La présente requête concerne l’irrecevabilité de l’appel correctionnel formé dans l’intérêt de la requérante pour défaut de production d’un pouvoir spécial, alors même qu’il résultait de l’acte d’appel que son auteur disposait d’une procuration. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de n’avoir pas eu accès à un second degré de juridiction.
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ROCCHIA c. FRANCE
(Requête no 74530/17)
ARRÊT
Art 6 § 1 (pénal) • Accès à un tribunal • Charge disproportionnée sur la requérante par les juridictions internes ayant déclaré irrecevable l’appel correctionnel formé pour son compte sans prendre en compte d’autres éléments que les constatations d’un acte d’appel irrégulièrement établi par le greffe
STRASBOURG
2 février 2023
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Rocchia c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Georges Ravarani, président,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Lado Chanturia,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 74530/17) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme Patricia Rocchia (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 18 octobre 2017,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 janvier 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente requête concerne l’irrecevabilité de l’appel correctionnel formé dans l’intérêt de la requérante pour défaut de production d’un pouvoir spécial, alors même qu’il résultait de l’acte d’appel que son auteur disposait d’une procuration. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de n’avoir pas eu accès à un second degré de juridiction.
EN FAIT
2. La requérante est née en 1961 et réside à Antibes. Elle a été représentée par Me C. Meyer, avocat à Strasbourg.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
4. Par un jugement du tribunal correctionnel de Grasse du 5 février 2015 rendu en son absence, la requérante fut déclarée coupable d’une fraude fiscale commise en sa qualité de gérante d’une société commerciale. Elle fut condamnée à deux ans d’emprisonnement délictuel. La juridiction la déclara solidairement redevable de l’impôt fraudé (180 960 euros (EUR) dus au titre de la taxe sur la valeur ajoutée) et des pénalités et majorations y afférentes.
5. Le tribunal motiva cette décision de condamnation comme il suit :
« Attendu qu’il résulte des éléments du dossier que les faits reprochés à ROCCHIA Patricia sont établis ; qu’il convient de l’en déclarer coupable et d’entrer en voie de condamnation ;
Attendu que le tribunal entend faire une application rigoureuse de la loi pénale en la condamnation à une peine d’emprisonnement ferme ; (…) »
6. Le 19 octobre 2015, son époux se présenta au greffe correctionnel du tribunal de grande instance de Grasse pour interjeter appel au nom de celle‑ci. Le greffier établit l’acte d’appel, en y insérant la mention suivante :
« Monsieur [P. R.] ayant procuration de Mme ROCCHIA Pascale (…) a déclaré interjeter appel du jugement (…) en date du 5 février 2015 rendu par la Chambre collégiale du Tribunal Correctionnel de Grasse (…) »
Aucun document matérialisant une « procuration » ne fut joint à l’acte d’appel. Un tel document, ici désigné par une appellation générique et non par le terme juridique adéquat de « pouvoir spécial » (paragraphe 12 ci‑dessous), n’a pas été produit devant la Cour.
7. Le ministère public fit appel incident le même jour.
8. La requérante se fit assister par un avocat devant la cour d’appel et fit citer son époux comme témoin. Elle comparut devant la chambre des appels correctionnels. À l’audience, le président souleva d’office l’irrecevabilité de l’appel principal de la requérante. Le ministère public requit dans le même sens et se désista de son appel incident. L’avocat de la requérante fut entendu en ses observations.
9. Par un arrêt du 27 avril 2016, la cour d’appel d’Aix-en-Provence déclara l’appel principal de la requérante irrecevable, donna acte au ministère public de son désistement d’appel incident et constata qu’il n’y avait plus lieu à statuer. Elle motiva sa décision comme il suit :
« Aux termes de l’article 502 alinéa 2 du code de procédure pénale, la déclaration d’appel doit être signée par le greffier et par l’appelant lui-même, un avocat ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas le pouvoir est annexé à l’acte dressé par le greffier.
À la déclaration d’appel cotée D6, faite au greffe du tribunal de grande instance de Grasse le 10 octobre 2015 par [P. R.] sont jointes deux photocopies partielles : celle de la notification de la remise de la copie du jugement contesté faite le 14 octobre 2015 à Antibes par un agent de police judiciaire à Patricia Rocchia et celle du passeport de [P. R.]. Ces deux documents sont cotés D5.
Les fonctionnaires du greffe n’ont pas compétence pour apprécier la recevabilité de l’appel ou la validité de la procuration.
Il résulte de l’examen des pièces du dossier que la personne qui a déclaré faire appel du jugement pour Patricia Rocchia n’était [pas] munie d’un pouvoir spécial établi à cet effet.
Les formes et délais d’appels sont d’ordre public. Faute de pouvoir spécial remis par Patricia Rocchia à son époux pour interjeter appel du jugement du tribunal correctionnel de Grasse en date du 5 février 2015, l’appel de ce jugement est irrecevable. »
10. La requérante se pourvut en cassation en invoquant notamment l’article 6 § 1 de la Convention.
11. Par décision du 20 avril 2017, la Cour de cassation estima que son pourvoi n’était pas fondé sur un moyen de cassation sérieux et le déclara non admis.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
12. Dans sa version applicable au litige, l’article 502 du code de procédure pénale était rédigé comme il suit :
« La déclaration d’appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.
(…)
Elle doit être signée par le greffier et par l’appelant lui-même, ou par un avocat, ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l’acte dressé par le greffier. (…) »
13. Les dispositions de l’article 502 du code précité ont pour objet de permettre au greffier d’attester de l’identité de l’appelant ou de sa qualité, s’il s’agit d’un fondé de pouvoir spécial (Cass. crim., 23 novembre 2021, no 21‑81.848).
14. La Cour de cassation juge que la preuve de l’existence, au moment de la déclaration d’appel, du pouvoir spécial prévu à l’alinéa 3 de cet article et de son dépôt au greffe doit résulter des énonciations de l’acte d’appel et de ses annexes (Cass. crim., 4 janvier 1988, Bull. crim. no 1, et 25 mai 2004, no 04-85.037, Bull. crim. no 25). En conséquence, l’appelant ne peut remédier aux lacunes de l’acte d’appel en produisant ultérieurement un pouvoir devant la juridiction du second degré (Cass. crim., 9 mars 1972, no 70-91.390, Bull. crim. no 92) ou en justifiant devant la Cour de cassation du fait que sa qualité d’avocat – irrégulièrement présenté comme « mandataire » de l’appelant dans l’acte d’appel – lui permettait en réalité de représenter l’appelant sans justifier d’un pouvoir spécial (Cass., crim., 25 mai 2004, no 03-86.245, Bull. crim. no 315).
15. Elle juge en outre que les formes et délais d’appel sont d’ordre public et que leur non-respect doit être relevé d’office par les juridictions (Cass. crim., 8 juillet 1970, no 70-90.376, Bull. crim. no 228, et 25 mai 2004, no 03‑86.245, Bull. crim. no 135), sans avoir à provoquer préalablement les explications des parties sur ce point (Cass., crim., 25 mai 2004, précité). Il ne peut y être dérogé qu’en cas de force majeure (Cass. crim. 27 octobre 2004, précité).
16. Elle juge enfin qu’aucune disposition légale ou conventionnelle n’impose au greffier d’examiner la recevabilité d’un appel et, à supposer cet acte irrégulier, d’inviter l’avocat du prévenu à le réitérer dans les formes prescrites par la loi (Cass. crim. 6 mai 2008, no 07‑86.304, Bull. crim. no 101).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
17. La requérante soutient que l’irrecevabilité de son appel a porté une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
18. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention et la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
19. La requérante soutient que les formalités prévues par l’article 502 du code de procédure pénale ne participent pas à la bonne administration de la justice ou à la garantie de la sécurité juridique. À ses yeux, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a fait preuve d’un formalisme excessif en déclarant son appel irrecevable au motif qu’aucun pouvoir spécial n’était joint à l’acte d’appel, alors même qu’il y était mentionné que son conjoint disposait d’une procuration. Elle souligne qu’il incombait au greffier ayant établi l’acte d’appel d’y annexer la procuration présentée par son époux et de l’informer des formalités requises par la loi. Par ailleurs, elle fait valoir que l’irrecevabilité de l’appel est une sanction procédurale disproportionnée.
20. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il soutient que les dispositions en cause tendent à assurer la bonne administration de la justice et, en particulier, le respect de la sécurité juridique. Il considère que celles-ci sont prévisibles et qu’elles ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but visé, sans verser dans un excès de formalisme. Il souligne en particulier que le droit interne n’accorde pas au greffier le pouvoir de contrôler la régularité de l’acte d’appel qu’il dresse et qu’il n’est pas tenu d’inviter l’appelant à réitérer un tel acte afin de se conformer aux formes prévues par la loi.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
21. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire » (Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A no 333‑B).
22. Le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect (Golder c. Royaume‑Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18), n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours. Celles-ci ne peuvent toutefois pas en restreindre l’exercice d’une manière ou à un point tels qu’il se trouve atteint dans sa substance même. Elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Guérin c. France, 29 juillet 1998, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).
23. Les principes applicables à l’examen des restrictions d’accès à un degré supérieur de juridiction ont été résumés par la Cour dans l’affaire Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, §§ 78-86, 5 avril 2018). Lorsqu’elle statue sur la proportionnalité de telles restrictions, la Cour se montre particulièrement attentive à trois critères, à savoir i) la prévisibilité de la restriction, ii) le point de savoir qui doit supporter les conséquences négatives des erreurs commises au cours de la procédure (Zubac, précité, §§ 90-95) et iii) la question de savoir si les restrictions en question peuvent passer pour révéler un « formalisme excessif » (Zubac, précité, §§ 96-99, Walchli c. France, no 35787/03, §§ 29‑36, 26 juillet 2007, et Willems et Gorjon c. Belgique, nos 74209/16 et 3 autres, § 80, 21 septembre 2021). Par ailleurs, pour apprécier si les exigences de l’article 6 § 1 ont été respectées à hauteur d’appel ou de cassation, la Cour tient compte de la mesure dans laquelle l’affaire avait été examinée par les juridictions inférieures, du point de savoir si la procédure devant ces juridictions soulevait des questions concernant l’équité, et du rôle de la juridiction concernée (Levages Prestations Services c. France, 23 octobre 1996, §§ 45-49, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Zubac, précité, § 84).
b) Application en l’espèce
24. Les parties s’accordent à considérer que l’irrecevabilité de l’appel de la requérante prononcée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 27 avril 2016 a restreint son accès à un second degré de juridiction. La Cour en convient.
25. Elle considère par ailleurs que les dispositions de l’article 502 du code de procédure pénale, appliquées en l’espèce, étaient prévisibles (voir, mutatis mutandis, Bertogliati c. France (déc.), no 40195/98, 4 mai 2000, et Marschner c. France (déc.), no 51360/99, 13 mai 2003 au sujet de l’article 576 du même code, qui prévoit une formalité analogue en matière de pourvoi en cassation). Elle rappelle en outre que la réglementation relative aux formalités et délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, de la sécurité juridique (Walchli, précité, § 27).
26. Il reste à la Cour à déterminer si la formalité litigieuse constituait un moyen adéquat pour atteindre ce but et si la restriction en cause entretenait un rapport raisonnable de proportionnalité avec celui-ci.
27. S’agissant d’abord de l’adéquation au but poursuivi de l’exigence de production d’un pouvoir spécial en cas d’appel par l’intermédiaire d’un tiers, la Cour relève, avec le Gouvernement, que cette règle procédurale vise à s’assurer avec certitude, au moment de l’appel, de la volonté de l’appelant de remettre en cause une décision judiciaire donnée et de la qualité pour agir de son mandataire. Elle note qu’en droit interne, l’exercice du droit d’appel peut entraîner une aggravation de la peine de l’appelant. Elle considère, dès lors, que cette formalité est de nature à contribuer à la bonne administration de la justice et à garantir la sécurité juridique.
28. S’agissant ensuite de la proportionnalité de la restriction en cause, la Cour relève d’emblée que la requérante affirme que son époux a présenté au greffe un document écrit valant procuration, conformément d’ailleurs à ce qui est mentionné dans l’acte d’appel (paragraphe 6 ci-dessus) ; ce point n’est pas contesté devant elle. Dans ces conditions, la Cour considère comme établi que l’époux de la requérante a présenté au greffier ayant reçu l’appel litigieux un document écrit équivalant à une procuration. Elle note que, dans ce contexte, le terme « procuration » relève du langage courant et renvoie à l’idée de représentation ou de mandat, au même titre que la notion juridique spécifique de pouvoir spécial au sens de l’article 502 du code de procédure pénale. À cet égard, un tel document peut être qualifié de pouvoir spécial au sens de l’article 502 du code de procédure pénale s’il répond aux exigences formelles prévues par ce texte, ce que les juridictions internes sont mieux placées pour apprécier.
29. La Cour observe que la cour d’appel s’est bornée à examiner l’acte d’appel pour statuer sur sa recevabilité, appliquant en cela une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation (paragraphe 14 ci-dessus). Constatant qu’aucun pouvoir n’avait été annexé à l’acte d’appel, la cour d’appel a fait grief au mandataire de la requérante de n’avoir pas produit de pouvoir spécial (paragraphe 9 ci-dessus). Or, aux termes de l’article 502 du code de procédure pénale, il incombait au greffier de joindre la procuration fournie par l’époux de la requérante à l’acte d’appel (paragraphe 12 ci-dessus) et celle-ci n’a pas été annexée à l’acte examiné par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (paragraphe 6 ci-dessus). La Cour ne peut déterminer clairement, au vu de la motivation des arrêts rendus par la cour d’appel et par la Cour de cassation, si cette procuration a été égarée ou si le greffier a omis de la joindre à l’acte d’appel. Dans tous les cas, il lui apparaît que les juridictions internes ont ainsi fait peser sur la requérante les conséquences d’un dysfonctionnement imputable au service public de la justice (voir, mutatis mutandis, Willems et Gorjon, précité, §§ 84 et 87-88, et Walchli, précité, § 35). Elle note à cet égard que le greffier devant les juridictions de l’ordre judiciaire est un auxiliaire de justice assermenté, garant de la procédure et participant à la bonne administration de la justice (Walchli, précité, § 35).
30. La Cour constate que la jurisprudence précitée empêchait la requérante de prouver l’existence d’un pouvoir spécial par d’autres moyens, cette preuve ne pouvant résulter que des énonciations de l’acte d’appel et de ses annexes (paragraphe 14 ci-dessus). Elle constate que la production, à l’audience d’appel ou devant la Cour de cassation, de la « procuration » litigieuse ne lui aurait pas permis d’échapper à l’application de cette règle probatoire, comme l’a précédemment jugé la Cour de cassation (paragraphe 14 ci-dessus). De la même façon, cette jurisprudence n’autorisait pas la cour d’appel à s’appuyer sur les déclarations de la requérante et de son mandataire, tous deux présents à l’audience, pour forger sa conviction. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour considère que la règle probatoire selon laquelle la recevabilité de l’appel doit être examinée à l’aune du seul acte d’appel et de ses annexes cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et témoigne d’un formalisme excessif.
31. La Cour remarque au surplus qu’aucune disposition de droit interne n’imposait au ministère public de se désister de son appel incident.
32. Tenant compte de la mesure dans laquelle l’affaire avait été examinée par les juridictions inférieures et du point de savoir si la procédure devant ces juridictions soulevait des questions concernant l’équité, la Cour observe que le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Grasse a été motivé de façon stéréotypée, de sorte que la requérante, qui s’était abstenue de comparaître, n’a pas été mise en mesure de comprendre les motifs de sa condamnation et, éventuellement, de l’accepter (Garcia y Rodriguez c. France, no 31051/16, § 35, 9 septembre 2021). Elle en conclut que l’examen de l’affaire en première instance soulevait également des questions d’équité.
33. La Cour relève enfin que la restriction litigieuse a eu pour conséquence de priver la requérante d’un examen de la validité de sa procuration et, le cas échéant, d’un examen au fond de son recours, alors même qu’elle avait été condamnée à deux ans d’emprisonnement.
34. Au vu de l’ensemble de ce qui précède, la Cour estime qu’en déclarant irrecevable l’appel formé pour le compte de la requérante sans prendre en compte d’autres éléments que les constatations d’un acte d’appel irrégulièrement établi par le greffe, les juridictions internes ont fait peser sur la requérante une charge disproportionnée qui a rompu le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des formalités relatives à la saisine des juridictions et la bonne administration de la justice et, d’autre part, le droit d’accès au juge. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
35. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
36. La requérante demande 100 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi, en mettant en avant l’importance de la peine prononcée à son encontre.
37. Le Gouvernement invite la Cour à conclure qu’un constat de violation constituerait une réparation suffisante. Il indique par ailleurs qu’une telle conclusion permet au requérant de solliciter la révision de son procès, en application des dispositions de l’article 622-1 du code de procédure pénale. À titre subsidiaire, il considère que la somme allouée ne devrait pas excéder 3 000 EUR.
38. La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain et juge équitable, au vu des circonstances de l’espèce, de lui octroyer 15 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
39. La requérante réclame 7 740 EUR au titre des frais et dépens qu’elle a engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et 4 500 EUR au titre de ceux qu’elle a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour.
40. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour à cet égard.
41. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais et dépens ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, parmi beaucoup d’autres, Molla Sali c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 20452/14, § 55, 18 juin 2020). En l’espèce, compte tenu des justificatifs produits, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 6 000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président
Dernière mise à jour le février 2, 2023 par loisdumonde
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