Timofeyev et Postupkin c. Russie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 247
Janvier 2021

Timofeyev et Postupkin c. Russie – 45431/14 et 22769/15

Arrêt 19.1.2021 [Section III]

Article 7
Article 7-1
Rétroactivité

Surveillance administrative aux fins préventifs, après l’exécution de la peine par les condamnés, non-constitutive d’une peine et non-soumise au principe de rétroactivité : irrecevable

Article 6
Procédure civile
Article 6-1
Procès équitable

Absence d’octroi d’une aide judiciaire gratuite au requérant sans argent pour obtenir l’assistance d’un avocat lors d’une procédure de placement sous surveillance administrative pour huit ans : violation

Article 2 du Protocole n° 4
Article 2 al. 1 du Protocole n° 4
Liberté de circulation

Caractère proportionné des mesures de surveillance administrative, imposées pour six ans après l’exécution de la peine et soumises aux contrôles périodiques de leur nécessité : non-violation

Article 4 du Protocole n° 7
Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois

Surveillance administrative d’une personne condamnée pour éviter sa récidive après l’exécution de la peine, ne revenant pas à la « punir pénalement » une seconde fois : irrecevable

En fait – Le premier et le second requérants avaient été condamnés, respectivement en 2003 et 2007, pour une infraction commise en récidive dangereuse.

Puis ils ont été placés sous surveillance administrative par des décisions judiciaires de 2013 fondées sur la loi no 64‑FZ du 6 avril 2011 qui stipule que toute personne libérée d’un établissement pénitentiaire qui se trouvait en état de condamné en raison d’une condamnation pour une infraction commise en récidive dangereuse ou particulièrement dangereuse se voyait appliquer automatiquement la surveillance administrative.

Des restrictions ont été imposées aux requérants dont entres autres l’obligation de se présenter d’une à trois fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative, de signaler le changement du lieu de domicile dans un délai de trois jours ouvrés, et l’interdiction de quitter le domicile entre 22 heures et 6 heures.

En droit –

Article 7 :

Le placement sous surveillance administrative du premier requérant, fondé sur une décision judiciaire, a eu lieu plusieurs années après sa condamnation pénale, mais il était néanmoins lié à celle-ci et lui faisait suite.

S’agissant de la qualification de la surveillance administrative en droit interne, elle ne doit pas automatiquement aboutir à la conclusion de l’inapplicabilité de l’article 7.

En l’occurrence, les mesures ont pour but préventif d’empêcher la récidive et ne peuvent être regardées comme ayant un caractère répressif et comme constituant une sanction.

Quant à la ressemblance des mesures imposées dans le cadre de la surveillance administrative à celles constituant une peine restrictive de liberté, la mise en place de la surveillance administrative ne dépend pas du degré de culpabilité de la personne concernée et se fonde sur la « dangerosité » de la personne condamnée en état de récidive. Ainsi cette mesure ne revêt pas un caractère répressif.

S’agissant de la procédure associée à l’adoption et à la mise en œuvre de la surveillance administrative, elle était de nature civile et elle est maintenant de nature administrative, ne relevant pas de la justice pénale.

Les sanctions en cause ne pourront être infligées que dans le cadre d’une procédure judiciaire distincte au cours de laquelle le juge compétent pourra apprécier le caractère fautif ou non du manquement.

Enfin, s’agissant de la sévérité des mesures litigieuses, certaines étaient contraignantes, d’autres substantielles. Cependant, la gravité des mesures n’est pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent, de même que des mesures devant être qualifiées de peines, avoir un impact substantiel sur la personne concernée.

Ainsi, les obligations et restrictions imposées au premier requérant dans le cadre de la surveillance administrative ne constituaient pas une « peine » au sens de l’article 7 § 1 et elles doivent être analysées comme des mesures préventives auxquelles le principe de non-rétroactivité énoncé dans cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer.

Conclusion : irrecevable (incompatible ratione materiae).

Article 4 du Protocole no 7 :

Eu égard à ses conclusions selon lesquelles les mesures de surveillance administrative ne constituaient pas une peine au sens de l’article 7 de la Convention, la Cour estime que l’imposition desdites mesures au second requérant ne revenait pas à le « punir pénalement » au sens de l’article 4 du Protocole no 7.

Conclusion : irrecevable (incompatible ratione materiae).

Article 6 § 1 (civil) :

La Convention n’oblige pas à accorder l’aide judiciaire dans toutes les contestations en matière civile.

Aucune disposition du droit interne en vigueur au moment des faits ne prévoyait la possibilité d’octroi d’une aide judiciaire gratuite dans le cadre d’une procédure de placement sous surveillance administrative. Toutefois, l’instauration d’un système d’aide judiciaire ne constitue qu’un moyen parmi d’autres propre à garantir l’équité de la procédure.

Le premier requérant était défendeur dans une procédure engagée par les autorités internes, soit l’établissement pénitentiaire.

La gravité de l’enjeu pour le premier requérant dans cette procédure était indéniablement importante : les restrictions imposées à l’intéressé avaient de sérieuses répercussions sur sa vie privée et sur l’exercice de ses droits, notamment de son droit à la liberté de circulation.

L’examen de la demande tendant à la mise en place de la surveillance administrative portait sur des questions juridiques qui demandaient une certaine connaissance du droit et de la jurisprudence. Or, le premier requérant n’était pas une personne expérimentée ou spécialiste dans le domaine du droit. Et le juge ne l’a pas assisté, ayant rejeté toutes ses demandes procédurales faites en ce sens. Or si le premier requérant avait été représenté par un avocat, il aurait pu préparer sa défense afin de remettre en cause les éléments versés par son adversaire. Aussi il était d’autant plus important d’assurer au premier requérant la défense de sa cause que, pour imposer les restrictions administratives audit requérant, le juge de première instance a pris en compte la « personnalité » de l’intéressé et « l’avis négatif » de l’administration de l’établissement pénitentiaire. En outre, l’adversaire du premier requérant, à savoir le représentant de la colonie pénitentiaire, a bénéficié de l’assistance du procureur tout au long de la procédure.

Les juridictions internes ont prononcé plusieurs ajournements afin de permettre au premier requérant de trouver un représentant. Or, les demandes de l’intéressé étaient motivées par l’absence de moyens financiers pour rémunérer un avocat, et non pas par le manque de temps pour en trouver. Les ajournements prononcés n’auraient donc pas pu remédier à la situation du premier requérant.

Enfin, tenant compte de la situation du premier requérant qui, jusqu’à une semaine avant l’audience en appel, était un détenu purgeant une peine d’emprisonnement, et de ses difficultés pour préparer sa défense, l’intéressé a dû être bien plus éprouvé du point de vue physique et émotionnel par la procédure qu’un avocat expérimenté ne l’aurait été.

Eu égard à ce qui précède, l’impossibilité pour ledit requérant de bénéficier d’une aide judiciaire gratuite en vue d’obtenir l’assistance d’un avocat a dû placer l’intéressé dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 2 du Protocole n° 4 :

Les obligations et restrictions imposées au second requérant lors de sa surveillance administrative étaient constituées de plusieurs mesures qui examinées séparément ou cumulativement, constituaient une ingérence dans son droit à la liberté de circulation. Elles avaient une base légale accessible dans le droit interne. En revanche, l’intéressé conteste le caractère prévisible de ladite loi au motif que celle-ci a été appliquée rétroactivement aux personnes condamnées avant son entrée en vigueur.

Eu égard à sa conclusion selon laquelle les mesures litigieuses ne constituaient pas une peine au sens de l’article 7 de la Convention, la Cour estime que l’imposition par la loi à l’égard des personnes condamnées à des peines privatives de liberté de mesures de prévention en prenant en compte leur comportement antérieur à l’entrée en vigueur de cette loi n’est pas problématique.

La loi était suffisamment prévisible quant à la catégorie des personnes susceptibles d’être concernées par son application, en ne laissant pas place à une appréciation discrétionnaire des juridictions nationales, et à sa portée temporelle car la durée de la surveillance administrative ne pouvait dépasser celle de l’existence de l’état de condamné.

Le second requérant relevait de la catégorie des personnes visées par la loi, c’est‑à‑dire celles qui, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, se trouvaient en état de condamné pour une infraction commise en récidive dangereuse et devaient faire l’objet d’une surveillance administrative automatiquement, indépendamment de leur conduite au cours de l’exécution de la peine.

Le second requérant n’a pas contesté la prévisibilité de la loi en question quant à la portée des restrictions et obligations prévues. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si leur portée était suffisamment prévisible.

S’agissant des buts des mesures litigieuses, les juridictions internes ont motivé le placement du second requérant sous surveillance administrative par le besoin de prévenir la récidive. Les mesures restrictives à la liberté de circulation de l’intéressé poursuivaient donc le but de la « prévention des infractions pénales ».

S’agissant de la proportionnalité d’une mesure restreignant la liberté de circulation, en droit interne, la durée de la surveillance administrative est fixée par la loi pour toute la durée de l’existence de l’état de condamné, qui est de huit ans (selon la version actuelle de la disposition pertinente du code pénal russe) et ne dépend pas de l’appréciation du juge.

Cependant, la loi prévoit la possibilité de contrôles juridictionnels périodiques de la nécessité du maintien des restrictions dont l’imposition n’est pas obligatoire, notamment l’interdiction de sortir du domicile entre 22 heures et 6 heures. Étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier soumis à la Cour que le second requérant ait présenté une demande en ce sens, il n’y a pas lieu pour elle d’examiner si l’étendue du contrôle juridictionnel était suffisante en pratique.

S’agissant des mesures dont l’imposition est obligatoire en application de la loi, notamment l’obligation de se présenter une fois par mois à l’autorité chargée de la surveillance administrative, imposée au second requérant, la fréquence de contrôles périodiques de la nécessité de leur maintien est régie par la loi. En effet, la personne placée sous surveillance administrative peut demander l’arrêt anticipé de ce régime en tant que tel après l’écoulement de la moitié de la durée pour laquelle celui-ci a été appliqué et, en cas de rejet de la demande, une nouvelle demande d’arrêt anticipé de la surveillance administrative ne peut être introduite que six mois après ledit rejet.

Le second requérant avait été condamné pour une infraction grave et les juridictions ont estimé que le délai d’effacement de l’état de condamné était pour lui de six ans suivant l’exécution de sa peine (conformément à la version de la disposition pertinente du code pénal en vigueur à l’époque des faits). Il s’ensuit que le contrôle de la nécessité de maintenir celui-ci sous surveillance administrative, et par conséquent de l’obliger à se présenter à l’autorité compétente une fois par mois, ne pouvait être effectué, à l’initiative de l’intéressé, qu’après l’écoulement d’une période initiale de trois ans. Cependant, eu égard à la nature de la restriction en cause et en particulier à la fréquence peu élevée de présentation personnelle imposée à l’intéressé, cette circonstance ne peut passer pour incompatible avec l’exigence de contrôle périodique. En outre, après cette période initiale, la nécessité de maintenir la mesure litigieuse pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel à des intervalles de six mois entre chaque rejet d’une éventuelle demande d’arrêt anticipé de la mesure faite par l’intéressé.

Les mesures de surveillance administrative appliquées au second requérant ont donc été proportionnées aux buts poursuivis.

Conclusion : non-violation (six voix contre une).

Article 41 : 4 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi pour l’article 6 : Steel et Morris c. Royaume-Uni, 68416/01, 2005, Résumé juridique ; et pour l’article 2 du Protocole n° 4 : De Tommaso c. Italie [GC], 43395/09, 23 février 2017, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le février 11, 2021 par loisdumonde

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *