AFFAIRE ASSOCIATION DE SOLIDARITÉ AVEC LES OPPRIMÉS c. TURQUIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 8064/13

INTRODUCTION. La requête concerne la dissolution de l’association requérante, l’Association de solidarité avec les opprimés (Mustazaflar ile DayanışmaDerneği), prononcée par le tribunal de grande instance au motif que certains membres de l’association s’étaient rendus coupables d’activités illégales et avaient des liens avec l’organisation illégale Hezbollah, alors que les jugements rendus dans les procédures relatives à ces infractions n’étaient pas encore définitifs.

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ASSOCIATION DE SOLIDARITÉ AVEC LES OPPRIMÉS c. TURQUIE
(Requête no 8064/13)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2021

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Association de solidarité avec les opprimés c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Aleš Pejchal, président,
Egidijus Kūris,
Carlo Ranzoni, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjointde section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 janvier 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la dissolution de l’association requérante, l’Association de solidarité avec les opprimés (Mustazaflar ile DayanışmaDerneği), prononcée par le tribunal de grande instance au motif que certains membres de l’association s’étaient rendus coupables d’activités illégales et avaient des liens avec l’organisation illégale Hezbollah, alors que les jugements rendus dans les procédures relatives à ces infractions n’étaient pas encore définitifs.

EN FAIT

2. Le but déclaré par les fondateurs de l’association requérante lorsqu’ils l’ont créée à Diyarbakır, le 16 septembre 2004, était de supprimer toutes sortes d’obstacles de fait restreignant les droits naturels de l’homme d’une manière incompatible avec la dignité humaine, les principes de la justice et le droit naturel, et avec les valeurs économiques, sociales, juridiques, religieuses et éthiques et le droit à l’éducation. L’association a tenu sa dernière assemblée générale le 28 octobre 2007. À l’époque des faits, son président était M. Mehmet HüseyinYılmaz.

3. Le 30 avril 2008, le parquet d’Adana établit un acte d’accusation contre certains membres de l’association, dont son secrétaire général. Le 22 août 2008, le parquet de Diyarbakır, s’appuyant sur cet acte d’accusation, déposa auprès du tribunal de grande instance de Diyarbakır (« le tribunal ») un « acte de mise en accusation dans le cadre d’une procédure civile » (davaname) dans lequel il demandait la dissolution de l’association. Il exposait, notamment, que celle-ci était liée à l’organisation terroriste Hezbollah.

Les passages pertinents de cet acte se lisent comme suit :

« L’acte d’accusation [dressé par le parquet d’Adana] révèle les éléments suivants. L’association est liée à l’organisation terroriste Hezbollah ; l’une de ses publications, le magazine İnzar, est distribuée au groupe cible par l’intermédiaire de ses antennes et bureaux ; bien que le but déclaré de l’association soit d’aider les victimes, les détenus et les condamnés de manière générale, elle n’aide [en réalité] que les personnes détenues pour appartenance à l’organisation terroriste Hezbollah et leurs proches ; cet élément ressort des registres de l’association, des registres de télécommunication, des registres de surveillance secrète et des déclarations des suspects ; le 24 avril 2007, [le domicile] du plaignant Ş.Ç. a été saccagé, le procureur général de Mardin a ouvert une enquête sur ces faits, sous le numéro 2007/1244, et il est apparu que les auteurs du saccage avaient été interrogés par des membres de l’organisation [terroriste] dans les locaux de l’association ; la branche de Konya de l’association a apporté une assistance juridique et financière à M.S.T., membre de l’association, et à quatre de ses amis, qui avaient été détenus pour appartenance à l’organisation terroriste Hezbollah ; les membres de cette organisation qui étaient recherchés ont [également] reçu de l’aide ; des cigarettes de contrebande ont été entreposées dans [les locaux de] la branche de Konya de l’association ; l’association a construit la mosquée Nur dans le quartier Tatlıcak de Konya pour [faciliter] les activités de l’organisation [terroriste] et y a envoyé un imam ; B.Ç., T.E. et S.A., qui étaient recherchés pour appartenance à l’organisation, ont été arrêtés dans [les locaux de] la branche d’Istanbul de l’association le 21 juin 2006 ; A.Y., qui était recherché pour appartenance à une organisation terroriste et pour un meurtre commis à Mersin, a utilisé pour déménager un véhicule appartenant à l’association.

Au vu de ce qui précède, et eu égard au fait que le but de l’Association de solidarité avec les opprimés est devenu illégal, il est demandé, au nom du peuple, qu’elle soit dissoute en vertu de l’article 89 du code civil (loi no 4721). »

4. Le 9 février 2010, la 2e chambre du tribunal fit droit à la demande du parquet et prononça la dissolution de l’association. Les passages pertinents en l’espèce du jugement de dissolution se lisent comme suit :

« Il ressort de l’acte d’accusation établi par le parquet d’Adana le 30 avril 2008 qu’une procédure a été ouverte devant la 6e chambre de la cour d’assises d’Adana contre l’accusé A.T. et 43 suspects pour appartenance à l’organisation terroriste Hezbollah. Il est indiqué dans l’acte d’accusation que l’organisation terroriste Hezbollah, dont les activités ont été affaiblies par les opérations menées contre elle, a tenté de se relever. En septembre 2004, elle a créé sous le nom d’Association de solidarité avec les opprimés [une association écran] rassemblant ceux de ses membres qui avaient été libérés de prison ou qui n’avaient jamais été poursuivis et un certain nombre de ses sympathisants, afin s’intégrer dans la vie de la collectivité, de répondre aux besoins de ceux de ses membres qui se trouvaient en détention et des proches de ceux-ci, de mener des activités de propagande conformément à la stratégie déterminée par la nouvelle structure, et de recruter de nouveaux militants en fonction de ses objectifs futurs. Les investigations menées sur les membres fondateurs et les autres membres de l’association défenderesse ont permis d’établir que nombre d’entre eux avaient été arrêtés pour avoir mené des activités au sein de l’organisation terroriste Hezbollah et avaient fait l’objet de poursuites judiciaires, que toutes les activités visant le but de cette organisation étaient menées sous le toit de l’association défenderesse et que celle-ci constituait la base de l’organisation. Il est indiqué dans l’acte d’accusation que les registres de l’association, les registres de télécommunication, les rapports de surveillance secrète et les dépositions des suspects révèlent que, contrairement à ce qui était indiqué dans ses statuts, l’association défenderesse ne fournissait une aide qu’aux personnes détenues pour appartenance à l’organisation terroriste Hezbollah et aux proches de celles-ci. Il est précisé dans l’acte d’accusation que les activités suivantes sont à reprocher à l’association défenderesse : l’interrogatoire [par des membres du Hezbollah] dans les locaux de l’association des auteurs du saccage d’un domicile, la fourniture d’une aide juridique et financière à M.S.T. et à quatre de ses amis qui avaient été détenus pour appartenance à l’organisation terroriste Hezbollah, la fourniture d’une aide à ceux des membres de cette organisation terroriste qui étaient recherchés, la conservation de cigarettes de contrebande dans les locaux de l’association, et le fait qu’au moment de leur arrestation le 21 juin 2006 pour appartenance à l’organisation terroriste Hezbollah, B.Ç., T.E. et S.A. se trouvaient dans les locaux de la branche d’Istanbul de l’association. »

« (…) [Le tribunal observe] que les actes [réalisés par] l’association (…) répondaient aux objectifs de l’organisation terroriste Hezbollah. Il s’ensuit que l’objet de l’association est devenu illégal en vertu de l’article 89 de la loi no 4721. »

5. Le 15 décembre 2011, la 7e chambre civile de la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal, constatant qu’il était conforme à la loi.

6. Le 29 mars 2012, elle rejeta une demande de rectification introduite par l’association requérante et le jugement devint donc définitif.

7. Dans ses observations datées du 11 mai 2019, le Gouvernement a informé la Cour que le chef du conseil exécutif de l’association requérante, M.H.Y., avait été arrêté pour appartenance à l’organisation terroriste Hezbollah, et que deux autres membres du conseil exécutif, A.T. et M.U., avaient été reconnus coupables d’appartenance à cette organisation, respectivement par la 5e chambre de la cour d’assises de Diyarbakır et par la 1re chambre de la cour de sûreté de l’État, et condamnés l’un à sept ans d’emprisonnement et l’autre à douze ans et six mois d’emprisonnement. Il n’a pas communiqué les dates de ces condamnations.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

8. Les passages pertinents en l’espèce de l’article 33 de la Constitution, intitulé « Liberté d’association », se lisent comme suit :

« (…) Les associations peuvent être dissoutes ou leurs activités suspendues par décision d’un juge dans les cas prévus par la loi. »

9. Les articles pertinents en l’espèce du code civil turc (loi no 4721) prévoient ce qui suit relativement aux associations :

Article 85

« Le conseil d’administration est l’organe de l’association compétent pour l’administrer et la représenter ; il exerce les fonctions qui lui sont attribuées conformément à la législation et aux statuts de l’association. »

Article 89

« Si l’objet de l’association n’est pas conforme à la loi et à la morale, le tribunal peut prononcer la dissolution de l’association sur demande du procureur général ou de toute autre personne intéressée. Pendant la durée de la procédure, le tribunal ordonne toutes les mesures nécessaires, y compris la suspension de l’activité [de l’association]. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

10. L’association requérante se plaint de la dissolution dont elle a fait l’objet. Elle y voit une atteinte à son droit à la liberté d’association. Elle invoque l’article 11 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit (…) à la liberté d’association (…)

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (…) »

11. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

12. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

13. L’association requérante répète ses allégations. Elle expose que les éléments que le Gouvernement a versés au dossier à titre de preuve d’activités illégales de ses membres ne sont que les conclusions du parquet, qu’un certain nombre de ces activités, par exemple la distribution du magazine İnzar, sont tout à fait légales, et que quand bien même certains de ses membres se seraient livrés à des activités illégales, il s’agirait d’activités individuelles qui n’engageraient que leur propre responsabilité personnelle et non la sienne. Elle ajoute que dans le cas présent, les allégations d’activités illégales sont infondées, les intéressés ayant été acquittés.

Elle se plaint que l’action en dissolution ait été engagée puis la dissolution prononcée alors que les procédures concernant ces allégations étaient encore pendantes.

Elle considère également que la circonstance, mentionnée par le Gouvernement, que certains de ses dirigeants aient fait l’objet de condamnations avant même qu’elle ne soit créée ne peut pas constituer un argument juridique : selon elle, il faut, dans une société démocratique, que les personnes ayant fait l’objet de condamnations puissent se réintégrer dans la société.

14. Le Gouvernement soutient pour sa part que l’association a été dissoute par un tribunal, en raison de ses activités illégales. Il argue que les activités pour lesquelles certains membres de l’association ont été poursuivis ne sont pas protégées par l’article 11 de la Convention car elles ne sont pas « pacifiques », et que selon la jurisprudence de la Cour, les autorités de l’État jouissent d’une plus ample marge d’appréciation lorsque les activités auxquelles il est apporté une restriction comportent un élément d’« incitation à la violence ». Par conséquent, il est d’avis qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans l’exercice par l’association requérante de son droit à la liberté d’association au sens de l’article 11 de la Convention.

Pour le cas où la Cour considérerait qu’il y a effectivement eu ingérence dans l’exercice du droit en cause, il soutient que cette ingérence était prévue par la loi, plus précisément par l’article 89 du code civil, qu’elle poursuivait un « but légitime » et qu’elle répondait à un « besoin social impérieux » au sens de l’article 11 § 2 de la Convention, à savoir la protection de la sécurité nationale ou de la sûreté publique et la prévention des troubles ou de la criminalité.

En ce qui concerne la nécessité de l’ingérence, le Gouvernement expose en détail les conclusions et les décisions des autorités nationales quant à l’association requérante et indique que plusieurs des dirigeants de l’intéressée avaient déjà été condamnés par le passé. Il soutient que les juridictions nationales ont examiné soigneusement les activités de l’association et ménagé un juste équilibre entre les exigences de la protection des droits fondamentaux de l’individu et les nécessités de l’intérêt général du public. Selon lui, la dissolution de l’association requérante n’était pas arbitraire, elle était nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but visé, et elle répondait à un besoin social impérieux.

2. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

15. Dans les arrêts Sidiropoulos et autres c. Grèce (10 juillet 1998, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV) et Gorzelik et autres c. Pologne ([GC], no 44158/98, §§ 88-96, CEDH 2004-I), la Cour a rappelé que les associations jouent un rôle essentiel dans le maintien du pluralisme et de la démocratie, et que les exceptions à la règle de la liberté d’association appellent une interprétation stricte. Toute ingérence doit répondre à un « besoin social impérieux » ; le vocable « nécessaire » n’a pas la souplesse de termes tels qu’« utile » ou « opportun ». Il appartient en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un « besoin social impérieux » d’imposer une restriction donnée dans l’intérêt général. Si la Convention laisse à ces autorités une certaine marge d’appréciation à cet égard, leur évaluation est soumise au contrôle de la Cour, portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, y compris celles rendues par des juridictions indépendantes.

Lorsqu’elle exerce son contrôle, la Cour a pour tâche non point de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions que celles-ci ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 11, et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir, entre autres, Kudrevičiuset autres c. Lituanie [GC], no 37553/05, § 143, CEDH 2015, et Adana TAYAD c. Turquie, no 59835/10, § 28, 21 juillet 2020).

16. Dans l’affaire Vona c. Hongrie, no 35943/10, §§ 57 et 58, CEDH 2013, la Cour a opéré une distinction entre les partis politiques, dont la dissolution ne peut être justifiée qu’en cas d’atteinte à la société démocratique, et les autres associations, les « organisations sociales ». Elle a dit que la dissolution de pareilles organisations « doit être justifiée par des motifs pertinents et suffisants » tout comme la dissolution d’un parti politique, mais que « dans le cas d’une association, dont les possibilités d’exercer une influence au plan national sont plus réduites, il est légitime que la justification de restrictions préventives soit moins forte que lorsqu’il s’agit d’un parti politique », expliquant qu’« [é]tant donné qu’un parti politique et une association non politique n’ont pas la même importance pour une démocratie, seul le premier mérite que l’on procède à l’examen le plus rigoureux de la nécessité d’une restriction au droit d’association ». Elle a précisé que « cette distinction doit être exercée avec suffisamment de souplesse ».

b) Application de ces principes en l’espèce

17. La Cour constate tout d’abord que les juridictions internes ont prononcé la dissolution del’association requérante et mis fin à l’existence même de cette association, l’empêchant d’exercer toute activité associative. Contrairement au Gouvernement, elle considère que cette mesure s’analyse en une ingérence dans l’exercice par l’intéressée de son droit à la liberté d’association, tel que garanti par l’article 11 de la Convention.

18. Elle constate ensuite que cette ingérence était « prévue par la loi », à savoir l’article 89 du code civil, ce que l’association requérante ne conteste pas.

19. Les parties ne contestent pas non plus que l’ingérence tendait à la défense de l’ordre et à la prévention du crime. La Cour n’aperçoit pas de raison d’adopter un point de vue différent.

20. Il reste donc à déterminer si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », ce qui requiert de vérifier si elle était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les juridictions internes pour la justifier étaient pertinents et suffisants.

21. La Cour rappelle d’emblée que la dissolution pure et simple d’une association constitue une mesure extrêmement sévère (Tunceli KültürveDayanışmaDerneği c. Turquie, no 61353/00, § 32, 10 octobre 2006, Association Rhino et autres c. Suisse, no 48848/07, § 62, 11 octobre 2011, Vona, précité, § 58, Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France, nos 4696/11 et 4703/11, § 80, 27 octobre 2016, et Adana TAYAD c. Turquie, précité, § 35).

22. Elle observe ensuite qu’en l’espèce l’action en dissolution de l’association a été engagée à l’initiative duparquet de Diyarbakır sur la base d’un acte d’accusation établi par le parquet d’Adana : constatant que, selon cet acte d’accusation, certains membres de l’association, dont plusieurs de ses dirigeants, s’étaient livrés à des activités illégales, le parquet de Diyarbakır concluait que le but de l’association était devenu illégal.

La Cour observe aussi et surtout que le tribunal a prononcé la dissolution de l’association en se basant uniquement sur les informations contenues dans le dossier, alors que les procédures pénales sur lesquelles il s’appuyait étaient encore pendantes en première instance.

23. La Cour reconnaît que les accusations portées par le procureur d’Adana contre plusieurs membres et dirigeants de l’association requérante étaient de nature sérieuse. Toutefois, au moment où le tribunal de grande instance de Diyarbakır a prononcé la dissolution de l’association, il s’agissait encore de simples accusations, pour lesquelles les défendeurs avaient droit à la présomption d’innocence. En principe, pareille situation ne devrait pas empêcher les autorités de chercher à prouver, tout en respectant les normes pertinentes de la procédure civile et en offrant les garanties d’une procédure régulière, qu’une association s’est livrée à des activités prétendument illégales.

24. La Cour constate par ailleurs que la dissolution pure et simple d’une association, qui constitue une ingérence grave entraînant des conséquences importantes pour ses membres, ne peut être tolérée que dans des circonstances très sérieuses (voir, mutatis mutandis, Association Rhino et autres, § 62, avec référence citée, et Adana TAYAD, précité, § 35), et qu’en conséquence l’article 11 impose à l’État une charge élevée de justification pour une telle mesure. La Cour devra donc examiner si cette mesure était en l’espèce exceptionnellement justifiée.

25. En l’espèce, la Cour n’aperçoit pas d’élément convaincant de nature à justifier la dissolution de l’association dans la mesure où le tribunal n’a aucunement vérifié si les faits reprochés aux intéressés étaient établis ni si les conditions exigées par la loi pour la dissolution étaient réunies. Le tribunal ne s’est pas non plus posé la question de savoir si et dans quelle mesure des actes qui auraient été commis par les membres de l’association ou par ses dirigeants pouvaient engager la responsabilité de l’association elle-même.Force est donc de constater que la portée du contrôle qu’il a opéré a été très limitée.

26. En tout état de cause, la Cour constate que le tribunal ne s’est pas appuyé sur des motifs admissibles et convaincants pour justifier la dissolution, ce qui peut avoir un effet dissuasif sur l’association requérante, sur ses membres ainsi que, dans un cadre plus général, sur les organisations œuvrant pour la promotion des droits de l’homme (voir, Adana TAYAD c. Turquie, précité, § 36).

27. Enfin, les juridictions internes n’ont pas envisagé d’autres mesures moins rigoureuses, par exemple une amende ou la suspension des activités de l’association pour une durée limitée, et le Gouvernement n’a pas suffisamment démontré que la dissolution de l’association, qui était une mesure attentatoire à la substance même de la liberté d’association, fût la seule option apte à réaliser les buts poursuivis par les autorités (voir, mutatis mutandis, Association Rhino et autres, précité, § 65, et Adana TAYAD c. Turquie, précité, § 36).

28. En somme, la Cour considère que, faute pour elles d’avoir établi l’existence de raisons impérieuses propres à justifier la mesure litigieuse, les autorités nationales ne se sont pas acquittées de leur charge élevée à cet égard.

29. Dès lors, il n’a pas été démontré que l’ingérence fût « nécessaire dans une société démocratique ».

30. Ces éléments suffisent pour conclure qu’il y a eu, dans les circonstances de l’espèce, violation de l’article 11 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

32. L’association requérante réclame 20 000 euros (EUR) pour chacun de ses dirigeants et 10 000 EUR pour chacun de ses membres au titre du préjudice matériel qu’elle estime qu’ils ont subi.

33. Le Gouvernement conteste cette prétention

34. La Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande présentée par l’association requérante à cet égard.

35. En ce qui concerne le dommage moral, l’association requérante réclame 30 000 EUR pour chacun de ses dirigeants et 15 000 EUR pour chacun de ses membres.

36. Le Gouvernement conteste cette prétention.

37. La Cour estime que le constat d’une violation fournit en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par l’association requérante.

B. Frais et dépens

38. L’association requérante ne formule aucune demande au titre des frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;

3. Dit que le constat d’une violation fournit en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par l’association requérante ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 février 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı                                    Aleš Pejchal
Greffier adjoint                                     Président

Dernière mise à jour le février 11, 2021 par loisdumonde

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