours en moyenne pour entretenir cet équipement.

11. Les 21 juillet et 13 août 2010, la Haute Cour autorisa l’interception des conversations téléphoniques de T.Z.P.D. et la mise sur écoute des réunions ayant eu lieu entre ce dernier et d’autres personnes.

12. Entretemps, le 27 juillet 2010, T.Z.P.D. dénonça le requérant aux autorités de poursuites. Le 8 septembre 2010, il fit une déclaration en qualité de témoin.

B. La perquisition

13. Le 7 septembre 2010, à la demande de la DNA, la section pour les procureurs du Conseil supérieur de la magistrature donna son accord pour procéder à la perquisition du domicile du requérant, de ses voitures personnelle et professionnelle, et de son bureau. Cette décision concernait « le bureau utilisé [par l’intéressé] pour l’exercice de son activité professionnelle au siège du parquet ».

14. Par une décision avant dire droit du même jour, la Haute Cour accueillit la demande de la DNA et autorisa la perquisition du domicile, des voitures personnelle et professionnelle, et du bureau du requérant. La copie de la décision envoyée par le requérant à la Cour est incomplète et ne comporte pas les motifs invoqués par la Haute Cour.

15. Dans le cadre d’une procédure de flagrance, la perquisition eut lieu le 8 septembre 2010, au cours de laquelle une enveloppe comportant la somme de 1 000 euros (EUR) fut trouvée dans un des tiroirs du bureau du requérant. Les mains et les vêtements de l’intéressé furent examinés à l’aide d’une lampe fluorescente à la suite de quoi des traces de substance fluorescente furent relevées au niveau de ses mains et des poches de son pantalon ; la somme ayant été antérieurement marquée par les organes d’enquête et remise au témoin T.Z.P.D.

16. Il ressort également des décisions internes qu’un certain nombre de documents (relatifs à une procédure initiée par l’époux de R.C.I.) fut saisi au cours de la perquisition.

17. Le requérant soutient que la perquisition a visé l’intégralité de son bureau, y compris la pièce qui constituait selon lui son domicile privé.

III. La procédure pénale pour trafic d’influence

18. Le 27 octobre 2010, sur réquisitoire de la DNA, le requérant fut renvoyé en jugement pour trafic d’influence. Il était accusé d’avoir accepté de la part de T.Z.P.D. la somme de 4 500 EUR pour agir en tant qu’intermédiaire en vue de la conclusion d’un contrat de prestations de services entre deux sociétés, l’une gérée par T.Z.P.D. et l’autre par R.C.I. (paragraphe 9 ci-dessus).

19. En application des règles procédurales en vigueur au moment des faits, l’affaire fut enregistrée par la Haute Cour siégeant en première instance en une formation de trois juges.

20. À l’audience du 21 novembre 2011, le requérant demanda que les preuves obtenues de manière illégale fussent écartées du dossier. S’agissant de l’autorisation d’interception et de mise sur écoute, il estima qu’elle était illégale parce que l’adresse indiquée était celle de l’ancien immeuble du parquet et que les mesures de surveillance avaient été exécutées par des personnes qui n’avaient pas agi à cette fin en vertu d’une délégation. Il fit également valoir que, lors de la mise en exécution de ces mesures, les agents de l’État avaient pénétré de manière répétée dans un espace privé pour assurer l’entretien de l’équipement technique utilisé à cette fin (le changement des piles). Enfin, il critiquait le fait que le parquet avait continué la surveillance en question bien que les faits pour lesquels il avait été initialement soupçonné ne fussent pas de nature pénale.

21. Par une décision avant dire droit du 9 décembre 2011, la Haute Cour rejeta la demande du requérant comme mal fondée. Elle jugea que l’indication d’une autre adresse relevait de l’erreur matérielle et que la décision autorisant l’interception et la mise sur écoute avait été délivrée et mise en exécution selon les voies légales.

22. Aux audiences des 20 et 28 février 2012, la Haute Cour visionna l’enregistrement des images captées les 13 mai et 13 juillet 2010 et entendit l’enregistrement de quatre conversations téléphoniques du requérant. En outre, à l’audience du 28 février 2012, la Haute Cour ordonna, à la demande du requérant, une expertise des enregistrements effectués dans le bureau de l’intéressé les 13 mai, 23 juin et 13 juillet 2010 ainsi que des deux enregistrements réalisés par le témoin T.Z.P.D. avec l’équipement technique fourni par les autorités. Dans le cadre de cette expertise, la Haute Cour fixa trois questions, notamment celles de savoir i) si les enregistrements étaient authentiques ; ii) s’ils comportaient des interventions, telles que des suppressions ou des insertions de mots ou de phrases ; et iii) s’ils avaient été réalisés simultanément avec les événements enregistrés et si les éléments temporels correspondaient au moment de l’enregistrement ou de la création des fichiers.

23. Un rapport d’expertise fut rendu par l’Institut national d’expertises criminalistiques le 26 avril 2012. Il indiquait que deux types d’enregistrements avaient été soumis à l’expertise : l’enregistrement des conversations (înregistrări ambientale) réalisé avec un équipement technique portable ainsi que les enregistrements vidéo et audio effectués à l’aide d’un équipement de surveillance audio-vidéo probablement dissimulé dans une pièce utilisée comme bureau (echipament tehnic de supraveghere audio‑video, probabil disimulat, într-o încăpere de tip birou). Il concluait que l’authenticité des enregistrements ne pouvait être établie avec certitude sans accès aux équipements utilisés. Il précisait ensuite que les enregistrements étaient des reproductions (clone) des enregistrements originaux. Il indiquait enfin que les enregistrements ne présentaient ni de montages ou autres interventions ni de repères temporels de nature à établir la simultanéité des enregistrements avec les événements acoustiques ou visuels qu’ils contenaient.

24. Le 11 mai 2012, le requérant présenta ses objections sur le rapport d’expertise criminalistique et critiqua notamment le fait que l’expert n’avait pas eu accès à l’équipement utilisé pour réaliser les enregistrements. Il demanda à faire auditionner l’expert en séance publique. Le même jour, la Haute Cour rejeta ses objections, au motif que l’expert désigné avait répondu aux objectifs de l’expertise et avait expliqué la méthodologie utilisée. Elle rejeta en outre la demande tendant à faire auditionner l’expert dans la mesure où il ne pouvait pas fournir davantage d’explications que celles déjà présentées dans le rapport d’expertise.

25. Le Gouvernement déclare que le requérant a eu, tout au long de la procédure, accès à l’intégralité du dossier pénal, ce que conteste le requérant.

26. Par une décision du 7 juin 2012, la Haute Cour condamna le requérant à une peine de quatre ans de prison avec sursis. Elle examina les arguments du requérant selon lesquels les enregistrements effectués dans son bureau auraient été illégaux et les rejeta pour les mêmes motifs que ceux déjà exposés dans sa décision avant dire droit du 9 décembre 2011 (paragraphe 21 ci‑dessus). En particulier, la Haute Cour, se fondant sur la déposition d’un témoin, admit que le requérant avait parfois passé la nuit dans son bureau et y avait entretenu des relations extraconjugales, mais elle jugea que l’intéressé ne pouvait pas prétendre à la protection de son « domicile » parce qu’il avait détourné l’usage de son bureau à des fins privées, que son occupation à de telles fins n’était qu’occasionnelle et qu’il n’y passait pas une « partie importante » (o bună parte) de sa vie privée. La Haute Cour jugea ensuite que, même en supposant qu’il y ait eu ingérence dans le droit du requérant au respect de son domicile, celle-ci était conforme aux dispositions de l’article 8 de la Convention.

27. S’agissant de l’argument du requérant selon lequel le personnel technique n’aurait pas été autorisé à pénétrer dans un espace privé pour entretenir l’équipement technique de surveillance, la Haute Cour le rejeta au motif qu’il s’agissait d’opérations techniques inhérentes à l’exécution de la décision autorisant la mise sur écoute. Elle rejeta également l’argument du requérant selon lequel le parquet aurait de mauvaise foi continué de le surveiller alors que les premiers enregistrements montraient qu’il était innocent des faits dont il était initialement visé. Elle jugea que la surveillance avait continué légalement dans la mesure où le code de procédure pénale autorisait le parquet à vérifier s’il existait des indices de nature à convaincre de la préparation et de la commission de nouvelles infractions.

28. La Haute Cour prit également en compte les conclusions du rapport d’expertise sur les enregistrements (paragraphe 23 ci-dessus) et estima que les enregistrements pouvaient être admis comme élément de preuve ayant une valeur relative (mijloc de probă ce oferă o informaţie cu valoare relativă). Elle considéra qu’il convenait d’examiner si d’autres éléments de preuve corroboraient ces enregistrements.

29. Sur le fond, la Haute Cour jugea que le requérant avait à quatre reprises reçu de la part de T.Z.P.D. des sommes d’argent d’une valeur totale de 4 500 EUR afin de persuader R.C.I, gérante d’une société commerciale, de conclure un contrat avec la société dirigée par T.Z.P.D. Elle considéra que ces faits étaient constitutifs de l’infraction pénale de trafic d’influence. Elle étaya sa décision en se fondant sur plusieurs éléments de preuve, dont les dépositions de T.Z.P.D., de R.C.I. et d’autres témoins, les transcriptions des enregistrements obtenus par la surveillance de l’intéressé et les documents bancaires attestant les salaires qui lui avaient été versés en 2010.

30. Le recours formé par le requérant fut enregistré par la Haute Cour siégeant en formation de cinq juges.

31. À l’audience du 25 mars 2013, le requérant demanda à recourir à plusieurs éléments de preuve pour étayer sa défense, notamment à la réalisation d’une contre-expertise des enregistrements en question et à l’accès à l’intégralité de ces enregistrements, pouvant révéler une autre signification à donner aux conversations en cause. La Haute Cour refusa d’ordonner une contre-expertise, jugeant qu’elle n’était pas utile en l’affaire étant donné que les objections de l’intéressé avaient été dûment rejetées en première instance et qu’il n’en soulevait pas de nouvelles. Elle jugea ensuite que l’accès à l’intégralité des enregistrements n’était pas requis par les dispositions procédurales relatives à l’archivage des conversations.

32. Par un arrêt du même jour, mis au net le 26 novembre 2013, la Haute Cour rejeta le recours du requérant. Elle confirma le raisonnement suivi en première instance (paragraphe 26 ci-dessus) selon lequel le bureau, composé des deux pièces mises à la disposition du requérant, ne représentait pas son domicile puisque l’intéressé avait détourné son usage à des fins privées et qu’en tout état de cause, les mesures dont il avait fait l’objet n’avaient pas méconnu les exigences de l’article 8 de la Convention.

33. La Haute Cour se prononça ensuite en ces termes :

« L’existence des faits de trafic d’influence, tels qu’établis en première instance, résulte de la corroboration des déclarations des témoins R.C.I. (…), T.Z.P.D. (…), B.B.V. (…) ainsi que du contenu des discussions interceptées [în mediu ambiental] entre l’inculpé et le témoin T.Z.P.D. »

34. S’agissant des enregistrements pertinents, la Haute Cour s’exprima ainsi :

« Le contenu des interceptions [în mediu ambiental] est corroboré par les déclarations du témoin R.C.I., qui confirme l’influence que l’inculpé avait eue sur elle, de manière indirecte ainsi que par la conversation téléphonique engagée entre eux deux le 29 juillet 2010 (…) qui révèle l’existence d’une relation réciproquement avantageuse entre eux et l’intérêt de l’inculpé à la préserver, dans la mesure où il s’occupait, en sa qualité de procureur, d’examiner avec célérité les dossiers dont le témoin [R.C.I] était intéressé.

Ces aspects sont également corroborés par les déclarations du témoin T.Z.P.D., qui a précisé qu’il avait remis une somme d’argent en tranches, après avoir conclu le contrat avec la société S.C. Z., et après avoir pris en considération l’influence que l’inculpé exerçait sur la directrice de la société, R.C.[I.], qui était réitérée par l’inculpé dans toutes les discussions avec le témoin T.[Z.P.D.]. Vont dans le même sens les déclarations du témoin B.B.V., l’associé unique de S.C. S., qui a indiqué qu’avant la signature du contrat il avait perçu [a avut reprezentarea] l’influence réelle de l’inculpé sur la directrice de S.C. Z., ce qui avait contribué à la conclusion du contrat.

En ce qui concerne les sommes d’argent remises à l’inculpé (500 euros en avril 2010, 4 200 lei roumains, l’équivalent de 1 000 euros en mai, juin et juillet 2010, et 1 000 euros en septembre 2010), l’argument de la défense selon lequel deux sommes représentaient la valeur de prêts a été infirmé par les éléments de preuve versés au dossier, concrètement par les enregistrements effectués dans les conditions de légalité exigées par les dispositions des articles 911 et suivants du code de procédure pénale, leur contenu étant corroboré par les déclarations du témoin T.Z.P.D., auteur d’une dénonciation.

L’argument de l’inculpé selon lequel certaines des sommes d’argent représentaient des prêts ou provenaient de son salaire a été infirmé par le contenu des relevés de comptes pour l’année 2010 qui, même s’ils confirment le retrait de certaines sommes importantes d’argent, montrent que la somme de 4 200 lei roumains reçue du témoin T.Z.P.D. ne provenait pas du compte sur lequel les salaires étaient versés parce qu’avant le 13 mai 2010 et le jour même – date à laquelle le salaire était versé sur le compte – l’inculpé n’avait effectué aucune transaction de sorte que pendant le laps de temps entre le moment où il avait reçu l’enveloppe du témoin T.[Z.P.D.] et celui où il avait remis l’argent au témoin I.L. pour qu’il l’échange contre la somme de 1 000 euros, le compte de l’inculpé n’avait été débité d’aucune somme d’argent.

En ce qui concerne la somme de 1 000 euros, elle a été remise en juin 2010 par le témoin T.[Z.P.D.], comme il résulte de la corroboration du relevé des comptes et de la déclaration du témoin S.A. qui a confirmé le fait que le 16 juin 2010 l’inculpé lui avait demandé de se rendre au bureau de change pour échanger la somme remise contre celle de 1 500 euros, et le lendemain il n’avait retiré de son compte que la somme de 3 000 lei roumains.

En juillet 2010, tel qu’il résulte des éléments de preuve examinés en l’affaire, l’inculpé a reçu, le 13 juillet 2010, du témoin T.Z.P.D. l’équivalent de la somme de 1 000 euros, avant 14 h 35 quand, selon les enregistrements, l’inculpé a remis à son chauffeur la somme de 4 250 lei roumains en lui demandant de l’échanger contre la somme de 1 000 euros ; cet aspect est corroboré par le fait que, dans les mêmes circonstances, il avait demandé au témoin S.A. si le salaire avait été versé sur son compte et le témoin avait répondu par la négative. Ces éléments de preuve sont corroborés par le relevé de comptes révélant que le salaire avait été versé sur le compte de l’inculpé le 13 juillet 2010 à 14 h 26 et que ce jour-là aucun retrait n’avait été effectué de sorte que l’argent remis au chauffeur pour effectuer un échange de devises ne pouvait pas provenir du salaire. »

35. La Haute Cour confirma ainsi la condamnation du requérant.

IV. Autres éléments

36. Il ressort du dossier que la DNA ordonna, le 10 janvier 2011, le classement du dossier relatif aux faits de corruption dénoncés par L.L.M. (paragraphe 7 ci-dessus).

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

37. Le code pénal en vigueur au moment des faits réprimait l’infraction de trafic d’influence en ces termes :

Article 257

« 1. Est puni de deux à dix ans d’emprisonnement le fait, par une personne, de recevoir ou de solliciter de l’argent ou des avantages quelconques ou d’accepter des promesses, des présents, directement ou indirectement, pour soi-même ou pour autrui, d’abuser de son influence réelle ou supposée en vue d’obtenir d’un fonctionnaire d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte qui entre dans sa fonction. »

38. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, en vigueur au moment des faits, relatives à l’interception des communications téléphoniques et autres sont décrites dans l’arrêt Pruteanu c. Roumanie (no 30181/05, § 22, 3 février 2015).

39. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, en vigueur au moment des faits, relatives à la perquisition sont décrites dans l’arrêt Cacuci et S.C. Virra & Cont Pad S.R.L. c. Roumanie (no 27153/07, §§ 45‑48, 17 janvier 2017).

40. La loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs comporte les dispositions suivantes pertinentes en l’espèce :

Article 95

« 1. Les juges et les procureurs ne peuvent être [soumis à] une perquisition, [placés en] garde à vue ou en détention provisoire qu’avec l’accord de la section pour les juges ou la section pour les procureurs, respectivement, du Conseil supérieur de la magistrature.

2. En cas d’infraction flagrante, les juges et les procureurs peuvent être [soumis à] une perquisition et [placés en] garde à vue selon les voies légales, l’autorité qui a décidé de la garde à vue ou de la perquisition devant informer aussitôt la section pour les juges ou la section pour les procureurs respectivement. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

41. Le requérant allègue que la surveillance constante dont il a fait l’objet et la perquisition de son bureau ont représenté des ingérences dans son droit au respect de sa vie privée et de son domicile et que ces ingérences n’étaient pas prévues par la loi et n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique. Il invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

42. Le Gouvernement ne soulève pas formellement d’exception d’irrecevabilité quant à l’article 8 de la Convention. Il expose néanmoins que le bureau du requérant n’était pas couvert par la notion de « domicile » et que ce grief sortait ainsi du champ d’application de l’article 8 de la Convention.

43. Le requérant prétend à la protection de son « domicile » au sens de la jurisprudence de la Cour, dans la mesure où il occupait de manière exclusive un espace privatif sur son lieu du travail, où en dehors de son temps de travail il y vivait et où il avait apporté des objets personnels et à usage intime. Il ajoute que cette situation de fait était connue par le personnel du parquet et ses supérieurs hiérarchiques. Il allègue que l’usage exclusif de la pièce attenante à son bureau, le but privé (et non professionnel) de son utilisation, et le déroulement d’une vie privée et parfois familiale constituaient des éléments déterminants en l’espèce. En tout état de cause, il fait valoir que la protection de la « vie privée » entrait en jeu.

44. Même si le Gouvernement n’a pas soulevé d’exception, la Cour rappelle que les exceptions d’incompatibilité ratione materiae posent la question de sa compétence et qu’elle se doit d’examiner cette question à chaque stade de la procédure (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 131, CEDH 2010).

45. La Cour renvoie à ses conclusions relatives à l’applicabilité de l’article 8 de la Convention dans un contexte professionnel, qui figurent dans l’arrêt Bărbulescu c. Roumanie ([GC], no 61496/08, §§ 69‑81, 5 septembre 2017). Si cet arrêt concernait la surveillance des communications électroniques du requérant, la Cour considère que les principes qui y sont posés sont néanmoins applicables en l’espèce où sont en cause des interceptions téléphoniques, la mise sur écoute du requérant et la perquisition de son bureau. En effet, la Cour rappelle que les instructions d’un employeur ne peuvent pas réduire à néant l’exercice de la vie privée sociale sur le lieu de travail (ibidem, § 80).

46. En l’espèce, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si le requérant peut prétendre à la protection de son « domicile » dans la mesure où, en application des principes exposés dans l’arrêt Bărbulescu précité, il peut valablement invoquer la protection de sa « vie privée » sur son lieu de travail. L’article 8 de la Convention trouve donc à s’appliquer.

47. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

48. Le requérant estime que la surveillance effectuée dans son bureau situé au siège du parquet représente une ingérence dans son droit protégé par l’article 8 de la Convention et que celle-ci ne répond à aucun des trois critères requis au paragraphe 2 de cette disposition. Il estime que l’ingérence n’était pas « prévue par la loi » étant donné que le personnel technique qui avait effectué les enregistrements (le personnel du service des renseignements) ne faisait pas partie des personnes à qui la loi donnait une telle compétence (le procureur et la police judiciaire). Ensuite, il fait valoir que l’existence d’un but légitime n’a pas été établie. Enfin, il allègue que l’ingérence n’était pas « nécessaire » pour plusieurs raisons : l’autorisation judiciaire ne reposait pas sur une base factuelle convaincante et les tribunaux n’ont pas procédé à un contrôle effectif des demandes du parquet ; les enregistrements se sont étalés sur une longue période (quatre mois) et les agents techniques ont pénétré environ cinquante fois dans son domicile ; la mesure avait un caractère très intrusif (les aspects les plus intimes de sa vie privée, y compris sexuelle, ont été enregistrés) ; enfin le parquet a persisté à mettre en exécution les mesures de surveillance afin de pouvoir l’accuser, alors que les premiers enregistrements démontraient qu’il était innocent des faits de corruption, qui lui étaient initialement reprochés.

49. S’agissant de la perquisition, le requérant exprime des doutes sur le point de savoir si elle était « prévue par la loi » et estime qu’elle n’était ni proportionnée ni motivée. Il fait valoir que la manière dont la perquisition a été autorisée et ensuite effectuée n’a aucunement pris en considération le fait qu’elle visait son « domicile » au sens de la Convention. La décision autorisant la perquisition ne fixait selon lui aucun objectif à atteindre, aucun but, aucune limite pour le procureur et la police judiciaire, qui disposaient ainsi d’un pouvoir discrétionnaire. Elle n’était pas motivée et ne justifiait pas de manière convaincante l’ingérence dans son droit.

50. Le Gouvernement, se fondant sur l’arrêt définitif de la Haute Cour, estime que le requérant ne peut prétendre au respect ni de sa vie privée ni de son domicile. Dans l’hypothèse où la Cour viendrait à conclure néanmoins à l’existence d’une ingérence, le Gouvernement estime qu’elle serait compatible avec les conditions de l’article 8 § 2. L’ingérence était prévue par le code de procédure pénale et poursuivait un but légitime, soit la défense de l’ordre et la prévention d’infractions pénales. En outre, elle était proportionnée, puisqu’elle avait été décidée dans le respect des dispositions légales et pour une durée limitée.

51. Dans ses observations supplémentaires, le Gouvernement expose que le requérant ne disposait pas d’un droit consistant à établir de son propre gré un logement de service dans l’immeuble du parquet et qu’en procédant ainsi il avait contrevenu à la déontologie professionnelle. Il soutient en outre que la jurisprudence développée par la Cour en ce qui concerne la perquisition des bureaux des membres des professions libérales n’est pas transposable en l’espèce parce que le requérant exerçait la fonction de magistrat et que son bureau se trouvait dans un immeuble public soumis à des règles d’accès beaucoup plus strictes.

2. Appréciation de la Cour

52. La Cour estime que les interceptions téléphoniques, la mise sur écoute du requérant et la perquisition de son bureau s’analysent en une ingérence dans son droit protégé par l’article 8 de la Convention. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et était « nécessaire dans une société démocratique ».

53. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour peut convenir avec le Gouvernement que l’ingérence était prévue par le code de procédure pénale et poursuivait un but légitime, soit la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales (paragraphe 50 ci-dessus).

54. Il reste donc à examiner si l’ingérence en question était « nécessaire dans une société démocratique ». Selon la jurisprudence constante de la Cour, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de pareille nécessité, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand celles-ci émanent d’une juridiction indépendante (Pruteanu, c. Roumanie, no 30181/05, § 47, 3 février 2015).

55. Quel que soit le système de surveillance retenu, la Cour doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus. Cette appréciation ne revêt qu’un caractère relatif : elle dépend de toutes les circonstances de la cause, par exemple la nature, l’étendue et la durée des mesures, les raisons requises pour les ordonner, les autorités compétentes pour les permettre, exécuter et contrôler, le type de recours fourni par le droit interne (Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, § 232, CEDH 2015 ; Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 50, série A no 28).

56. S’agissant en particulier de la proportionnalité d’une mesure telle que la perquisition et la saisie, la Cour examine les circonstances particulières de l’espèce et prend en compte les critères suivants : la gravité de l’infraction qui a motivé la perquisition et la saisie, les modalités et les circonstances dans lesquelles le mandat a été émis – en particulier la question de savoir si d’autres éléments de preuve étaient disponibles à l’époque –, le contenu et l’étendue du mandat – eu égard en particulier à la nature des lieux perquisitionnés et aux garanties prises pour que la mesure demeure raisonnable quant à ses effets –, et l’étendue des répercussions possibles sur la réputation de la personne visée par la perquisition (K.S. et M.S. c. Allemagne, no 33696/11, § 44, 6 octobre 2016, et Vinks et Ribicka c. Lettonie, no 28926/10, § 103, 30 janvier 2020).

57. La Cour examinera les critères exposés aux paragraphes 55 et 56 ci‑dessus compte tenu des circonstances factuelles spécifiques de la présente espèce. Elle note que le requérant a fait l’objet de deux mesures distinctes : d’un côté, la mesure entraînant l’interception et la mise sur écoute des conversations téléphoniques et autres conversations de l’intéressé (paragraphes 7-9 ci-dessus), et, de l’autre, celle entraînant la perquisition de son bureau (paragraphe 13‑14 ci-dessus).

58. Elle observe de prime abord que ces deux mesures ont été autorisées par les juridictions nationales. Ainsi, la Haute Cour a confirmé l’ordonnance initiale et provisoire du procureur visant l’interception des communications téléphoniques et la mise sur écoute, et a autorisé la continuation de l’exécution de cette mesure qu’elle a ensuite prolongé à trois reprises (paragraphes 8-9 ci‑dessus). La Haute Cour avait noté l’existence d’indices liés à des faits de corruption en l’affaire et avait jugé nécessaire d’obtenir la clarification des éléments de fait pertinents (ibidem). Ensuite, elle a également autorisé la réalisation de la perquisition, après avoir recueilli l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, comme exigé par la loi interne (paragraphes 13‑14 ci-dessus).

59. La Cour note ensuite que le requérant a pu contester, dans le cadre de la procédure pénale menée contre lui, tant la prise de ces mesures que leur exécution (paragraphe 20 ci-dessus). Elle observe que la Haute Cour a jugé lapidairement que l’intéressé ne pouvait pas prétendre à la protection de sa vie privée dans un contexte professionnel et qu’en tout état de cause l’ingérence subie par lui avait été conforme à la Convention (paragraphes 26 et 32 ci-dessus). Toutefois, elle estime que cette analyse est sujette à caution.

60. De l’avis de la Cour, plusieurs éléments appellent un examen attentif. Tout d’abord, elle note que la décision autorisant la mise sur écoute du requérant n’indiquait pas de plages horaires concrètes (paragraphes 8 ci‑dessus). Elle en déduit que la surveillance du requérant a été constante, y compris la nuit, ce que le Gouvernement ne conteste pas d’ailleurs. Elle observe ensuite qu’il ressort du rapport d’expertise réalisé en l’espèce ainsi que des décisions rendues par les juridictions nationales que l’équipement technique installé dans le bureau du requérant pouvait capter aussi bien les sons que les images (paragraphes 22-23 ci-dessus). Elle estime que, par sa nature, l’enregistrement des images a un caractère plus important que l’enregistrement des sons. Elle rappelle qu’en ce qui concerne la vidéosurveillance sur le lieu de travail, l’attente en matière de protection de la vie privée que le salarié peut raisonnablement avoir demeure forte dans les espaces de travail fermés, tels que les bureaux (voir, en ce sens, López Ribalda et autres c. Espagne [GC], nos 1874/13 et 8567/13, § 125, 17 octobre 2019). Elle constate de plus que le Gouvernement n’a pas dissipé les doutes quant à l’emplacement exact de l’équipement de surveillance, alors que le requérant affirme que sa chambre était aussi filmée (paragraphes 10 et 48 ci‑dessus). Elle observe également que la surveillance du requérant s’est étalée sur une période d’environ quatre mois. Elle note enfin que l’exécution de cette mesure a continué malgré le fait que l’exposition des aspects de la vie privée de l’intéressé avait dû apparaître aux enquêteurs très tôt dans l’enquête, notamment en raison des nombreuses interventions des techniciens du parquet qui se rendaient sur les lieux. Or il n’apparaît pas que cet élément ait été pris en compte par les autorités qui ont continué à capter les images et les sons provenant du bureau du requérant et ont ensuite procédé à une mesure tout aussi intrusive telle la perquisition de ce même bureau.

61. La Cour relève ainsi que la surveillance du requérant a été constante, qu’elle a visé aussi bien l’enregistrement des sons que celui des images et qu’elle s’est étalée sur une période considérable. Elle estime que, par leur nature et leur durée, les mesures dont a fait l’objet le requérant ont eu un caractère intrusif et que des aspects de sa vie privée et parfois très intimes ont été exposés. La Cour note que le Gouvernement n’a pas fait état de raisons qui auraient justifié la continuation de la surveillance, une fois que l’enquête avait mis en évidence des aspects relevant de la vie privée du requérant, ainsi que la décision de procéder ensuite à une mesure aussi intrusive que la perquisition.

62. Dans ces conditions, la Cour estime que les mesures dont le requérant a fait l’objet ne sauraient passer pour proportionnées à raison de leur caractère intrusif et constant, et de leur prolongation dans le temps pour une période considérable.

63. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

64. Le requérant se plaint d’un défaut d’équité de la procédure pénale menée contre lui et, notamment, des restrictions imposées aux droits de la défense en raison du refus par les tribunaux de mettre à sa disposition l’intégralité des enregistrements qui auraient comporté des éléments utiles à sa défense et du refus d’ordonner une contre-expertise de ces enregistrements. Il invoque l’article 6 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

65. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

66. Le requérant allègue que les enregistrements ont constitué la preuve essentielle ayant justifié sa condamnation. Il estime que la procédure a été rendue inéquitable par le cumul de deux facteurs : le refus par les tribunaux internes de prendre en considération la contestation concernant la validité de l’expertise judiciaire des enregistrements et le refus par les mêmes tribunaux d’accorder le versement au dossier de tous les enregistrements (y compris ceux à décharge, favorables au requérant). Il fait valoir que devant les tribunaux internes il a contesté, de manière motivée et convaincante, l’authenticité et l’intégralité des enregistrements et qu’il a valablement motivé sa demande visant à la réalisation d’une contre‑expertise de ces enregistrements, alors que les tribunaux ont rejeté ses demandes sans les motiver. Il allègue en outre que le procureur en chef de la DNA avait déclaré publiquement que des logiciels informatiques étaient disponibles pour fabriquer un discours à partir de mots prononcés par une personne. Enfin, il indique qu’il a aussi présenté une demande motivée et convaincante afin que tous les enregistrements à décharge réalisés soient versés au dossier, ce que les tribunaux ont refusé.

67. Le Gouvernement soutient que la procédure a été globalement équitable, étant donné que le requérant, assisté par un avocat, a eu accès à toutes les pièces du dossier et que l’accusation était fondée non seulement sur les transcriptions des enregistrements, mais aussi sur d’autres éléments de preuve (déclarations de témoins, documents bancaires et autres). Il estime que le requérant a eu accès à tous les enregistrements qui étaient en lien avec la procédure pénale menée contre lui et que le refus par la Haute Cour de lui mettre à disposition l’intégralité des enregistrements n’a pas compromis l’équité de la procédure. Il remarque que le requérant n’a pas indiqué une conversation précise à laquelle il n’avait pas eu accès et qui était susceptible d’avoir une influence sur l’issue de la procédure. En outre, il indique que le code de procédure pénale permettait certaines limitations à l’accès aux éléments du dossier si ces éléments étaient utilisés dans une autre affaire ou pouvaient porter atteinte à la vie privée d’autrui.

68. Il considère que les enregistrements ont fait l’objet d’une expertise et que le refus par la Haute Cour d’autoriser une contre-expertise n’a pas rendu la procédure inéquitable puisque le requérant s’est vu offrir une possibilité adéquate de contester le rapport d’expertise.

2. Appréciation de la Cour

69. La Cour rappelle qu’elle n’a pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne, ou encore sur la culpabilité du requérant. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de « l’illégalité » en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (voir, entre autres, Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34 in fine, CEDH 2000‑V, et Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 89, 10 mars 2009).

70. Pour déterminer si la procédure dans son ensemble a été équitable, il faut aussi se demander si les droits de la défense ont été respectés. Il faut rechercher notamment si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de la preuve contestée et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude. Si un problème d’équité ne se pose pas nécessairement lorsque la preuve obtenue n’est pas corroborée par d’autres éléments, il faut noter que lorsqu’elle est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d’autres éléments à l’appui devient moindre (Bykov, précité, § 90 ; voir également Khan, précité, §§ 35 et 37).

71. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que selon le requérant les enregistrements ont constitué la preuve essentielle qui a justifié sa condamnation (paragraphe 66 ci-dessus), ce que le Gouvernement conteste (paragraphe 67 ci-dessus). Elle observe que, lorsqu’elle a condamné le requérant, la Haute Cour a pris en compte tant les preuves obtenues à raison de la surveillance du requérant que les dépositions des témoins et des documents bancaires (voir notamment l’arrêt du 25 mars 2013 de la Haute Cour cité aux paragraphes 33 et 34 ci-dessus). Dès lors, la Cour ne saurait dire que les enregistrements en cause ont constitué la preuve unique ou la preuve déterminante ayant justifié la condamnation du requérant. Elle peut toutefois accepter que ces preuves revêtaient un poids certain, voire de grande importance, et que leur administration a causé des difficultés à la défense (voir, mutatis mutandis, Valdhuter c. Roumanie, no 70792/10, § 49, 27 juin 2017).

72. La Cour note ensuite que l’intéressé a demandé une expertise des enregistrements en cause et que les juridictions nationales ont accédé à sa demande (paragraphe 22 ci-dessus). L’expertise a été réalisée par l’Institut national d’expertises criminalistiques et elle a conclu que les enregistrements ne présentaient pas de montages ou autres interventions (paragraphe 23 ci‑dessus). En l’absence d’arguments concrets et convaincants de la part du requérant, la Cour ne saurait remettre en question ce constat. Elle prend néanmoins en compte l’argument de l’intéressé selon lequel les experts n’ont pas déterminé l’authenticité des enregistrements en cause (paragraphe 66 ci‑dessus). Toutefois, elle note que la Haute Cour a rejeté de façon motivée la demande du requérant tendant à la réalisation d’une contre-expertise (paragraphe 24 ci-dessus).

73. Qui plus est, la Haute Cour a jugé, elle-même, que les enregistrements avaient une valeur relative et qu’ils pouvaient être pris en considération s’ils étaient corroborés par d’autres éléments de preuve (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour note que, dans son arrêt du 25 mars 2013, la Haute Cour a expliqué de manière très détaillée comment les enregistrements étaient corroborés par certaines dépositions de témoins ou par des documents bancaires (paragraphes 33 et 34 ci-dessus). Cela démontre, selon la Cour, que la Haute Cour a procédé à une analyse équilibrée de tous les éléments de preuve, a examiné leur valeur probante avec prudence et a jugé que les faits étaient établis par l’ensemble des éléments de preuve, en ce que des preuves étaient corroborées par d’autres éléments de preuve (voir, en ce sens, Bykov, précité, § 98).

74. S’agissant ensuite de la demande du requérant tendant à accéder à tous les enregistrements réalisés en l’espèce, la Cour note que cette demande visait à lui fournir des éléments de preuve à décharge, dans la mesure où l’intéressé entendait démontrer que l’interprétation des faits pouvait être différente dans le contexte plus large de l’affaire. La Cour souligne que la Haute Cour a rejeté cette demande de façon motivée (paragraphe 31 ci-dessus). De plus, elle observe que, ni devant les juridictions nationales ni devant elle, le requérant n’a présenté d’éléments précis à l’appui de ses allégations. En effet, il n’a pas expliqué concrètement la stratégie qu’il entendait suivre pour présenter sa défense. La Cour constate d’ailleurs que, dans son arrêt du 25 mars 2013, la Haute Cour a examiné attentivement la défense du requérant selon laquelle certaines des sommes d’argent qu’il avait reçues représentaient des prêts ou provenaient de son salaire et qu’elle l’a rejetée de manière motivée (paragraphe 34 ci‑dessus). En tout état de cause, la Cour n’a pas à se prononcer sur la stratégie de la défense du requérant et elle rappelle qu’un suspect n’a pas pour autant le droit de formuler des demandes d’information spécieuses dans l’espoir qu’une autre explication des faits puisse éventuellement apparaître (M c. Pays-Bas, no 2156/10, § 112, 25 juillet 2017 (extraits)).

75. Pour conclure, la Cour note que la condamnation du requérant a reposé sur un ensemble d’éléments de preuve et que les juridictions nationales ont procédé à une analyse équilibrée de tous les éléments de preuve et qu’elles ont examiné avec prudence la valeur probante de ces éléments, notamment celle des enregistrements obtenus à raison de la surveillance du requérant. Dans ces conditions, elle estime que le refus par les juridictions nationales d’autoriser une contre-expertise des enregistrements en cause et celui de permettre à l’intéressé d’avoir accès à l’intégralité des enregistrements réalisés en l’espèce n’ont pas porté atteinte aux droits de la défense. En conclusion, la Cour estime que la procédure conduite dans l’affaire du requérant, considérée dans son ensemble, n’a pas méconnu les exigences du procès équitable (Bykov, précité, § 104).

76. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

77. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

78. Le requérant demande à la Cour d’ordonner aux juridictions nationales la réouverture de la procédure par le biais d’une révision et indique qu’il se réserve le droit de demander la réparation de son préjudice en interne.

79. Le Gouvernement invite la Cour à ne pas allouer au requérant de somme au titre de l’article 41 de la Convention.

80. La Cour rappelle avoir déjà dit que lorsqu’un particulier a été victime d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 79, CEDH 2010 ; Cabral c. Pays-Bas, no 37617/10, §§ 42‑43, 28 août 2018). En l’espèce, elle rappelle avoir conclu uniquement à la violation de l’article 8 de la Convention (paragraphe 63 ci-dessus). Toutefois, elle note que le nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur le 1er février 2014, permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (Mischie c. Roumanie, no 50224/07, § 50, 16 septembre 2014 ; Pătraşcu c. Roumanie, no 7600/09, § 58, 14 février 2017). Le requérant peut s’en prévaloir, s’il le souhaite (Pătraşcu, précité, § 58 avec les références citées). En outre, en l’absence d’une demande chiffrée de la part du requérant au titre de l’article 41 de la Convention, elle estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 mai 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth                              Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffière adjointe                                 Président

Dernière mise à jour le mai 18, 2021 par loisdumonde

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