AFFAIRE PINTUS c. ITALIE – La présente affaire concerne le maintien du requérant pendant environ huit mois sous le régime de détention ordinaire malgré l’incompatibilité de ses conditions de santé mentale avec ledit régime

Cour européenne des droits de l’homme (Requête no 35943/18)

Le requérant fait valoir que tous les psychiatres qui l’ont examiné ont attesté que son état de santé était incompatible avec la détention ordinaire en prison et qu’une prise en charge dans un centre psychiatrique était nécessaire. En accord avec ces conclusions, le 19 janvier 2018 le JAP avait ordonné son hospitalisation mais l’administration pénitentiaire n’avait donnée aucune suite et ce n’est qu’après huit mois d’attente et des rappels répétés de la part de son conseil qu’il fut transféré dans une structure adaptée externe au pénitencier.

Le Gouvernement rétorque que le seuil de gravité requis n’a pas été atteint pour qu’il puisse être considéré que le requérant a subi un traitement contraire à l’article 3. Il souligne que bien qu’il n’eût pas été possible d’exécuter immédiatement l’ordonnance du JAP, en raison d’un manque de places disponibles, l’administration pénitentiaire avait veillé à ce que le requérant reçût le même traitement dont il aurait bénéficié s’il avait été placé dans une ATSM. Se référant aux rapports médicaux du service psychiatrique de Rebibbia, datés des 15 et 21 décembre 2017, du 19 avril et du 18 mai 2018, il rappelle que le requérant a fait l’objet d’un suivi médical constant et d’un projet thérapeutique individualisé comprenant des visites régulières de la part de psychologues et psychiatres, la prescription de médicaments et des activités en groupe. Le Gouvernement souligne que le suivi des conditions de santé, ainsi que les traitements psychologiques et psychiatriques dont bénéficient les personnes détenues sont assurés par le Service National de Santé conjointement avec les Régions et l’administration pénitentiaire, et ont un niveau comparable à ceux dispensés à l’extérieur. Enfin, dans l’évaluation de la situation du requérant, les autorités saisies ont également tenu compte de la proximité de la prison de Rebibbia avec le domicile familial, ce qui avait permis au requérant de profiter des visites hebdomadaires de sa mère et sa sœur. Selon le Gouvernement, il n’y a, donc, pas eu violation de l’article 3.

La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative : elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime.

Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique.

Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. Cela étant, l’article 3 impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du détenu sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis. Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peuvent engager la responsabilité de l’État au regard de l’article 3.

Pour déterminer si la détention d’une personne malade est conforme à l’article 3 de la Convention, la Cour prend en considération la santé de l’intéressé et l’effet des modalités d’exécution de sa détention sur son évolution. Elle a dit que les conditions de détention ne doivent en aucun cas soumettre la personne privée de liberté à des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement sa résistance physique et morale. Elle a reconnu à ce sujet que les détenus atteints de troubles mentaux sont plus vulnérables que les détenus ordinaires, et que certaines exigences de la vie carcérale les exposent davantage à un danger pour leur santé, renforcent le risque qu’ils se sentent en situation d’infériorité, et sont forcément source de stress et d’angoisse. Une telle situation entraîne la nécessité d’une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention. L’appréciation de la situation des individus en cause doit tenir compte de leur vulnérabilité et, dans certains cas, de leur incapacité à se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, du traitement qui leur est réservé et de ses effets sur eux.

La Cour tient également compte du caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention. Cette question est la plus difficile à trancher. La Cour rappelle que le simple fait qu’un détenu ait été examiné par un médecin et qu’il se soit vu prescrire tel ou tel traitement ne saurait faire conclure automatiquement au caractère approprié des soins administrés. En outre, les autorités doivent s’assurer que les informations relatives à l’état de santé du détenu et aux soins reçus par lui en détention sont consignées de manière exhaustive, que le détenu bénéficie promptement d’un diagnostic précis et d’une prise en charge adaptée, et qu’il fasse l’objet, lorsque la maladie dont il est atteint l’exige, d’une surveillance régulière et systématique associée à une stratégie thérapeutique globale visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation plutôt qu’à traiter leurs symptômes. Par ailleurs, il incombe aux autorités de démontrer qu’elles ont créé les conditions nécessaires pour que le traitement prescrit soit effectivement suivi. La Cour en a conclu que l’absence d’une stratégie thérapeutique globale pour la prise en charge d’un détenu atteint de troubles mentaux peut s’analyser en un « abandon thérapeutique » contraire à l’article 3.

Dans l’hypothèse où la prise en charge ne serait pas possible sur le lieu de détention, il faut que le détenu puisse être hospitalisé ou transféré dans un service spécialisé.

La Cour rappelle que la décision de placer le requérant dans une annexe psychiatrique ou d’ordonner son hospitalisation auprès d’un centre thérapeutique externe au pénitencier relevait de la compétence du JAP. Il n’incombe pas à la Cour de décider si ce juge aurait dû prendre une autre décision, celui-ci étant mieux placé qu’elle pour juger du lieu et des conditions dans lesquelles la détention du requérant devait avoir lieu compte tenu de son état de santé mentale. En revanche, il appartient à la Cour de vérifier si la manière dont le requérant a été traité au cours de sa détention était compatible avec les exigences découlant de l’article 3 de la Convention. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le transférer dans un hôpital civil, l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté notamment par l’administration des soins médicaux requis.

S’agissant de la compatibilité de l’état de santé mentale du requérant avec son maintien en détention à la prison de Rebibbia, la Cour constate que selon les rapports des 15 et 21 décembre 2017, qui n’ont pas été contestés par le requérant, ce dernier avait renoncé à sa demande de transfert, exprimant son souhait de « se réinsérer dans le circuit de détention ordinaire ». La Cour note aussi que, s’il est vrai que le requérant ne fut pas transféré dans l’ATSM faute de places disponibles, il ressort des documents versés au dossier qu’il bénéficia d’un programme thérapeutique individualisé de prise en charge de sa pathologie, comprenant des visites régulières de la part de psychologues et psychiatres et la prescription de médicaments, et visant à porter remède à ses problèmes de santé, aussi bien qu’à en prévenir l’aggravation.

Les documents produits par le Gouvernement mettent également en évidence que, dès le 9 avril 2018, date du premier acte d’automutilation, le requérant fit l’objet d’une assistance et d’un soutien psychiatrique renforcés, ce qui démontre que le personnel pénitentiaire fut dûment réactif. Le dossier montre aussi les efforts continus déployés par les autorités pénitentiaires afin de trouver une structure d’accueil spécialisée. Au demeurant, la Cour souligne le caractère « pionnier » de l’ordonnance du JAP du 18 juin 2018 qui étendit l’application de l’article 47ter, § 1ter, de la loi sur l’administration pénitentiaire au bénéfice du requérant et ce bien avant l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 99/2019.

À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

AFFAIRE PINTUS c. ITALIE (Cour européenne des droits de l’homme) 35943/18. Texte intégral du document.

Dernière mise à jour le février 1, 2024 par loisdumonde

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