Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié à temps d’une prise en charge financière en tant que demandeurs d’asile alors que le juge des référés du tribunal administratif de Pau avait enjoint à l’État d’y procéder. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, ils déplorent l’inexécution d’une ordonnance de référé par l’administration.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour européenne des droits de l’homme note la passivité des autorités administratives compétentes dans ce litige. Elle tient à souligner que revêt, pour l’appréciation du respect des exigences de l’article 6 § 1, une importance particulière le fait qu’en l’espèce l’ordonnance tardivement exécutée a été rendue dans le cadre d’une procédure d’urgence portant sur une allocation destinée à permettre à des personnes, en l’espèce sans ressources, que la Cour et les juridictions internes considèrent comme particulièrement vulnérables, de se voir assuré « un niveau de vie adéquat qui garantisse [leur] subsistance et protège [leur] santé physique et mentale ». La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
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Texte intégral du document.
Cour européenne des droits de l’homme
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE T.A. ET Y.T. c. FRANCE
(Requête no 14787/19)
ARRÊT
STRASBOURG
23 novembre 2023
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire T.A. et Y.T. c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un comité composé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Lado Chanturia,
Mattias Guyomar, juges,
et de Sophie Piquet, greffière adjointe de section f.f.,
Vu :
la requête (no 14787/19) contre la République française et dont deux ressortissants érythréens, M. T.A. et Mme Y. T. (« les requérants »), nés en 1990 et 1991, représentés par Me S. Pather, avocate à Pau, ont saisi la Cour le 17 avril 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. D. Colas, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, les griefs concernant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention et de déclarer le surplus de la requête irrecevable,
la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérants (article 47 § 4 du règlement de la Cour (« le règlement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié à temps d’une prise en charge financière en tant que demandeurs d’asile alors que le juge des référés du tribunal administratif de Pau avait enjoint à l’État d’y procéder. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, ils déplorent l’inexécution d’une ordonnance de référé par l’administration.
2. Le 9 août 2017, ils sollicitèrent l’asile en France.
3. Par deux arrêtés du 14 février 2018, le préfet des Pyrénées-Atlantiques décida de leur transfert aux autorités italiennes, responsables de leurs demandes d’asile.
4. Par une décision du 20 avril 2018, le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (ci-après OFII) suspendit, sur le fondement de l’article L. 744-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile alors en vigueur (ci-après CESEDA), le versement de l’allocation pour demandeur d’asile (ci-après ADA) dont ils bénéficiaient au motif qu’ils ne se seraient pas présentés à la convocation en gare de Pau en vue de leur transfert vers l’Italie.
5. Le 11 mai 2018, les requérants saisirent le tribunal administratif de Pau (ci-après le tribunal administratif) d’un référé-liberté afin qu’il soit enjoint à l’OFII de leur verser, sous astreinte, rétroactivement depuis le 20 avril 2018 et pour l’avenir, les sommes dues au titre de l’ADA.
6. Par une ordonnance du 14 mai 2018, le juge des référés enjoignit au directeur général de l’OFII, sur le fondement de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative (CJA), de procéder au versement, au bénéfice des requérants, des conditions matérielles d’accueil rétroactivement depuis le 20 avril 2018, dans un délai de quinze jours. Le juge des référés releva notamment que la situation de fuite n’était pas caractérisée. Il ajouta que la suspension des conditions matérielles d’accueil depuis le mois d’avril 2018 laissait les requérants sans aucune ressource depuis près de six mois, malgré leurs besoins en termes de nourriture, de vêtements et de produits d’hygiène. Il releva plus particulièrement les besoins spécifiques de Mme T., qui, enceinte de plus de sept mois, devait être regardée comme une personne particulièrement vulnérable. Il en conclut qu’ils se trouvaient dans une situation d’extrême précarité.
7. Par une ordonnance du 15 juin 2018, un second juge des référés du tribunal administratif constata néanmoins que la fuite était caractérisée, ce qui justifiait le refus du préfet d’enregistrer les demandes d’asile des requérants en procédure normale.
8. Le 9 juillet 2018 naquit la fille des requérants.
9. Par une requête enregistrée le 9 août 2018, les requérants demandèrent au tribunal administratif d’enjoindre à l’OFII d’exécuter l’ordonnance du 14 mai 2018 et, par un courrier du 11 septembre 2018, prièrent le tribunal de rendre une ordonnance dans les meilleurs délais.
10. Par une décision du 1er octobre 2018, le directeur territorial de l’OFII suspendit, sur le fondement des articles L. 744-8 et D. 744-35 du CESEDA alors en vigueur, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil à compter de cette date au motif que les requérants n’avaient pas produit les documents nécessaires à la vérification de leur droit à cette allocation.
11. Par une ordonnance du 2 octobre 2018, le juge des référés considéra qu’en raison de la régularisation des versements effectués par l’OFII du 27 avril au 29 août 2018, la demande des requérants du 9 août 2018 était devenue sans objet.
12. Le 8 décembre 2018, les requérants saisirent le tribunal administratif d’un référé-liberté afin qu’il soit enjoint à l’OFII de leur verser rétroactivement depuis le 1er octobre 2018 et pour l’avenir les sommes dues au titre de l’ADA et de maintenir leur place d’hébergement.
13. Par une ordonnance du 10 décembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif enjoignit à l’OFII, sur le fondement de l’article L. 521‑2 du CJA, de rétablir au profit des requérants le bénéfice de l’allocation pour demandeurs d’asile à compter du 1er octobre 2018 et de maintenir l’hébergement des intéressés en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, dans un délai de huit jours à compter de la notification de son ordonnance. Le juge releva notamment que l’OFII, qui n’avait pas produit de mémoire en défense, ne justifiait pas avoir procédé à l’examen de la vulnérabilité de ces demandeurs d’asile, et qu’il résultait de l’instruction que ces derniers se trouvaient sans aucune ressource financière depuis le 1er octobre 2018 alors notamment qu’ils avaient à leur charge un enfant de cinq mois dont les besoins élémentaires n’étaient pas assurés.
14. Le 20 décembre 2018, puis le 1er février 2019, les requérants saisirent le tribunal administratif d’une demande d’exécution de l’ordonnance du 10 décembre 2018.
15. Le 4 février 2019, le président du tribunal administratif décida, en application de l’article R. 921-6 du code de justice administrative, de procéder à l’ouverture d’une procédure juridictionnelle.
16. Le 1er et 5 février 2019, les requérants demandèrent au tribunal administratif de prononcer, à l’encontre de l’OFII, une astreinte de 100 euros (EUR) par jour de retard en vue d’assurer l’exécution, sans délai, de l’ordonnance du 10 décembre 2018.
17. Par une ordonnance du 6 février 2019, le juge des référés prononça une astreinte de 80 EUR par jour à l’encontre de l’OFII s’il ne justifiait pas avoir, dans le délai de quinze jours suivant la notification de l’ordonnance, exécuté l’ordonnance du 10 décembre 2018.
18. Le 15 mars 2019, les requérants présentèrent une demande de mesures provisoires devant la Cour afin qu’il soit enjoint au Gouvernement français d’exécuter les ordonnances des 10 décembre 2018 et 6 février 2019 et de reprendre le versement de l’ADA à effet rétroactif au 2 octobre 2018.
19. Le 21 mars 2019, la Cour refusa de faire droit à leur demande.
20. Par un courriel du 13 février 2020, l’OFII indiqua aux requérants avoir pris en compte l’ordonnance du tribunal administratif mais refuser de verser la régularisation au motif qu’elle n’était pas due.
21. Le 18 février 2020, les requérants demandèrent au tribunal administratif de liquider l’astreinte prononcée le 6 février 2019.
22. Par une ordonnance du 3 novembre 2020, le juge de l’exécution, sur le fondement de l’article L. 911-7 du CJA, liquida l’astreinte à la somme de 4 870 EUR. Il releva que le rétablissement du versement de l’ADA à compter du 1er octobre 2018 n’eut lieu qu’en mai 2019 et que l’exécution des ordonnances du juge des référés restait partielle, seule une somme de 1 394 EUR ayant été versée aux requérants. Dans cette instance, le directeur de l’OFII ne présenta pas de mémoire en défense.
23. Le 16 novembre 2020, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides accorda le statut de réfugié à la requérante et à sa fille. Le 8 mars 2021, le requérant obtint également ce statut.
APPRÉCIATION DE LA COUR
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
24. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de l’inexécution de l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif enjoignant le versement à leur profit de l’allocation pour demandeurs d’asile.
25. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 55, CEDH 2014 (extraits)), la Cour estime plus approprié d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.
A. Sur la recevabilité
1. Concernant l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention
26. Le Gouvernement fait valoir qu’en application d’une jurisprudence bien établie de la Cour, les décisions relatives à l’immigration, à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers n’emportent pas contestation sur les droits ou obligations de caractère civil d’un requérant ni n’ont trait au bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre lui. Il soutient dès lors que l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable au litige.
27. Les requérants soutiennent, pour leur part, que le présent litige porte sur un droit patrimonial de caractère civil, dont le bénéfice leur a été reconnu par les juridictions internes, et qu’ainsi, peu important leur statut de demandeurs d’asile, ce litige relève du champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.
28. En premier lieu, la Cour note qu’il existait en France, à la date des faits litigieux, un droit au bénéfice d’une allocation pour demandeur d’asile sous certaines conditions d’âge et de ressources, alors prévu par les dispositions des articles L. 744-1 et suivants du CESEDA, et notamment L. 744-9 de ce code. La Cour relève qu’en l’espèce ce droit a été reconnu à l’égard des requérants par le juge des référés du tribunal administratif de Pau (paragraphe 13 ci-dessus).
29. Dans ces conditions, la Cour en conclut que les requérants bénéficiaient d’un droit au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
30. En second lieu, la Cour relève que les articles L. 744-1 et suivants du CESEDA constituent une transposition de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale. Or, la Cour a déjà reconnu qu’un droit à l’assistance matérielle, comprenant l’octroi d’une allocation journalière, prévu par une loi nationale transposant ladite directive européenne, revêtait un caractère « civil » au sens autonome conféré par la jurisprudence de la Cour (Camara c. Belgique, no 49255/22, § 93, 18 juillet 2023).
31. La Cour en conclut que l’article 6 § 1 de la Convention trouve à s’appliquer au présent litige.
2. Concernant l’épuisement des voies de recours internes
32. Le Gouvernement, se prévalant de la jurisprudence de la Cour, oppose une irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que la violation alléguée par les requérants a cessé à la date à laquelle ils ont obtenu la liquidation de l’astreinte, en raison de l’exécution partielle de l’ordonnance enjoignant le versement rétroactif de l’ADA, et qu’il leur appartenait de former un recours indemnitaire, effectif et non dépourvu de perspectives raisonnables de succès, afin d’obtenir réparation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi. Le Gouvernement se fonde à cette fin sur des jugements rendus par les juridictions françaises dans le cadre de la réparation des préjudices causés par une carence de l’administration à prendre en charge des personnes dans le cadre des conditions matérielles d’accueil et de l’inexécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice.
33. Les requérants soutiennent quant à eux avoir fait usage de l’ensemble des voies de recours effectives en droit interne. Ils font valoir que la violation continue qu’ils dénonçaient n’avait pas cessé à la date d’introduction de la requête devant la Cour et que celle-ci admet que le dernier échelon des recours internes soit atteint après le dépôt de la requête. Ils font également valoir avoir saisi le tribunal administratif afin de contraindre l’OFII à exécuter l’ordonnance enjoignant le versement de l’ADA puis d’obtenir la liquidation de l’astreinte. Ils mentionnent avoir régulièrement contacté l’OFII avant le paiement partiel des sommes dues. Ils ajoutent que le juge de l’exécution n’a pas fait entièrement usage des pouvoirs que lui conféraient les dispositions législatives concernant l’exécution d’une décision de justice. Ils indiquent enfin que les contraindre à effectuer un recours indemnitaire constituerait un formalisme excessif, à l’issue incertaine. À titre subsidiaire, ils soutiennent que leur demande de liquidation de l’astreinte doit être regardée comme constituant un recours indemnitaire.
34. Les principes applicables ont été exposés dans l’arrêt M.K. et autres c. France, (nos 34349/19, 34638/18 et 35047/18, §§ 128-130, 8 décembre 2022<).
35. En l’espèce, la Cour relève que l’exécution de l’ordonnance du 10 décembre 2018 restait partielle à la date de l’ordonnance de liquidation de l’astreinte du 3 novembre 2020 (paragraphe 22 ci-dessus). Néanmoins, les requérants reconnaissent dans leurs observations du 10 janvier 2022 que l’ordonnance litigieuse a été exécutée dans sa totalité au terme de deux années.
36. En tout état de cause, la Cour constate que les requérants ont, à la suite de l’ordonnance du 10 décembre 2018, saisi le juge de l’exécution, sollicitant notamment le prononcé d’une astreinte à l’encontre de l’OFII, puis sa liquidation (paragraphes 16 et 21 ci-dessus).
37. Dans ces conditions, la Cour considère, eu égard aux diligences effectuées par les requérants pour obtenir l’exécution de l’ordonnance du 10 décembre 2018 qui avait fait droit à leur demande de versement de l’ADA et compte tenu des pouvoirs dont dispose le juge administratif aux fins de contraindre l’administration à exécuter ses décisions, qu’imposer aux requérants de saisir en outre le juge de l’indemnisation constituerait un obstacle disproportionné à l’exercice efficace de leur droit de recours individuel, tel que défini à l’article 34 de la Convention (M.K. et autres c. France, précité, § 134).
38. La Cour en conclut que, dans ces circonstances particulières, les requérants doivent être dispensés de l’obligation d’épuiser le recours indemnitaire disponible en droit interne. Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.
39. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
40. Les requérants soulignent que l’ordonnance du 10 décembre 2018 a été rendue dans le cadre du référé-liberté, contentieux de l’urgence. Ils font valoir s’être tournés vers les services de l’OFII afin d’obtenir l’exécution de l’ordonnance litigieuse, sans réponse, et avoir été diligents dans leurs demandes auprès du juge de l’exécution. Ils rappellent que le litige s’inscrit dans un contexte dans lequel ils avaient déjà dû attendre trois mois l’exécution d’une première ordonnance enjoignant le versement de l’ADA.
41. Le Gouvernement fait valoir que le juge administratif a fait usage des pouvoirs dont il disposait pour faire exécuter les décisions de justice rendues et que l’ordonnance litigieuse a été exécutée ainsi que cela ressort de l’ordonnance de liquidation de l’astreinte du 3 novembre 2020.
42. Les principes applicables ont été exposés dans l’arrêt M.K. et autres c. France, précité, §§ 151-154.
43. La Cour entend, en premier lieu, analyser la complexité de la procédure d’exécution de l’ordonnance du 10 décembre 2018. Elle considère que, le Gouvernement ne démontrant pas suffisamment qu’il ne pouvait s’acquitter du montant des prestations mises à sa charge par les juridictions internes, la complexité de la procédure d’exécution de l’ordonnance de référé dont bénéficiaient les requérants n’est pas établie.
44. En deuxième lieu, la Cour, analysant le comportement des requérants, ne peut que noter leur diligence particulière en ce qui concerne les démarches tendant à obtenir l’exécution de l’ordonnance du 10 décembre 2018 (paragraphes 14, 16 et 21 ci-dessus). Il ne saurait ainsi leur être reproché une quelconque négligence alors au demeurant que le caractère exécutoire de cette ordonnance de référé impliquait son exécution d’office par l’État, tant en vertu du droit interne que des exigences attachées à l’article 6 § 1 de la Convention (voir, en ce sens, M.K. et autres c. France, précité, § 159).
45. En troisième lieu, la Cour doit évaluer le comportement des autorités compétentes. Elle relève à cet égard que l’OFII, qui n’avait pas relevé appel de l’ordonnance du 10 décembre 2018, n’avait présenté de mémoire en défense devant le tribunal administratif ni dans cette instance ni lors de l’instance tendant à la liquidation de l’astreinte (paragraphes 13 et 22 ci‑dessus). Par ailleurs, elle note que l’administration n’a rien versé aux requérants avant le mois de mai 2019, soit cinq mois après la notification de l’ordonnance leur reconnaissant le bénéfice des conditions matérielles d’accueil (paragraphe 22 ci-dessus), se bornant alors à un paiement partiel représentant moins de la moitié des sommes dues. Selon les requérants, non contredits sur ce point par le Gouvernement qui ne se prévaut pas du paiement total des sommes à verser, l’ordonnance du 10 décembre 2018 n’aurait été complètement exécutée que deux années après cette date, période que la Cour retient pour l’examen du grief des intéressés.
46. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour note la passivité des autorités administratives compétentes dans ce litige (M.K. et autres c. France, précité, § 161). Elle tient à souligner que revêt, pour l’appréciation du respect des exigences de l’article 6 § 1, une importance particulière le fait qu’en l’espèce l’ordonnance tardivement exécutée a été rendue dans le cadre d’une procédure d’urgence portant sur une allocation destinée à permettre à des personnes, en l’espèce sans ressources, que la Cour et les juridictions internes considèrent comme particulièrement vulnérables (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 251, CEDH 2011 et paragraphe 13 ci-dessus), de se voir assuré « un niveau de vie adéquat qui garantisse [leur] subsistance et protège [leur] santé physique et mentale » (directive 2013/33/UE précitée, Art. 17 § 2).
47. La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
48. Les requérants demandent une somme de 23 930 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi et 2 400 EUR au titre des frais et dépens qu’ils disent avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.
49. Le Gouvernement fait valoir, à titre principal, que les requérants ne justifient pas du préjudice moral allégué, et, à titre subsidiaire, qu’une somme maximale de 1 000 EUR pourrait leur être octroyée. Par ailleurs, le Gouvernement ne souhaite pas formuler d’observations concernant la demande de remboursement des frais et dépens présentée par les requérants.
50. Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour considère que le constat d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention constitue en lui‑même une satisfaction équitable suffisante. Par conséquent, elle rejette les prétentions que les requérants formulent au titre du dommage moral.
51. En revanche, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants la somme de 2 400 EUR pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure menée devant elle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief concernant l’article 6 § 1 de la Convention recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit que le constat de violation vaut en lui-même satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral subi par les requérants ;
4. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois, la somme de 2 400 EUR (deux mille quatre cents euros) pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 novembre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sophie Piquet Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe f.f. Présidente
Dernière mise à jour le novembre 23, 2023 par loisdumonde
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