Ghadamian c. Suisse

Résumé juridique
Mai 2023

Ghadamian c. Suisse – 21768/19

Arrêt 9.5.2023 [Section III]

Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée

Refus d’autorisation de séjour à un étranger âgé, vivant depuis plus de 50 ans en Suisse, mais depuis 2002 illégalement, en raison d’une décision, non exécutée, de l’expulser suite à ses condamnations pour graves infractions pénales : violation

En fait – Le requérant, ressortissant iranien, entra légalement en Suisse en 1969 à l’âge de 29 ans et reçut un permis de séjour. Il y eut deux fils avec une femme qu’il épousa en 1971 et dont il divorça en 1989. En 1979, il obtint une autorisation d’établissement.

Entre 1988 et 2004, le requérant fut condamné à des peines d’emprisonnement d’une durée cumulée d’environ cinq ans pour diverses infractions pénales. Particulièrement, en juin 1999, la Cour suprême le condamna à une peine privative de liberté et à l’expulsion de Suisse pour une période de cinq ans. En février 2000, la police des étrangers fixa son expulsion au 15 mars 2000. Cette décision fut juridiquement contraignante le 1er janvier 2002. Les autorités invitèrent l’intéressé à quitter la Suisse sans succès en 2000, 2003 et 2011.

En mai 2008 puis en août2015, le requérant sollicita l’Office des migrations (OM-AG) afin de révoquer son expulsion et de lui accorder une autorisation de séjour pour rentiers. Mais l’autorité refusa ses demandes. Le recours du requérant contre la dernière décision de l’OM-AG fut rejeté en juin 2018 par le Tribunal administratif (TA-AG) et en octobre 2018 par le Tribunal fédéral. En décembre 2018, l’OM-AG lui ordonna de quitter le territoire le 11 décembre 2018 au plus tard. À ce jour, le requérant a 83 ans et il séjourne illégalement en Suisse.

En droit – Article 8 :

L’on ne saurait retenir l’existence d’une vie familiale entre des parents et leurs enfants adultes sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance. Or, le requérant ne peut s’en prévaloir à l’égard de ses enfants majeurs dans la mesure où il est autonome pour faire face à sa vie quotidienne malgré son âge avancé. Il n’existe pas non plus d’autres éléments équivalant à une « vie familiale » entre eux. Dès lors, la présente affaire pose uniquement des questions relatives à la vie privée du requérant.

Cette affaire concerne un étranger cherchant à être admis et non un « migrant établi ».

Quand une personne étrangère bâtit sa vie privée sur le territoire d’un État alors qu’elle y séjourne illégalement, un refus ultérieur de délivrance d’un permis de résidence n’emporte violation de l’article 8 que dans des circonstances exceptionnelles. Or le requérant a bâti sa vie privée en Suisse durant les trente-trois années où il y a séjourné légalement. Ainsi, la Cour procédera à une mise en balance des intérêts en cause fondée sur une analyse de l’ensemble des faits concernés au regard des facteurs, définis dans sa jurisprudence, qu’il faut prendre en compte pour déterminer si un État peut être tenu à l’obligation positive d’admettre le séjour sur son territoire d’un étranger qui y était en situation irrégulière.

Au moment où le Tribunal fédéral a rejeté sa demande d’autorisation de séjour, le requérant savait que sa présence sur le territoire suisse était illégale depuis le 1er janvier 2002. Il avait l’obligation de quitter le pays lorsqu’il en a reçu l’ordre dès lors que son séjour sur ce territoire lui avait été valablement refusé. Selon la législation nationale, un réexamen de la décision d’expulsion ne pouvait pas être envisagé vu l’absence de motifs valables.

Les graves infractions pénales commises par le requérant ont été des critères décisifs dans la décision de février 2000 de l’expulser et dans le refus du Tribunal fédéral d’octobre 2018 de lui accorder une autorisation de séjour. Si depuis 2006, il n’a jamais été accusé de ce type d’infraction qui aurait indiqué qu’il représente une menace pour la sécurité publique, il a été condamné plusieurs fois pour son séjour illégal. Au regard des multiples condamnations pénales depuis 1999, la Cour accepte que les autorités suisses aient disposé d’un certain intérêt d’ordre public à vouloir l’expulser.

Les autorités internes ont tenté d’exécuter la décision d’expulsion. Elles se sont toutefois heurtées à des difficultés liées notamment à l’établissement de l’identité du requérant qui ne présentait pas un passeport valable nécessaire à l’acceptation du renvoi par l’Iran. Or, ce dernier s’est rendu ponctuellement dans son pays et il devait vraisemblablement disposer de son passeport à la douane. Il semble donc douteux que l’État défendeur ait pris toutes les mesures possibles et nécessaires pour se procurer le passeport du requérant et l’expulser.

Le requérant a fait montre de mauvaise foi en séjournant illégalement en Suisse depuis vingt ans et il a activement contrecarré l’exécution de la décision d’expulsion. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a noté que l’intéressé ne peut pas tirer des droits du fait qu’il n’a pas lui-même respecté l’ordre juridique et les décisions finales.

L’intéressé séjourne en Suisse depuis environ cinquante-quatre ans, si l’on se place au moment de l’exécution de la mesure litigieuse, comme le fait habituellement la Cour lorsque l’intéressé n’a pas encore été expulsé. La durée de son séjour est manifestement très longue. Il y avait passé environ quarante-neuf années au moment où le Tribunal fédéral a rejeté sa demande d’autorisation de séjour, même si sa présence sur le territoire était illégale depuis seize ans. Dès lors, la durée totale du séjour du requérant ne peut pas se voir accorder le même poids que s’il y avait résidé avec un permis de séjour valable pendant toute la période. Néanmoins, l’intéressé a établi des liens étroits avec la Suisse depuis son séjour légal de trente-trois ans à partir de son arrivée dans le pays. Il y a vécu la plus grande majorité de sa vie durant laquelle il a eu deux fils qui vivent avec leurs cinq enfants en Suisse et dont il dit être très proche. Par ailleurs, il a clairement démontré par son comportement qu’il s’était intégré au monde du travail en Suisse. Il y a exercé une activité professionnelle et il y bénéficie d’une retraite.

Il est incontestable que, même s’il est physiquement et économiquement indépendant, n’a pas de problème de santé majeur et n’est pas marié, le requérant, à son âge, se trouverait dans une situation compliquée s’il était renvoyé en Iran. Il se trouverait séparé de ses enfants et petits-enfants. Il serait sans doute exposé à des difficultés de réintégration, sachant qu’il n’est retourné que ponctuellement dans son pays d’origine et que selon ses dires il n’y dispose plus de ses frères et sœurs.

Les circonstances entourant le cas du requérant doivent être considérées comme particulières. Au regard de celles-ci, les considérations invoquées par les autorités nationales se rapportant aux précédentes décisions contraignantes pour le requérant de quitter le pays, à son séjour illégal sur le territoire depuis 2002 et à ses condamnations antérieures pour de graves infractions pénales peuvent certes être considérées comme des motifs pertinents, mais elles ne peuvent pas passer pour suffisantes compte tenu notamment de la durée totale extrêmement longue de son séjour, de ses liens et du centre d’intérêt de sa vie dans ce pays déjà établis pendant son séjour légal, de son âge avancé, de l’incertitude quant aux relations encore existantes dans son pays d’origine, de l’absence de graves infractions pénales depuis 2005 et des efforts insuffisants des autorités nationales depuis plus de 20 ans pour l’expulser.

En outre, si le TA-AG, en juin 2018, a fait un examen relativement circonstancié de la situation personnelle du requérant et des possibilités d’octroi d’un titre de séjour pour décider du rejet de son recours, le Tribunal fédéral dans son arrêt d’octobre 2018 a rejeté le recours du requérant sans s’être livré à un examen approfondi des critères au regard de l’article 8 et sans avoir procédé à une mise en balance complète de tous les aspects pertinents de l’espèce.

Les autorités internes, malgré leur marge d’appréciation, dans les circonstances particulières de la présente affaire n’ont pas démontré avoir ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, mais ont plutôt attribué un poids excessif à l’intérêt général en refusant d’accorder au requérant une autorisation de séjour pour rentiers.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : Le constat d’une violation fournit en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant.

(Voir aussi Slivenko c. Lettonie [GC], 48321/99, 9 octobre 2003, Résumé juridique ; Jeunesse c. Pays-Bas [GC], 12738/10, 3 octobre 2014, Résumé juridique ; A.S. c. Suisse, 39350/13, 30 juin 2015 ; Danelyan c. Suisse (déc.), 76424/14 et 76435/14, 29 mai 2018 ; Belli et Arquier-Martinez c. Suisse, 65550/13, 11 décembre 2018, Résumé juridique ; I.M. c. Suisse, 23887/16, 9 avril 2019, Résumé juridique ; Pormes c. Pays-Bas, 25402/14, 28 juillet 2020, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le mai 9, 2023 par loisdumonde

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