La présente affaire concerne le maintien du requérant pendant environ huit mois sous le régime de détention ordinaire malgré l’incompatibilité de ses conditions de santé mentale avec ledit régime.
À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.
Cour européenne des droits de l’homme
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PINTUS c. ITALIE
(Requête no 35943/18)
ARRÊT
Art 2 (matériel) • Obligations positives • Maintien en détention ordinaire d’un homme souffrant de troubles psychiatriques s’étant blessé à l’avant-bras avec une lame de rasoir à trois reprises • Caractère certain et immédiat du risque pour la vie du requérant connu des autorités pénitentiaires qu’à partir du premier épisode et au plus tard lors du rapport du service de santé mentale ayant suivi • Accès de l’intéressé à un traitement psychiatrique continu sous le contrôle du personnel de la structure psychiatrique à l’intérieur du pénitencier, où il n’a pas pu être placé dans l’attente de trouver un établissement plus adapté à son état • Réaction appropriée du personnel pénitentiaire aux évènements • Examen médical et contrôle psychiatrique supplémentaire et constant après chacun des épisodes • Efforts des autorités pénitentiaires pour trouver une structure d’accueil spécialisée où le requérant fut transféré dès que possible et grâce à une décision du juge de l’application des peines ayant anticipé l’arrêt de la Cour constitutionnelle de février 2019 • Autorités ayant fait ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dans les circonstances de la cause pour empêcher la matérialisation du risque en question
Art 3 (matériel) • Absence de traitement inhumain et dégradant
STRASBOURG
1er février 2024
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Pintus c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Marko Bošnjak, président,
Alena Poláčková,
Krzysztof Wojtyczek,
Lətif Hüseynov,
Ivana Jelić,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière de section,
Vu :
la requête (no 35943/18) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Alessio Pintus (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 14 septembre 2018,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 2 et 3 de la Convention,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 janvier 2024,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne le maintien du requérant pendant environ huit mois sous le régime de détention ordinaire malgré l’incompatibilité de ses conditions de santé mentale avec ledit régime. L’intéressé invoque les articles 2 et 3 de la Convention sous leur volet matériel.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1978 et réside à Rome. Il a été représenté par Mes E. Saracini et E. Ricchezza, avocats exerçant à Rome.
3. Le Gouvernement a été représenté par son ancienne coagente, Mme M. Aversano, puis par son agent, M. L. D’Ascia.
4. Le requérant fut incarcéré à la prison de Rebibbia Nuovo Complesso (Rome) le 18 octobre 2017 en exécution d’une peine de six ans d’emprisonnement pour agression sexuelle.
5. Le 14 novembre 2017, le conseil du requérant demanda la suspension de l’exécution de la peine et le placement de son client dans le centre de traitement de psychiatrie et réhabilitation géré par l’association Insieme Onlus.
6. À l’issue d’une audience tenue le 15 janvier 2018, le Juge de l’application des peines compétent (« le JAP ») ordonna l’internement du requérant dans un centre spécialisé dans le traitement des personnes atteintes d’infirmité mentale ayant commis des crimes et représentant un danger pour la société (« Casa di cura e di custodia »). Dans sa décision déposée le 19 janvier suivant, le JAP s’appuya sur deux rapports psychiatriques établis auparavant à sa demande par le service de santé mentale du pénitencier. Selon le premier, établis le 15 décembre 2017, le requérant, qui avait déjà séjourné par le passé à Rebibbia, souffrait depuis 2001 de problèmes psychiques pour lesquels il avait été soigné par le Service de santé mentale territorial de Rome, par le Service de santé mentale du pénitencier de Rebibbia et par l’hôpital psychiatrique judiciaire (Ospedale psichiatrico giudiziario) de Naples, où il avait été reclus. Enfin, entre septembre 2016 et juillet 2017, il avait suivi un parcours de réhabilitation dans le centre géré par l’association Insieme Onlus. Le rapport avançait le diagnostic suivant : psychose résiduelle chronique, trouble de la personnalité, retard mental et addiction aux substances psychotropes, d’où l’incompatibilité avec la détention. Toutefois, et même si au début de son incarcération le requérant avait demandé à être placé dans un centre thérapeutique, le rapport souligna que l’intéressé, s’étant par la suite bien intégré aux autres détenus, avait retiré sa demande en affirmant vouloir « tenter une réinsertion dans le circuit de détention ordinaire ». Dès lors, « il avait adopté un comportement correct et coopératif, sans jamais montrer aucun penchant pour l’automutilation et, encore moins, pour le suicide ».
7. Le deuxième rapport, daté du 21 décembre 2017, non soumis à la Cour mais repris dans l’ordonnance du JAP, rendait compte d’une compatibilité survenue avec le régime carcéral des conditions du requérant, décrites comme discrètes et stables, et du fait qu’il était soumis à une surveillance psychiatrique continue.
8. Le JAP ordonna au Rectorat régional de l’administration pénitentiaire d’identifier une Casa di cura e custodia pour accueillir le requérant aux sens de l’article 148 du code pénal et signala, en même temps, la disponibilité manifestée par l’association Insieme Onlus.
9. Le 26 janvier 2018, le Département de l’administration pénitentiaire (DAP) communiqua au JAP que l’Articolazione per la tutela della salute mentale (ATSM) de Rebibbia, à savoir la structure de traitement des détenus souffrant de troubles psychiatriques à l’intérieur des établissements pénitentiaires – en remplacement des Case di cura e custodia -, n’avait pas de disponibilité et une longue liste d’attente. Afin de ne pas compromettre les progrès accomplis par le requérant au cours des traitements thérapeutiques suivis avant sa dernière incarcération, et bien que le transfert de détenus expiant une peine excédant les 4 ans vers un centre externe fût interdit par l’article 47, § 1ter, de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (voir paragraphes 25 et 30), le DAP demanda au JAP d’envisager une exécution alternative de la peine, éventuellement auprès du centre géré par l’association Insieme Onlus.
10. Le 21 mars 2018, le conseil du requérant informa le JAP de ce que l’ordonnance du 15 janvier 2018 n’avait pas été exécutée et insista pour que son client fût admis auprès d’un centre spécialisé dans le traitement des infirmités mentales ou confié à l’association Insieme Onlus.
11. Le 22 mars 2018, le JAP sollicita à nouveau l’intervention du Rectorat et du DAP.
12. Le 5 avril 2018, le DAP destina le requérant à l’ATSM de Rebibbia qui répondit ne pas pouvoir l’accueillir par faute de place.
13. Face à cette situation et compte tenu de ce que l’ATSM se trouvait au premier étage d’une des sections du même pénitencier et que les détenus atteints d’infirmité mentale accueillis dans la structure partageaient les espaces communs avec les détenus en régime ordinaire, le DAP disposa le maintien du requérant en détention ordinaire pour le temps nécessaire au repérage d’un autre centre disponible. L’intéressé devait, en autre, bénéficier d’un traitement psychiatrique et du suivi thérapeutique nécessaire sous le contrôle du service de santé mentale du pénitencier de Rebibbia. Le DAP ordonna aussi la recherche d’une autre ATSM ou d’une communauté thérapeutique dans la région du Latium ou, à défaut, dans les régions limitrophes, afin de tenir compte de la nécessité d’assurer au requérant le maintien des contacts avec les membres de sa famille qui lui rendent régulièrement visite.
14. Le 9 avril 2018, le requérant se provoqua des coupures légères à l’avant-bras gauche avec une lame de rasoir. Selon les rapports rédigés par l’administration pénitentiaire, le requérant lui-même avait signalé immédiatement les faits au personnel présent déclarant qu’il s’agissait d’un acte dicté par des raisons personnelles. Les blessures guérirent en quatre jours. Le requérant fut soumis à un examen médical et à un contrôle psychiatrique supplémentaire pour lequel le psychiatre qui l’avait suivi avant l’internement dans le pénitencier fut consulté. Il fut assuré aussi d’un soutien psychologique.
15. Dans son rapport du 19 avril 2018, le service de santé mentale du pénitencier rapporta que les conditions de santé du requérant s’étaient sensiblement détériorées. Celui-ci manifestait des sentiments d’angoisse et des délires de persécution malgré le renforcement du traitement médicamenteux et demandait à être transféré auprès d’une structure thérapeutique. Partant, le rapport réitéra l’évaluation d’incompatibilité des conditions de santé avec la détention.
16. Le 23 avril 2018, le requérant commis un nouvel acte d’automutilation à l’avant-bras gauche. Il déclara avoir voulu protester pour ne pas avoir été transféré dans un centre psychiatrique.
17. Enfin, le 7 mai 2018, il se blessa encore l’avant-bras gauche, puis il avala deux piles. Il signala personnellement ces actes au personnel pénitentiaire, réitérant sa protestation contre son maintien en détention ordinaire.
18. Dans les deux cas, les soins médicaux et psychiatriques nécessaires, un soutien psychologique et un suivi de ses conditions de santé furent assurés par l’administration pénitentiaire. Le psychiatre du pénitencier confirma l’incompatibilité des conditions de santé avec le régime carcéral le 18 mai 2018.
19. Entre-temps, face à l’absence de places dans le centre géré par l’association Insieme Onlus, le DAP avait sollicité d’autres communautés thérapeutiques de la région.
20. Le 5 juin 2018, l’association Ego Onlus communiqua sa disponibilité à accueillir le requérant. Le DAP en informa le même jour le JAP qui, par une ordonnance du 18 juin 2018, disposa le placement du requérant dans le centre spécialisé géré par l’association. Il ressort du dossier que cette ordonnance fut exécutée le lendemain.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
I. Les voies de recours internes
21. Aux termes de l’article 35 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (Règles relatives à l’ordre pénitentiaire et à l’exécution des mesures de privation et de restriction de liberté – ci-après « loi sur l’administration pénitentiaire »), les détenus peuvent adresser des demandes ou des réclamations orales ou écrites, même sous pli scellé, au directeur de l’établissement pénitentiaire, ainsi qu’à l’inspecteur régional, au chef du département de l’administration pénitentiaire et au ministre de la Justice ; aux autorités judiciaires et sanitaires qui visitent l’institut ; au garant national ou aux garants régionales ou locaux des droits des détenus ; au président du Conseil régional ; au juge de l’application des peines et au chef de l’État.
22. L’article 35bis de la loi sur l’administration pénitentiaire prévoit la possibilité pour les personnes détenues de présenter devant le juge d’application des peines une réclamation juridictionnelle pour se plaindre du « non-respect de la part de l’administration pénitentiaire des dispositions contenues dans la présente loi entraînant une atteinte grave à l’exercice des droits de la personne détenue ». La réclamation peut être présentée par le détenu personnellement ou par un avocat. L’administration pénitentiaire est invitée à comparaître à l’audience. Lorsque le juge accueille la réclamation, il ordonne à l’administration de redresser la situation dans un certain délai. La décision du juge de l’application des peines est susceptible d’appel devant le tribunal de l’application des peines et d’un pourvoi en cassation. Si l’administration ne s’exécute pas dans le délai imparti par le juge, l’intéressé ou son représentant peut demander que le juge ordonne l’exécution forcée (« ottemperanza ») de la décision. Le juge peut, le cas échéant, nommer un commissaire ad acta chargé de faire exécuter sa décision.
23. L’article 35ter de la loi sur l’administration pénitentiaire concerne les « recours compensatoires subséquents à la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Dans ses parties pertinentes, il est ainsi libellé :
« 1. (…) les personnes qui ont été détenues pour une période de quinze jours au moins dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (…), tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, peuvent adresser au juge d’application des peines, personnellement ou par le biais d’un avocat muni d’une procuration spéciale, une demande de dédommagement. Le juge octroie, à titre d’indemnisation, une réduction de la peine à purger correspondant à un jour pour dix jours de détention.
2. Lorsque la peine qui reste à purger ne permet pas de déduire la totalité de la réduction de peine, le juge d’application des peines octroie également, relativement à la période restante et à titre d’indemnisation, une somme de 8 euros pour chaque jour pendant lequel il a subi la violation. Le juge d’application des peines procède de la même manière lorsque la période de détention dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention est inférieure à quinze jours.
3. Les personnes qui ont subi la violation pendant une période de détention provisoire qui n’entre pas en compte dans le calcul de la peine à purger, et celles qui ont déjà terminé de purger leur peine, peuvent saisir le tribunal civil compétent d’une demande en dédommagement. Le recours doit être présenté dans un délai de six mois à compter de la fin de la détention. La décision du tribunal est définitive. Le dédommagement est accordé selon les critères fixés par l’alinéa 2 ci-dessus ».
II. Les dispositions pertinentes concernant les détenus avec problèmes psychiatriques
24. Pour les condamnés à la peine de l’emprisonnement ou de la réclusion atteints d’une infirmité physique, l’article 147, alinéas 1 et 4, du code pénal dispose que :
« L’exécution d’une peine peut être différée :
(…)
2. si une peine restrictive de liberté doit être exécutée à l’encontre d’une personne atteinte d’une infirmité physique grave ;
(…)
La mesure visée au premier alinéa ne peut pas être adoptée ou, si elle est adoptée, doit être révoquée s’il existe un risque réel de commission de délits. »
25. L’article 47ter, § 1, de la loi sur l’administration pénitentiaire, introduit par l’article 13 de la loi no 663 du 10 octobre 1986, se lit ainsi :
« La peine d’emprisonnement n’excédant pas quatre ans, même si elle constitue une partie résiduelle de la peine la plus lourde, ainsi que la peine d’arrestation, peuvent être expiées à son propre domicile ou dans un autre lieu privé ou public de soins, d’assistance ou d’accueil (…) lorsqu’il s’agit de :
(…)
c) personne en état de santé particulièrement grave nécessitant un contact permanent avec les services sanitaires locaux. »
26. L’article 4 de la loi no 165 du 27 mai 1998 a ajouté à l’article 47ter de la loi sur l’administration pénitentiaire le paragraphe 1ter qui prévoit que :
« Lorsque le report obligatoire ou facultatif de l’exécution de la peine peut être ordonné en vertu des articles 146 et 147 du code pénal, le tribunal de l’application des peines, même si la peine dépasse la limite visée au paragraphe 1, peut ordonner la détention à domicile, en fixant pour la durée de la mesure un terme qui peut être prolongé. La peine continue à être expiée pendant la durée de la détention à domicile. »
27. Le traitement des personnes qui, après la condamnation à la peine de l’emprisonnement ou de la réclusion, ont développé une infirmité psychique est règlementé par l’article 148 du code pénal qui, au premier alinéa, dispose comme suit :
« Si, avant l’exécution d’une peine restrictive de la liberté personnelle ou pendant l’exécution de la peine, le condamné est atteint d’une maladie mentale, le juge, s’il estime que l’infirmité est de nature à faire obstacle à l’exécution de la peine, ordonne l’ajournement ou la suspension de la peine et le placement du condamné dans un asile judiciaire ou dans un établissement de soins et garde. Le juge peut ordonner que le condamné, au lieu d’être interné dans un asile judiciaire, soit interné dans un asile commun, si la peine infligée est inférieure à trois ans d’emprisonnement ou d’arrestation et s’il n’est pas un délinquant habituel ou professionnel ou un délinquant de tendance.
La mesure d’hospitalisation est révoquée, et le condamné est soumis à l’exécution de la peine, lorsque les motifs de la mesure ont cessé d’exister. »
III. L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 146 du 19 juin 1975
28. L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 146 du 19 juin 1975 déclara illégitime l’article 148 du code pénal, pour violation de l’article 3 de la Constitution (principe d’égalité), dans la mesure où il ne prévoyait pas que le temps de placement dans un asyle judiciaire ou dans un établissement de soins et garde soit à décompter de la peine. La disposition en question prévoit désormais non pas un cas de report de l’exécution de la peine mais une forme d’exécution alternative pour les condamnés atteints d’une maladie mentale lorsque le JAP estime que, en raison des leurs conditions psychiques, ces détenus ne pourraient pas percevoir la fonction de réhabilitation de la peine ordinaire.
IV. Les reformes
29. La loi sur l’administration pénitentiaire remplaça les asiles judiciaires par les hôpitaux psychiatriques judiciaires. Les asiles communs, eux, furent abolis par la loi no 180 du 13 mai 1978. Successivement, les hôpitaux psychiatriques et les établissements de soin et garde furent supplantés par les Résidences pour l’exécution des mesures de sûreté (REMS), introduites en exécution d’une réforme du système sanitaire pénitentiaire – inaugurée par l’article 5 de la loi no 419 du 30 novembre 1998, et achevée avec les lois no 9 du 17 février 2012 et no 81 du 30 mai 2014. Les REMS accueillent exclusivement les personnes qui font l’objet de mesures de sûreté au motif de leur dangerosité pour la société (article 3ter du décret-loi no 211 du 22 décembre 2011, converti en la loi no 9 du 17 février 2012). En revanche, pour les condamnés à la peine de l’emprisonnement ou la réclusion ayant développé une infirmité psychique, les articles 65 de la loi sur l’administration pénitentiaire et 111, § 5, du décret du Président de la République no 230 du 30 juin 2000 ont prévus la création de sections spécialisées pour les traitements et la réhabilitation. Ces sections, annexées aux établissements pénitentiaires et dénommées Articolazioni per la tutela della salute mentale (ATSM), ont été instituées avec l’Annexe C au décret du Président du Conseil des Ministres du 1er avril 2008 et l’Annexe A à l’Accord conclu le 13 octobre 2011 par la Conférence unifiée État-régions et État-villes et autonomies locales.
30. En vertu de ces réformes, seuls les condamnés atteints d’une infirmité physique grave avaient la possibilité d’accéder au report de l’exécution de la peine, en vertu de l’article 147 du code pénal, ou à son exécution à domicile, aux sens de l’article 47ter, § 1ter, de la loi sur l’administration pénitentiaire. Les détenus atteints d’une infirmité psychique, eux, n’avaient aucune alternative à la détention dans les ATSM, sauf pour les cas des peines inférieures à quatre ans pour lesquelles l’article 47ter, § 1, prévoyait la possibilité d’appliquer la détention à domicile ou dans une structure de soins (voir Cour de cassation, première chambre, ordonnance du 23 novembre 2017, no 13382).
31. Appelée à se prononcer sur la compatibilité avec la Constitution de cette différence de traitement, la Cour constitutionnelle a validé la solution déjà suivie par certains juges de l’application des peines d’étendre l’application de l’article 47ter, § 1ter, de la loi sur l’administration pénitentiaire aux cas d’infirmité psychique et a déclaré l’illégitimité de cette disposition, pour violation des articles 2, 3, 27, 32 et 117, § 1, de la Constitution, ce dernier lu à la lumière de l’article 3 de la Convention, dans la mesure où elle n’était pas applicable aux personnes condamnées atteintes de maladies psychiatriques (arrêt no 99 du 20 février 2019).
32. À présent il appartient aux juges de l’application des peines de déterminer si le condamné à une peine d’emprisonnement ou de réclusion, affecté par une infirmité psychique survenue, peut purger sa peine dans une ATSM ou si ses conditions de santé exigent l’application de la détention à domicile prévue par l’art. 47ter, § 1ter.
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITÉ
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
33. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, en négligeant de se prévaloir des articles 35 (droit de réclamation), 35bis (recours judiciaires) et 35ter (recours compensatoire) de la loi sur l’administration pénitentiaire.
2. Le requérant
34. Le requérant considère avoir épuisé les voies de recours internes disponibles, celles indiquées par le Gouvernement n’étant pas, selon lui, pertinentes pour son cas.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux applicables
35. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, parmi beaucoup d’autres, Safi et autres c. Grèce, no 5418/15, § 101, 7 juillet 2022).
36. L’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Pour ce qui concerne le gouvernement défendeur, lorsque celui‑ci excipe du non-épuisement des recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours dont il invoque l’existence était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 89, 19 décembre 2018).
2. Application au cas d’espèce
37. La Cour relève d’abord que, contrairement à l’affirmation du Gouvernement, la procédure de réclamation prévue par l’article 35 de la loi sur l’administration pénitentiaire a bien été engagée par le conseil du requérant pour demander au JAP le transfert de son client dans un centre spécialisé pour le traitement de sa pathologie.
38. S’agissant de l’article 35bis, §§ 5-7, dans la mesure où il permet la désignation d’un commissaire ad acta pour l’exécution des décisions judiciaires en cas de non-exécution par l’administration pénitentiaire, la Cour note que le Gouvernement n’a nullement étayé son exception en omettant de fournir des décisions judiciaires attestant de l’efficacité du remède. De plus, relevant que le défaut de transfert du requérant dépendait du manque de places disponibles au sein des structures spécialisées, elle estime que la voie de recours en question était vouée à l’échec.
39. Enfin, la Cour souligne que l’article 35ter est un remède compensatoire à la disposition des personnes ayant subi des préjudices en raison de leurs conditions de détention en violation de l’article 3 de la Convention. Par conséquent, eu égard aux griefs du requérant, le recours en question n’est pas pertinent en l’espèce.
40. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.
41. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
II. SUR Le fond
A. Sur la violation alléguée de l’article 2 de la Convention
42. Le requérant se plaint qu’en le maintenant en détention ordinaire malgré l’incompatibilité de son état de santé mentale, les autorités pénitentiaires l’auraient exposé au risque réel et immédiat qu’il attente à sa vie. Il invoque l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. […] »
1. Thèses des parties
a) Le requérant
43. Le requérant considère que son maintien en détention ordinaire pendant environ huit mois, en violation de l’ordonnance du 19 janvier 2018 causa une détérioration de ses conditions psychiques le conduisant à attenter à son intégrité physique.
b) Le Gouvernement
44. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il souligne que même si l’ATSM territorialement compétente n’avait pas pu, par faute de place, accueillir le requérant, celui-ci avait pu bénéficier à la prison de Rebibbia notamment d’un traitement psychiatrique individualisé comprenant des visites régulières de la part de psychologues et psychiatres et la prescription de médicaments.
45. Le Gouvernement souligne que c’est précisément grâce au suivi constant que le personnel pénitentiaire et sanitaire avait pu intervenir promptement à l’occasion des actes d’automutilation. De plus, même si la plupart des rapports psychiatriques remarquaient l’incompatibilité des conditions de santé avec le régime pénitentiaire ordinaire, ils ne mettaient pas en évidence un quelconque penchant pour l’automutilation ou le suicide. Au contraire, le rapport du 15 décembre 2017 l’avait expressément exclu. Selon le Gouvernement, en tout cas, les actes commis par le requérant, de faible intensité et définis par lui-même comme démonstratifs, auraient confirmé qu’il n’avait jamais voulu attenter à sa vie.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux applicables
46. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2 astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC], no 78103/14, § 104, 31 janvier 2019, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 134, 25 juin 2019, et Jeanty c. Belgique, no 82284/17, § 70, 31 mars 2020). Cette disposition peut, dans certaines circonstances bien définies, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre des mesures opérationnelles préventives pour protéger un individu contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même (Renolde c. France, no 5608/05, § 80, CEDH 2008 (extraits), Fernandes de Oliveira, précité, § 108, et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 136). En particulier, les personnes placées sous le contrôle des autorités sont en situation de vulnérabilité et les autorités ont le devoir de les protéger (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 91, CEDH 2001-III, et Mosendz c. Ukraine, no 52013/08, § 92, 17 janvier 2013). De même, les personnes atteintes de troubles mentaux sont considérées comme un groupe particulièrement vulnérable qu’il faut protéger des risques de suicide ou d’automutilation (Renolde, précité, § 84, et S.F. c. Suisse, no 23405/16, § 78, 30 juin 2020).
47. Dans le cas spécifique du risque de suicide en prison, toutefois, il n’y a une telle obligation positive que lorsque les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’existait un risque réel et immédiat qu’un individu donné attente à sa vie (De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 69, 6 décembre 2011, Fernandes de Oliveira, précité, § 110, et Jeanty, précité, § 71). La Cour a pris en compte divers facteurs afin d’établir si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait pour la vie d’un individu donné un risque réel et immédiat (voir Fernandes de Oliveira, précité, § 115, et les références y citées).
48. Pour caractériser un manquement à cette obligation, il faut ensuite établir que les autorités ont omis de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient pallié ce risque (Tanrıbilir c. Turquie, no 21422/93, § 72, 16 novembre 2000, et Troubnikov c. Russie, no 49790/99, § 69, 5 juillet 2005). La Cour doit donc rechercher si les autorités ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dans les circonstances de la cause pour empêcher la matérialisation de ce risque en prenant les mesures dont elles disposaient (Fernandes de Oliveira, précité, § 125). Il s’agit là d’une question dont la réponse dépend de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire (De Donder et De Clippel, précité, § 69, Fernandes de Oliveira, précité, § 126, et Jeanty, précité, § 72).
49. Cependant, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif ; il ne faut en effet pas perdre de vue l’imprévisibilité du comportement humain et les choix opérationnels à faire en matière de priorités et de ressources. Dès lors, toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation (Keenan, précité, § 90, Taïs c. France, no 39922/03, § 97, 1er juin 2006, Fernandes de Oliveira, précité, § 111, Jeanty, précité, § 73).
b) Application au cas d’espèce
50. La détention d’une personne souffrant de troubles psychiatriques dans un établissement carcéral ordinaire ne soulève pas en soi un problème sous l’angle de l’article 2 de la Convention (voir la jurisprudence citée au paragraphe 47 ci-dessus). À cet égard, la Cour constate, d’abord, que le premier rapport psychiatrique établi par le service de santé mentale du pénitencier de Rebibbia le 15 décembre 2017, avait exclu tout risque d’automutilation ou de suicide. Elle note, ensuite, que le rapport du 21 décembre 2017 avait même jugé l’état de santé compatible avec le régime pénitentiaire. De plus, le dossier ne contient aucun élément attestant que le requérant eût manifesté des pensées suicidaires ou tenté de se blesser avant le 9 avril 2018, date à laquelle l’intéressé s’infligea des légères entailles à l’avant-bras gauche avec une lame de rasoir. Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que le requérant a bénéficié d’un suivi psychiatrique soutenu, la Cour ne saurait relever aucune omission manifeste qui aurait empêché les autorités d’avoir un aperçu correct de la situation (voir, mutatis mutandis, Volk c. Slovénie, no 62120/09, § 91, 13 décembre 2012). La Cour est donc convaincue que, jusqu’au 9 avril 2018, les autorités pénitentiaires ne savaient ni n’auraient pu savoir que l’état mental du requérant était tel qu’il risquait d’attenter à son intégrité.
51. Il n’en va pas de même, en revanche, pour les actes commis le 23 avril et le 7 mai 2018. Suite à l’épisode du 9 avril, le service de santé mentale du pénitencier avait signalé, avec un nouveau rapport du 19 avril 2018, que les conditions de santé du requérant s’étaient sensiblement détériorées et que des sentiments d’angoisse et des délires de persécution avaient été observés, malgré le renforcement du traitement médicamenteux. Partant, à partir, au plus tard, de cette dernière date, les autorités pénitentiaires avaient ou devaient avoir pleinement connaissance de la fragilité psychologique du requérant. Il reste donc à déterminer si elles ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir le risque d’automutilation et de suicide.
52. La Cour note que, même si le requérant n’avait pas pu être placé dans l’ATSM, dans l’attente de trouver un établissement plus adapté à son état, comme l’avait préconisé le JAP dans l’ordonnance du 19 janvier 2018 (paragraphe 6 ci-dessus), l’administration pénitentiaire avait garanti l’accès aux services de l’ATSM de Rebibbia et, en particulier, un traitement psychiatrique continu sous le contrôle du personnel de la structure spécialisée (paragraphe 13 ci-dessus). Il est vrai que le requérant continua à disposer d’un rasoir avec lequel il s’infligea de nouveau des légères entailles au bras gauche. La Cour fait état de sa perplexité à cet égard. Néanmoins, faute d’informations factuelles déterminantes, elle constate que l’intervention du personnel pénitentiaire fut toujours immédiate et de nature à en contenir les effets de ces actes. Après chacun des deux épisodes, le requérant fut soumis à un examen médical et à un contrôle psychiatrique supplémentaire et constant pour lequel même le psychiatre qui l’avait suivi avant l’internement dans le pénitencier et qui connaissait son dossier fut consulté (Keenan, précité, § 99). Le dossier montre aussi les efforts déployés par les autorités pénitentiaires afin de trouver une communauté thérapeutique à l’extérieur du pénitencier où le requérant fut d’ailleurs transféré dès que possible et grâce à une décision qui anticipait les développements futurs de la jurisprudence constitutionnelle (voir paragraphes 30-32 ci-dessus). Ces faits, bien documentés par les rapports du personnel pénitentiaire, sanitaire et psychiatrique soumis par le Gouvernement, n’ont été contestés que d’une façon très vague, par les conseils du requérant.
53. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les autorités saisies de l’affaire ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dans les circonstances de la cause pour empêcher la matérialisation du risque pour la vie du requérant, dans la mesure où elles avaient connaissance du caractère certain et immédiat de ce risque.
54. Partant, au vu des circonstances de l’espèce, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention.
B. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention
55. Le requérant soutient que son maintien en détention ordinaire, malgré l’avis contraire des médecins spécialistes, a empêché une prise en charge thérapeutique adaptée à son état de santé mentale, qui se serait, par conséquent, aggravé. Il en infère un traitement inhumain et dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis (…) des (…) traitements inhumains ou dégradants. »
1. Thèses des parties
a) (a) Le requérant
56. Le requérant fait valoir que tous les psychiatres qui l’ont examiné ont attesté que son état de santé était incompatible avec la détention ordinaire en prison et qu’une prise en charge dans un centre psychiatrique était nécessaire. En accord avec ces conclusions, le 19 janvier 2018 le JAP avait ordonné son hospitalisation mais l’administration pénitentiaire n’avait donnée aucune suite et ce n’est qu’après huit mois d’attente et des rappels répétés de la part de son conseil qu’il fut transféré dans une structure adaptée externe au pénitencier.
b) Le Gouvernement
57. Le Gouvernement rétorque que le seuil de gravité requis n’a pas été atteint pour qu’il puisse être considéré que le requérant a subi un traitement contraire à l’article 3. Il souligne que bien qu’il n’eût pas été possible d’exécuter immédiatement l’ordonnance du JAP, en raison d’un manque de places disponibles, l’administration pénitentiaire avait veillé à ce que le requérant reçût le même traitement dont il aurait bénéficié s’il avait été placé dans une ATSM. Se référant aux rapports médicaux du service psychiatrique de Rebibbia, datés des 15 et 21 décembre 2017, du 19 avril et du 18 mai 2018 (voir paragraphes 6-7 et 15, 18 ci-dessus), il rappelle que le requérant a fait l’objet d’un suivi médical constant et d’un projet thérapeutique individualisé comprenant des visites régulières de la part de psychologues et psychiatres, la prescription de médicaments et des activités en groupe. Le Gouvernement souligne que le suivi des conditions de santé, ainsi que les traitements psychologiques et psychiatriques dont bénéficient les personnes détenues sont assurés par le Service National de Santé conjointement avec les Régions et l’administration pénitentiaire, et ont un niveau comparable à ceux dispensés à l’extérieur (Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 137, 23 mars 2016, Cara-Damiani c. Italie, no 2447/05, § 66, 7 février 2012). Enfin, dans l’évaluation de la situation du requérant, les autorités saisies ont également tenu compte de la proximité de la prison de Rebibbia avec le domicile familial, ce qui avait permis au requérant de profiter des visites hebdomadaires de sa mère et sa sœur. Selon le Gouvernement, il n’y a, donc, pas eu violation de l’article 3.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux applicables
58. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative : elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, § 141, 31 janvier 2019, et les affaires qui y sont citées).
59. Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 220, CEDH 2011, El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 202, CEDH 2012, et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 118).
60. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. Cela étant, l’article 3 impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du détenu sont assurés de manière adéquate (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 99, 20 octobre 2016), notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI). Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peuvent engager la responsabilité de l’État au regard de l’article 3 (Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 57, CEDH 2009, Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 105, 26 avril 2016, et Rooman, précité, § 146).
61. Pour déterminer si la détention d’une personne malade est conforme à l’article 3 de la Convention, la Cour prend en considération la santé de l’intéressé et l’effet des modalités d’exécution de sa détention sur son évolution. Elle a dit que les conditions de détention ne doivent en aucun cas soumettre la personne privée de liberté à des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement sa résistance physique et morale. Elle a reconnu à ce sujet que les détenus atteints de troubles mentaux sont plus vulnérables que les détenus ordinaires, et que certaines exigences de la vie carcérale les exposent davantage à un danger pour leur santé, renforcent le risque qu’ils se sentent en situation d’infériorité, et sont forcément source de stress et d’angoisse. Une telle situation entraîne la nécessité d’une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention (W.D. c. Belgique, no 73548/13, §§ 114-115, 6 septembre 2016, et Rooman, précité, § 145). L’appréciation de la situation des individus en cause doit tenir compte de leur vulnérabilité et, dans certains cas, de leur incapacité à se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, du traitement qui leur est réservé et de ses effets sur eux (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, Murray, précité, § 106, et Sy c. Italie, no 11791/20, § 79, 24 janvier 2022).
62. La Cour tient également compte du caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention. Cette question est la plus difficile à trancher. La Cour rappelle que le simple fait qu’un détenu ait été examiné par un médecin et qu’il se soit vu prescrire tel ou tel traitement ne saurait faire conclure automatiquement au caractère approprié des soins administrés. En outre, les autorités doivent s’assurer que les informations relatives à l’état de santé du détenu et aux soins reçus par lui en détention sont consignées de manière exhaustive, que le détenu bénéficie promptement d’un diagnostic précis et d’une prise en charge adaptée, et qu’il fasse l’objet, lorsque la maladie dont il est atteint l’exige, d’une surveillance régulière et systématique associée à une stratégie thérapeutique globale visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation plutôt qu’à traiter leurs symptômes. Par ailleurs, il incombe aux autorités de démontrer qu’elles ont créé les conditions nécessaires pour que le traitement prescrit soit effectivement suivi (Blokhin, précité, § 137, et Rooman, précité, § 147). La Cour en a conclu que l’absence d’une stratégie thérapeutique globale pour la prise en charge d’un détenu atteint de troubles mentaux peut s’analyser en un « abandon thérapeutique » contraire à l’article 3 (Strazimiri c. Albanie, no 34602/16, §§ 108-112, 21 janvier 2020, et Sy, précité, § 80).
63. Dans l’hypothèse où la prise en charge ne serait pas possible sur le lieu de détention, il faut que le détenu puisse être hospitalisé ou transféré dans un service spécialisé (Rooman, précité, § 148, et Sy, précité, § 81).
b) Application au cas d’espèce
64. La Cour rappelle que la décision de placer le requérant dans une annexe psychiatrique ou d’ordonner son hospitalisation auprès d’un centre thérapeutique externe au pénitencier relevait de la compétence du JAP. Il n’incombe pas à la Cour de décider si ce juge aurait dû prendre une autre décision, celui-ci étant mieux placé qu’elle pour juger du lieu et des conditions dans lesquelles la détention du requérant devait avoir lieu compte tenu de son état de santé mentale (Jeanty, précité, § 104). En revanche, il appartient à la Cour de vérifier si la manière dont le requérant a été traité au cours de sa détention était compatible avec les exigences découlant de l’article 3 de la Convention. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le transférer dans un hôpital civil, l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté notamment par l’administration des soins médicaux requis (Rivière c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006).
65. S’agissant de la compatibilité de l’état de santé mentale du requérant avec son maintien en détention à la prison de Rebibbia, la Cour constate que selon les rapports des 15 et 21 décembre 2017, qui n’ont pas été contestés par le requérant, ce dernier avait renoncé à sa demande de transfert, exprimant son souhait de « se réinsérer dans le circuit de détention ordinaire » (paragraphe 6 ci-dessus). La Cour note aussi que, s’il est vrai que le requérant ne fut pas transféré dans l’ATSM faute de places disponibles, il ressort des documents versés au dossier qu’il bénéficia d’un programme thérapeutique individualisé de prise en charge de sa pathologie, comprenant des visites régulières de la part de psychologues et psychiatres et la prescription de médicaments, et visant à porter remède à ses problèmes de santé, aussi bien qu’à en prévenir l’aggravation (Blokhin, précité, § 137, et Rooman, précité, § 147).
66. Les documents produits par le Gouvernement mettent également en évidence que, dès le 9 avril 2018, date du premier acte d’automutilation, le requérant fit l’objet d’une assistance et d’un soutien psychiatrique renforcés, ce qui démontre que le personnel pénitentiaire fut dûment réactif (voir paragraphes 14, 18-20). Le dossier montre aussi les efforts continus déployés par les autorités pénitentiaires afin de trouver une structure d’accueil spécialisée. Au demeurant, la Cour souligne le caractère « pionnier » de l’ordonnance du JAP du 18 juin 2018 qui étendit l’application de l’article 47ter, § 1ter, de la loi sur l’administration pénitentiaire au bénéfice du requérant et ce bien avant l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 99/2019 (voir paragraphes 30 et 31).
67. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
68. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er février 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Ilse Freiwirth Marko Bošnjak
Greffière Président
Dernière mise à jour le février 1, 2024 par loisdumonde
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