AFFAIRE ANT c. TURQUIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 37873/08

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ANT c. TURQUIE
(Requête no 37873/08)
ARRÊT
STRASBOURG
12 janvier 2021

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ant c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Valeriu Griţco, président,
Branko Lubarda,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjointde section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37873/08) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Seyfettin Ant (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 juillet 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me S.A. Koç, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 8 avril 2014, la Cour a déclaré irrecevable le grief tiré, sur le terrain de l’article 6 de la Convention, de la durée de la procédure (Haçikoğlu et autres c. Turquie (déc.), no 21786/04, 8 avril 2014).

4. Le 13 décembre 2018, le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1971 et réside à Istanbul.

6. Le 20 mai 1995, à la suite d’une explosion d’origine criminelle dans un bureau de poste de Batman, le requérant perdit l’usage de son œil droit et de sa jambe gauche.

7. Le 15 avril 1996, il demanda à l’administration une indemnité pour le préjudice qu’il avait subi.

8. Le 17 juin 1996, n’ayant reçu aucune réponse favorable, il saisit le tribunal administratif de Diyarbakır d’une action en indemnisation.

9. À l’issue de la procédure, par un jugement du 15 avril 2008 notifié au requérant le 14 mai 2008, le tribunal condamna l’administration à payer à ce dernier, outre une indemnité pour dommage matériel, 500 livres turques (TRY) pour dommage moral. Cette somme fut majorée d’intérêts moratoires au taux légal calculés à compter du 15 avril 1996.

10. Le 4 juin 2008, l’administration paya au requérant la somme correspondant au dommage matériel ainsi que la somme de 2 796 TRY pour dommage moral.

11. Le 14 juillet 2014, le requérant saisit la commission d’indemnisation en vue d’obtenir la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi pour non-respect par les tribunaux internes de l’exigence de délai raisonnable.

12. Le 3 avril 2015, la commission d’indemnisation lui accorda 9 900 TRY à ce titre.

13. Le requérant ne fit pas opposition à cette décision devant le tribunal régional.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

14. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans l’arrêt Okçu c. Turquie (no 39515/03, §§ 19-32, 21 juillet 2009).

15. En ce qui concerne les données économiques, les effets de l’inflation en Turquie peuvent se mesurer à l’aune de l’indice des prix de détail publié par l’Institut des statistiques de l’État. Selon la calculatrice d’inflation de la Banque centrale de la République de Turquie (http://www.tcmb.gov.tr/), constituée à partir de l’indice des prix de détail publié par l’Institut des statistiques de l’État (http://www.tuik.gov.tr/), les données économiques pertinentes pour la présente affaire se présentent comme suit : si l’on retient un indice 100 pour évaluer l’inflation au mois d’avril 1996 (date à laquelle les intérêts moratoires au taux légal ont commencé à courir), cet indice atteint 4 291 au mois de juin 2008 (date à laquelle l’administration a exécuté la décision de justice et a payé au requérant ses indemnités).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No1 À LA CONVENTION

16. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d’une dépréciation considérable de la valeur de l’indemnité qui lui a été allouée pour préjudice moral au terme d’une longue procédure judiciaire qui avait duré plus de douze ans.

17. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur l’objet de la requête

18. Le Gouvernement observe d’emblée que la Cour lui a demandé de formuler des observations sur la question de savoir si les circonstances de la cause avaient emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1. Or, il fait valoir que le requérant ne formule aucun grief sur ce terrain dans le formulaire de requête du 13 décembre 2008.

19. Le requérant conteste cette thèse.

20. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, il ressort du libellé de l’article 34 de la Convention qu’une « prétention » ou un grief sur le terrain de la Convention comporte deux éléments, à savoir des allégations factuelles et les arguments juridiques qui en sont tirés. Ces deux éléments sont imbriqués puisque les faits dénoncés doivent être interprétés à la lumière des arguments juridiques avancés, et vice versa (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 110, 20 mars 2018). L’objet d’une affaire devant la Cour demeure délimité par les faits tels qu’exposés par le requérant. Si la Cour venait à se prononcer sur la base de faits non visés par le grief, elle statuerait au-delà de l’objet de l’affaire et outrepasserait sa compétence en tranchant des questions qui ne lui auraient pas été « soumises », au sens de l’article 32 de la Convention. En pareil cas, il pourrait aussi se poser la question du respect du principe de l’égalité des armes. En revanche, la Cour ne statuerait pas hors de l’objet de l’affaire si, en application du principe jura novitcuria, elle venait à requalifier en droit les faits dénoncés en se prononçant sur la base d’un article ou d’une disposition de la Convention non invoqués par le requérant (ibidem, §§ 123‑124).

21. En l’espèce, la Cour observe que dans son formulaire de requête daté du 13 décembre 2008 le requérant soutient expressément que la durée déraisonnable de la procédure a emporté dépréciation de l’indemnité qui lui avait été allouée pour préjudice moral. Maîtresse de la qualification des faits (Radomilja et autres, précité,§ 126), elle a estimé qu’il convenait d’examiner le grief du requérant sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 et a invité les parties à présenter leurs observations sous l’angle de cette disposition.

22. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement relative à l’objet de l’affaire.

B. Sur la recevabilité

23. Le Gouvernement soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité.

24. Il plaide que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes dont il disposait. Renvoyant notamment à une décision adoptée par la Cour le 31 janvier 2006 (Kat İnşaatTicaretKollektifŞirketi c. Turquie (déc.), no 74495/01, 24 juillet 2007), il expose que l’intéressé avait la possibilité d’engager un recours fondé sur l’article 105 du code des obligations en vue d’obtenir réparation de tout préjudice qui n’aurait pas été compensé par les intérêts moratoires.

25. Il estime que le requérant aurait également dû faire opposition à la décision de la commission d’indemnisation devant le tribunal régional.

26. Il ajoute qu’en vertu de l’article 10 de la loi no 2577 sur la procédure administrative l’intéressé aurait aussi pu se plaindre de la dépréciation de l’indemnité par l’effet de l’inflation tout d’abord en saisissant l’administration concernée puis, en cas de réponse défavorable, en introduisant un recours devant les juridictions administratives.

27. En outre, selon lui, le requérant n’a pas la qualité de victime puisqu’il qui a touché l’ensemble des indemnités qu’il réclamait.

28. Le Gouvernement soutient enfin que l’intéressé n’avait aucune espérance légitime de toucher une indemnité plus importante puisque, selon lui, les juridictions nationales ne pouvaient pas statuer ultra petita.

29. La Cour rappelle que, dans l’affaire Okçu c. Turquie (no 39515/03, § 67, 21 juillet 2009), elle a déjà examiné le recours fondé sur l’article 105 du code des obligations et rejeté l’exception que le Gouvernement en avait tirée. Partant, pour les mêmes motifs, l’exception de non-épuisement présentée en l’espèce ne saurait non plus être retenue.

30. Sur l’absence d’opposition à la décision de la commission d’indemnisation devant le tribunal régional, la Cour observe que la demande formulée devant cette commission avait pour seul objet la réparation du préjudice que le requérant disait avoir subi à raison du non-respect par les tribunaux internes de l’exigence du délai raisonnable au sens de l’article 6 de la Convention. L’intéressé ayant obtenu gain de cause sur ce terrain, il n’avait pas à faire opposition, devant le tribunal régional, d’une décision qui lui était favorable.

31. En ce qui concerne la procédure prévue à l’article 10 de la loi no 2577 sur la procédure administrative, la Cour estime que le requérant, dont la demande en indemnisation assortie d’intérêts moratoires au taux légal avait déjà été accueillie par les juridictions nationales, n’avait pas à saisir de nouveau celles-ci pour dénoncer les effets de l’inflation, d’autant que le Gouvernement n’a fourni aucune décision de justice permettant d’établir qu’une telle voie de recours existait et qu’elle pouvait dans la pratique être efficace (voir également le paragraphe 42 ci-dessous).

32. Par conséquent, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes.

33. Pour ce qui est de la qualité de victime du requérant, elle rappelle que, dans de nombreuses affaires antérieures, elle s’est bornée à examiner sur le seul terrain de l’article 6 § 1 de la Convention les répercussions patrimoniales négatives qu’avait pu avoir la durée excessive d’une procédure, au motif que celles-ci ne pouvaient être prises en considération qu’au titre de la satisfaction équitable qu’un requérant pouvait, le cas échéant, obtenir à la suite du constat d’une telle violation (voir, entre autres, Michaïlidou et autres c. Grèce, no 21091/07, § 12, 12 mars 2009, Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 32, 26 octobre 1999, Dumas c. France (déc.), no 53425/99, 30 avril 2002, Capestrani c. Italie (déc.), no 46617/99, 27 janvier 2005, et Poulitsidi c. Grèce, no 35178/05, § 36, 11 octobre 2007). Toutefois, renvoyant à son arrêt Guillemin c. France (21 février 1997, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I), la Cour rappelle que « l’indemnisation du préjudice subi par l’intéressé ne peut constituer une réparation adéquate que lorsqu’elle prend aussi en considération le dommage tenant à la durée de la privation. Elle doit en outre avoir lieu dans un délai raisonnable » (voir, dans le même sens, Akkuş c. Turquie, 9 juillet 1997, § 29, Recueil 1997‑IV, et Baş c. Turquie, no 49548/99, § 60, 24 juin 2008). Ces considérations valent également, mutatis mutandis, pour la lenteur excessive d’une procédure, qui risque de diminuer de façon substantielle le caractère adéquat d’un dédommagement, notamment en raison de l’absence d’un remède suffisant pour effacer les conséquences d’une telle lenteur (Okçu, précité, § 49).

34. Par conséquent, eu égard aux circonstances de la présente espèce, notamment à la forte dépréciation du montant qui avait été réclamé à la date de l’introduction de l’instance (voir les données économiques au paragraphe 15 ci-dessus), la Cour estime que le requérant peut toujours se prétendre victime d’une violation de la Convention. C’est seulement en poursuivant l’examen de la requête sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention qu’elle pourra connaître de la substance de la thèse principale du requérant, selon laquelle il a subi une perte considérable à raison, d’une part, de la durée excessive de la procédure et, d’autre part, de l’insuffisance du taux des intérêts moratoires par rapport au taux d’inflation qu’a connu le pays pendant la période considérée.

35. Partant, cette exception ne saurait non plus être retenue en l’espèce. Il en est de même de l’exception tirée par le Gouvernement d’un défaut d’espérance légitime. Le requérant a obtenu gain de cause devant les tribunaux internes, qui lui ont octroyé l’intégralité de la somme qu’il avait demandée pour dommage moral, et il avait dès lors une espérance légitime de toucher la valeur réelle de sa créance. Ainsi, constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

C. Sur le fond

36. Le requérant se plaint de ne pas avoir touché la totalité de l’indemnité pour dommage moral à laquelle il considérait avoir droit dans le cadre du recours administratif qu’il avait entamé pour faire reconnaître la responsabilité de l’administration dans l’explosion ayant causé la perte de son œil droit et de sa jambe gauche. À cet égard, il soutient qu’en raison de l’inflation et de la longueur de la procédure devant les tribunaux administratifs la somme octroyée a perdu de sa valeur, lui causant ainsi un préjudice financier considérable.

37. Le Gouvernement invoque la jurisprudence pertinente de la Cour et notamment l’arrêt Okçu (précité). Il expose que les tribunaux ont reconnu la responsabilité de l’administration et qu’ils ont accordé des indemnités dont le montant était calculé sur la base des sommes réclamées par le requérant au moment de l’introduction de l’instance. Il estime que l’intéressé a été entièrement dédommagé par les sommes octroyées, d’une part, par les juridictions administratives pour le préjudice subi à raison de la perte de l’usage d’un œil et d’une jambe, et, d’autre part, par la commission d’indemnisation pour méconnaissance de l’exigence du délai raisonnable par les tribunaux internes.

38. Pour les principes généraux en la matière, la Cour renvoie à son arrêt Okçu (précité, §§ 48-61).

39. En l’espèce, elle observe que le requérant a été victime d’une explosion d’origine criminelle et que celle-ci lui a fait perdre l’usage de son œil droit et de sa jambe gauche (paragraphe 6 ci-dessus).

40. Elle relève que le 17 juin 1996 le requérant a engagé une action en réparation devant les tribunaux administratifs et qu’il a obtenu gain de cause. Les juridictions administratives ont fait droit à la demande de l’intéressé et lui ont accordé, outre une indemnité pour dommage matériel, 500 TRY pour dommage moral (paragraphe 9 ci-dessus). Ce montant, majoré d’intérêts moratoires, s’élevait à 2 796 TRY à la date de l’exécution du jugement (paragraphe 10 ci-dessus).

41. Dans la présente affaire est dénoncée l’insuffisance des intérêts moratoires légaux appelés à réparer la perte due à la dépréciation monétaire pendant la période de douze ans et deux mois qui s’est écoulée entre la saisine de l’administration par une demande préalable d’indemnisation (paragraphe 7 ci-dessus) et le paiement effectif des sommes fixées par le tribunal administratif (paragraphe 10 ci-dessus).

42. Sur ce point, la Cour rappelle que, à l’époque de la procédure examinée, le droit administratif turc ne prévoyait aucune réévaluation en cours d’instance des sommes initialement réclamées ni une action complémentaire en ce sens (Okçu, précité, §§ 27 à 31 et 64).

43. Elle note que la réparation devait englober le préjudice subi par le requérant et prévoir des intérêts moratoires à partir de la date de la saisine de l’administration d’une demande préalable d’indemnisation (Okçu, précité, § 55).

44. La Cour estime dès lors qu’en l’espèce le jugement du 15 avril 2008, qui est devenu définitif en l’absence de pourvoi en cassation des parties, a fait naître dans le chef du requérant une « créance » suffisamment établie pour être exigible. L’intéressé était donc titulaire d’un droit constitutif d’un « bien », au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. De fait, ce droit avait été reconnu avec effet rétroactif au 15 avril 1996, date de la saisine de l’administration par le requérant (paragraphe 7 ci-dessus).

45. La Cour constate ensuite que l’indemnité allouée à l’intéressé au terme de plus de douze ans de procédure a subi une forte dépréciation en raison de l’insuffisance du taux des intérêts moratoires par rapport au taux d’inflation (paragraphe 15 ci-dessus). Elle considère donc que l’impossibilité pour le requérant de disposer de la pleine valeur de sa créance constitue une atteinte à son droit au respect de ses biens, au sens de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.

46. À ce titre, elle note que, pendant la période considérée en l’espèce, l’inflation en Turquie a considérablement fluctué. Or le taux des intérêts moratoires appliqué aux créances était moins élevé que celui de l’inflation (voir pour les données économiques http://www.tcmb.gov.tr/ et http://www.tuik.gov.tr/). En effet, le requérant s’est vu verser 2 796 TRY alors que, le jour du paiement du montant de la réparation, la valeur réelle du montant accordé, régularisé en tenant compte de l’inflation, était de 21 455 TRY.

47. Le fait que la commission d’indemnisation a accordé au requérant 9 900 TRY à raison du non-respect par les tribunaux internes de l’exigence du délai raisonnable n’a pas constitué un remède suffisant pour effacer les conséquences de la perte subie pendant la période litigieuse.

48. Partant, la Cour estime que, pour les raisons susmentionnées, l’indemnité accordée au requérant ne correspond pas à la valeur réelle du préjudice qu’il a subi. L’écart observé entre la valeur de la créance de l’intéressé au moment de l’introduction de la procédure en réparation et sa valeur à la date de son règlement est imputable à la lenteur de la procédure, ainsi qu’à l’insuffisance du taux des intérêts moratoires.

49. Aussi la Cour considère-t-elle que le décalage entre la valeur de la créance du requérant née consécutivement à la survenance de l’incident et la valeur de celle-ci à la date de son règlement effectif – décalage attribuable aux seuls manquements des autorités – a fait subir à l’intéressé un préjudice certain et distinct.

50. C’est cette perte pécuniaire, à laquelle s’ajoute l’inexistence d’un recours interne effectif susceptible de remédier à la situation litigieuse à l’époque des faits (Okçu, précité, § 69), qui amène la Cour à considérer que le requérant a eu à supporter une charge exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, la sauvegarde du droit de propriété et, d’autre part, les exigences de l’intérêt général.

51. À cet égard, la Cour se doit de rappeler que, lorsque les juridictions administratives tardent à statuer sur un recours portant sur une demande en réparation du dommage subi, c’est le justiciable qui est lésé par ce retard et non l’État, lequel en tire profit puisqu’il sera appelé à verser une somme moins élevée (voir, mutatis mutandis, Reveliotis c. Grèce, no 48775/06, § 33, 4 décembre 2008, et Zeki Kaya c. Turquie, no 22388/07, § 68, 12 février 2019).

52. En conséquence, la Cour conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53. Le requérant dit avoir subi un préjudice patrimonial, mais il n’en chiffre pas le montant.

54. Le Gouvernement prie la Cour de rejeter cette demande. Il ajoute que le 8 mars 2019 l’ordonnance présidentielle no 809 est entrée en vigueur. Il dit que cette ordonnance élargit la compétence de la commission d’indemnisation créée en janvier 2013 et énonce les principes et la procédure à suivre relativement à l’indemnisation dans les affaires où la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 mais ne s’est pas prononcée sur les sommes réclamées au titre de l’article 41 de la Convention ou a décidé de réserver la question de l’application de cet article.

55. En ce qui concerne le préjudice matériel, la Cour rappelle qu’elle a déjà estimé dans l’affaire Kaynar et autres c. Turquie (nos 21104/06 et 2 autres, §§ 23-24, 7 mai 2019) qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt était susceptible de donner lieu à une indemnisation par l’administration et que ce recours représentait un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Estimant que le droit national permettait dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée, elle a considéré dans cette affaire qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la demande pour préjudice matériel présentée par les requérants. Elle a décidé, en conséquence, de rayer du rôle le volet de la requête relatif à l’application de l’article 41 de la Convention pour le préjudice matériel allégué.

56. La Cour ne voit aucune raison de conclure autrement en l’espèce. En conséquence, elle décide de rayer du rôle le volet de la requête relatif à l’application de l’article 41 de la Convention pour le préjudice matériel allégué.

57. Par ailleurs, elle considère que le constat de violation suffit à réparer tout préjudice moral que le requérant a pu subir.

58. En outre, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la question des frais et dépens, aucune demande n’ayant été formulée à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Décide de rayer du rôle le volet de la requête relatif à l’application de l’article 41 de la Convention pour le préjudice matériel allégué ;

4. Dit que le constat de violation suffit à réparer tout préjudice moral que le requérant a pu subir ;

5. Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la question des frais et dépens.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 janvier 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı                                      Valeriu Griţco
Greffier adjoint                                         Président

Dernière mise à jour le janvier 12, 2021 par loisdumonde

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