M.M. c. Suisse (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 246
Décembre 2020

M.M. c. Suisse59006/18

Arrêt 8.12.2020 [Section III]

Article 8
Expulsion
Article 8-1
Respect de la vie privée

Raisons solides justifiant l’expulsion pour cinq ans, d’un adulte étranger né en Suisse, suite à sa condamnation pénale, en application d’une loi prévoyant l’expulsion obligatoire : non-violation

En fait – Le requérant, ressortissant espagnol né en 1980 en Suisse, a été expulsé du territoire suisse vers l’Espagne pour une durée de cinq ans, durée minimale prévue par le code pénal, à la suite de sa condamnation à une peine privative de liberté de douze mois assortie d’un sursis pour avoir commis des actes à caractère sexuel sur une mineure et consommé des stupéfiants.

En droit – Article 8 :

L’expulsion du requérant, adulte de quarante ans et sans enfants, se prévalant de son intégration dans le pays hôte, est une ingérence dans son droit au respect de la vie privée. Elle était prévue par la loi et visait « la défense de l’ordre » et la « prévention des infractions pénales ».

À titre liminaire, dans le domaine des expulsions d’étrangers criminels, l’article 66a du code pénal, concrétisation du résultat d’une votation populaire, n’introduit pas, malgré son intitulé « expulsion obligatoire », un automatisme d’expulsion des étrangers criminels condamnés pour des infractions sans contrôle judiciaire de la proportionnalité de la mesure. Cela serait incompatible avec l’article 8 de la Convention. L’interprétation donnée par le Tribunal fédéral à la clause de rigueur permet a priori une application conforme à la Convention. Et en vertu de la clause de rigueur, le juge doit tenir compte, en procédant à la pesée des intérêts, de « la situation particulière de l’étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse ». Il s’ensuit qu’en la matière l’analyse doit se faire au cas par cas selon les critères établis par la Cour.

Le requérant, né en 1980 et ayant commis ses infractions en 2017, n’était donc pas adolescent.

La peine prononcée (douze mois avec un sursis de trois ans) est relativement légère. Elle est cependant plus élevée, par exemple, que celle (cinq mois et demi au total, assortie d’un sursis) qui avait été prononcée dans l’affaire Shala c. Suisse, 52873/09, 15 novembre 2012. Dans cette affaire, la Cour avait estimé que, malgré la relative faiblesse de la peine prononcée, l’expulsion du territoire suisse pour une durée de dix ans n’avait pas emporté violation de l’article 8. En l’espèce est en jeu l’expulsion du requérant du territoire suisse pour une durée de cinq ans seulement, qui représente la sanction minimale prévue par l’article 66a du code pénal.

Le requérant a passé l’intégralité de sa vie en Suisse. La Cour doit donc s’assurer que les tribunaux internes ont avancé des raisons très solides pour justifier l’expulsion.

Le Tribunal fédéral a pris en considération le fait que les infractions en question étaient graves, que le requérant avait porté atteinte à un bien juridique particulièrement important, à savoir l’intégrité sexuelle d’une mineure, et qu’il s’était ainsi attaqué de manière très grave à la sécurité et à l’ordre public. Le requérant avait manifesté un mépris certain pour l’ordre juridique suisse, ayant été par le passé condamné à trois reprises. Les juges fédéraux ont également évalué le risque de récidive en tenant compte de l’intérêt du requérant pour les filles prépubères, qui ressortait notamment des nombreuses photographies de jeunes filles âgées de dix à douze ans trouvées sur son téléphone, ainsi que des recherches à caractère pédophile effectuées avec cet appareil.

En outre, le tribunal de police a retenu contre le requérant un degré élevé de culpabilité et il a renoncé à diminuer la responsabilité pénale de celui-ci à raison de sa consommation d’alcool et de stupéfiants le jour des faits. L’intéressé n’est pas parvenu à expliquer les faits commis à l’égard de l’enfant autrement que par sa consommation de stupéfiants et d’alcool. De même, il ne semblait pas avoir une réelle volonté d’identifier les mécanismes qui l’avaient conduit à agir de la sorte et ne semblait avoir mis aucune stratégie en place pour gérer les situations à risque.

Le requérant s’est rendu coupable à deux reprises d’actes à caractère sexuel au préjudice d’une mineure. Partant, on ne saurait parler d’un « acte isolé ». Il est vrai que ses autres antécédents judiciaires n’ont aucun rapport avec la pédophilie et ne constituent pas des infractions graves. Mais ils révélaient un certain mépris de l’ordre juridique suisse.

En ce qui concerne le laps de temps écoulé depuis l’infraction et la conduite du requérant pendant cette période, le requérant se conduisait plutôt bien depuis la commission des infractions. Il respectait les entretiens fixés, il s’investissait dans son activité occupationnelle, il se présentait régulièrement au centre de prévention et il semblait bénéficier d’un cadre adéquat qui lui permettait d’évoluer positivement, même s’il devait encore consentir des efforts.

Quant à la situation familiale du requérant, il est majeur, célibataire, n’a pas d’enfants et vit seul. Son père est décédé. Sa mère vit en Suisse, mais il n’a pas de relations avec elle ni avec d’autres membres de sa famille. De même, le requérant ne pouvait se prévaloir de liens sociaux, culturels, familiaux ou professionnels particuliers. Ses perspectives de réinsertion sociale semblaient plutôt sombres dès lors que l’intéressé, alors âgé de trente-huit ans, n’avait jamais exercé d’activité professionnelle et ne disposait d’aucune formation. L’activité occupationnelle ou le suivi entrepris auprès du centre de prévention ne pouvaient passer pour dénoter une quelconque volonté d’intégration en Suisse.

Pour ce qui est de la solidité des liens du requérant avec l’Espagne, l’intéressé avait une certaine connaissance de la langue espagnole et il avait dans ce pays de la famille éloignée.

En ce qui concerne enfin les circonstances particulières de l’affaire, le requérant n’a jamais évoqué devant les juridictions internes des éléments d’ordre médical qui auraient pu faire obstacle à son éloignement du territoire suisse.

En résumé, les juridictions cantonales et le Tribunal fédéral ont effectué un examen sérieux de la situation personnelle du requérant et des différents intérêts en jeu. Elles disposaient donc d’arguments très solides pour justifier l’expulsion du requérant du territoire Suisse pour une durée limitée. Par conséquent, l’ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi et ainsi nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 8 § 2.

Conclusion : non-violation (unanimité).

(Voir aussi Üner c. Pays-Bas [GC], 46410/99, 18 octobre 2006, Note d’information 90 ; Maslov c. Autriche [GC], 1638/03, 23 juin 2008, Note d’information 109)

Dernière mise à jour le décembre 8, 2020 par loisdumonde

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