Pitsiladi et Vasilellis c. Grèce

Résumé juridique
Juin 2023

Pitsiladi et Vasilellis c. Grèce – 5049/14 et 5122/14

Arrêt 6.6.2023 [Section III]

Article 2
Obligations positives

Impossibilité légale pour des parents d’accéder aux sommes issues d’une collecte de dons pour financer le traitement médical à l’étranger de leur enfant décédé depuis : non-violation

En fait – Les parents requérants n’ont pas pu accéder à un compte bancaire ouvert en leur nom sur lequel avait été collecté près de 297 000 EUR de dons pour financer le traitement aux États-Unis de leur enfant atteint du cancer. La loi sur la collecte de dons ne permettait pas, à l’époque des faits, d’organiser une collecte au profit de personnes privées, mais uniquement à certaines associations, fondations et comités. Le fils des requérants est mort quelques jours après l’entrée en vigueur de la loi ayant complété le cadre législatif existant et ayant permis l’accès à la somme collectée.

Les requérants se plaignent au titre de l’article 2 de la Convention que les insuffisances du fonctionnement du cadre réglementaire ont entraîné le décès de leur enfant.

En droit – Article 2 (procédural) : Les requérants ne se plaignent pas de négligence médicale ou de refus de soins médicaux. En effet leur fils a bénéficié d’un accès à des infrastructures et à des traitements médicaux, il a suivi un traitement approprié et disponible gratuitement dans les hôpitaux nationaux mais aussi privés, et il a été opéré et a subi une transplantation. Les intéressés ne suggèrent pas non plus que l’État aurait dû financer le traitement de leur fils au motif qu’eux-mêmes n’avaient pas été en mesure d’en assumer le coût ou qu’ ils non pas eu accès aux fonds publics . Ils ne critiquent pas une absence de règles dans le domaine de la santé publique mais plutôt la teneur des règles existantes relatives à la collecte de dons, qu’ils estiment trop restrictives.

Il existe des obligations positives découlant de l’article 2 en matière de santé publique dans le contexte d’allégations de négligence médicale ou dans celui de refus de soins. Or, la présente affaire ne peut s’inscrire dans aucun de ces contextes.

La Cour examinera le grief des requérants relatif à l’accès rapide au compte bancaire sur lequel avaient été déposées les sommes collectées du point de vue des obligations positives de l’État de mettre en place un cadre réglementaire pour la protection de la santé de ses citoyens. En l’espèce, il existait une réglementation sur les collectes de dons et les conditions d’accès aux sommes visant à garantir la sécurité juridique et la protection des contributeurs, à lutter contre des phénomènes de fraude et à éviter d’exploiter le sentiment philanthropique du public. Les buts poursuivis étaient ainsi légitimes : la défense de l’ordre et la protection des droits d’autrui. Ce cadre réglementaire ne concernait pas en principe le domaine de la santé publique et l’article 2 ne saurait être interprété comme exigeant que l’accès à des sommes collectées par un appel aux dons soit régi dans un sens précis.

Une réglementation était à la disposition des requérants qui auraient pu demander en suivant la procédure devant les comités spéciaux de santé que l’hospitalisation de leur fils à l’étranger soit financée. Même si la Cour ne saurait spéculer sur le résultat d’une telle demande dans la présente espèce, les requérants n’ont pas fourni d’informations concrètes montrant qu’ils ont suivi cette procédure. La Cour ne saurait donc admettre que la situation susmentionnée nécessitait de prévoir, en tant que mesure préventive prise en vertu de l’article 2, une exception à l’interdiction d’organiser une collecte de dons en vue de financer un traitement médical.

Les autorités nationales étaient de bonne foi et elles n’ont pas refusé de prendre des mesures en vue de compléter le cadre législatif relatif aux collectes de dons sur la base duquel les requérants se plaignent. Ces derniers avaient adressé en juin 2000 une demande d’autorisation pour pouvoir transférer la somme d’argent nécessaire et ainsi couvrir les frais d’hospitalisation de leur fils. Le 15 février 2001, huit mois après, que la demande a été formulée, la loi modifiant le système des collectes de dons a été votée. Elle est entrée en vigueur le 2 mars 2001 et, le même jour, le ministre de la Santé a donné l’autorisation en question. Les autorités nationales n’ont pas refusé de s’employer effectivement à autoriser l’accès des requérants aux sommes collectées afin que leur fils puisse suivre son traitement. En attendant qu’une modification du cadre législatif soit envisagée, la banque a transféré 35 216 EUR.

La Cour considère qu’il n’est pas possible de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’impossibilité d’avoir un accès immédiat à une collecte de dons d’argent pour financer un traitement à l’étranger, entre ou non dans le champ d’application de l’article 2, dans la mesure où, à supposer même que celui-ci s’appliquerait, les exigences liées à la protection de la vie n’ont pas été méconnues par l’État défendeur.

La Cour est certes consciente de la dimension tragique que revêtent les circonstances de l’affaire ainsi que la mort du fils des requérants deux jours après avoir obtenu l’autorisation ministérielle. Cependant, à supposer même que l’article 2 s’appliquerait, prenant en considération l’ensemble des circonstances de la cause et surtout le fait qu’une procédure permettant de demander un financement n’était pas exclue par le droit national, qu’il n’est pas clair que la situation à laquelle les requérants étaient confrontés était apparue auparavant et que les autorités nationales n’ont pas significativement tardé à prendre des mesures, la Cour ne peut que constater l’absence d’un élément quelconque donnant à penser que les autorités internes ont failli à une obligation positive leur incombant en vertu de l’article 2.

Eu égard à l’ensemble des circonstances susmentionnées, la Cour ne peut conclure à un dysfonctionnement résultant d’un manquement par l’État à son obligation de mettre en place un cadre réglementaire. En tout état de cause, elle ne peut constater l’existence d’un lien de causalité entre la conduite des autorités nationales et la survenance du décès de l’enfant. Elle ne perd pas de vue que l’hôpital américain proposait un programme de thérapie pionnière pratiqué dans le cas particulier de l’intéressé qui pouvait statistiquement prolonger la vie des patients. Toutefois, l’hôpital n’avait envoyé qu’un document informatif sur le programme de thérapie et ses méthodes alors que l’évaluation médicale individualisée de l’enfant devait avoir lieu le 5 février 2001. Le traitement proposé n’aurait en tout cas pas commencé avant cette date.

L’enfant est décédé le 4 mars 2001, deux jours après l’autorisation du ministre. Compte tenu de la santé précaire de ce dernier et de la détérioration de son état constatée au cours des deux mois ayant précédé le rendez-vous du 5 février 2001 et huit jours après cette date, il s’ensuit qu’on ne se trouve pas dans une situation où l’action positive de l’État aurait, d’un point de vue raisonnable, sans doute prolongé la vie de l’enfant et pallié le risque de décès.

Conclusion : non-violation (six voix contre une).

Dernière mise à jour le juin 13, 2023 par loisdumonde

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