AFFAIRE MIRZAI ET AUTRES c. GRÈCE – La requête concerne la détention des requérants au commissariat de police d’Aghios Panteleimon en vue de leur expulsion

Mises à part les déficiences particulières dans chacune des affaires précitées, la Cour européenne des droits de l’homme a fondé son constat de violation de l’article 3 de la Convention sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein des commissariats de police comprises entre deux et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention.

La Cour relève qu’en l’espèce les requérants ont été détenus pendant plusieurs mois au commissariat de police d’Aghios Panteleimon, à savoir les requérants nos 1 et 2 pendant dix-huit mois et les requérants nos 5 et 6 pendant douze mois. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.


Texte intégral du document.

Cour européenne des droits de l’homme
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE MIRZAI ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 44312/13)
ARRÊT
STRASBOURG
23 novembre 2023

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mirzai et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un comitécomposé de :
Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,
Lado Chanturia,
Mattias Guyomar, juges,
et de Sophie Piquet, greffière adjointe de section f.f.,
Vu :
la requête (no 44312/13) contre la République hellénique et dont six ressortissants iraniens et afghans (« les requérants »), dont les noms et les précisions pertinentes figurent en annexe, représentés par Mes E.-L. Koutra et R. Milkonova, avocates exerçant à Athènes, ont saisi la Cour le 9 juillet 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »), représenté par les déléguées de son agent, Mme G. Papadaki, assesseure au Conseil juridique de l’État, et Mme S. Papaioannou, mandataire judiciaire au Conseil juridique de l’État, les griefs concernant l’article 3 pris seul et combiné avec l’article 13, les articles 5 §§ 1 et 4 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations communiquées par le Gouvernement et celles communiquées en réplique par les requérants,
les observations communiquées par le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), dont le président de la section avait autorisé la tierce intervention et les observations du Gouvernement en réponse,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1. La requête concerne la détention des requérants au commissariat de police d’Aghios Panteleimon en vue de leur expulsion. Le tableau joint en annexe indique les lieux et périodes de détention de chaque requérant selon les observations des parties. Les requérants nos 1, 3 et 4 ne précisent pas les dates de leur transfert aux centres de rétention mentionnés en annexe.

2. Le 19 avril 2013, les requérants, à l’aide de leurs avocates qui les représentent devant la Cour, ont saisi le tribunal administratif de première instance d’Athènes de demandes d’assistance judiciaire, en vertu de l’article 276 § 1 du code de la procédure administrative grec, afin qu’ils puissent formuler des objections quant à leur détention. Ils ont allégué qu’ils étaient détenus depuis plusieurs mois au commissariat de police d’Aghios Panteleimon. Ils alléguèrent également qu’ils n’avaient pas de moyens financiers suffisants et qu’il ne leur était pas possible de fournir les justificatifs pertinents, au motif qu’ils étaient détenus et qu’ils n’avaient pas de proches qui pouvaient les assister pour rassembler lesdits justificatifs dans leurs pays d’origine. Ils demandaient à être dispensés des frais juridiques. Ils demandaient également la désignation d’un avocat, notaire et huissier en vue de la réalisation de toute acte procédural nécessaire pour leur libération (άρση κράτησης) et l’annulation de leur acte d’expulsion.

3. Par différents actes en date du 23 avril 2013 du tribunal administratif de première instance d’Athènes, les demandes furent rejetées au motif, notamment, que les requérants n’avaient pas prouvé qu’ils ne disposaient pas de moyens financiers suffisants. En ce qui concerne en particulier les demandes d’assistance judiciaire, la présidente dudit tribunal les rejeta en raison de ce que le cadre législatif national concernant l’assistance judiciaire (loi no 3226/2004) ne prévoyait pas que celle‑ci puisse être attribuée pour les affaires administratives mais seulement pour les affaires pénales et civiles ainsi que de caractère commercial.

4. Seuls les requérants identifiés sous les nos 3 et 4 déposèrent, les 10 décembre 2012 et 15 mai 2013, des objections contre leur détention devant la présidente du tribunal administratif d’Athènes. Représentés par différentes avocates, ils soutenaient qu’ils n’étaient pas dangereux pour l’ordre public, qu’ils ne risquaient pas de fuir et qu’ils disposaient d’une adresse de résidence connue, s’ils étaient remis en liberté. Toutefois, ils n’invoquaient aucun grief relatif à leurs conditions de détention, alors que cela aurait été possible dans le cadre de leurs objections (voir E.K. c. Grèce, no 73700/13, §§ 106-110, 14 janvier 2021). Par des décisions nos 1387/2012 (du 11 décembre 2012) et 2292/2013 (du 16 mai 2013), la présidente du tribunal rejeta les objections des requérants.

5. Invoquant l’article 3 de la Convention seul et combiné avec l’article 13, les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans le commissariat d’Aghios Panteleimon et de l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de ces conditions. Invoquant l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention, ils se plaignent du défaut de légalité de leur détention ainsi que de l’impossibilité d’obtenir une décision d’une juridiction interne sur la légalité de leur détention.

6. Dans ses observations, le Gouvernement indique que les requérants nos 1, 3, 4 et 5 ont été transférés, à différentes dates, en centre de rétention, comme indiqué en annexe. Dans leurs observations du 30 octobre 2018, les requérants nos 1 et 4, transférés au centre de rétention d’Amygdaleza, soutenaient qu’ils restaient encore détenus, sans changement de leur situation légale, en reconnaissant que les conditions de détention dans le centre étaient meilleures qu’au commissariat. Ils alléguaient que la perspective de la durée indéfinie de détention avait affecté leur moral. Le requérant no 5 se plaignait des mauvaises conditions de détention au centre de rétention de Komotini soutenant qu’il s’agissait d’une situation continue dès le moment de sa détention au commissariat d’Aghios Panteleimon. Il est noté que le requérant no 3 n’a fait aucune référence à son transfert.

7. Pendant la période de leur détention, seuls les requérants nos 2, 3 et 4 ont introduit des demandes d’asile.

APPRÉCIATION DE LA COUR

I. SUR Les EXCEPTIONs PRÉLIMINAIREs SOULEVÉEs PAR LE Gouvernement sur la recevabilitÉ

8. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête en tant qu’elle émane des requérants nos 1, 2, 5 et 6 pour non-épuisement des voies de recours internes, faute pour les requérants d’avoir utilisé la procédure d’objections prévue par l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 pour soulever leurs griefs au sujet de la décision d’expulsion ou de renvoi ainsi que pour leurs griefs par rapport à la légalité et aux conditions de détention. Il indique que, à l’époque des faits, les requérants étaient en contact avec les avocats qui les représentent devant la Cour. Il expose également que la procédure d’objections n’engendre pas de frais et que les objections peuvent être présentées de manière orale.

9. En deuxième lieu, il invite la Cour à rejeter la requête en tant qu’elle émane des requérants nos 3 et 4 parce qu’ils ont déposé des objections et n’ont soulevé aucun grief relatif à leurs conditions de détention. De plus, ils n’ont pas soulevé devant les juridictions nationales les griefs qu’ils soulèvent devant la Cour.

10. Il invite également la Cour à rejeter la requête en tant qu’elle émane du requérant no 3 pour non-respect du délai de six mois compte tenu de ce que ses objections ont été rejetées par la décision no 1387/2012 du 11 décembre 2012 et que sa requête a été introduite le 9 juillet 2013.

11. Les requérants retorquent qu’ils n’avaient pas accès à la procédure d’objections afin de contester les conditions et la légalité de leur détention du fait du rejet de leur demande d’assistance judiciaire (voir paragraphes 2-3 ci‑dessus). Ils ajoutent qu’ils n’avaient ni eu accès aux avocats dès les premières heures de leur détention, ni été informés de manière pertinente de leurs droits. Par conséquent, ils ne pouvaient pas contester les décisions d’expulsion.

12. Le requérant no 4 soutient que le fait qu’il n’ait pas soulevé de griefs par rapport à ses conditions de détention dans le cadre de ses objections est imputable à l’omission de sa représentante. Il note également que dans sa demande d’assistance judiciaire, il avait allégué être détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes.

13. Le tiers intervenant GISTI note qu’une décision de refus d’aide juridictionnelle peut valoir épuisement des voies de recours internes.

14. En ce qui concerne la première branche de l’exception de non‑épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement, la Cour note qu’elle se confond en réalité avec la substance du grief énoncé par les requérants sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention, et elle décide de la joindre au fond.

15. Quant à la deuxième branche, la Cour note que le délai de six mois, prévu par l’article 35 § 1 de la Convention, commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes (voir H.H. c. Grèce, no 63493/11, §§ 40-42, 9 octobre 2014).

16. En l’espèce, la Cour observe que le requérant no 3 a formulé des objections contre sa détention, qui ont été rejetées par une décision du 11 décembre 2012 (voir paragraphe 4 ci-dessus). Or, elle constate qu’il a saisi la Cour le 9 juillet 2013, soit plus de six mois après la décision susmentionnée. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

17. La Cour note que la règle de l’épuisement des voies de recours internes implique que le requérant invoque au moins « en substance » devant les juridictions nationales les griefs qu’il soulève devant la Cour. La Cour se réfère à sa jurisprudence pertinente (Moras et autres c. Grèce ((déc.), no 20/13, § 34, 20 janvier 2015) et estime dès lors que le requérant no 4 n’a pas épuisé les voies de recours internes car même s’il a déposé des objections, il n’a pas invoqué les griefs qu’il soulève devant la Cour (voir paragraphe 4 ci-dessus).

18. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée également en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE AU REGARD DE L’ARTICLE 5§4 DE LA CONVENTION

19. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer séparément sur les griefs tirés de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention, et qu’elle va examiner ces griefs sous l’article 5 § 4 constituant une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (H.A. c. Grèce, no 58424/11, §§ 42-54, 21 janvier 2016).

20. Les requérants se plaignent de ne pas avoir eu d’assistance judiciaire à leur disposition pour formuler leurs griefs.

21. Le Gouvernement réitère que les requérants disposaient d’un recours effectif pour formuler des objections afin de contester les conditions et la légalité de leur détention mais n’ont pas fait usage de celui-ci.

22. La Cour considère que la procédure d’objections prévue par l’article 76 de la loi no 3386/2005 est un recours qui doit être exercé. Cependant, les requérants nos 1, 2, 5 et 6, n’ont pas formulé d’objections et ont seulement déposé des demandes d’assistance judicaire afin qu’un avocat soit désigné en vue de leur libération et l’annulation de leur acte d’expulsion. Leurs demandes ont été rejetées parce que, à l’époque, la législation ne prévoyait la possibilité d’assistance judicaire que pour des affaires pénales et civiles ainsi que de caractère commercial (voir paragraphe 3 ci-dessus).

23. Quant à l’introduction d’objections contre la détention, la Cour note que, dans l’affaire J.R. et autres c. Grèce, no 22696/16, §§ 98-100, 25 janvier 2018), elle a conclu que dans les circonstances de la cause, les requérants n’avaient pas accès à ce recours. La Cour observe que ces considérations sont également pertinentes en l’espèce et que le Gouvernement ne fournit pas d’informations sur les modalités exactes de l’obtention de l’assistance judiciaire.

24. La Cour rappelle que l’obligation découlant de l’article 35 de la Convention se limite à faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles (Sofri et autres c. Italie (déc.), no 37235/97, CEDH 2003-VIII). Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I).

25. En l’espèce, la Cour note que, dans les circonstances de la cause, les requérants ne pouvaient pas formuler d’objections devant les tribunaux administratifs en raison du cadre législatif existant à l’époque des faits (S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 74, 11 juin 2009).

26. Dans ces conditions, la Cour estime que l’on ne saurait reprocher aux requérants de ne pas avoir fait usage des voies de recours mentionnées par le Gouvernement. Par conséquent, elle rejette l’exception du Gouvernement sur ce point quant aux requérants nos 1, 2, 5 et 6.

27. La Cour observe que l’article 55 de la loi no 3900/2010 a modifié l’article 76 de la loi no 3386/2005 de manière à ce que le juge administratif puisse examiner la légalité de la détention d’un étranger en voie d’expulsion (O.S.A. et autres c. Grèce, no 39065/16, §§ 50-51, 21 mars 2019). Il reste à examiner si, dans les circonstances de la cause, les requérants auraient pu introduire le recours susmentionné, à la suite de l’adoption des décisions ordonnant leur expulsion et la prolongation de leur détention.

28. La Cour considère que les insuffisances du droit interne par rapport à l’assistance judiciaire pour les affaires administratives (paragraphes 25-26 ci‑dessus) à l’époque des faits ont privé les requérants de la possibilité d’obtenir une décision d’une juridiction interne sur la légalité de leur détention, au mépris de l’article 5 § 4 de la Convention. La Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, les requérants n’avaient pas accès aux recours en cause. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

29. En ce qui concerne l’exception du non-épuisement des voies des recours internes soulevée par le Gouvernement à l’égard des requérants 1, 2, 5 et 6, la Cour renvoie à ses considérations concernant l’article 5 § 4 de la Convention (paragraphe 26 ci-dessus), également applicables s’agissant de l’article 5 § 1 de la Convention, et la rejette.

30. Les requérants allèguent que les autorités n’ont pas agi de bonne foi dans leur cas. Ils se plaignent que leur détention était arbitraire en raison de sa durée, combinée avec les locaux et les conditions de celle-ci et qu’elle a été maintenue en dépit du fait que pendant leur détention aucune mesure n’avait été prise en vue de leur expulsion. Ils ajoutent qu’ils étaient condamnés pour des infractions mineures, que leurs peines étaient suspendues et que leur seule condamnation ne suffisait pas pour qu’ils soient considérés dangereux pour l’ordre public. De plus, ils contestent les allégations du Gouvernement par rapport à leur refus de collaborer avec les autorités en vue de leur expulsion.

31. Les requérants affirment que la décision de leur imposer la mesure de détention avait été prise automatiquement et non comme mesure de dernier ressort et qu’ils n’ont pas été informés des raisons et de la durée de leur détention.

32. Le Gouvernement estime que la détention des requérants était fondée sur le droit national et était justifiée par des motifs de sécurité nationale et d’examen rapide et efficace de leurs demandes d’asile et d’accomplissement des procédures d’expulsion. Par conséquent, la bonne foi des autorités ne pourrait être contestée. Il ajoute qu’au cas où le non-ressortissant en attente d’expulsion dépose une demande d’asile, celle-ci entraîne la suspension de l’exécution de la mesure d’expulsion, mais ne suspend pas la mesure de détention.

33. Il explique que la détention du requérant no 1 était nécessaire parce qu’il y avait des raisons fondées de penser que celui-ci allait prendre la fuite notamment parce qu’il a été condamné pour une infraction criminelle et n’a présenté aucun document justifiant son identité. De plus, au cours de sa détention, il a refusé de collaborer avec l’autorité consulaire d’Iran, ce qui a eu pour effet le retard de la préparation des documents nécessaires en vue de son renvoi vers son pays d’origine.

34. La détention du requérant no 2 était également nécessaire parce qu’il a été arrêté et condamné pour une infraction criminelle et qu’il n’a présenté aucun document justifiant son identité.

35. La détention des requérants nos 5 et 6 était aussi nécessaire en raison de leurs condamnations pénales. Le requérant no 5 n’a présenté aucun document justifiant son identité et tous deux ont refusé de collaborer avec les autorités consulaires aux fins de renvoi vers leur pays.

36. Le tiers intervenant GISTI note que la situation juridique des demandeurs d’asile dans les commissariats de police conduit à les placer dans une situation d’insécurité juridique menant à une généralisation des situations de privation de liberté sans fondement juridique clair et précis.

37. En ce qui concerne les principes généraux relatifs à l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant de questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à la jurisprudence pertinente en la matière (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996-V, Barjamaj c. Grèce, no 36657/11, §§ 36-38, 2 mai 2013, H.A c. Grèce, § 61, précité).

38. La Cour note que la privation de liberté des requérants était fondée sur le droit interne et estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention (voir H.A. c. Grèce, § 50, E.K. c. Grèce, § 94, précités).

39. En l’espèce, la Cour constate que l’expulsion des requérants, en vue de laquelle leur détention avait été ordonnée, n’était pas possible dans l’immédiat en raison des démarches administratives nécessaires à cet effet. Leur détention était ordonnée, selon la loi no 3907/2011, pour une durée ne pouvant pas dépasser six mois qui pouvait être prolongée pour une période au maximum de douze mois au cas où l’intéressé refusait de collaborer ou si l’établissement des documents de voyage par son pays d’origine l’exigeait.

40. Les requérants nos 1, 5 et 6 étaient détenus respectivement pour une période totale de vingt, dix-huit et douze mois et ils n’ont pas introduit de demandes d’asile durant leur détention (voir paragraphe 7 ci-dessus).

41. La Cour note que les autorités internes ont entrepris des démarches pour mettre en œuvre leur expulsion telles que le contact avec les autorités consulaires afin de leur faire délivrer des documents de voyage.

42. La Cour observe que, quant au requérant no 1, il ressort du contenu des décisions prolongeant sa détention qu’il était reconnu comme ressortissant par l’autorité consulaire mais l’établissement des documents de voyage par son pays d’origine se prolongeait malgré les efforts déployés. Cependant, la durée de détention maximum prévue par la loi a été dépassée (voir paragraphes 39 et 40). Dès lors, la Cour constate que sa détention a cessé d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f). Quant au requérant no 5, il ressort de décisions prolongeant sa détention que, dès le 22 décembre 2012 et ce, jusqu’au 22 juin 2013, un rendez-vous avec l’autorité consulaire était envisagé. Cependant, il ne ressort pas du dossier qu’un tel rendez-vous a eu lieu. Pour ce motif la Cour constate que sa détention a cessé d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f).

43. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention quant aux requérants nos 1 et 5.

44. Quant au requérant no 6, il a été conduit devant les autorités consulaires mais il ressort du dossier qu’il ne collaborait pas afin d’obtenir un document de voyage. Eu égard au fait que les autorités ont fait preuve de diligence pour mener à bien l’expulsion du requérant susmentionné, la Cour constate que la détention était justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) (Moras et autres §§ 40-42, précité).

45. Partant, quant au requérant no 6, la Cour rejette les griefs tirés de l’article 5 § 1 de la Convention comme manifestement mal fondés et les déclare irrecevables.

46. En ce qui concerne le requérant no 2, il a déposé une demande d’asile le 13 janvier 2013. Sa détention était prolongée en vue de l’examen rapide et efficace de sa demande d’asile et était justifiée par des motifs de sécurité nationale. Il a été libéré le 26 mai 2014 dans l’attente de l’examen définitif de sa demande d’asile. Sa détention était maintenue pour une période totale de dix-huit mois.

47. Étant donné que le requérant no 2 n’avait pas fait obstacle à son expulsion et que le Gouvernement n’avance pas de raisons particulières qui auraient pu justifier ledit retard dans le traitement de sa demande d’asile, la Cour estime que le laps de temps de dix-huit mois pour l’examen de celle-ci était excessif. Selon la législation pertinente, pendant ce temps, l’expulsion du requérant ne pouvait pas avoir lieu et les autorités internes ne pouvaient pas procéder aux démarches nécessaires en vue de celle-ci. Vu les circonstances de l’espèce, la Cour constate le prolongement de sa détention pour une telle période a cessé d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f), (A.E. c. Grèce, no 46673/10, §§ 48-53, 27 novembre 2014).

48. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention quant au requérant no 2.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

49. Quant aux griefs du requérant no 5 par rapport aux conditions de détention au centre de rétention de Komotiní (voir paragraphe 6 ci-dessus) à la suite de son transfert, et donc du 7 septembre 2013 au 22 mars 2014, la Cour note que ces griefs ont été introduits par les observations du requérant le 30 octobre 2018 c’est à dire hors du délai de six mois. Partant, il convient de déclarer ces griefs irrecevables pour non-respect du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

50. La Cour renvoie à ses considérations concernant l’article 5 § 4 de la Convention (paragraphe 26 ci-dessus), également applicables s’agissant de l’article 3, et rejette l’exception du Gouvernement à l’égard des requérants n os1,2,5 et 6 quant à la détention des requérants au commissariat d’Aghios Panteleimon.

51. Les principes généraux concernant les conditions de détention dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion, pour lesquelles la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention ont été résumés dans les arrêts De los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, §§ 43 – 44, 26 juin 2014, Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009 et Aslanis c. Grèce, no 36401/10, 17 octobre 2013, Ahmade c. Grèce, no 50520/09, §§ 101-103, 25 septembre 2012. Mises à part les déficiences particulières dans chacune des affaires précitées, la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 de la Convention sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein des commissariats de police comprises entre deux et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention (Siasios et autres, §§ 32-33 et Aslanis § 39, précités).

52. La Cour relève qu’en l’espèce les requérants ont été détenus pendant plusieurs mois au commissariat de police d’Aghios Panteleimon, à savoir les requérants nos 1 et 2 pendant dix-huit mois et les requérants nos 5 et 6 pendant douze mois.

53. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

I. Dommage

54. Au titre du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi, les requérants nos 1, 2, 5 et 6 réclament respectivement 33 000 EUR, 25 000 EUR, 26 000 EUR et 18 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 de la Convention. Chacun des requérants nos 1, 2, 5 et 6 réclame également 12 000 EUR pour chacune des violations alléguées de l’article 5 §§1 et 4 de la Convention. De plus, les requérants nos 1, 2, 5 et 6 réclament 12 000 EUR pour les violations alléguées de l’article 13 de la Convention pris isolément ou combiné avec les articles 3, 5 §§ 1 et 4 de la Convention. Ils demandent également 3 000 EUR pour l’éventuelle violation de tout autre article de la Convention, dont ils se plaignent dans leur requête.

55. Le Gouvernement considère que les sommes réclamées sont excessives et injustifiées eu égard entre autres à la situation financière en Grèce. Il estime que le constat d’une violation constituerait en soi une satisfaction équitable quant au dommage moral. Il invite la Cour à rejeter la demande de versement des sommes éventuellement allouées sur le compte bancaire de leur représentante.

56. La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention quant aux requérants nos 1, 2, 5 et 6 et à la violation de l’article 5§1 de la Convention quant aux requérants nos 1, 2 et 5. Dès lors, elle juge raisonnable d’allouer à chacun des requérants nos 1, 2, 5 la somme de 7 400 EUR et au requérant no 6 la somme de 6 900 au titre du préjudice moral pour toute violation constatée plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt. La Cour rejette la demande du requérant no 2 concernant le versement direct de cette somme sur le compte bancaire de sa représentante.

II. Frais et dépens

57. Les requérants nos 1, 5 et 6 réclament des frais et dépens qu’ils devraient verser à leurs représentantes à l’issue de la procédure devant la Cour. Ils avancent que ces frais seront calculés par rapport au taux de facturation horaire pratiqué en Grèce. Le requérant no 2 a conclu un accord de quota litis avec une des représentantes et invite la Cour à ordonner le versement de sommes sur le compte indiqué par sa représentante.

De plus, les requérants réclament 400,46 EUR pour d’autres frais et dépens.

58. Le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas fourni les preuves requises permettant de prouver le paiement des montants réclamés et invite la Cour à rejeter les demandes ainsi que la demande des requérants de versement de la somme allouée sur le compte bancaire de sa représentante.

59. Compte tenu, notamment, de l’absence de justificatifs, la Cour rejette les demandes présentées au titre des frais et dépens (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, §§ 54-55, CEDH 2000‑XI) sauf pour le montant de 400 EUR que la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants. La Cour rejette le surplus de la demande plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête irrecevable quant aux requérants identifiés sous les numéros 3 et 4 sur la liste annexée ;

2. Déclare la requête recevable quant aux requérants identifiés sous les numéros 1, 2, 5 et 6 sur la liste annexée en ce qui concerne les griefs tirés des articles 3 et 5 § 4 de la Convention ;

3. Déclare la requête recevable quant aux requérants identifiés sous les numéros 1, 2 et 5 sur la liste annexée en ce qui concerne les griefs tirés de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Déclare la requête irrecevable quant au requérant identifié sous le numéro 6 sur la liste annexée en ce qui concerne les griefs tirés de l’article 5 § 1 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention quant aux requérants identifiés sous les numéros 1, 2, 5 et 6 sur la liste annexée ;

6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention quant aux requérants identifiés sous le numéro 1, 2 et 5 sur la liste annexée ;

7. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention quant aux requérants identifiés sous les numéros 1, 2, 5 et 6 sur la liste annexée ;

8. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants identifiés sous les numéros 1, 2, 5, et 6 sur la liste annexée, dans un délai de trois mois les sommes suivantes au taux applicable à la date du règlement :

i. à chacun des requérants identifiés sous les numéros 1, 2 et 5 la somme de 7,400 EUR (sept mille et quatre cents euros), et au requérant identifié sous le numéro 6 la somme de 6,900 EUR (six mille et neuf cents euros) plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 400 EUR (quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

9. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 novembre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Sophie Piquet                       Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe f.f.                       Président

_____________

Appendix

Liste des requérants

No Prénom NOM Année de naissance Nationalité Établissement

Dates de début et de fin

 

1. Arshya MIRZAI 1992 iranien Commissariat de police d’Aghios Panteleimon

08/10/2012 à 08/04/2014

Centre de rétention d’Amygdaleza

08/04/2014 à 11/06/2014 (déportation)

2. N. A. 1993 afghan Commissariat de police d’Aghios Panteleimon

26/11/2012 à 26/05/2014

(libération)

3. A. A.B. 1989 afghan Commissariat de police d’Aghios Panteleimon

30/10/2012 à 30/04/2014

Centre de rétention d’Amygdaleza

30/04/2014 à 03/06/2014

(déportation)

4. N. M. 1982 afghan Commissariat de police d’Aghios Panteleimon

14/01/2013 à 21/03/2014

Centre de rétention d’Amygdaleza

21/03/2014 à 02/08/2014

(libération)

5. Nik MUHAMMAD 1992 afghan Commissariat de police d’Aghios Panteleimon

15/09/2012 à 06/09/2013

Commissariat de police de Rodopi 06/09/2013 à 07/09/2013

Centre de rétention de Komotini 07/09/2013 à 22/03/2014 (libération)

6. Ahmad ZIE 1981 iranien Commissariat de police d’Aghios Panteleimon

20/06/2012 à 14/06/2013

(arrestation le 13/06/2012 et transfert au commissariat d’Aghios Panteleimon le 20/06/2012

Dernière mise à jour le novembre 23, 2023 par loisdumonde

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