E.G. c. République de Moldova (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 250
Avril 2021

E.G. c. République de Moldova – 37882/13

Arrêt 13.4.2021 [Section II]

Article 3
Obligations positives

Manquements des autorités à exécuter la peine infligée à l’auteur d’une agression sexuelle suite à l’octroi puis l’annulation de son amnistie : violation

Article 8
Obligations positives

Manquements des autorités à faire exécuter la peine infligée à l’auteur d’une agression sexuelle suite à l’octroi puis l’annulation de son amnistie : violation

Article 35
Article 35-1
Délai de six mois

Prise en compte de l’entière période de la non‑exécution de la peine infligée à l’auteur d’une agression sexuelle due aux manquements des autorités pour l’application du délai de six mois : exception préliminaire rejetée

En fait – En décembre 2009, V.B. et deux autres individus dont R.G., en liberté durant la procédure pénale, ont été condamnés à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour avoir agressé sexuellement la requérante. Cependant, V.B. n’a pas été immédiatement arrêté et détenu.

Par une décision définitive de la cour d’appel du 22 mai 2012, V.B., toujours en liberté, a été amnistié en application de la loi d’amnistie de 2008. Et en novembre 2013, il a quitté. En novembre 2013, une décision rejetant la demande d’amnistie de V.B. a été adoptée et fin janvier 2014, le procureur en a informé la police et a demandé qu’il soit localisé. Cependant, il a été constaté qu’en novembre 2013, V.B. avait quitté la République de Moldova pour l’Ukraine. Depuis, malgré un mandat d’arrêt international, V.B. n’a pas été localisé.

En droit – Articles 3 et 8 :

a) Recevabilité :

Les situations continues ne sont pas toutes identiques. Mais les requérants doivent, en tout état de cause, introduire leurs griefs « sans retard excessif », une fois qu’il est évident qu’il n’y a pas de perspective réaliste d’une issue favorable ou d’une évolution positive pour leurs griefs, au niveau interne.

En réponse à l’argument du Gouvernement selon lequel la requérante aurait dû déposer une demande auprès de la Cour dans un délai de six mois après la décision relative à la demande d’amnistie en mai 2012, la Cour note que l’aspect principal des griefs soulevés par la requérante sous l’angle des articles 3 et 8 concerne l’impunité de facto de V.B. pour l’agression sexuelle commise à son encontre. La Cour estime que les manquements spécifiques relativement à ces griefs, à savoir l’application alléguée illégale de l’amnistie et l’inactivité alléguée des autorités pour rechercher V.B., sont inextricablement liés entre eux. C’est pourquoi, l’entière période relative à la non‑exécution de la sanction pénale prononcée contre V.B. doit être considérée dans son intégralité aux fins de l’application de la règle de six mois.

Ainsi l’ensemble des manquements reprochés aux autorités moldaves s’analyse en une situation continue. En outre, les perspectives de l’exécution par les autorités moldaves de la condamnation de V.B. ne sont pas devenues irréalistes.

Conclusion : exception rejetée (délai de six mois).

b) Fond :

Le viol et les agressions sexuelles graves sont des traitements entrant dans le champ d’application de l’article 3, qui mettent également en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la « vie privée » au sens de l’article 8. Ainsi les griefs de la requérante peuvent être examinés conjointement sur le terrain de ces deux articles.

Sur le terrain de l’article 2 de la Convention, l’exigence pour les autorités de mener une enquête pénale effective pouvait aussi être interprétée comme imposant aux États une obligation d’exécuter la condamnation finale sans délai injustifié. En effet, l’exécution de la condamnation imposée dans le contexte du droit à la vie fait partie intégrante de l’obligation procédurale pesant à charge de l’État. La même approche doit être appliquée en l’espèce et l’exécution d’une condamnation pour abus sexuels fait partie intégrante de l’obligation positive incombant aux États en vertu des articles 3 et 8.

En matière de torture ou de mauvais traitements infligés par des agents de l’État, l’amnistie et le pardon ne devraient pas être tolérés dans ce domaine. Ce principe s’applique également aux actes de violence administrés par des particuliers. Cela étant, les amnisties et les pardons relèvent essentiellement du droit interne des États membres et, en principe, ils ne sont pas contraires au droit international, sauf lorsqu’ils concernent des actes qui constituent des violations graves des droits fondamentaux de l’homme. Or, l’agression sexuelle dont la requérante a été victime s’analyse en une atteinte grave au droit de celle-ci à son intégrité physique et morale et l’octroi de l’amnistie à un des auteurs de cette agression est, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, susceptible d’être contraire aux obligations que les articles 3 et 8 faisaient peser sur l’État défendeur.

Il n’existe pas une pratique uniforme de la cour d’appel, relative à l’application de la loi d’amnistie de 2008. R.G., qui se trouvait dans une situation analogue à celle de V.B. et qui avait déjà purgé une partie de sa peine, s’est vu refuser l’application de l’amnistie. Ainsi, dans le cas de V.B., les juges de la cour d’appel ont exercé leur discrétion afin de minimiser les conséquences d’un acte illégal extrêmement sérieux plutôt que de montrer que de tels actes ne sauraient en aucune manière être tolérés.

Si l’octroi de l’amnistie à V.B. a été finalement annulé, le fait pour celui-ci de bénéficier de l’amnistie durant une période totale d’environ un an est en contradiction avec les exigences procédurales des articles 3 et 8. D’autant plus que cette situation lui a permis de quitter la Moldova juste avant l’adoption de la dernière décision ayant annulé l’octroi de l’amnistie.

Concernant la question de savoir si les mesures adoptées par les autorités pour faire exécuter la peine de V.B., en dehors des périodes où l’amnistie était applicable, étaient suffisantes, les autorités étatiques semblent ne pas avoir tenu compte de la première annulation de l’octroi de l’amnistie à V.B., prononcée par la décision définitive du 29 juin 2012. En effet, celles-ci ont arrêté V.B. le 22 octobre 2012, mais l’ont relâché le même jour, sur le fondement de la décision du 22 mai 2012, qui était déjà annulée et qui n’avait plus de force juridique à ce moment-là. La Cour y voit, dans les meilleurs des cas, un manque de coordination entre les différents services de l’État qui a eu comme conséquence la remise en liberté de V.B., sans fondement juridique valable.

La dernière décision d’annulation de l’octroi de l’amnistie, du 18 novembre 2013, a été transmise à l’autorité compétente à rechercher V.B. plus de deux mois après son adoption. Pour le parquet, ce délai était contraire aux dispositions internes. Même si, par la suite, il a été établi que V.B. avait quitté le pays avant le 18 novembre 2013, ce retard a nécessairement repoussé la date à laquelle les autorités ont lancé leur avis de recherche au sein de la Communauté des États indépendants. En outre, l’avis de recherche international n’a été lancé qu’en 2015 et rien dans le dossier n’explique ce délai. Ces retards se concilient mal avec l’exigence de célérité et de diligence raisonnables.

Au vu de ce qui précède, les mesures prises par l’État en vue de mettre en œuvre la peine de V.B. n’étaient pas suffisantes au regard de son obligation d’exécuter les condamnations pénales prononcées à l’encontre des auteurs d’agressions sexuelles.

En conclusion, l’octroi de l’amnistie à V.B. ainsi que les manquements des autorités à faire exécuter la peine de celui-ci n’étaient pas conformes aux obligations positives incombant à l’État défendeur en vertu des articles 3 et 8.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 10 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi M.C. c. Bulgarie, 39272/98, 4 décembre 2003, Résumé juridique ; Marguš c. Croatie [GC], 4455/10, 27 mai 2014, Résumé juridique ; Kitanovska Stanojkovic et autres c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, 2319/14, 13 octobre 2016, Résumé juridique ; Akelienė c. Lituanie, 54917/13, 16 octobre 2018, Résumé juridique ; Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, 17247/13, 26 mai 2020, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le avril 13, 2021 par loisdumonde

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