Résumé juridique
Avril 2023
A.H. et autres c. Allemagne – 7246/20
Arrêt 4.4.2023 [Section IV]
Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée
Impossibilité légale pour un parent transgenre d’indiquer son genre actuel, sans lien avec sa fonction procréatrice, sur l’acte de naissance de son enfant conçu après le changement de genre : non-violation
[Ce résumé concerne également l’arrêt O.H. et G.H. c. Allemagne, 53568/18 et 54741/18, 4 avril 2023]
En fait – Dans l’affaire O.H. et G.H., le premier requérant est né de sexe féminin. Après avoir obtenu la reconnaissance judiciaire de son changement de genre, il a donné naissance au second requérant, son fils, conçu à l’aide d’un donneur de sperme. Il fut enregistré comme mère du second requérant.
Dans l’affaire A.H. et autres, la première requérante est née de sexe masculin et a obtenu la reconnaissance judiciaire de son changement de genre. La deuxième requérante, sa compagne, accoucha du requérant, leur fils, qui avait été conçu avec les gamètes mâles de la première requérante. Cette dernière fut inscrite dans le registre des naissances comme père de l’enfant.
Conformément au droit national, les autorités de l’état civil ont refusé d’enregistrer, en dépit de leurs changements de genre reconnus judiciairement avant la conception des enfants, le premier requérant comme père du second requérant (O.H. et G.H.) et la première requérante comme deuxième mère du requérant (A.H. et autres), au motif que la personne ayant donné naissance à un enfant doit être enregistrée comme « mère ». Les recours contre ces décisions n’aboutirent pas.
En droit – Article 8 :
1) Applicabilité – Concernant les griefs des parents transgenres tirés du droit au respect de la vie privée, ce droit englobe un droit à l’autodétermination, dont la liberté de définir son appartenance à un genre est l’un des éléments les plus essentiels. Il comprend aussi le droit à la reconnaissance légale de l’identité de genre qui implique également la protection d’une personne transgenre contre la révélation involontaire de son caractère transgenre. Concernant leurs enfants et le conjoint, le droit au respect de la vie privée comprend la liberté de révéler ou non certains aspects de sa vie privée.
Dans la mesure où les requérants dans les deux affaires invoquent aussi leur droit au respect de la vie familiale, ces derniers vivent ensemble dans une relation parent‑enfant et l’existence du lien de parenté entre eux n’est pas contestée en soi par les autorités allemandes.
Conclusion : article 8 applicable en son volet « vie privée ».
2) Fond –
a) Sur la question de savoir si l’affaire concerne une obligation positive ou une ingérence – La question principale à trancher dans les deux affaires est celle de savoir si le dispositif réglementaire en place et les décisions prises à l’égard des requérants permettent de constater que l’État s’est acquitté de ses obligations positives de respect de leurs vies privées. Les principes généraux applicables à l’appréciation des obligations positives de l’État ont été résumés dans l’arrêt Hämäläinen c. Finlande [GC], ainsi que les éléments pertinents pour cet exercice, notamment : l’importance de l’intérêt en jeu pour un requérant ou la mise en cause de valeurs fondamentales ou d’aspects essentiels de la vie privée de celui‑ci, ainsi que l’impact sur l’intéressé d’un conflit entre la réalité sociale et le droit, et l’impact sur l’État en cause du caractère ample et indéterminé, ou étroit et défini, de l’obligation positive alléguée.
b) Sur la marge d’appréciation – Pour ce qui est des parents transgenres, ce ne sont pas les inscriptions contenues dans les documents officiels les concernant, mais les informations figurant dans le registre des naissances de leurs enfants, c’est‑à‑dire d’une autre personne, qui sont à l’origine de leurs griefs. Pour ce qui est de leurs enfants, le droit à l’autodétermination n’est pas remis en cause par la possible divulgation d’un fait concernant leurs propres identités de genre mais par celle de l’identité transgenre d’un de leurs parents. Si le droit des enfants de connaître leurs filiations est concerné, ce droit est de nature à limiter les droits invoqués par les parents transgenres et leur conjoint, le cas échéant. Il s’ensuit que la marge d’appréciation ne s’en trouve pas restreinte par les droits invoqués en jeu.
Il n’y a pas de consensus parmi les États européens sur la question de savoir comment indiquer, dans les registres de l’état civil concernant un enfant, que l’une des personnes ayant la qualité de parent est transgenre. En effet, seuls cinq États membre du Conseil de l’Europe ont prévu une mention dans ces registres du sexe reconnu, tandis que la majorité des États continuent à désigner la personne ayant accouché d’un enfant comme étant la mère de celui‑ci et à permettre à la personne ayant contribué à la fécondation par son sperme de reconnaître sa paternité à l’égard de l’enfant. Cette absence de consensus reflète le fait que le changement de genre combiné avec la qualité de parent suscite de délicates interrogations d’ordre éthique, et confirme que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation.
Les autorités allemandes ont été appelées à mettre en balance plusieurs intérêts privés et publics et plusieurs droits divergents : d’abord les droits des parents transgenres et de leur conjoint ; ensuite, les droits fondamentaux et les intérêts des enfants respectifs, c’est‑à‑dire leur droit de connaître leur filiation, leur intérêt à un rattachement stable à leurs parents, ainsi que le droit à recevoir soins et éducation de ses deux parents (O.H. et G.H.) ; enfin, l’intérêt public résidant dans la cohérence de l’ordre juridique et dans l’exactitude et l’exhaustivité des registres de l’état civil, qui ont une force probante particulière. Cette circonstance plaide également pour l’existence d’une ample marge d’appréciation.
Dès lors, au vu de l’ensemble de ces circonstances, les autorités allemandes disposaient en l’espèce d’une ample marge d’appréciation.
c) Sur le droit des requérants au respect de leur vie privée – Contrairement aux requérants dans d’autres affaires examinées par la Cour, les parents transgenres ne se plaignent pas de l’absence de reconnaissance de leurs changements de genre dans les documents officiels les concernant, mais du refus des autorités d’indiquer leurs genres et leurs prénoms actuels dans un acte officiel concernant leurs fils.
Selon l’intention du législateur allemand, l’ancien sexe et l’ancien prénom du parent transgenre devaient être indiqués non seulement en cas de naissance survenue avant que la reconnaissance du changement de genre du parent fût devenue définitive, mais aussi lorsque, comme dans les deux affaires, la conception ou la naissance de l’enfant était postérieure au changement de genre. En effet, la loi relative au nom et au sexe des personnes transsexuelles avait été explicitement modifiée en ce sens au motif que, selon les connaissances médicales d’alors, il n’était pas exclu que des personnes présumées incapables de procréer pussent néanmoins concevoir ou mettre au monde un enfant après une opération de changement de sexe. Ceci a été rendue possible notamment après que la Cour constitutionnelle fédérale, en 2011, eut déclaré contraires à la Loi fondamentale l’obligation, pour une personne désireuse d’obtenir une reconnaissance de changement de genre, de subir une opération chirurgicale, ainsi que la condition d’une stérilité irréversible.
Dans les présentes affaires, la Cour fédérale de justice a relevé que la maternité et la paternité, en tant que catégories juridiques, n’étaient pas interchangeables et se distinguaient aussi bien par les conditions préalables à leur justification que par les conséquences juridiques qui en découlaient.
Pour ce qui est des droits des enfants, si les conclusions que la Cour fédérale de justice a formulées dans les deux affaires contiennent des considérations générales, cela tient au fait que les juridictions nationales ne peuvent pas tenir compte uniquement des intérêts invoqués par le(s) parent(s), mais doivent donner la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant et aussi prendre en considération les possibles intérêts futurs de celui‑ci ainsi que les intérêts des enfants qui se trouvent dans une situation comparable et auxquels les dispositions législatives régissant l’affaire devant elles s’appliquent également.
Lorsqu’il a fallu déterminer quelles informations consigner dans le registre des naissances, autrement dit à un moment où le bien-être des enfants ne pouvait être examiné de manière individualisée en raison de leurs bas âges, pour la Cour fédérale de justice, les intérêts des enfants se confondaient dans une certaine mesure avec l’intérêt général attaché à la fiabilité et à la cohérence de l’état civil, ainsi qu’à la sécurité juridique. La Cour européenne a également reconnu dans le passé que la garantie de la fiabilité et de la cohérence de l’état civil et, plus largement, l’exigence de sécurité juridique, relèvent de l’intérêt public. Dans ce contexte, les transcriptions dans les registres de l’état civil revêtent une fonction de preuve particulière dans le système juridique allemand.
Le droit de l’enfant de connaître ses origines, que la Cour fédérale de justice a mis en avant, est également protégé par la Convention et englobe notamment le droit d’établir les détails de sa filiation. Dans l’affaire O.H. et G.H., concernant le droit de l’enfant à être élevé par ses deux parents, la Cour fédérale de justice a identifié derrière ce droit notamment l’intérêt de l’enfant à pouvoir établir et faire enregistrer, le cas échéant, la paternité de son père biologique. En effet, en cas d’inscription du premier requérant comme père dans le registre des naissances, le père biologique du second requérant ne pourrait être inscrit comme père qu’à condition que le second requérant conteste au préalable la paternité du premier requérant, option que la Cour fédérale de justice a jugée inacceptable pour l’enfant.
La Cour fédérale de justice a souligné que le rattachement juridique de l’enfant à ses parents suivant leurs fonctions procréatrices permettait à l’enfant d’être rattaché de manière stable et immuable à une mère et à un père qui ne changeraient pas, même dans l’hypothèse pas seulement théorique, où le parent transgenre demanderait l’annulation de la décision de changement de genre. Pour le Gouvernement, ce rattachement de principe vise aussi à empêcher la gestation pour autrui, prohibée en Allemagne, interdiction que la Cour a reconnue correspondre à un intérêt général légitime.
En ce qui concerne l’indication des anciens prénoms des parents transgenres dans le registre des naissances, d’après la Cour fédérale de justice, elle correspondait au but susvisé et servait par ailleurs à éviter aux enfants d’avoir à révéler que son parent était transgenre.
Dans la mesure où les requérants affirment que le droit d’un enfant de connaître sa filiation et l’intérêt des autorités publiques à garder une trace de la réalité biologique d’un accouchement ou d’une fécondation par un parent transgenre pourraient être satisfaits d’une manière différente, la Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants.
Si la présentation des actes de naissance de chacun des enfants par les parents transgenres est susceptible de révéler leurs identités transgenres, la Cour fédérale de justice a indiqué qu’il était possible d’obtenir un acte de naissance dépourvu de toute mention des parents. Seul un nombre restreint de personnes, ayant généralement connaissance du caractère transgenre de l’intéressé, étaient habilitées à demander une copie intégrale de l’acte de naissance, toute autre personne devant faire valoir un intérêt légitime pour en obtenir une. De plus, d’autres documents que l’acte de naissance complet ne contenant pas d’indications du changement de genre peuvent être utilisés, par exemple pour un employeur, afin de prévenir tout risque de divulgation de cette information. Ces précautions sont de nature à réduire les désagréments auxquels les parents transgenres pourraient être exposés.
Enfin, la mention du parent transgenre célibataire (O.H. et G.H.) comme père du second requérant, en l’absence de mention d’une mère dans l’acte de naissance, est également de nature à soulever des questions sur le statut du parent transgenre. De même, le remplacement, proposé par les requérants, des termes « mère » et « père » par « parent 1 » et « parent 2 » ne protégerait pas davantage les requérants contre une divulgation, dans la mesure où le « parent 1 » resterait associé à la personne qui a donné naissance à l’enfant.
Dès lors, eu égard, d’une part, au fait que le lien de filiation entre les parents transgenres et leurs enfants n’a pas été mis en cause en soi et au nombre limité de situations pouvant mener, lors de la présentation d’un acte de naissance des enfants, à la révélation de l’identité transgenre des parents concernés, et, d’autre part, à la marge d’appréciation étendue dont dispose l’État défendeur, les juridictions ont ménagé un juste équilibre entre les droits du premier requérant (O.H. et G.H.) et des requérantes (A.H. et autres), les intérêts de leurs enfants, les considérations relatives au bien-être de leurs enfants et les intérêts publics.
Conclusion : non-violation (unanimité).
Article 14 combiné avec l’article 8 : Étant donné que l’attribution du rôle de mère à la personne qui a donné naissance à un enfant dans le registre des naissances relève de la marge d’appréciation des États, la situation de la première requérante (A.H. et autres) ne peut pas être comparée à celle d’une femme ayant accouché d’un enfant. La décision de traiter la première requérante de la même manière que toute personne qui aurait contribué à la conception de l’enfant par fécondation au moyen de ses gamètes mâles, à savoir de lui permettre de consacrer officiellement son lien biologique avec le requérant en reconnaissant la paternité de celui‑ci, relève également de la marge d’appréciation de l’État. En ce qui concerne la deuxième requérante et le requérant, des conclusions analogues s’imposent.
Pareillement, la situation du premier requérant (O.H. et G.H.) n’est pas comparable à celle d’un père ayant conçu un enfant à l’aide de ses gamètes mâles. Les mêmes considérations s’appliquent à son enfant, qui ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’enfants adoptés par des couples homosexuels ou par un parent masculin célibataire.
Conclusion : irrecevable (défaut manifeste de fondement).
(Voir aussi X, Y et Z c. Royaume-Uni, 21830/93, 22 avril 1997, Résumé juridique ; Hämäläinen c. Finlande [GC], 37359/09, 16 juillet 2014, Résumé juridique ; Mandet c. France, 30955/12, 14 janvier 2016, Résumé juridique ; A.P., Garçon et Nicot c. France, 79885/12 et al., 6 avril 2017, Résumé juridique ; Valdís Fjölnisdóttir et autres c. Islande, 71552/17, 18 mai 2021, Résumé juridique ; Y. c. Pologne, 74131/14, 17 février 2022, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le avril 4, 2023 par loisdumonde
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