AFFAIRE FISENKO c. RUSSIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 28427/18

INTRODUCTION. La présente affaire concerne un abattage d’arbres fruitiers sur la parcelle de la requérante. Est en jeu l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE FISENKO c. RUSSIE
(Requête no 28427/18)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2021

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Fisenko c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

Georges Ravarani, président,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointede section,

Vu :

la requête (no 28427/18) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Varvara Grigoryevna Fisenko (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 5 juin 2018,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement ») le grief concernant le droit au respect des biens et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

la décision de traiter la requête en priorité en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 janvier 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne un abattage d’arbres fruitiers sur la parcelle de la requérante. Est en jeu l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

EN FAIT

2. La requérante est née en 1949 et réside à Kropotkine (région de Krasnodar). Elle a été représentée par Me D.I. Fridman, avocat à Krasnodar.

3. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. M. Galperine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

I. LA GENÈSE DE L’AFFAIRE

4. La requérante est propriétaire d’une parcelle de 25 ares destinée à l’agriculture vivrière (подсобное хозяйство) située dans le village Staromychatovski (région de Krasnodar). À l’époque des faits, la parcelle n’était pas clôturée et soixante-treize arbres fruitiers y poussaient. Selon la requérante, il s’agissait d’un verger.

5. Le 15 février 2016, quatre fonctionnaires de l’administration du village Staromychatovski et du service forestier régional se rendirent sur la parcelle, en l’absence de l’intéressée, et dressèrent un acte d’inspection indiquant qu’il avait été décidé de procéder à un « abattage d’assainissement » (санитарная выпиловка) de certains arbres sauvages, d’arbres considérés comme dangereux et de taillis. Cet acte ne fut pas porté à la connaissance de la requérante.

6. Par une lettre du même jour, l’administration du village pria la requérante de mettre la parcelle en conformité avec les exigences en matière d’hygiène (навести санитарный порядок) pour le 1er avril 2016 au plus tard, sous peine de se voir infliger une amende prévue par la loi régionale relative aux contraventions dans la région de Krasnodar (paragraphe 21 ci‑dessous). La requérante reçut cette lettre le 25 février 2016.

7. Le 3 mars 2016, l’administration du village, ayant pris note des requêtes de certains particuliers (dont le nom n’était pas précisé) relatives à la parcelle de la requérante, prit la décision d’inspecter ladite parcelle, de faire couper les arbres dangereux et morts et de faire enlever les déchets inflammables qui s’y trouvaient. Cette décision ne fut pas portée à la connaissance de la requérante.

8. Le même jour, l’administration du village émit un permis de couper (порубочный билет), valable pendant 30 jours, pour dix arbres dangereux (аварийные деревья, 10 шт.), non précisés, se trouvant sur la parcelle en question. La rubrique « documents justificatifs de l’abattage » du permis n’était pas remplie et le bénéficiaire du permis n’était pas non plus indiqué.

9. Le 3 avril 2016, la requérante se rendit sur sa parcelle et découvrit que tous les arbres avaient été coupés et enlevés, et que seuls les souches et les déchets étaient restés sur place.

10. À une date non précisée, la requérante porta plainte. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, la police locale interrogea Z., qui avait procédé à l’abattage, ainsi que K., le fonctionnaire qui avait signé le permis de couper. Ceux-ci indiquèrent que Z. avait eu besoin de bois de chauffage pour sa maison et que, à cet effet, K. l’avait autorisé à couper les arbres sur la parcelle en question. K. ajouta que l’administration du village n’avait pas pu trouver le propriétaire de la parcelle. En outre, la police obtint des informations auprès du service forestier régional, qui indiqua que la valeur des arbres coupés sur la parcelle litigieuse était de 1 511 361 roubles (RUB) (soit 20 923 euros (EUR) à l’époque des faits).

11. Les 26 mai et 11 août 2016, la police rendit deux décisions de refus d’ouvrir une enquête pénale concernant l’abattage des arbres. Elle estima en effet que cette mesure était justifiée par des raisons d’hygiène et de sécurité et qu’il s’agissait de relations civiles privées.

II. LE CONTENTIEUX CIVIL ENGAGÉ PAR LA REQUÉRANTE

12. À une date non précisée dans le dossier, la requérante saisit le tribunal du district Dinski (région de Krasnodar) contre l’administration du village et contre K. et Z. d’une demande en dommages-intérêts pour la destruction de ses arbres.

A. La première instance

13. Dans le cadre du procès, le tribunal du district Dinski désigna un expert en dendrologie pour déterminer quels arbres avaient poussé sur la parcelle de la requérante et quels étaient leur état et leur valeur.

14. Le 17 février 2017, l’expert rendit son rapport. Selon ce rapport, la parcelle avait contenu soixante-treize arbres fruitiers mais elle ne pouvait être qualifiée de verger car les arbres avaient poussé de façon chaotique et n’avaient pas été correctement entretenus, et certains étaient dans un état « insatisfaisant ». L’expert indiquait que le préjudice direct résultant de l’abattage de la totalité de ces arbres s’élevait à 461 084 RUB, une somme à laquelle il convenait d’ajouter 12 043 RUB pour la valeur des arbres en tant que combustible (soit 7 800 EUR au total à l’époque des faits).

15. Z. expliqua au tribunal qu’il avait procédé à l’abattage pendant les week-ends et les jours fériés des mois de février et de mars 2016, avec l’autorisation de K. Trois propriétaires de parcelles voisines déclarèrent devant le tribunal que la parcelle litigieuse avait l’air abandonnée et fournirent des photos à l’appui de leurs dires.

16. Par un jugement du 6 juin 2017, le tribunal fit partiellement droit à l’action de la requérante. Il considéra que soixante-treize arbres fruitiers avaient été illégalement abattus et utilisés comme bois de chauffage. À cet égard, il estima que les allégations selon lesquelles la parcelle était abandonnée étaient dénuées de pertinence. Il alloua à la requérante les sommes indiquées dans le rapport d’expertise du 17 février 2017 (paragraphe 14 ci-dessus) et condamna les défendeurs à les payer solidairement.

B. L’arrêt d’appel et le rejet des pourvois en cassation

17. Le 24 octobre 2017, la cour régionale de Krasnodar annula le jugement en appel et rejeta l’action de la requérante. Elle s’appuya sur l’acte d’inspection du 15 février 2016, sur la décision de l’administration du 3 mars 2016, sur la lettre du même jour adressée à la requérante ainsi que sur le rapport d’expertise (paragraphes 5-7 et 14 ci-dessus) pour conclure que la parcelle en cause n’était pas un verger mais une déchetterie sauvage et dangereuse et que la requérante ne s’était pas acquittée de son obligation de remettre celle-ci en conformité avec les règles d’hygiène et de sécurité dans le délai qui lui avait été imparti. Se référant aux mêmes documents, au permis de couper et aux articles 210 du code civil et 40 et 42 du code foncier (paragraphes 19-20 ci-dessous), la cour régionale estima que les agissements des défendeurs n’avaient rien d’illicite. Enfin, elle considéra que la requérante n’avait pas fourni suffisamment de preuves de violation de ses droits de propriétaire.

18. Le 26 janvier 2018, la cour régionale de Krasnodar, statuant en formation de juge unique, refusa de transmettre le pourvoi en cassation de la requérante pour examen au présidium de cette juridiction. Le 26 avril 2018, la Cour suprême, statuant en formation de juge unique, refusa de transmettre le pourvoi en cassation de la requérante pour examen à sa chambre civile.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

19. Selon l’article 209 § 3 du code civil, la jouissance des attributs du droit de propriété sur la terre et sur d’autres ressources naturelles ne doit pas nuire à l’environnement ni à l’autrui. Selon les articles 210 et 211 de ce code, le propriétaire d’un bien supporte les charges associées à l’entretien de son bien, ainsi que les risques liés à une destruction fortuite (случайная гибель) de celui-ci.

20. Selon l’article 40 § 2 du code foncier, le propriétaire du terrain bénéficie du droit de propriété sur les plantes y poussant. Selon l’article 42 de ce code, l’usage du terrain ne doit pas nuire à l’environnement ni à l’autrui et doit se faire conformément au type d’affectation du terrain. Les propriétaires et usagers des terrains doivent prendre des mesures pour protéger l’environnement, notamment des mesures anti-incendie.

21. Selon l’article 3.2. de la loi régionale de Krasnodar du 23 juillet 2003 no 608-KZ relative aux contraventions, une violation des règles d’aménagement établies par les autorités locales est passible d’une amende d’un montant maximum de 5 000 RUB.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 du Protocole no 1 à LA CONVENTION

22. La requérante se plaint de la destruction arbitraire de tous les arbres qui se trouvaient sur sa parcelle. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé en sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (…) »

A. Sur la recevabilité

23. Le Gouvernement soutient que Z. n’avait coupé que dix arbres morts et dangereux sur la parcelle de la requérante, conformément au permis de couper, donc que l’intéressée n’aurait pas subi de préjudice important. Il invoque en substance l’article 35 § 3 b) de la Convention. La requérante conteste cette thèse.

24. La Cour relève que, selon le rapport d’expert du 17 février 2017, accepté par les juridictions internes de tous les niveaux, soixante-treize arbres fruitiers non entretenus, ayant poussé sur la parcelle de façon chaotique, d’une valeur totale de 7 800 EUR (paragraphe 14 ci-dessus), ont été abattus. Elle n’a aucune raison de s’écarter des conclusions de ce rapport. Par ailleurs, selon le service forestier, la valeur des arbres abattus s’élevait à plus de 20 000 EUR (paragraphe 10 ci-dessus). Enfin, ni Z., ni K. n’avaient nié qu’il s’agissait d’un abattage de la totalité des arbres sur la parcelle. Dans ces circonstances, la Cour ne peut que rejeter l’exception du Gouvernement tirée d’une absence de préjudice important.

25. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

26. La requérante soutient que sa parcelle était un verger. Elle argue que la seule et unique fois qu’elle a été informée de la nécessité de mettre sa parcelle en conformité avec les règles d’hygiène était par la lettre du 15 février 2016 (paragraphe 6 ci-dessus) qui l’informait du délai fixé au 1er avril 2016, délai que les autorités locales n’auraient pas respecté. Elle ajoute qu’un nettoyage de la parcelle n’impliquait pas la destruction de la totalité des arbres, surtout en période hivernale, lorsque ceux-ci auraient été difficilement inflammables. La requérante allègue aussi que les autorités n’ont pas respecté les modalités légales dans son affaire.

27. Le Gouvernement souligne d’emblée l’importance de la terre comme une composante de l’environnement, avant sa fonction économique. En se référant aux articles 209-211 du code civil, à l’article 42 du code foncier et aux conclusions de la cour régionale de Krasnodar (paragraphes 19, 20 et17 ci-dessus), il affirme que l’abattage des arbres a été licite et imputable exclusivement à la requérante, qui aurait abusé de ses droits de propriétaire. À cet égard, le Gouvernement soutient que, pendant plusieurs années, celle‑ci a été négligente et n’a pas entretenu sa parcelle, ce qui a selon lui causé un dommage à l’environnement et a créé un risque d’incendie.

28. Il conclut que la mesure d’ingérence dans le droit de propriété de la requérante poursuivait le but légitime de protéger l’environnement et d’assurer la sécurité des habitants de Staromychatovski et qu’elle a été proportionnée à ce but.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’un « bien » et d’une ingérence, et sur la règle applicable

29. Il n’est pas contesté entre les parties que les soixante-treize arbres situés sur la parcelle de la requérante étaient ses « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. La Cour a déjà constaté que ces arbres ont été non-entretenus et abattus en totalité (paragraphe 24 ci‑dessus).

30. Il n’est pas contesté par ailleurs que les mesures dénoncées par l’intéressée – l’abattage et la combustion de ces arbres – constituent une ingérence des autorités dans le droit de celle-ci au respect de ses biens, même si c’était finalement une personne privée, Z., qui avait pris le bois de ces arbres pour chauffer sa maison. La Cour estime que l’ingérence a résulté en une perte définitive des arbres de la requérante, ce qui s’analyse en une « privation des biens » au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

31. Elle doit rechercher à présent si l’ingérence se justifie sous l’angle de cette disposition. Pour être compatible avec celle-ci, la mesure doit remplir trois conditions : elle doit être effectuée « dans les conditions prévues par la loi », « pour cause d’utilité publique » et dans le respect d’un juste équilibre entre les droits du propriétaire et les intérêts de la communauté.

b) Sur le respect de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

32. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est une notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 94-95, 25 octobre 2012). Il en découle que la nécessité d’examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n’était pas arbitraire » (Guiso-Gallisay c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les références qui y sont citées). La condition de la « légalité » implique que la mesure soit conforme aux dispositions du droit interne et ne soit pas arbitraire (East West Alliance Limited c. Ukraine, no 19336/04, § 167, 23 janvier 2014, avec les références citées).

33. En l’espèce, la Cour observe que, en février 2016, les autorités locales ont prié la requérante de mettre sa parcelle en conformité avec les règles d’hygiène avant le 1er avril 2016. Parallèlement, les autorités ont décidé de procéder à un « abattage d’assainissement » de certains arbres qu’elles ont considéré comme dangereux sur cette même parcelle, sans en informer l’intéressée. Puis, bien avant la date butoir, Z. a abattu la totalité des arbres présents sur la parcelle de la requérante.

34. Le Gouvernement soutient en substance que ces mesures étaient légales car, selon lui, elles étaient fondées sur les dispositions des codes civil et foncier et elles poursuivaient les buts légitimes de protéger l’environnement et d’assurer la sécurité des habitants. La Cour constate cependant qu’au niveau répressif, ces dispositions ne prévoient pas de sanction d’abattage d’arbres ou de combustion de ceux-ci. De même, la loi régionale relative aux contraventions ne prévoit qu’une amende comme sanction (paragraphe 21 ci-dessus). Plus généralement, le Gouvernement n’a pas invoqué de disposition du droit russe qui permettrait une telle sanction et la Cour n’en décèle aucune non plus.

35. Certes, la Cour n’exclut pas qu’un abattage d’arbres représentant une menace directe et immédiate pour la vie et la santé des habitants aurait pu être une mesure nécessaire et conforme à la législation interne. Or il n’a pas été démontré que tel était le cas dans la présente affaire.

36. En effet, la Cour constate que, indépendamment de l’état de la parcelle, qualifié de « dangereux » par la cour régionale, les autorités locales n’ont jamais prévenu la requérante d’un possible abattage de l’intégralité des arbres qui s’y trouvaient. Elles ont en revanche laissé à l’intéressée plus d’un mois pour nettoyer la parcelle, sous peine d’amende. La Cour en déduit donc que les autorités locales estimaient que la coupe de tous les arbres n’était pas urgente. D’autre part, elle note qu’il n’a jamais été allégué que tous les arbres sur la parcelle étaient dans un état rendant nécessaire leur abattage avant le mois d’avril, d’autant plus que le permis de couper, quelle qu’en fût la valeur juridique, n’avait été délivré que pour dix arbres. Enfin, la Cour ne peut pas s’empêcher de relever qu’il n’a jamais été expliqué ni par les juridictions internes ni par le Gouvernement comment et dans quelle mesure l’abattage de ces arbres, tout en laissant le taillis et les déchets sur la parcelle, a pu permettre de protéger l’environnement et les habitants du village.

37. La Cour conclut que l’abattage de la totalité des arbres, dont seuls certains étaient morts ou mal entretenus, sans avoir respecté le délai donné à la requérante pour nettoyer la parcelle, et la combustion consécutive de ces arbres par un particulier, n’étaient fondés sur aucune disposition interne, étaient totalement imprévisibles pour l’intéressée et incompatibles avec le principe de la prééminence du droit (voir aussi, mutatis mutandis, Lelas c. Croatie, no 55555/08, §§ 76-78, 20 mai 2010 et les références qui y sont citées, East West Alliance Limited, précité, § 215, et Barkanov c. Russie, no 45825/11, §§ 60-65, 16 octobre 2018).

38. Dans ces circonstances, la Cour estime que l’ingérence a été arbitraire et donc « illégale » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Partant, il y a eu violation de cet article.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

39. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

40. La requérante n’a pas présenté de demande pour dommage matériel. En revanche, elle sollicite 10 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi. Le Gouvernement considère que ce montant est excessif et que, dans tous les cas, les droits conventionnels de la requérante n’ont pas été violés, de sorte que rien ne doit lui être alloué.

41. La Cour ne doute pas que l’intéressée a connu une détresse, une frustration et un sentiment d’injustice de sorte que l’octroi d’une somme adéquate est justifié. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide d’allouer 6 500 EUR à la requérante pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

42. La requérante réclame : 95 000 RUB pour les honoraires de l’avocat l’ayant représentée devant la Cour ; 7 049 RUB pour les frais d’essence qu’elle aurait engagés pour se rendre aux quatre rendez-vous avec son avocat ; 32 908 RUB pour les frais d’envoi par le service DHL de cinq courriers à la Cour (dont les courriers relatifs à une autre requête, les courriers contenant des observations prématurées et des observations non sollicitées). La requérante fournit des documents justificatifs à l’appui de cette demande.

43. Le Gouvernement considère que ces demandes sont excessives et déraisonnables, et plus particulièrement que les frais d’essence n’ont aucun lien avec l’examen de la présente requête.

44. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Répondent au critère de nécessité les frais qui ont été effectivement engagés dans la procédure interne pour prévenir ou faire corriger une violation de la Convention (Associated Society of Locomotive Engineers et Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, no 11002/05, § 58, 27 février 2007, avec les références y citées).

45. En l’espèce, en ce qui concerne les honoraires d’avocat, la Cour estime qu’ils satisfont à tous les critères susmentionnés, et elle alloue à la requérante le montant demandé, soit 1 350 EUR à la date des observations de l’intéressée. En ce qui concerne les autres frais, la Cour estime qu’ils sont pour la plupart non nécessaires et qu’ils ne se rapportent pas à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention constatée dans la présente affaire. Elle juge raisonnable d’allouer à la requérante un montant forfaitaire de 50 EUR pour ces autres frais. Le montant total accordé à titre de frais et dépens est donc de 1 400 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

46. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 400 EUR (mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 février 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga Chernishova                                    Georges Ravarani
Greffière adjointe                                         Président

Dernière mise à jour le février 11, 2021 par loisdumonde

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