Gheorghe-Florin Popescu c. Roumanie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 247
Janvier 2021

Gheorghe-Florin Popescu c. Roumanie79671/13

Arrêt 12.1.2021 [Section IV]

Article 10
Article 10-1
Liberté d’expression

Condamnation civile d’un journaliste blogueur pour diffamation d’un confrère, sans motifs pertinents et suffisants : violation

En fait – Journaliste de profession, le requérant fut condamné à verser environ 1 100 EUR à titre de réparation du préjudice moral causé à L.B., rédacteur en chef d’un journal et réalisateur d’émissions pour une chaîne de télévision locale, par plusieurs articles qu’il avait publiés sur son blog.

Dans leurs motifs, les tribunaux retinrent que le requérant avait accusé L.B. d’être moralement responsable d’un meurtre-suicide sans avancer aucune preuve, se bornant à affirmer à l’appui de ses accusations que L.B. avait refusé de couvrir, dans son journal, l’événement en question. Et qu’il avait utilisé des expressions vulgaires et diffamatoires.

En droit – Article 10 : Les tribunaux nationaux ont centré leur analyse principalement sur les conséquences négatives que les propos litigieux avaient eues sur l’honneur, la réputation et la dignité de L.B., ainsi que sur le fait que le requérant ne soit pas parvenu à prouver ses allégations. La Cour note cependant que les tribunaux ont omis :

i.  de distinguer entre les affirmations de fait et les jugements de valeur ;

ii.  d’analyser certains éléments essentiels, à savoir que le requérant était journaliste et que la liberté de la presse joue un rôle fondamental dans le bon fonctionnement d’une société démocratique ;

iii.  de constater que le litige portait sur un conflit entre le droit à la liberté d’expression et le droit à la protection de la réputation, appelant mise en balance ;

iv.  de rechercher si les propos du requérant relevaient d’un domaine d’intérêt public et contribuaient à un débat d’intérêt général ;

v.  de tenir compte de la notoriété et du comportement antérieur du plaignant : il n’a pas été établi avec exactitude si L.B. était une « figure publique » agissant dans un contexte public, au sens de la jurisprudence de la Cour, du fait d’un éventuel engagement politique ou de son travail en tant que rédacteur en chef et réalisateur d’émissions de télévision dans un groupe de médias ;

vi.  en ce qui concerne le contenu des articles litigieux, de chercher à savoir quel était leur objet : le raisonnement des tribunaux témoigne d’une acceptation tacite du fait que le respect du droit à la vie privée prévalait en l’espèce sur le respect du droit à la liberté d’expression ;

vii.  en ce qui concerne le style des articles litigieux, de rechercher avec une attention particulière – puisque le caractère satirique des articles constituait l’argument principal de la défense du requérant – s’il s’agissait ou non d’une forme d’exagération ou de déformation de la réalité visant naturellement à provoquer, à agiter et qu’il n’y avait pas lieu de prendre au sérieux ;

viii.  d’analyser l’ampleur de la diffusion des articles litigieux, leur accessibilité, ou encore la question de savoir si le requérant bénéficiait, en tant que blogueur ou utilisateur de médias sociaux, d’une certaine popularité, de nature à augmenter l’impact de ses propos.

En ce qui concerne la lourdeur de l’indemnité à payer, le requérant indique que son montant était sept fois supérieur au salaire minimum mensuel en Roumanie, sans toutefois indiquer quelle était sa situation financière à l’époque des faits, ni s’il a eu des difficultés à payer ce montant. Les tribunaux se sont bornés à énumérer certains critères devant être appliqués aux fins de l’établissement de la sanction, sans toutefois les appliquer, ni tenir compte des conséquences de cette sanction sur la situation économique du requérant. Dans ces conditions, et en l’absence d’informations quant à l’exécution de la décision interne, la Cour ne saurait spéculer sur l’impact de la sanction sur la situation du requérant.

En toute hypothèse, eu égard à ce qui précède – et notamment au fait que les tribunaux internes n’ont pas dûment mis en balance les intérêts en jeu conformément aux critères établis dans sa jurisprudence –, la Cour considère que l’ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression n’a pas été justifiée par des motifs pertinents et suffisants.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : constat de violation suffisant pour le préjudice moral.

Dernière mise à jour le janvier 12, 2021 par loisdumonde

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