Avis consultatif sur le statut et les droits procéduraux d’un parent biologique dans la procédure d’adoption d’un adulte

Cour européenne des droits de l’homme

GRANDE CHAMBRE
AVIS CONSULTATIF
sur le statut et les droits procéduraux d’un parent biologique dans la procédure d’adoption d’un adulte
demandé par
la Cour suprême de Finlande
(Demande no P16-2022-001))

STRASBOURG
13 avril 2023

Cet avis est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Síofra O’Leary, présidente
Georges Ravarani,
Marko Bošnjak,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pere Pastor Vilanova,
Arnfinn Bårdsen,
Faris Vehabović,
Mārtiņš Mits,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Jolien Schukking,
Saadet Yüksel,
Peeter Roosma,
Ana Maria Guerra Martins,
Mattias Guyomar,
Frédéric Krenc,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Søren Prebensen, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mars 2023,

Rend l’avis que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. Par une lettre du 3 octobre 2022 adressée à la greffière de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour »), la Cour suprême de Finlande a sollicité auprès de la Cour, au titre de l’article 1 du Protocole no 16 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« le Protocole no 16 » et « la Convention »), un avis consultatif sur les questions énoncées au paragraphe 8 ci-dessous.

2. Cette lettre est parvenue au greffe le 10 octobre 2022 et la demande d’avis consultatif est considérée par la Cour comme ayant été formellement introduite à cette date.

3. Le 7 novembre 2022, le collège de cinq juges de la Grande Chambre de la Cour, composé conformément aux articles 2 § 3 du Protocole no 16 et 93 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), a décidé d’accepter cette demande.

4. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée le 15 novembre 2022 conformément aux articles 24 § 2 g) et 94 § 1 du règlement.

5. Par des lettres du 16 novembre 2022, la greffière a informé les parties à la procédure interne que la présidente les invitait à soumettre à la Cour des observations écrites sur la demande d’avis consultatif dans un délai expirant le 9 janvier 2023 (articles 3 du Protocole no 16 et 94 § 3 du règlement). Dans ce délai, des observations écrites ont été reçues de A, l’appelante dans la procédure devant la Cour suprême. Tant la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe que le gouvernement finlandais ont informé la greffière qu’ils n’exerceraient pas leur droit de présenter des observations écrites (article 3 du Protocole no 16).

6. Les observations de A ont été transmises à la Cour suprême, qui a informé la Cour qu’elle ne formulerait pas de remarques à cet égard (article 94 § 6 du règlement).

7. Après la clôture de la procédure écrite, la présidente de la Grande Chambre a décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience (article 94 § 5 du règlement).

LES QUESTIONS POSÉES

8. Les questions posées dans la demande d’avis consultatif étaient formulées comme suit :

« 1) La Convention doit-elle être interprétée en ce sens que les procédures judiciaires relatives à l’adoption d’un enfant majeur en général, et dans les circonstances de l’espèce en particulier, relèvent de la protection du parent biologique découlant de l’article 8 de la Convention ?

2) En cas de réponse affirmative à la question ci-dessus, les articles 6 et 8 de la Convention doivent-ils être interprétés en ce sens que le parent biologique d’un enfant majeur doit dans tous les cas, ou dans les circonstances de l’espèce en particulier, être entendu dans la procédure judiciaire relative à l’autorisation de l’adoption ?

3) En cas de réponse affirmative aux questions ci-dessus, les articles 6 et 8 de la Convention doivent-ils être interprétés en ce sens que le parent biologique d’un enfant majeur doit se voir accorder la qualité de partie à la procédure et qu’il doit avoir le droit, en formant un appel, de faire réexaminer par une juridiction supérieure la décision autorisant l’adoption ? »

LE CONTEXTE ET LA PROCÉDURE INTERNE DANS LE CADRE DESQUELS S’INSCRIT LA DEMANDE D’AVIS CONSULTATIF

9. La demande s’inscrit dans le contexte d’une procédure, engagée au titre de la loi finlandaise relative à l’adoption, concernant l’adoption d’un adulte.

10. En décembre 2018, une femme, B, saisit le tribunal de district d’une demande visant à obtenir l’autorisation d’adopter C, son neveu né en 1993, fils de sa sœur A.

11. C avait passé les premières années de sa vie avec sa mère et, comme le releva le tribunal de district, une relation étroite parent-enfant se développa alors entre eux. En janvier 1997, B fut désignée tutrice supplétive de l’enfant, à la demande de A, compte tenu de la situation d’instabilité durable dans laquelle celle-ci se trouvait, puisqu’elle était alors veuve, mère célibataire de trois enfants non encore scolarisés et étudiante. Dans la demande de tutelle, il était indiqué qu’A et B s’étaient entendues pour demander cette mesure après en avoir longuement et sérieusement discuté. Il était également précisé que l’adoption avait aussi été envisagée mais qu’elle n’avait pas été jugée possible à ce moment-là. Lorsqu’elle fut entendue ultérieurement au cours de la procédure d’adoption, A déclara qu’elle n’avait jamais envisagé que sa sœur adopte C.

12. B accueillit C chez elle en 1996. L’enfant avait alors à peine plus de trois ans. Il demeura chez B jusqu’à ce que, en 2016, il emménage seul. B était célibataire et n’avait pas d’enfants.

13. Seule titulaire de l’autorité parentale sur son fils jusqu’en 1997, A la conserva et la partagea avec B à partir du moment où celle-ci fut désignée tutrice supplétive. En 1998, le lien de filiation entre C et son père, D, fut formellement reconnu, sans que cela n’ait d’effet sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale mises en place l’année précédente.

14. Comme le constata le tribunal de district dans sa décision concernant l’adoption de C, la mère de celui-ci continua à participer à l’éducation de l’enfant avec B (notamment pour les contacts avec la garderie, l’école et divers professionnels de santé) et à faire partie de sa vie quotidienne. C passait du temps avec sa mère lorsque B travaillait ou s’absentait. Ses relations avec ses quatre frères et sœurs – les autres enfants de A – furent qualifiées de relativement étroites. C passait des week-ends et des vacances avec sa mère, sa tante et ses frères et sœurs. Le tribunal de district releva que la relation entre A et C n’avait jamais été interrompue pendant que ce dernier était mineur, et il la qualifia de bonne et chaleureuse. C continuait à désigner A comme sa mère et B comme sa tante et il appelait B par son prénom. Le tribunal de district observa également que, une fois adulte, C continua à entretenir avec A une relation ordinaire, même si cette relation comportait également quelques conflits, notamment quant à la procédure d’adoption.

15. La procédure suivie devant le tribunal de district fut menée sur le fondement de la loi relative à l’adoption (voir la partie « Droit et pratique internes pertinents » ci‑dessous). En vertu de cette loi, pour que l’adoption d’un adulte soit autorisée il doit être établi qu’au moins l’une des conditions énoncées à l’article 4 est réalisée, c’est-à-dire que lorsque la personne à adopter était encore mineure, elle a été élevée par celle qui souhaite l’adopter ou une relation comparable à celle existant entre un enfant et son parent a été établie entre elles d’une autre manière.

16. Lors de l’examen de la demande, le tribunal de district entendit les témoignages de B et de C. Il entendit également A, ainsi que D, le père biologique de C. A déclara qu’elle s’opposait à l’adoption. Elle soutenait que les conditions légales préalables à l’adoption n’étaient pas satisfaites puisqu’elle avait continué à jouer son rôle de mère jusqu’à la majorité de son fils. Elle alléguait que cette adoption était en réalité motivée par des raisons successorales et fiscales. De son côté, D n’exprima aucune opposition à la demande d’adoption.

17. Le tribunal de district entendit également la déposition d’une amie de B, qui soutenait la position de celle-ci. Il entendit aussi trois personnes citées par A : un des frères de C, une amie de la famille et une psychologue. Ces auditions furent menées sur le fondement de l’article 53 de la loi relative à l’adoption (voir le commentaire de la Cour suprême sur ce point au paragraphe 24 ci-dessous).

18. Le tribunal de district rendit sa décision le 9 mars 2021. À la lumière des témoignages recueillis et des preuves écrites produites devant lui par B et par A, il décida d’autoriser l’adoption. Il tint le raisonnement suivant :

« Il a été prouvé en l’espèce que [C] a été pris en charge et élevé par [B] alors qu’il était mineur. Sur la base des précisions apportées, le tribunal de district constate que [C] et [B] sont toujours en contact étroit l’un avec l’autre, même si [C] vit déjà seul. [C] souhaite que l’adoption soit autorisée. Il n’a pas été démontré en l’espèce que la demande soit présentée pour des motifs contraires au but de la loi relative à l’adoption. Si un certain nombre de circonstances, exposées ci-dessus, militent contre l’autorisation de cette adoption, le tribunal de district accorde plus d’importance et de poids au désir ferme de la demanderesse et de l’adopté de rendre officielle leur relation, qui est comparable à celle d’un parent et de son enfant et qui s’est nouée sur une longue durée, pendant que [B] a pris soin de l’adopté et l’a élevé alors qu’il était mineur. Le tribunal de district estime qu’il existait entre l’adopté et la candidate à l’adoption lorsque l’adopté était mineur une relation étroite et continue qui comprenait de manière significative le type de soins et d’attention habituellement présents dans une relation entre un enfant et son parent. »

19. Dans sa décision, le tribunal de district indiqua qu’un appel pouvait être formé dans un délai de sept jours. A déclara son intention d’interjeter appel dans ce délai.

20. Le 5 novembre 2021, la cour d’appel rejeta le recours formé par A, sans l’examiner au fond. Elle jugea qu’il ressortait clairement du libellé des dispositions pertinentes de la loi relative à l’adoption que le parent d’un adulte n’est pas partie à la procédure concernant l’adoption de son enfant et n’a aucun droit de recours contre une décision concernant cette adoption.

21. La cour d’appel se référa également à l’article 8 de la Convention et à l’interprétation de la Cour selon laquelle la notion de « vie familiale » ne s’applique pas à la relation entre un parent et son enfant adulte à moins qu’il n’existe entre eux des éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux. Elle estima que tel n’était pas le cas entre A et C et que rien ne justifiait de donner à la disposition analogue de la Constitution finlandaise (l’article 10 § 1) une interprétation plus large que celle donnée par la Cour à l’article 8 de la Convention. Elle conclut ainsi que la question soulevée ne relevait pas de la protection de la vie familiale de A, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’apprécier si le refus d’accorder un droit de recours à cette dernière avait emporté violation de ses droits fondamentaux.

22. A sollicita auprès de la Cour suprême l’autorisation de former un recours contre cette décision. Cette procédure est pendante dans l’attente de l’examen par la Cour de la demande d’avis consultatif dont elle a été saisie.

23. Dans sa demande, la Cour suprême formule sa propre analyse des problèmes soulevés dans les questions qu’elle pose et explique pourquoi il lui est nécessaire d’obtenir un avis consultatif. Elle expose que si la loi relative à l’adoption exige, lorsque l’adopté est mineur, que les parents biologiques soient entendus dans le cadre de la procédure, rien n’impose, lorsqu’il s’agit de l’adoption d’un adulte, d’obtenir le consentement des parents biologiques, ni même de les entendre, bien que l’adoption entraîne pour eux la perte de leur qualité de parents. Elle précise que, contrairement aux parents biologiques d’un mineur, dont le droit de recours est prévu par l’article 56 de la loi relative à l’adoption, les parents biologiques d’un adulte n’ont aucun droit de recours à l’égard de l’autorisation d’adoption de leur enfant. Elle fait observer que si les travaux préparatoires de la législation actuellement en vigueur (adoptée en 2012) et de celle qui l’a précédée (lois de 1985 et de 1979) ne contiennent aucune indication sur les droits procéduraux des parents biologiques dans le cas de l’adoption d’un majeur, il est expressément précisé dans les travaux préparatoires de la loi de 1979 que cette forme d’adoption est une question personnelle entre l’adoptant et l’adopté. Selon la Cour suprême, on pourrait en conclure que le législateur n’a pas considéré que les parents d’un enfant majeur avaient besoin d’une protection juridique, et que ceux-ci n’ont donc aucun statut procédural dans la procédure d’adoption.

24. La Cour suprême fait observer qu’alors même que A n’était pas partie à la procédure devant le tribunal de district et qu’il n’y avait aucune obligation de l’entendre au titre de l’article 54 de la loi relative à l’adoption (paragraphe 32 ci-dessous), le tribunal l’a entendue de sa propre initiative afin de recueillir des éléments en vertu de l’article 53. Elle précise que, selon la jurisprudence interne, le simple fait que A ait été entendue à différents stades de la procédure ne lui confère pas la qualité de partie ni un droit de recours contre la décision rendue. Elle ajoute que A n’est pas non plus devenue partie au simple motif qu’elle s’est opposée à l’adoption.

25. Se référant à la jurisprudence de la Cour relative au sens de la notion de « vie familiale » dans le contexte de l’article 8 de la Convention, notamment sur le fait que les liens familiaux entre des adultes et leurs parents ou frères et sœurs ne relèvent pas de la portée de cette notion à moins qu’il n’existe entre eux des éléments supplémentaires de dépendance, la Cour suprême souligne que, dans la procédure menée devant elle, il n’a même pas été allégué qu’une dépendance particulière existât entre C et B ou entre C et A. Elle estime par conséquent qu’il n’y a pas lieu d’examiner la question sous l’angle de la protection de la vie familiale, mais elle n’exclut pas qu’il faille l’envisager sous l’angle de la protection de la vie privée, compte tenu de la jurisprudence de la Cour sur ce point.

26. La Cour suprême considère que la jurisprudence de la Cour n’énonce pas clairement quel poids doit être accordé aux circonstances qui relèvent de la protection de la vie privée et familiale du parent biologique en pareil cas. Si la Convention exige qu’il y ait dans le cadre de la procédure interne une mise en balance des intérêts de B et C en matière de vie privée, d’une part, et de ceux de A, d’autre part, la Cour suprême ne voit pas bien quel poids il convient d’accorder aux intérêts de A ni quelles exigences procédurales découlent des droits garantis par la Convention.

LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La Constitution finlandaise

27. En sa partie pertinente, l’article 1 de la Constitution est ainsi libellé :

« Le régime constitutionnel garantit l’inviolabilité de la dignité humaine, la liberté et les droits des individus et contribue à promouvoir la justice sociale. »

La vie privée est protégée par l’article 10, qui est ainsi libellé, en sa partie partinente :

« La vie privée, l’honneur et l’inviolabilité du domicile de chacun sont garantis. »

L’article 21 concerne la protection juridique. Il prévoit ceci :

« Chacun a droit à ce que sa cause soit examinée de façon appropriée et sans délai excessif par le tribunal compétent ou par une autre instance, et à ce qu’un tribunal ou un autre organe indépendant d’administration de la justice examine les décisions rendues sur ses droits et obligations.

Les dispositions concernant la publicité de la procédure ainsi que le droit à être entendu, à recevoir des décisions motivées et à former un recours, de même que les autres garanties du procès équitable et d’une bonne administration, sont énoncées dans une loi. »

B. La loi relative à l’adoption

28. L’article 4 de la loi relative à l’adoption définit ainsi les conditions applicables à l’adoption d’un adulte :

« L’adoption d’un adulte peut être autorisée s’il a été établi que, lorsqu’il était encore mineur, il a été pris en charge et élevé par le candidat à l’adoption ou une relation comparable à celle existant entre un enfant et son parent a été établie entre eux d’une autre manière. »

29. L’article 11 énonce l’obligation d’obtenir le consentement des parents, mais seulement en cas d’adoption d’un mineur. Pour l’adoption d’un adulte, il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement des parents biologiques.

30. En ce qui concerne les effets juridiques de l’adoption, l’article 18 prévoit ce qui suit, en sa partie pertinente :

« Une fois que l’adoption a été autorisée, l’adopté doit être considéré comme l’enfant de ses parents adoptifs et non de ses anciens parents, sauf disposition expresse contraire dans la loi ou exception découlant de la nature de l’adoption. »

31. L’article 53, sur le recueil d’éléments, est ainsi libellé :

« Le tribunal ordonne de sa propre initiative la production de tous les éléments nécessaires à la résolution de l’affaire concernant la demande d’adoption et entend, s’il y a lieu, toutes les personnes susceptibles de fournir des informations sur la question. »

32. L’article 54, qui concerne les auditions, dispose en son premier paragraphe qu’il faut donner aux parents d’un mineur la possibilité d’être entendus sur la demande d’adoption de leur enfant. L’article 56, sur le droit de recours, prévoit ce qui suit :

« Le candidat à l’adoption, l’enfant et toute personne devant être entendue en vertu de l’article 54 § 1 ont le droit de former un appel contre la décision de justice rendue sur la demande d’adoption. »

Comme l’indique la Cour suprême (paragraphe 23 ci-dessus), la loi relative à l’adoption ne reconnaît pas de droit de recours à une personne se trouvant dans la situation de A, c’est-à-dire au parent biologique d’un adulte.

C. La notion de « légitimité en tant que partie proprement dite »

33. Dans sa demande, la Cour suprême explique que par cette notion on entend le droit d’engager en son nom propre une action en justice, généralement déterminé selon le cercle des parties et la législation de fond. Dans les affaires concernant une personne, la légitimité en tant que partie proprement dite est déterminée sur la base des dispositions légales applicables, et non de l’intérêt à agir. Elle précise qu’il a toutefois été jugé dans la jurisprudence interne qu’il peut être nécessaire, pour apprécier le droit à être entendu dans ce type d’affaires, de tenir compte des dispositions et principes relatifs à la protection de la vie familiale.

ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

34. Dans le cadre de la présente procédure, la Cour a mené une étude comparative couvrant trente-huit États contractants. Il en ressort qu’outre la Finlande, vingt et un de ces États autorisent l’adoption d’un adulte[1] : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Géorgie, la Grèce, l’Islande, l’Italie, le Liechtenstein, le Luxembourg, Malte, la Norvège, la République tchèque, la Roumanie, Saint-Marin, la Suède, la Suisse, la Türkiye et l’Ukraine.

35. La forme que peut revêtir l’adoption d’un adulte varie d’un État à l’autre. Dans certains d’entre eux, seule une adoption simple est possible, c’est-à-dire que le lien entre l’adopté et sa famille biologique n’est pas rompu : ce type d’adoption a pour seul effet de créer un lien juridique entre l’adoptant et l’adopté. D’autres États prévoient une adoption plénière, dont l’effet, comme c’est le cas en Finlande, est de rompre le lien entre l’adopté et sa famille biologique. Certains États prévoient les deux types d’adoption.

36. Dans tous ceux des États étudiés qui prévoient la possibilité d’adopter un adulte, la loi soumet à différentes conditions l’autorisation de l’adoption. Il peut s’agir de s’assurer que l’adoption est dans l’intérêt légitime de la personne à adopter, qu’elle est opportune, qu’il existe entre l’adoptant et l’adopté un lien correspondant factuellement à un lien parent-enfant, dont la durée minimale peut être fixée par la loi (de un à six ans), qu’il existe un lien de parenté biologique entre la personne à adopter et la personne souhaitant l’adopter, que la personne à adopter n’a plus de parents biologiques ou a été délaissée par ses parents lorsqu’elle était enfant, ou encore qu’elle a besoin d’une assistance permanente. Dans deux des États étudiés, il est prévu que les intérêts des parents biologiques doivent être pris en compte. En République tchèque, l’adoption ne peut être autorisée si elle est contraire aux intérêts légitimes des parents biologiques, ce qui peut être le cas si la relation entre la personne à adopter et ses parents biologiques est vitale (par exemple si un parent est dépendant de son enfant du fait de son état de santé). En Allemagne, une adoption « ayant les mêmes effets que ceux découlant de l’adoption d’un mineur » ne peut être autorisée s’il apparaît qu’elle serait contraire aux « intérêts supérieurs » des parents biologiques.

37. Dans deux des États étudiés[2], le consentement des parents biologiques est requis, mais il est possible de s’en dispenser s’il est refusé de manière injustifiée ou déraisonnable. Les parents biologiques sont entendus au cours de la procédure.

38. Dans dix autres États[3], les parents biologiques ont un certain statut procédural ou certains droits procéduraux. Ils peuvent avoir formellement la qualité de partie à la procédure (par exemple en Allemagne) ou de tierce partie disposant d’un droit de recours limité (par exemple en France), ou ils peuvent être autorisés à demander à se joindre à la procédure (par exemple en Espagne). Ils peuvent se voir accorder le droit à être entendus (par exemple en Autriche, au Liechtenstein ou en République tchèque), ou le droit à ce que leur avis soit pris en compte (par exemple en Belgique, en Norvège, en Suède et en Suisse).

39. Dans plusieurs États[4], comme en Finlande, les parents biologiques n’ont ni statut ni droits dans la procédure d’adoption d’un adulte. Dans les autres États étudiés[5], la question n’est pas clairement tranchée dans la législation pertinente.

40. En ce qui concerne la jurisprudence interne pertinente, l’étude cite des décisions dans lesquelles les juridictions autrichiennes ont jugé que le parent biologique avait seulement le droit d’être entendu, ce qui supposait que le tribunal était tenu d’examiner leurs arguments mais non d’y faire droit (décisions du tribunal civil régional de 2006 et de 2010).

41. Il y est fait mention également d’une décision belge rendue dans une affaire où le père biologique s’opposait à l’adoption de sa fille adulte, arguant qu’on ne pouvait accorder plus de poids au lien émotionnel existant entre elle et le candidat à l’adoption qu’à son propre droit au respect de sa vie familiale (Cour de cassation, 2013). La Cour de cassation a estimé que les juridictions de première et deuxième instance avaient jugé à juste titre que dans la mise en balance des intérêts légitimes de toutes les personnes concernées, les arguments en faveur de l’adoption pesaient plus lourd. Les juges ont considéré que l’avantage représenté par l’adoption l’emportait sur tout désavantage moral qui en découlerait pour le père ou toute réduction de ses droits successoraux, en particulier parce que le lien juridique entre le père et sa fille ne serait pas rompu (il s’agissait d’une adoption simple).

42. L’étude mentionne aussi une décision de 2007 dans laquelle la Cour constitutionnelle allemande s’est prononcée sur le grief d’une femme qui se plaignait de ne pas avoir été informée de la procédure d’adoption concernant sa fille adulte et de ne pas avoir pu, dès lors, y prendre part. Les juges allemands ont conclu à la violation des articles 2 § 1 et 20 § 3 de la Constitution. Ils ont estimé que, de manière générale, les parents biologiques (qui sont également les parents juridiques) doivent être informés au préalable de la procédure d’adoption plénière afin de pouvoir exposer leurs arguments, puisque l’adoption d’un adulte sous cette forme affecte leurs droits et intérêts juridiques. Ils ont infirmé l’ordonnance d’adoption et renvoyé l’affaire devant le tribunal compétent pour que celui-ci statue sur l’opportunité d’annuler l’adoption, en tenant compte des intérêts de la mère biologique.

43. L’étude cite enfin une décision rendue en 1999 par la Cour constitutionnelle italienne sur le droit du parent d’un mineur à contester l’adoption de son enfant. Les juges italiens ont distingué ce type d’adoption de l’adoption d’un adulte, observant que, dans le second cas, l’adopté jouit de la pleine capacité procédurale, dont un droit de recours autonome, ce qui expliquait selon eux pourquoi il n’était pas prévu de droit de recours pour les parents biologiques.

AVIS DE LA COUR

I. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

44. La Cour juge utile de rappeler ici les considérations suivantes, qu’elle a formulées dans plusieurs des avis consultatifs qu’elle a rendus à ce jour (voir, dernièrement, Avis consultatif concernant l’applicabilité de la prescription aux poursuites, condamnations et sanctions pour des infractions constitutives, en substance, d’actes de torture [GC], demande no P16‑2021‑001, Cour de cassation arménienne, §§ 53-55, 26 avril 2022). Comme l’indique le préambule du Protocole no 16, la procédure consultative a pour but de renforcer l’interaction entre la Cour et les autorités nationales et de consolider ainsi la mise en œuvre de la Convention, conformément au principe de subsidiarité. Elle donne la possibilité aux juridictions nationales désignées de demander à la Cour un avis sur « des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles » (article 1 § 1 du Protocole no 16) qui se posent « dans le cadre d’une affaire pendante devant elle[s] » (article 1 § 2 du Protocole no 16). L’objectif de la procédure n’est pas de transférer le litige à la Cour, mais de donner à la juridiction dont émane la demande les moyens nécessaires pour garantir le respect des droits protégés par la Convention lorsqu’elle jugera le litige en instance. La Cour n’est compétente ni pour se livrer à une analyse des faits, ni pour apprécier le bien‑fondé des points de vue des parties relativement à l’interprétation du droit interne à la lumière du droit de la Convention, ni pour se prononcer sur l’issue de la procédure. Son rôle se limite à rendre un avis sur les questions qui lui sont posées. C’est à la juridiction dont émane la demande qu’il revient de résoudre les questions que soulève l’affaire et de tirer, selon le cas, toutes les conséquences qui découlent de l’avis donné par la Cour pour les dispositions du droit interne invoquées dans l’affaire et pour l’issue de l’affaire (ibidem, § 53).

45. La Cour a déduit de l’article 1 §§ 1 et 2 du Protocole no 16 que les avis qu’elle est amenée à rendre en application de ce protocole doivent « se limiter aux points qui ont un lien direct avec le litige en instance au plan interne ». Leur intérêt est également de fournir aux juridictions nationales des orientations sur des questions de principe relatives à la Convention applicables dans des cas similaires (ibidem, § 54).

46. Pour formuler son avis, la Cour prendra dûment en compte les observations écrites et les autres pièces produites au cours de la procédure menée devant elle. Il ne s’agit toutefois pas pour elle de répondre à chacun des moyens et arguments qui lui sont soumis, ni de développer en détail les fondements de sa réponse. En application du Protocole no 16, son rôle n’est pas de statuer contradictoirement sur des requêtes contentieuses par un arrêt ayant force obligatoire mais, dans un délai aussi rapide que possible, de fournir à la juridiction qui a procédé à la demande une orientation lui permettant de garantir le respect des droits protégés par la Convention lorsqu’elle jugera le litige en instance (ibidem, § 55).

II. LES QUESTIONS POSÉES PAR LA COUR SUPRÊME

47. Pour autant qu’elles concernent l’article 8 de la Convention, les questions posées par la Cour suprême portent essentiellement sur le point de savoir si cette disposition – en ses volets vie familiale ou vie privée – est applicable aux procédures judiciaires relatives à l’adoption d’un enfant majeur. Dans l’affirmative, la Cour suprême demande si le parent biologique de l’adopté a dans ces procédures un droit à être entendu, et s’il doit se voir accorder la qualité de partie à la procédure et le droit de former un recours contre la décision ayant autorisé l’adoption.

48. La Cour examinera d’abord ces questions sous l’angle du volet de l’article 8 relatif à la « vie familiale ».

49. En matière d’adoption d’enfants, la jurisprudence de la Cour est abondante. Les principes généraux pertinents sont énoncés en détail dans l’arrêt Strand Lobben et autres c. Norvège [GC] (no 37283/13, §§ 202-213, 10 septembre 2019). Cette jurisprudence repose sur l’hypothèse où les autorités ont fait ingérence dans la vie familiale du ou des parents requérants en restreignant la possibilité pour le parent et son enfant d’être ensemble. Il existe dans ces affaires des intérêts concurrents entre lesquels il faut ménager un juste équilibre, la considération primordiale étant l’intérêt supérieur de l’enfant. De nombreux arrêts ayant été rendus dans des affaires qui portaient sur le placement d’enfants, une autre constante de la jurisprudence de la Cour est l’obligation qui pèse sur les autorités de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille et, le cas échéant et le moment venu, de la reconstituer. La rupture du lien entre un enfant et sa famille n’est admissible que dans des circonstances très exceptionnelles. La pertinence de ces principes pour les faits de l’espèce est très limitée.

50. Comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 25 ci-dessus, la Cour suprême se réfère dans sa demande à la jurisprudence de la Cour selon laquelle les relations entre des adultes et leurs parents ne relèvent pas de la protection de l’article 8, à moins que ne soit démontrée l’existence entre eux d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux. Cette interprétation a été énoncée à l’origine dans le contexte de l’immigration (S. et S. c. Royaume-Uni, no 10375/83, décision de la Commission du 10 décembre 1984, Décisions et rapports (DR) 40, p. 196) et elle est principalement suivie dans des affaires de regroupement familial ou d’expulsion. Dans le contexte spécifique de l’expulsion d’immigrés établis, la Cour a fait une exception pour les jeunes adultes. Elle a rappelé récemment dans l’arrêt Savran c. Danemark [GC] (no 57467/15, 7 décembre 2021) ce qui suit (citations omises) :

« 174. Dans certaines affaires, la Cour a dit qu’elle ne peut conclure à l’existence d’une vie familiale entre parents et enfants adultes ou entre frères et sœurs adultes que si ceux-ci parviennent à démontrer l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance (…), mais dans plusieurs autres affaires concernant de jeunes adultes qui vivaient encore chez leurs parents et qui n’avaient pas encore fondé leur propre famille, elle n’a pas exigé que l’existence de tels éléments soit démontrée (…). Comme indiqué ci-dessus, c’est en fonction des circonstances de l’affaire portée devant elle que la Cour décide s’il convient de mettre l’accent sur l’aspect « vie familiale » plutôt que sur l’aspect « vie privée ». »

Cette interprétation, qui accorde du poids à l’existence d’un élément de dépendance, a été suivie également dans d’autres contextes. Par exemple, dans l’affaire Emonet et autres c. Suisse (no 39051/03, § 37, 13 décembre 2007), la Cour a estimé qu’il existait entre les trois requérants, au moment de l’examen de l’affaire, un lien qui pouvait être qualifié de familial de facto, impliquant l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux, à raison du handicap de la première requérante et du fait qu’en conséquence, elle avait besoin des soins et du soutien que lui prodiguaient les deux autres requérants. Plus récemment, dans l’arrêt Bierski c. Pologne (no 46342/19, § 47, 20 octobre 2022), la Cour a qualifié de familiale la relation entre le requérant et son fils – alors adulte – en cause dans cette affaire, compte tenu notamment de la dépendance du fils due à son handicap mental.

51. Comme cela a déjà été observé (paragraphe 25 ci-dessus), aucun élément de dépendance n’existe entre A et C. Il ne ressort pas non plus du dossier, et notamment des observations reçues de A, que sa relation avec C ait un aspect patrimonial ou financier (sur la pertinence de cet élément lorsqu’il existe, voir Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 52, série A no 31).

52. Au vu des éléments qui précèdent – qui coïncident avec l’analyse de la Cour suprême – il y a lieu de faire porter l’examen sur le volet de l’article 8 relatif à la vie privée (Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 63, CEDH 2008).

53. La Cour rappelle que l’article 8 garantit un droit à la « vie privée » au sens large, qui comprend le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de développer son identité sociale. Ainsi, la « vie privée » d’une personne recouvre de multiples aspects de son identité sociale. Par exemple, la Cour a jugé que l’état civil d’une personne, qu’elle soit mariée, célibataire, divorcée ou veuve, relève de son identité personnelle et sociale protégée par l’article 8 (voir, dernièrement, Fedotova et autres c. Russie [GC], nos 40792/10 et 2 autres, §§ 141 et 143, 17 janvier 2023, et les références qui y sont citées). Sous l’angle de l’article 8, elle a aussi souligné l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (Mennesson c. France, no 65192/11, § 100, CEDH 2014 (extraits), et Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention [GC], demande no P16-2018-001, Cour de cassation française, § 13, 10 avril 2019). Elle a par ailleurs estimé que la notion de vie privée comprend le droit au « développement personnel » ou le droit à l’autodétermination, de même que le droit au respect des décisions d’avoir ou de ne pas avoir un enfant (voir, par exemple, Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 159, 24 janvier 2017, et les références qui y sont citées).

54. La Cour se réfère aux faits de l’affaire pendante devant la Cour suprême, ainsi qu’au droit interne qui s’y applique, tels que présentés par la Cour suprême. A est la mère biologique de C et des quatre frères et sœurs de celui‑ci. En vertu du droit interne, l’adulte adopté est considéré comme l’enfant de ses parents adoptifs et non de ses anciens parents (paragraphe 30 ci-dessus).

55. Pour autant que l’identité du parent biologique est en jeu, compte tenu de l’effet de rupture du lien de filiation avec l’enfant adulte et au vu des principes rappelés ci-dessus, la Cour considère qu’à l’égard du parent biologique, le volet vie privée de l’article 8 s’applique aux procédures judiciaires relatives à l’adoption d’un adulte telles que celle pendante devant la juridiction dont émane la demande.

56. Il convient de souligner, toutefois, que pareille procédure concerne aussi, et vraisemblablement plus encore, la vie privée de l’adoptant et de l’adopté adulte. Comme cela a également été établi dans la jurisprudence pertinente, l’autonomie personnelle reflète un principe important dans l’interprétation des garanties de l’article 8 (Fedotova et autres, précité, § 141). Ce principe revêt d’autant plus d’importance dans le contexte de la procédure d’adoption d’un adulte que celle-ci concerne avant tout l’autonomie personnelle de l’adoptant et de l’adopté. Ainsi, si le parent biologique a droit à ce que soit dûment respectée son autonomie personnelle, élément central de sa vie privée, cette autonomie doit être comprise comme délimitée par l’autonomie personnelle et la vie privée de l’adoptant et de l’adopté, également protégées par l’article 8, lequel s’applique à « toute personne ».

57. Les orientations que la juridiction dont émane la demande sollicite dans ses deuxième et troisième questions relatives à l’article 8 de la Convention concernent essentiellement les exigences procédurales à respecter dans la procédure interne. La Cour rappelle que si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, lorsque sont en jeu les intérêts d’une personne protégés par cette disposition, la personne en question doit être associée au processus décisionnel, considéré comme un tout, dans une mesure assurant la protection requise de ces intérêts (voir, parmi beaucoup d’autres arrêts, Lazoriva c. Ukraine, no 6878/14, § 63, 17 avril 2018, et les références qui y sont citées). Il faut toutefois tenir dûment compte du fait que la procédure interne concerne la sphère des relations interpersonnelles. Le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 dans ce domaine relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. Il existe en effet plusieurs manières différentes d’assurer le respect de la vie privée, et la nature de l’obligation de l’État dépendra de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (López Ribalda et autres c. Espagne [GC], nos 1874/13 et 8567/13, § 112, 17 octobre 2019 ; voir aussi Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 46, CEDH 2003-III).

58. Il apparaît à la Cour, eu égard aux dispositions de la loi relative à l’adoption et aux explications fournies par la Cour suprême, que le fait qu’il n’ait pas été conféré aux parents biologiques le droit à être entendus en tant que parties ou un droit de recours dans le cadre de la procédure d’adoption de leur enfant adulte reflète la position du législateur finlandais selon laquelle cette procédure est fondamentalement différente de celle portant sur l’adoption d’un mineur, où ces deux droits sont reconnus aux parents. Pour sa part, la Cour a indiqué (au paragraphe 49 ci‑dessus) que la pertinence de sa jurisprudence en matière d’adoption de mineurs est très limitée au regard des circonstances de la procédure interne dont il est ici question.

59. Il apparaît, par ailleurs, que les conditions d’autorisation de l’adoption d’un adulte en Finlande, énoncées à l’article 4 de la loi relative à l’adoption, sont essentiellement factuelles, c’est-à-dire que la procédure suppose de la part des juridictions une appréciation de la nature de la relation qui existait entre l’adoptant et l’adopté lorsque ce dernier était mineur. Conformément à la position du droit interne selon laquelle cette forme d’adoption est essentiellement une question personnelle, les intérêts d’autres parties – notamment ceux des parents biologiques – n’entrent pas en ligne de compte. Eu égard à l’importance de la notion d’autonomie personnelle dans l’interprétation de l’article 8, la Cour considère que cette conception de la procédure d’adoption d’un adulte peut être considérée comme relevant de la marge d’appréciation des autorités internes.

60. Il ne ressort pas de l’étude comparative mentionnée ci-dessus qu’il existe sur ce point précis une pratique commune parmi les États qui autorisent l’adoption d’un adulte. Il semble que les intérêts des parents biologiques ne soient expressément pris en compte que dans peu de systèmes juridiques (voir les exemples tchèque et allemand mentionnés au paragraphe 36 ci-dessus). Il est cependant plus fréquent que les parents biologiques aient une certaine qualité pour agir ou certains droits procéduraux dans une telle procédure, généralement le droit à être entendus par le tribunal (voir les douze États mentionnés à cet égard aux paragraphes 37-38 ci‑dessus). La loi finlandaise relative à l’adoption ne prévoit pas cette possibilité. La Cour tient à souligner qu’elle n’a pas pour tâche d’apprécier, de manière générale, la logique et la structure du droit interne applicable. Il lui incombe de donner des orientations à la juridiction dont émane la demande afin que celle-ci puisse s’assurer que la procédure menée devant elle se déroule conformément aux exigences de la Convention telles qu’elles peuvent se présenter dans les circonstances de la cause (paragraphe 44 ci-dessus).

61. Lorsque les intérêts d’un individu protégés par l’article 8 sont en jeu, une garantie procédurale élémentaire consiste à lui offrir la possibilité d’être entendu et à s’assurer que les arguments qu’il avance seront pris en compte aux fins de la décision dans la mesure où ils seront pertinents. La Cour observe qu’il apparaît que c’est ce qui s’est produit devant le tribunal de district. Celui-ci a entendu la mère biologique en personne, ainsi que plusieurs autres témoins cités par elle, et s’est expressément référé à ces témoignages pour déterminer si les conditions étaient réunies pour autoriser l’adoption. Les dispositions pertinentes du droit interne prévoyaient qu’il fallait tenir compte de l’avis de la mère biologique, considérée comme un témoin et non comme une partie. Compte tenu des critères énoncés à l’article 4 de la loi relative à l’adoption, on peut dire que la forme et le degré de la participation de la mère biologique dans la procédure ont été conformes à la nature de celle-ci. Il apparaît, en particulier, que l’intéressée a pu mettre en évidence la nature et la qualité de sa relation avec son fils majeur pendant l’enfance de celui-ci. Il ressort également de la décision du tribunal de district (paragraphe 18 ci-dessus) que ce dernier a examiné les circonstances militant en faveur et en défaveur de l’autorisation de l’adoption. Même si cela a pu paraître insuffisant à la mère biologique, la Cour considère que des garanties supplémentaires et spécifiques, telles que le droit à être considérée comme une partie à la procédure ou le droit de former un recours, ne sont pas requises pour satisfaire aux exigences procédurales découlant de l’article 8 du point de vue de la mère biologique. Il est vrai que dans certains autres systèmes juridiques les parents biologiques se voient accorder la qualité pour agir ou des droits dans la procédure d’adoption de leur enfant adulte (paragraphes 37‑38 et 40-42 ci‑dessus), mais comme cela a été rappelé ci‑dessus, le choix des mesures relève de la marge d’appréciation de l’État, qui est ample dans un domaine tel que celui dont il est ici question.

62. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les procédures judiciaires relatives à l’adoption d’un enfant majeur peuvent être considérées comme affectant la vie privée du parent biologique et font ainsi entrer en jeu certains droits découlant de l’article 8 de la Convention. Ce parent doit se voir offrir la possibilité d’être entendu et ses arguments doivent être pris en compte aux fins de la décision dans la mesure où ils sont pertinents. Eu égard, toutefois, à l’ample marge d’appréciation dont l’État dispose dans l’encadrement de la procédure d’adoption d’un adulte, le respect de l’article 8 n’exige pas que le parent biologique se voit accorder la qualité de partie ni le droit de former un recours contre la décision ayant autorisé l’adoption.

63. Dans ses deuxième et troisième questions, la Cour suprême se réfère également à l’article 6 de la Convention. La Cour a souvent choisi dans sa pratique jurisprudentielle, lorsque des requérants se plaignaient des effets du processus décisionnel sur leurs droits en invoquant à la fois l’article 8 et l’article 6, de se concentrer uniquement sur l’article 8 (voir, par exemple, Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, § 100, CEDH 2003‑VIII (extraits), ou Lazoriva, précité, § 75). Toutefois, une telle pratique ne paraît pas appropriée dans le contexte du Protocole no 16, où, pour fournir des orientations utiles, la Cour peut devoir répondre à tous les éléments soulevés par la juridiction dont émane la demande.

64. Comme la Cour l’a rappelé récemment dans l’arrêt Grzęda c. Pologne ([GC], no 43572/18, §§ 257-264, 15 mars 2022, et les références qui y sont citées), pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous son volet « civil », il faut qu’il y ait contestation sur un « droit » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. De plus, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1.

65. La Cour rappelle que l’objectif du Protocole no 16 n’est pas de lui transférer le litige et qu’elle n’est compétente dans ce contexte ni pour se livrer à une analyse des faits, ni pour apprécier le bien‑fondé des points de vue des parties relativement à l’interprétation du droit interne à la lumière du droit de la Convention (paragraphe 44 ci-dessus).

66. Aux fins de l’applicabilité de l’article 6, il apparaît à la Cour que ce que la mère biologique dans l’affaire pendante au niveau interne invoque en réalité est un « droit » pour un parent biologique, dans le contexte de l’adoption d’un adulte, à ce que ses droits et intérêts soient mis en balance par le tribunal interne compétent et un droit de recours contre l’issue de cette mise en balance si elle lui est défavorable. Cependant, il apparaît que les motifs de fond qui peuvent justifier l’adoption d’un adulte, énoncés à l’article 4 de la loi relative à l’adoption, sont essentiellement factuels, le rôle du tribunal compétent étant de vérifier si les relations entre l’adoptant et l’adopté sont bien de la nature prescrite par la loi. Dans cet exercice, il n’y a pas lieu de prendre en considération les intérêts d’une autre partie. Il semble que la mère biologique conteste essentiellement le libellé clair de la loi relative à l’adoption. Selon la jurisprudence constante de la Cour, toutefois, celle-ci ne saurait créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel n’ayant aucune base légale dans l’État concerné (Grzęda, précité, § 258). Par ailleurs, pour déterminer si le droit en question a un fondement en droit interne, le point de départ doit être les dispositions de la législation pertinente et leur interprétation par les juridictions internes (ibidem, § 259). Compte tenu des explications fournies par la Cour suprême quant au contenu et à la logique des dispositions légales pertinentes (paragraphe 23 ci-dessus), il apparaît que l’on ne saurait prétendre, même de manière défendable, que le droit revendiqué par la mère biologique est reconnu en droit interne (voir, à titre de comparaison, M.S. c. Suède, 27 août 1997, § 49, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV). Il appartient toutefois à la juridiction dont émane la demande de déterminer si tel est le cas, au regard du droit interne et des faits du litige en instance.

67. Si elle confirme que tel est le cas, il y a lieu de répondre aux questions formulées sur le terrain de l’article 6 de la Convention que les procédures judiciaires relatives à l’adoption d’un enfant majeur ne font entrer en jeu aucun droit de la mère biologique reconnu en droit interne et que, dès lors, l’article 6 de la Convention n’est pas applicable à l’égard de cette dernière.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

Rend l’avis que voici :

1. Les procédures judiciaires relatives à l’adoption d’un enfant majeur peuvent être considérées comme affectant la vie privée du parent biologique au sens de l’article 8 de la Convention. Ce parent doit se voir offrir la possibilité d’être entendu et ses arguments doivent être pris en compte aux fins de la décision dans la mesure où ils sont pertinents. Eu égard, toutefois, à l’ample marge d’appréciation dont l’État dispose dans l’encadrement de la procédure d’adoption d’un adulte, le respect de l’article 8 n’exige pas que le parent biologique se voit accorder la qualité de partie ni le droit de former un recours contre la décision ayant autorisé l’adoption.

2. Si la juridiction dont émane la demande détermine que l’on ne saurait prétendre, même de manière défendable, que le droit revendiqué par la mère biologique est reconnu en droit interne, il s’ensuivra que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable à l’égard de cette dernière dans le contexte de la procédure d’adoption d’un adulte.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme à Strasbourg le 13 avril 2023.

Søren Prebensen                   Síofra O’Leary
Adjoint à la greffière                  Présidente

_____________

[1] Dans les États suivants, aucune disposition du droit interne ne prévoit l’adoption d’un adulte : l’Albanie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Estonie, la Hongrie, l’Irlande, la Lettonie, la Macédoine du Nord, la Moldova, le Monténégro, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovaquie et la Slovénie.
[2] L’Italie (qui prévoit l’adoption simple) et Malte (qui prévoit l’adoption plénière).
[3] L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, le Liechtenstein, la Norvège, la République tchèque, la Suède et la Suisse.
[4] Le Danemark, la Roumanie, Saint-Marin et la Türkiye.
[5] La Géorgie, la Grèce, l’Islande, le Luxembourg et l’Ukraine.

Dernière mise à jour le avril 13, 2023 par loisdumonde

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