AFFAIRE R.B. ET M. c. ITALIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 41382/19

La requête concerne la violation alléguée du droit au respect de la vie familiale des requérants (le « premier requérant » agit en son nom propre et au nom de son fils (le « second requérant »)) à raison de l’impossibilité pour le premier requérant d’exercer son droit de visite dans les conditions fixées par les tribunaux, à cause de l’opposition de la mère de l’enfant, ainsi que de la défaillance alléguée des autorités nationales de prendre des mesures afin d’assurer la mise en œuvre de son droit de visite.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE R.B. ET M. c. ITALIE
(Requête no 41382/19)
ARRÊT

Art 8 • Vie familiale • Impossibilité pour un père d’exercer son droit de visite dans les conditions fixées par les tribunaux, à cause de l’opposition de la mère de l’enfant • Absence d’efforts adéquats et suffisants des autorités nationales pour faire respecter le droit de visite

STRASBOURG
22 avril 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire R.B. et M. c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Alena Poláčková,
Péter Paczolay,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland, juges,

et de Renata Degener, greffièrede section,

Vu

la requête (no 41382/19) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants italiens, R.B. et M. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 31 juillet 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »),

la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérants,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mars 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la violation alléguée du droit au respect de la vie familiale des requérants (le « premier requérant » agit en son nom propre et au nom de son fils (le « second requérant »)) à raison de l’impossibilité pour le premier requérant d’exercer son droit de visite dans les conditions fixées par les tribunaux, à cause de l’opposition de la mère de l’enfant, ainsi que de la défaillance alléguée des autorités nationales de prendre des mesures afin d’assurer la mise en œuvre de son droit de visite.

EN FAIT

2. Les requérants sont nés respectivement en 1974 et 2009 et résident à S. G. M. et A. Ils ont été représentés par Me M.G. Ruo, avocate à Rome et Me C. Ceci, avocate à Turin.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. L. D’Ascia, avocat de l’État.

4. Du mariage du premier requérant avec C.C. naquit un fils, M., le 6 novembre 2009. En février 2013, le premier requérant et C.C. se séparèrent. Dans l’accord de séparation homologué par le tribunal de Casale Monferrato, il était convenu que la résidence principale de l’enfant serait fixée chez C.C. et que le père aurait un droit de visite et d’hébergement.

5. En juin 2013, C.C. signala à un centre spécialisé que l’enfant avait prononcé des phrases inquiétantes concernant le premier requérant. Le centre fut chargé par le procureur près le tribunal pour enfants de Turin d’examiner l’enfant.

6. Le 28 juillet 2013, une psychologue du centre adressa son rapport au tribunal. Elle soulignait que l’enfant n’acceptait pas la figure paternelle et était également inquiet. Elle recommandait la prise en charge de l’enfant et des parents par les services sociaux afin d’établir des contacts entre l’enfant et son père.

7. Entretemps, une enquête pénale fut ouverte contre le premier requérant pour abus sexuel sur l’enfant. Les rencontres avec l’enfant furent suspendues dans l’attente de l’aboutissement de l’enquête (du 13 septembre 2013 au 12 janvier 2014).

8. Le 31 octobre 2013, le procureur demanda au juge des investigations préliminaires (« GIP ») le classement de l’enquête. Le GIP classa l’enquête le 31 janvier 2014.

9. Pendant l’enquête, il avait été constaté que l’enfant avait été élevé par sa grand-mère maternelle et que son père avait été exclu de la vie de l’enfant depuis la séparation du couple. Plus aucune rencontre n’avait eu lieu entre le père et son fils.

10. Le procureur fit un signalement au tribunal pour enfants de Turin afin de prendre des mesures de protection de l’enfant.

11. Le 18 septembre 2013, avant le classement de la plainte, C.C. saisit le tribunal pour enfants de Gênes (ci-après « le tribunal ») en vue de suspendre les rencontres entre l’enfant et le requérant, d’ordonner une expertise sur l’état psychologique de l’enfant, et d’organiser au mieux les rencontres avec le premier requérant.

12. Le 4 octobre 2013, le tribunal ordonna que la garde de l’enfant fût confiée à la commune d’A. Il confirma le placement de M. chez C.C. et nomma un expert.

13. L’expertise fut déposée au greffe le 21 avril 2014. L’expert indiquait que l’enfant était conditionné par sa mère et sa famille maternelle qui avaient réussi à exclure le père de la vie de l’enfant. Il ajoutait que C.C. avait déjà éloigné le premier requérant de sa propre famille au début de leur relation et qu’elle avait également délégué à sa mère son rôle parental. Il précisait que C.C. persévérait dans son attitude à s’opposer aux rencontres et alimentait auprès de l’enfant, nonobstant le classement de la plainte, l’idée que son père avait abusé de lui. Selon l’expert, la relation entre C.C. et l’enfant était dysfonctionnelle et l’enfant n’arrivait pas à motiver son refus de voir son père. L’expert préconisait la mise en place d’une thérapie en prévoyant de nommer un éducateur pour qu’il puisse se rendre chez l’enfant plusieurs jours par semaine pour un suivi, et afin d’envisager une reprise des contacts avec le premier requérant. De plus, toujours selon l’expert, les deux parents devaient entreprendre une thérapie.

14. Par une décision du 13 octobre 2014, le tribunal confia la garde de l’enfant à la commune d’A. Il confirma le placement de l’enfant chez C.C. et ordonna une prise en charge psychothérapeutique de l’enfant de trois jours par semaine.

15. Le 13 novembre 2014, C.C. fit appel de ce jugement. Le premier requérant demanda à la cour d’appel le placement de l’enfant avec sa mère dans une structure thérapeutique et la possibilité d’organiser des visites conformément aux décisions prises initialement.

16. La cour d’appel de Gênes rejeta l’appel de C.C. ainsi que les demandes du requérant.

17. Le 22 avril 2015, les services sociaux signalèrent au tribunal qu’il ne leur était pas possible de poursuivre le programme éducatif, en raison de difficultés dans le déroulement des rencontres, l’enfant refusant la présence de l’éducatrice et C.C. s’opposant à toute intervention. D’après eux, il fallait intervenir de manière urgente.

18. Le 10 juin 2015, les services sociaux demandèrent au tribunal une rencontre urgente et l’informèrent de la suspension du programme éducatif.

19. Aucune rencontre n’eut lieu avec le tribunal.

20. Le 3 novembre 2015, le premier requérant demanda au tribunal d’ordonner une nouvelle expertise psychologique de l’enfant et d’évaluer ses conditions de santé afin de trouver le moyen de prévoir un rapprochement entre eux.

21. Le 17 novembre 2015, les services sociaux informèrent le tribunal que, selon les maîtresses de l’école élémentaire, M. avait des symptômes qui pouvaient être assimilés à une forme d’autisme ; en outre, il avait eu des comportements violents.

22. Le 19 avril 2016, le juge entendit l’enfant qui aurait déclaré que son père le traitait mal, alors qu’il ne le voyait pas depuis environ trois ans.

23. Le 29 juin 2016, compte tenu des difficultés liées au refus de C.C. de participer au soutien et à la prise en charge psychothérapeutique, les services sociaux et le premier requérant demandèrent au tribunal le placement de l’enfant et de C.C. dans une structure thérapeutique.

24. Le 16 décembre 2016, le tribunal ordonna une expertise de l’enfant, des deux parents, et demanda à l’expert d’indiquer quelle était le meilleur mode de garde pour l’enfant.

25. Dans son rapport d’expertise établi le 15 juillet 2017, l’expert souligna que l’attitude de C.C. n’avait pas évolué en ce qui concernait les conclusions de l’expertise précédente. De plus, C.C. n’avait jamais été disposée à soutenir et accompagner son enfant dans le processus de rapprochement avec le père. L’enfant de son côté représentait dans ses dessins exclusivement sa mère, parce que selon l’expert « il semblait exister exclusivement comme une partie de sa mère ». L’expert préconisait, afin de sauvegarder l’équilibre psychologique de l’enfant, de le placer avec sa mère dans une structure thérapeutique, et que si, en revanche, dans les six mois suivant le dépôt de l’expertise, les contacts du père avec l’enfant ne pouvaient pas reprendre, alors, il fallait confier la garde de l’enfant à une famille d’accueil qui pourrait aider temporairement l’enfant à se rapprocher de son père.

26. Le 3 octobre 2017, le juge prit acte du refus de C.C. de se rendre dans une structure et ordonna la tenue de rencontres en milieu protégé entre l’enfant et le requérant sans la présence de la mère.

27. Les rencontres ayant eu des résultats désastreux, le requérant déposa trois demandes le 19 avril 2018, le 5 juillet 2018 et le 8 octobre 2018 au tribunal pour qu’il ordonnât de manière urgente des mesures visant à éloigner C.C. en vue de protéger l’enfant.

28. Le 16 novembre 2018, le tribunal constata que la situation de l’enfant était complexe. Il souligna que, cinq ans après l’ouverture de la procédure, après d’innombrables efforts des services sociaux et après deux expertises, la situation n’avait pas évolué. En fait, C.C. persistait dans sa volonté d’éliminer la figure paternelle de la vie de son fils, avec lequel elle entretenait une relation symbiotique empêchant le développement d’une personnalité autonome. Par conséquent, le tribunal ordonna aux services sociaux de procéder au placement de l’enfant avec la mère dans une structure et qu’une psychothérapie fût menée sur eux deux. En cas de refus de C.C., l’enfant serait placé seul et les rencontres avec le requérant seraient mises en place dans les deux mois suivant la décision.

29. Par une décision du 21 décembre 2018, la cour d’appel de Gênes rejeta la demande de suspension de la décision du tribunal introduite par C.C. Selon la cour d’appel, la décision avait été adoptée pour protéger l’enfant afin de lui garantir une éducation équilibrée et sereine que le contexte familial ne semblait pas pouvoir lui offrir à ce moment-là.

30. La décision ne fut pas exécutée.

31. C.C et le requérant firent appel de la décision.

32. Par une décision du 17 avril 2019, la cour d’appel modifia la décision du tribunal, en particulier la partie dans laquelle il était prévu le placement de l’enfant avec sa mère en institut et décida que l’enfant devait rester vivre chez C.C. Elle établit que le requérant pouvait rencontrer l’enfant en milieu protégé à condition que ce dernier exprimât le souhait de le voir. Elle ordonna que l’enfant continuât un suivi psychologique et demanda également aux services sociaux d’aider les grands-parents maternels, de leur enjoindre de garder une position neutre et de s’abstenir de proférer des jugements négatifs sur le premier requérant.

33. Le 18 février 2020, après l’introduction de la requête devant la Cour, le requérant saisit à nouveau la cour d’appel en demandant de lui confier la garde de l’enfant, de placer l’enfant dans une structure thérapeutique où il pourrait suivre une thérapie et d’ordonner la reprise des contacts entre lui et son fils.

34. Par une décision du 22 avril 2020, la cour d’appel rappela tout d’abord que les décisions du tribunal pour enfants et de la cour d’appel pouvaient faire l’objet d’un recours en cassation s’il n’y avait pas de faits nouveaux comme en l’espèce. Ensuite, elle souligna que l’intérêt de l’enfant ne pouvait pas coïncider avec l’intérêt de la mère ou celui du père et, compte tenu du conflit existant entre le père et la mère, elle nomma un curateur pour l’enfant et demanda aux services sociaux de déposer un rapport mis à jour pour juin 2020.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

35. Le droit interne pertinent en l’espèce est décrit dans l’arrêtR.V. et autres c. Italie(no 37748/13, §§ 65-69, 18 juillet 2019).

36. Aux termes de l’article 337 ter, premier alinéa, du code civil, l’enfant mineur a le droit d’entretenir une relation équilibrée et continue avec chacun de ses parents, de recevoir des soins, une éducation et une assistance morale de la part de ses deux parents et d’entretenir des relations significatives avec les ascendants et les parents de chaque branche parentale. D’après le deuxième alinéa du même article, pour atteindre le but indiqué au premier alinéa, dans les procédures visées à l’article 337 bis du code civil, le juge adopte les mesures relatives aux descendants en se référant exclusivement à leurs intérêts moraux et matériels. Le juge donne priorité pour les enfants mineurs à la possibilité de rester sous la garde des deux parents, ou, à défaut, il décide à qui les enfants doivent être confiés et détermine le moment et les modalités de présence auprès de chaque parent, ainsi que la mesure et les modalités selon lesquelles chacun des parents doit contribuer à l’entretien, aux soins, à l’éducation et à l’instruction des enfants. Le juge peut modifier les modalités de garde et prendre acte des différents accords intervenus entre les parties.

Le juge du fond est compétent pour la mise en œuvre des décisions relatives aux modalités de garde et peut intervenir également d’office en cas de placement familial. À cet effet, une copie de la décision de placement est envoyée par le procureur de la République au juge des tutelles.

37. L’article 709 ter du code de procédure civile se lit ainsi dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Le juge est également compétent pour trancher tout litige survenant entre parents au sujet de l’exercice de la responsabilité parentale ou des modalités de garde.

Le juge convoque les parties et prend les mesures appropriées. En cas de non-respect grave ou d’actes qui, de quelque manière que ce soit, portent préjudice à l’enfant ou entravent le bon déroulement des modalités de garde, le tribunal peut modifier les mesures en vigueur et peut, même conjointement :

1. avertir le parent défaillant ;

2. condamner l’un des parents à verser à l’enfant une indemnité au titre de dommages-intérêts ;

3. condamner l’un des parents à verser une indemnité à l’autre ;

4. condamner le parent défaillant à payer une sanction administrative pécuniaire, d’un minimum de 75 euros et d’un maximum de 5 000 euros (…) »

38. L’article 614 bis du code de procédure civile dispose :

« Les mesures indirectes de coercition :

En ordonnant l’exécution d’obligations autres que le paiement de sommes d’argent, le juge, sauf si cela est manifestement abusif, fixe, à la demande de la partie, la somme due par le débiteur pour chaque violation ou inexécution ultérieure ou pour chaque retard dans l’exécution de l’ordonnance. La condamnation constitue un titre exécutoire pour le paiement des sommes dues pour chaque violation ou non-conformité.

Le juge fixe le montant de la somme visée au premier alinéa en tenant compte de la valeur du litige, de la nature du service, du dommage quantifié ou prévisible et de toute autre circonstance utile. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

39. Invoquant les articles 6 et 8 de la Convention, les requérants se plaignent d’une atteinte au respect de leur vie familiale à raison de l’impossibilité pour le premier requérant d’exercer son droit de visite dans les conditions fixées par les tribunaux, à cause de l’opposition de la mère de l’enfant, ainsi que de la défaillance alléguée des autorités nationales de prendre des mesures rapides pour assurer la mise en œuvre de son droit de visite. Le premier requérant fait valoir qu’il n’a plus de contact seul avec son fils depuis 2013.

40. La Cour rappelle qu’elle n’est pas tenue par les moyens de droit avancés par un requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles et qu’elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018).

41. La Cour relève en outre que si l’article 6 offre une garantie procédurale, à savoir le « droit à un tribunal » pour la détermination des « droits et obligations de caractère civil », l’article 8 répond à l’objectif plus large de garantir le respect de la vie privée et familiale. À cet égard, elle rappelle que si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, le processus décisionnel lié aux mesures d’ingérence doit être équitable et propre à respecter les intérêts protégés par cette disposition (Petrov et X c. Russie, no23608/16, § 101, 23 octobre 2018).

Compte tenu du lien étroit entre les griefs, la Cour examinera la requête uniquement en vertu de l’article 8, qui est libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

42. La Cour note tout d’abord que le Gouvernement n’a pas contesté que le premier requérant avait qualité pour introduire une requête au nom de son fils mineur. Étant donné que l’intéressé détient toujours l’autorité parentale à l’égard de M., même s’il ne réside pas avec lui, la Cour constate qu’il a qualité pour agir au nom de son fils (Petrov, précité, § 83).

1. Thèses des parties

43. Dans ses observations initiales sur la recevabilité, le Gouvernement fait valoir que les requérants n’auraient pas demandé à la cour d’appel de réévaluer la décision litigieuse, rappelant également que le juge des tutelles est compétent pour surveiller l’exécution des décisions du tribunal. Il excipe du non-épuisement des voies de recours internes pour la première fois dansses observations complémentaires et sur la satisfaction équitable en affirmant avoir été induit en erreur par les arguments des requérants dans leur formulaire de requête. Ainsi, il fait observer que, selon une jurisprudence déjà existante au moment de l’introduction de la requête et plus récente que celle citée par les requérants, il était possible pour les intéressés d’introduire un pourvoi en cassation contre la décision de la cour d’appel de Gênes. Or les intéressés ne se sont pas prévalus de ce recours.

44. Les requérants rappellent qu’à la lumière de la jurisprudence interne il n’est pas possible d’introduire un pourvoi en cassation contre les arrêts rendus par la cour d’appel dans le cadre de procédures relatives à la responsabilité parentale. À cet égard, ils notent que, dans des cas similaires (D’Alconzo c. Italie, no64297/12, § 64, 23 février 2017), en ce qui concerne les décisions du tribunal pour enfants, la Cour a établi que si le requérant a utilisé toutes les mesures visant à demander leur révocation ou leur modification, il a épuisé les voies de recours internes. Quant à la saisine du juge des tutelles, il n’était pas possible au premier requérant de le saisir, étant donné que la procédure était pendante depuis sept ans devant le tribunal pour enfants.

45. Le premier requérant indique avoir saisi le tribunal pour enfants et la cour d’appel à plusieurs reprises entre 2013 et 2020. Il se réfère en particulier à toutes les décisions intervenues depuis 2013.

46. Dans le cas présent, le premier requérant a introduit sept recours qui n’ont pas été accueillis ou qui l’ont été partiellement mais qui n’ont pas été exécutés, ce qui a entraîné le refus catégorique pour le second requérant d’accepter la figure paternelle.

2. Appréciation de la Cour

47. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 55 de son règlement, si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d’irrecevabilité, elle doit le faire, pour autant que la nature de l’exception et les circonstances le permettent, dans ses observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 44, CEDH 2002-X). Elle souligne qu’une exception d’irrecevabilité doit être soulevée par le Gouvernement de manière explicite et qu’il ne lui incombe pas de la déduire des arguments avancés par celui-ci (voir, mutatis mutandis, Navalnyy c. Russie [GC], nos 29580/12 et 4 autres, §§ 60-61, 15 novembre 2018, où le gouvernement défendeur avait dit incidemment, en se penchant sur le fond d’un grief, que le requérant n’avait pas contesté les mesures litigieuses dans le cadre des procédures internes, et Liblik et autres c. Estonie, nos 173/15 et 5 autres, § 114, 28 mai 2019, où le gouvernement défendeur avait indiqué d’autres voies de recours qui étaient offertes aux requérants mais n’avait pas soulevé d’exception de non‑épuisement des voies de recours internes). S’il en était autrement, la Cour viendrait à enfreindre le principe d’égalité des armes (voir, mutatis mutandis, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 123, 20 mars 2018).

48. La Cour observe à ce titre que le Gouvernement a formellement soulevé l’exception concernant le recours en cassation dans ses observations complémentaires et non pas dans ses observations initiales sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire dans la partie dédiée aux exceptions de non-épuisement des voies de recours internes. Elle relève par ailleurs que le Gouvernement a justifié cela en affirmant avoir été induit en erreur par les arguments des requérants présentés dans le formulaire de requête. Le Gouvernement n’ayant fourni aucune explication à cet atermoiement, la Cour ne saurait considérer cette justification comme une exception formelle de non‑épuisement des voies de recours. Elle constate qu’il n’existait aucune circonstance exceptionnelle de nature à l’exonérer de son obligation de soulever cette exception en temps utile. Dès lors, elle conclut que le Gouvernement est forclos, quant à cette partie de l’exception, à exciper du non-épuisement des voies de recours internes (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no16483/12, §§ 52-53, 15 décembre 2016) pour la non-introduction par les requérants d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Gênes.

49. Quant au second volet de l’exception, la Cour note tout d’abord que le grief des requérants porte sur la question de la mise en œuvre du droit de visite selon les modalités fixées par le tribunal. Elle rappelle avoir déjà affirmé dans ses précédents arrêts contre l’Italie (Strumia c. Italie, no 53377/13, § 90, 23 juin 2016, Lombardo c. Italie, no25704/11, § 63, 29 janvier 2013, et Nicolò Santilli c. Italie, no51930/10, § 46, 17 décembre 2013) que les décisions du tribunal pour enfants portant notamment sur le droit de visite ne revêtaient pas un caractère définitif et qu’elles pouvaient dès lors être modifiées à tout moment en fonction des événements liés à la situation litigieuse. Ainsi, l’évolution de la procédure interne est la conséquence du caractère non définitif des décisions du tribunal pour enfants portant sur le droit de visite. Par ailleurs, la Cour note en l’espèce que le premier requérant n’a pas été en mesure d’exercer pleinement son droit de visite depuis 2013 et que l’intéressé a introduit sa requête devant elle en 2019 après avoir saisi à plusieurs reprises les juridictions internes. De plus, elle observe que le requérant se plaint d’une situation qui perdure depuis 2013 et qui n’a pas encore pris fin aujourd’hui, et que le requérant avait à sa disposition cette voie de recours interne pour se plaindre de l’interruption des contacts avec son fils (Strumia c. Italie, no53377/13, § 90, 23 juin 2016, Lombardo c. Italie, no25704/11, § 63, 29 janvier 2013, et Nicolò Santilli, précité, § 46,). Par conséquent, elle estime que les requérants ont épuisé les voies de recours internes.

50. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les requérants

51. Les requérants allèguent que les autorités italiennes n’ont pas pris les mesures nécessaires pour sauvegarder la relation entre le premier requérant et son fils, et qu’elles ont laissé la mère de l’enfant dresser celui-ci contre le premier requérant. Ils estiment que les autorités ont ainsi violé les obligations positives de mettre en œuvre des mesures concrètes et efficaces pour parvenir à un rapprochement avec le père. Ils estiment aussi qu’elles ont adopté des mesures stéréotypées telles que des évaluations (toujours positives pour le père), des thérapies, des réunions en milieu protégé ou dans des espaces neutres, et ont laissé se consolider une situation qui a conduit à une détérioration de la relation entre l’enfant et le premier requérant. Les autorités n’auraient pas été en mesure de contrer l’influence néfaste de la mère ni son comportement hostile.

52. Les requérants se plaignent également du pouvoir discrétionnaire laissé aux services sociaux, lesquels ont suspendu l’interventionde l’éducateur, prétextant un malaise du mineur, maissans aucune autorisation du tribunal.

53. Les requérants soulignent le retard dans la prise de mesures : le nouveau rapport d’expertise a été ordonné seulement un an après l’introduction de la demande au tribunal et six mois après l’audition du mineur. De plus, il a fallu attendre novembre 2018 pour que le tribunal décide de placer le mineur en institut avec sa mère et, à défaut de l’accord de celle-ci, de le placer seul. Cette décision n’a pas été exécutée et la cour d’appel, réformant le jugement du tribunal, a établi que les rencontres pouvaient avoir lieu seulement si le mineur y consentait.

54. Le premier requérant rappelle que les mesures qui ont été prises se sont révélées inefficaces et inadéquates. Nonobstant les résultats des expertises, soulignant que le refus de l’enfant de rencontrer son père était lié au fait que l’intéressé était conditionné par sa mère et la famille maternelle avec laquelle il vivait, aucune mesure plus concrète n’a été mise en place pour favoriser le lien entre les deux requérants.

55. Aux dires des intéressés, à la suite du refus de la mère d’exécuter la mesure du tribunal lui enjoignant de suivre une thérapie avec l’enfant au sein d’un institut, aucune mesure contraignante, même indirecte, n’a été adoptée nonobstant l’existence en droit interne d’instruments juridiques disponibles (articles 709 teret 614 bis du code de procédure civile). Il s’agit de solutions législatives couramment utilisées dans des cas similaires d’opposition d’un parent à toute relation entre l’autre parent et l’enfant, et lorsque l’enfant est conditionné par son entourage.

56. Les requérants se plaignent également de ce que le curateur ad litem a été nommé seulement en 2020, alors qu’il aurait dû l’être avant cette date, conformément à la jurisprudence interne et à la Convention. Le second requérant n’aurait ainsi pas pu participer pleinement à la procédure le concernant.

2. Le Gouvernement

57. Le Gouvernement rappelle que dans un premier temps les procédures pénales menées pour vérifier si le premier requérant avait effectivement abusé du second requérant ont justifié l’interruption des contacts.

58. Dans un second temps, le manque de coopération de la mère a rendu difficiles les relations entre le père et l’enfant ; à cet égard, un suivi psychothérapeutique a été mis en place et la garde de l’enfant a été attribuée aux services sociaux.

59. En ce qui concerne les conclusions des experts, s’il est vrai qu’ils ont toujours souligné que la mère ne facilitait pas l’exercice du droit de visite du premier requérant, ils ont néanmoins conclu qu’il ne serait pas approprié de mettre fin à la relation de l’enfant avec la mère, en particulier à la lumière des réactions troublées de l’enfant qui refusait de voir le requérant. Cela est conforme, selon le Gouvernement, à la jurisprudence de la Cour (Pisică c. République de Moldova, no23641/17, 29 octobre 2019).

60. Le Gouvernement considère que l’éloignement de l’enfant de la mère ou son placement en institut n’étaient pas des mesures qui pouvaient être infligées dans le seul but d’assurer la mise en œuvre du droit de visite du requérant. Par conséquent, il estime que la décision de la cour d’appel a été prise dans l’intérêt de l’enfant.

61. Quant au rôle des services sociaux, il expose que ces derniers ont collaboré avec les juridictions internes.

62. En ce qui concerne l’inexécution de la décision du tribunal pour enfants de Gênes, il convient de souligner que cette décision a fait l’objet d’un recours en appel et qu’en tout état de cause, elle a été réformée par la décision de la cour d’appel de Gênes du 17 avril 2019. De plus, selon le Gouvernement, le requérant n’ayant jamais obtenu gain de cause devant le tribunal, les mesures coercitives n’ont pas pu être appliquées.

63. Quant au défaut de nomination du curateur pour l’enfant, le Gouvernement rappelle que le droit de l’enfant de participer à la procédure n’est pas absolu, mais qu’il est évalué en fonction de l’âge et du niveau de maturité. Dans le cas d’espèce, l’enfant a pu être entendu par le tribunal.

64. Il rappelle en outre que la jurisprudence ne juge pas cette nomination nécessaire à chaque fois qu’il existe une situation de conflit entre les parents, mais uniquement dans les cas prévus par la loi ou lorsque des circonstances particulières rendent la nomination nécessaire.

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

65. Comme la Cour l’a rappelé à maintes reprises, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Celles-ci peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux, dont la mise en place d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer les droits légitimes des intéressés ainsi que le respect des décisions judiciaires, ou des mesures spécifiques appropriées (voir, mutatis mutandis, Zawadka c. Pologne, nº 48542/99, § 53, 23 juin 2005). Cet arsenal doit permettre à l’État d’adopter des mesures propres à réunir le parent et son enfant, y compris en cas de conflit opposant les deux parents (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, nº 31679/96, § 108, CEDH 2000‑I, Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 68, 24 avril 2003, Zavřel c. République tchèque, nº 14044/05, § 47, 18 janvier 2007, et Mihailova c. Bulgarie, no 35978/02, § 80, 12 janvier 2006). La Cour rappelle aussi que les obligations positives ne se limitent pas à veiller à ce que l’enfant puisse rejoindre son parent ou avoir un contact avec lui, mais qu’elles englobent également l’ensemble des mesures préparatoires permettant de parvenir à ce résultat (voir, mutatis mutandis, Kosmopoulou c. Grèce, nº 60457/00, § 45, 5 février 2004, Amanalachioai c. Roumanie, nº 4023/04, § 95, 26 mai 2009, Ignaccolo‑Zenide, précité, §§ 105 et 112, et Sylvester, précité, § 70).

66. La Cour rappelle également que le fait que les efforts des autorités ont été vains ne mène pas automatiquement à la conclusion que l’État a manqué aux obligations positives qui découlent pour lui de l’article 8 de la Convention (Nicolò Santilli,précité, § 67).En effet, l’obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures afin de réunir l’enfant et le parent avec lequel il ne vit pas n’est pas absolue, et la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’efforcer de faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que confère l’article 8 de la Convention à celui-ci (Voleský c. République tchèque, no 63267/00, § 118, 29 juin 2004).

67. En ce qui concerne la vie familiale d’un enfant, la Cour rappelle qu’il existe actuellement un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (voir, entre autres, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 135, CEDH 2010). Elle souligne d’ailleurs que, dans les affaires dans lesquelles sont en jeu des questions de placement d’enfants et de restrictions du droit de visite, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération (Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], no 37283/13, § 204, 10 septembre 2019). La plus grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit de recourir à la coercition en ce domaine délicat (Mitrova et Savikc. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 42534/09, § 77, 11 février 2016, et Reigado Ramos c. Portugal, no 73229/01, § 53, 22 novembre 2005). Le point décisif consiste donc à savoir si, en l’espèce, les autorités nationales ont pris, pour faciliter les visites entre le parent et l’enfant, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 128, CEDH 2000‑VIII).

b) Application de ces principes à la présente espèce

68. Se tournant vers les faits de la présente cause, la Cour estime que, devant les circonstances qui lui sont soumises, sa tâche consiste à examiner si les autorités nationales ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour maintenir les liens entre le premier requérant et son fils (Bondavalli c. Italie, no 35532/12, § 75, 17 novembre 2015) et à examiner la manière dont elles sont intervenues pour faciliter l’exercice du droit de visite du requérant tel que défini par les décisions de justice (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 58, série A no 299‑A, et Kuppinger c. Allemagne, no 62198/11, § 105, 15 janvier 2015). Elle rappelle aussi que, dans une affaire de ce type, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre (Piazzi c. Italie, no 36168/09, § 58, 2 novembre 2010) pour éviter que l’écoulement du temps puisse avoir, à lui seul, des conséquences sur la relation d’un parent avec son enfant.

69. La Cour note tout d’abord qu’au moment de la séparation du couple, selon l’accord conclu entre les parties et homologué par le tribunal, la garde était confiée aux deux parents, la résidence principale de l’enfant était fixée chez la mère, et le requérant bénéficiait d’un droit de visite et d’hébergement.

70. La Cour constate qu’en 2013, C.C. avait signalé que l’enfant avait des comportements inquiétants. Une enquête pénale avait été ouverte contre le premier requérant et les rencontres entre celui-ci et son fils avaient été interrompues.

71. La Cour observe qu’en 2013, à la suite du classement de l’enquête, l’expert nommé par le tribunal avait observé que la relation entre C.C et l’enfant était dysfonctionnelle, que cette dernière persévérait dans son attitude d’opposition aux rencontres avec le premier requérant et alimentait auprès de l’enfant l’idée que son père avait abusé de lui.

72. À partir du classement de l’enquête en 2014, le requérant n’a plus réussi à rencontrer son fils notamment en raison de l’opposition de la mère au déroulement des rencontres et ensuite de l’opposition du mineur, qui selon les experts était programmée par la mère.

73. La Cour observe que, entre avril et novembre 2015, nonobstant les difficultés mises en évidence par les services sociaux, qui demandaient à être entendus en raison de la suspension du programme thérapeutique, le tribunal n’a pas estimé nécessaire de répondre à leur demande et a décidé d’entendre l’enfant seulement en avril 2016.

74. Ensuite, après le dépôt d’une nouvelle expertise en juillet 2017, le tribunal a ordonné la tenue de rencontres en milieu protégé en octobre 2017, lesquelles ont été organisées seulement six mois plus tard.

75. Face au refus de l’enfant de rencontrer son père, en novembre 2018, le tribunal, se fondant sur l’expertise de 2017, a ordonné le placement de l’enfant avec sa mèredans une structure thérapeutique. La Cour note, à cet égard, que cette décision n’a pas été exécutée et qu’elle a été ensuite modifiée par la cour d’appel en avril 2019.

76. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, en particulier parce qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées (Reigado Ramos, précité, § 53). Pour autant, elle ne peut en l’espèce ignorer les faits précédemment exposés (paragraphes 69-75 ci-dessus). Elle note en effet que le premier requérant a essayé d’établir des contacts avec son fils depuis 2013, et que, en dépit de l’accord de séparation lui octroyant un droit de visite et d’hébergement, il n’a pas pu exercer ce droit tout d’abord en raison de l’opposition de la mère de l’enfant et de la plainte pénale pour abus sexuel déposée par elle.

77. Certes, la Cour reconnaît que les autorités étaient confrontées en l’espèce à une situation très difficile qui découlait notamment des tensions existantes entre les parents de l’enfant. Elle admet que la non-réalisation du droit de visite du requérant était au départ surtout imputable au refus manifeste de la mère, puis à celui de l’enfant. Elle rappelle cependant qu’un manque de coopération entre les parents séparés ne peut dispenser les autorités compétentes de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial (Nicolò Santilli,précité, § 74, Lombardo, précité, § 91, et Zavřel,précité, § 52).

78. En effet, les autorités n’ont pas fait preuve de la diligence qui s’imposait en l’espèce et sont restées en deçà de ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles. La Cour estime en particulier que les juridictions internes n’ont pas pris les mesures appropriées pour créer les conditions nécessaires à la pleine réalisation du droit de visite du père de l’enfant (Bondavalli, précité, § 81, Macready c. République tchèque, nos 4824/06 et 15512/08, § 66, 22 avril 2010, Piazzi, précité, § 61, et Strumia, précité). Elle constate en particulier qu’entre 2013 et avril 2018, aucune rencontre n’a eu lieu et qu’aucune mesure n’a été prise afin de rétablir le lien entre le requérant et son fils. Elle estime qu’une réaction rapide face à cette situation aurait été nécessaire eu égard à l’incidence, dans ce genre d’affaires, de l’écoulement du temps, qui peut entraver la possibilité pour le parent concerné de renouer avec son enfant qui ne vit pas avec lui.

79. La Cour considère que les juridictions internes n’ont pas pris, dès le début de la séparation et après le classement de l’enquête pénale, quand l’enfant avait seulement quatre ans, des mesures concrètes et utiles visant à l’instauration de contacts effectifs et qu’elles ont ensuite toléré pendant environ sept ans que la mère, par son comportement, empêchât l’établissement d’une véritable relation entre le père et l’enfant. La Cour relève que le déroulement de la procédure devant le tribunal fait plutôt apparaître une série de mesures automatiques et stéréotypées, telles que des demandes successives de renseignements et une délégation du suivi de la famille aux services sociaux (Lombardo, précité § 92, et Piazzi, précité, § 61). Or, bien que l’arsenal juridique prévu par le droit italien semble suffisant, selon la Cour, pour permettre à l’État défendeur d’assurer le respect des obligations positives qui découlent pour lui de l’article 8 de la Convention, force est de constater en l’occurrence que les autorités n’ont entrepris aucune action à l’égard de C.C. bien que les expertises aient mis en lumière son comportement néfaste envers l’enfant et le premier requérant. De surcroît, la décision du tribunal prévoyant l’insertion dans une structure thérapeutique n’a pas été exécutée. Aussi la Cour estime-t-elle que les autorités ont laissé se consolider une situation de fait installée au mépris des décisions judiciaires (K.B. et autres c. Croatie, no 36216/13, 14 mars 2017).

80. La Cour note que, dans le cas d’espèce, face à l’opposition de la mère de l’enfant qui perdurait depuis 2013 et à la difficulté du premier requérant à exercer son droit de visite, les autorités nationales n’ont pas pris rapidement toutes les mesures nécessaires qui pouvaient raisonnablement être exigées pour faire respecter le droit du premier requérant d’avoir des contacts avec son fils et d’établir une relation (Strumia, précité, § 123).

81. La Cour note également le retard dans la prise de décision du tribunal pour enfants. Elle relève, à cet égard, qu’entre avril 2015 et avril 2016, nonobstant les demandes urgentes des services sociaux qui demandaient à être entendus en raison de la suspension du programme thérapeutique, et les recours du requérant, aucune mesure n’a été prise. L’enfant a été entendu seulement en avril 2016 (M. et M. c. Croatie, no 10161/13, §§ 1181-184, CEDH 2015 (extraits)) et une nouvelle expertise a été ordonnée en décembre 2016. La décision de placement est ensuite intervenue deux ans plus tard. La cour rappelle, à cet égard, qu’elle peut prendre en compte, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la durée du processus décisionnel des autorités internes ainsi que celle de toute procédure judiciaire connexe. En effet, un retard dans la procédure risque toujours, en pareil cas, de trancher par un fait accompli le problème en litige. Or un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, §§ 64‑65, série A no 121, Covezzi et Morselli c. Italie, no52763/99, § 136, 9 mai 2003, Solarino c. Italie, no 76171/13, § 39, 9 février 2017, et D’Alconzo,précité,§ 64).

82. Pour la Cour, un surcroît de diligence et de rapidité s’impose dans l’adoption d’une décision touchant aux droits garantis par l’article 8 de la Convention. L’enjeu de la procédure pour le requérant exige un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et son père, qui ne vit pas avec lui. La Cour rappelle en effet que la rupture de contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent.

83. Quant à la nomination du curateur ad litem, la Cour note que le système national prévoit les circonstances dans lesquelles le mineur peut continuer à être représenté par ses parents même en cas de situation conflictuelle entre eux, et prévoit également, en conformité avec les principes internationaux, que le mineur participe à la procédure et qu’il soit auditionné sur ses préférences. En cas de conflit entre le mineur et ses parents ou au cas où ces derniers seraient déchus de leur autorité parentale, le mineur doit être représenté par un curateur ad litem ou par un tuteur, et si nécessaire par un avocat. Cela dit en l’espèce la Cour constate que dans un premier temps le second requérant a pu participer à la procédure, dès lors que C.C. et le premier requérant n’avaient été ni suspendus ni déchus de leur autorité parentale. Ce n’est qu’en 2020 que la cour d’appel de Gênes, en prenant acte du conflit d’intérêts entre les parents, a décidé de nommer un curateur ad litem pour l’enfant. Dans cette situation, la Cour ne saurait conclure que le processus décisionnel n’a pas suffisamment protégé les intérêts du second requérant.

84. Compte tenu des considérations exposées aux paragraphes 68 à 82 ci-dessus et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour considère que les autorités nationales n’ont pas déployé les efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de visite du premier requérant et qu’elles ont méconnu le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

85. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

86. Le premier requérant demande 50 000 euros (EUR) pour le dommage moral qu’il aurait subi en raison de l’impossibilité de nouer une relation avec son fils depuis 2003 et 100 000 euros pour les dommages psychiques et moraux subis par le second requérant.

87. Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants. Il affirme que les dommages-intérêts allégués n’existent pas et, en tout état decause, ils ne sauraient être la conséquence du comportement des autorités italiennes.Quoi qu’il en soit, le Gouvernement considère que les sommes demandées sont disproportionnées.

88. Tenant compte des circonstances de l’espèce, la Cour considère que les intéressés ont subi un préjudice moral qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation de l’article 8 de la Convention. Elle estime que l’impossibilité pour le premier requérant de maintenir des contacts significatifs avec son enfant lui a causé frustration et souffrance et l’a empêché de développer des relations sur une période de plusieurs années. Par conséquent, elle accorde 10 000 EUR au premier requérant et 10 000 EUR au second requérant. En ce qui concerne le second requérant, la somme sera conservée en fiducie pour celui-ci par le premier requérant (voir, mutatis mutandis, M.D. et autres c. Malte, no64791/10, § 94, 17 juillet 2012).

B. Frais et dépens

89. Les requérants demandent 66 902.99 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant les juridictions internes, 4 955,40 EUR pour les rapports d’expertise et 11 203 EUR au titre des frais et dépens devant la Cour.

90. Selon le Gouvernement la demande de remboursement doit être rejetée. En outre, les honoraires liés au frais devant la Cour sont exorbitants.

91. En l’espèce, la Cour a conclu que le processus décisionnel était déficient en ce qui concerne la longueur des procédures et la non-réalisation du droit de visite du requérant. Elle n’aperçoit toutefois pas de lien de causalité entre cette violation et les coûts réclamés pour assister et se préparer à la procédure interne, à laquelle les requérants auraient, de toute manière, participé. Elle rejette donc la demande de frais et de dépenses dans le cadre de la procédure interne et accorde 11 000 EUR pour la procédure devant elle, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

92. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros) au premier requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,

ii. 10 000 EUR (dix mille euros) au second requérant plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral. Ce montant sera détenu en fiducie pour le second requérant par le premier requérant,

iii. 11 000 EUR (onze mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 avril 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata Degener                                  Ksenija Turković
Greffière                                                 Présidente

Dernière mise à jour le avril 23, 2021 par loisdumonde

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