Camara c. Belgique

Résumé juridique
Juillet 2023

Camara c. Belgique – 49255/22

Arrêt 18.7.2023 [Section II]

Article 6
Procédure d’exécution
Article 6-1
Accès à un tribunal

Refus des autorités nationales d’exécuter une ordonnance immédiatement exécutoire exigeant que l’État fournisse un hébergement et l’assistance matérielle à un demandeur de protection internationale : violation

Article 46
Article 46-2
Exécution de l’arrêt
Mesures générales

État défendeur tenu de remédier au problème systémique de la capacité des autorités nationales à se conformer à la loi sur le droit à l’hébergement des demandeurs d’asile, y compris aux décisions de justice définitives en ordonnant le respect

En fait – Le 15 juillet 2022, le requérant, ressortissant guinéen, arrivé en Belgique trois jours avant, introduisit une demande de protection internationale au centre d’arrivée des demandeurs de protection internationale. Puis il se présenta à l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs de protection internationale (Fedasil) en vue d’obtenir une place dans le réseau d’accueil, ce qui lui fut refusé en raison de la saturation du système d’accueil.

Le 22 juillet 2022, il obtint une décision de la Présidente du tribunal du travail par le biais d’une ordonnance exécutoire par provision, nonobstant tout recours, condamnant l’État belge à lui octroyer un hébergement et l’assistance matérielle. Cette décision, signifiée par huissier le 29 juillet 2022, devint définitive le 29 août 2022. Elle fut exécutée le 4 novembre 2022 quand le requérant se vit assigner une place dans un centre d’accueil, suite à l’indication de la Cour, sous l’angle de l’article 39 du règlement de la Cour, au Gouvernement belge de fournir au requérant un hébergement d’urgence et de lui permettre de faire face à ses besoins élémentaires.

En droit – Article 6 (civil) :

1) Applicabilité – Il existe en Belgique un droit à l’assistance matérielle et à l’hébergement pour les demandeurs de protection internationale. Ce droit a été reconnu à l’égard du requérant par le tribunal du travail dans son ordonnance du 22 juillet 2022. Dans ces conditions, le requérant bénéficiait d’un droit au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. En second lieu, ce droit revêt un caractère « civil » au sens autonome conféré par la jurisprudence de la Cour. Enfin, l’ordonnance en question visait à trancher le même droit que celui qui aurait pu être en jeu dans une procédure au principal. De plus elle était immédiatement exécutoire. Aussi, au jour de l’introduction de la requête, la procédure au fond n’avait pas été poursuivie.

Conclusion : article 6 applicable.

2) Fond – Le caractère exécutoire de l’ordonnance impliquait son exécution d’office par l’État en vertu du droit interne. Afin d’évaluer le délai d’exécution de l’ordonnance à l’aune des exigences de l’article 6, la Cour doit tenir compte du comportement des autorités compétentes, de la complexité de la procédure d’exécution, et du comportement du requérant.

S’agissant du comportement des autorités belges, Fedasil et l’État n’ont pas contesté devant le tribunal du travail l’existence du droit à l’accueil réclamé par le requérant. Postérieurement à l’ordonnance enjoignant la prise en charge du requérant, Fedasil n’a pas formé tierce opposition et n’a pas exécuté cette ordonnance avant l’intervention de la mesure provisoire prononcée par la Cour. Il s’ensuit que le requérant s’est retrouvé à devoir agir en justice et ensuite à saisir la Cour en vue d’obtenir la reconnaissance d’un droit qui ne lui a jamais été contesté. De plus, l’exécution n’a pas revêtu de caractère spontané et n’a pu avoir lieu qu’à la suite d’une mesure provisoire prononcée par la Cour.

Concernant la complexité de la procédure d’exécution, selon le Gouvernement, depuis l’été 2021 la capacité d’accueil du réseau géré par Fedasil s’est trouvée insuffisante pour faire face à l’augmentation du nombre de demandeurs de protection internationale. L’État s’est de ce fait retrouvé dans l’impossibilité matérielle d’exécuter les ordonnances justice. La Cour ne peut que constater une augmentation importante en 2022, de plus de 42 % par rapport à 2021, du nombre de demandes de protection internationale en Belgique (36 871). Et entre le 10 mars 2022 et le 31 décembre 2022, la Belgique a accueilli 65 000 ressortissants ukrainiens. Ces éléments témoignent à suffisance de l’ampleur des défis que l’État belge a été appelé à affronter. Par ailleurs, la Cour ne saurait critiquer le choix des autorités belges d’avoir concentré la capacité d’accueil du réseau sur les personnes les plus vulnérables retardant ainsi l’hébergement des demandeurs de protection internationale présentant le même profil que le requérant. Il s’agissait là d’un choix de priorisation qui a permis à la grande majorité des familles avec enfants, des mineurs non accompagnés et des personnes souffrant de problèmes de santé spécifiques d’être hébergées et prises en charge pour la durée d’examen de leur procédure d’asile. La Cour ne saurait enfin manquer de constater les importants efforts consentis par les autorités belges pour intervenir dans le financement des dispositifs associatifs, créer des places d’hébergement supplémentaires, recruter du personnel et raccourcir les délais de traitement des demandes d’asile.

Cependant, le droit garanti par l’article 6 § 1 doit s’interpréter à la lumière du préambule de la Convention. Il y énonce la prééminence du droit dont l’un des éléments fondamentaux est le principe de la sécurité des rapports juridiques, qui veut, entre autres, que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause.

À cet égard, les circonstances de la présente affaire ne sont pas isolées et elles révèlent une carence systémique des autorités belges d’exécuter les décisions de justice définitives relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale. Même si elle est consciente de la situation difficile à laquelle l’État belge était confronté, la Cour ne pourrait juger raisonnable le délai mis en l’espèce par les autorités belges pour exécuter une décision de justice visant à protéger la dignité humaine. Et cette carence systémique a eu pour effet de grever lourdement le fonctionnement d’une juridiction nationale et celui de la Cour elle-même.

Concernant le comportement du requérant, aucun manque de diligence n’aurait contribué à retarder l’exécution de l’ordonnance du 22 juillet 2022.

Eu égard aux éléments qui précèdent, les autorités belges ont opposé non pas un « simple » retard mais plutôt un refus caractérisé de se conformer aux injonctions du juge interne qui a porté atteinte à la substance même du droit protégé par l’article 6 § 1.

Conclusion : violation (unanimité).

Compte tenu de l’évolution de la situation du requérant depuis le prononcé de la mesure provisoire et du fait qu’il ne demande pas son maintien, la Cour décide de lever la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement le 31 octobre 2022.

Article 46 : De nombreuses affaires similaires à celle en l’espèce ont récemment été introduites contre la Belgique pour non-exécution des ordonnances du tribunal de travail relatives à l’accueil des demandeurs de protection internationale. Les éléments produits devant la Cour révèlent un problème systémique dans l’État défendeur concernant la capacité des autorités à se conformer à sa propre législation interne sur le droit à l’hébergement des demandeurs d’asile, y compris aux décisions de justice définitives en ordonnant le respect. Même si elle n’ignore pas les difficultés auxquelles les autorités belges ont été confrontées, la Cour estime qu’une telle pratique est incompatible avec le principe de l’État de droit qui sous-tend l’ensemble du système de la Convention. Il revient à l’État défendeur de prendre les mesures adéquates en vue d’y mettre un terme.

Article 41 : constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

(Voir aussi M.K. et autres c. France, 34349/18 et al., 8 décembre 2022, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le juillet 18, 2023 par loisdumonde

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