AFFAIRE PANAGIS c. GRÈCE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 72165/13

INTRODUCTION. La requête concerne la condamnation du requérant pour faux et usage de faux, sur la base des dépositions des deux témoins roumaines, données au stade de l’instruction, que le requérant n’a pas pu examiner lors de la procédure devant les juridictions pénales, alors que l’une des deux témoins était revenue sur sa déposition initiale dans une déclaration sous serment faite devant notaire en Roumanie et donnée au requérant qui l’avait versée au dossier devant les tribunaux.

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PANAGIS c. GRÈCE
(Requête no 72165/13)
ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 d) • Procès équitable • Droits de la défense • Condamnation pénale sur la base de dépositions de témoins données au stade de l’instruction et absents au procès • Absence de volonté des juridictions d’examiner en profondeur le sérieux du motif justifiant l’absence des témoins • Rôle déterminant des dépositions • Refus de lecture et d’examen de la déclaration d’un des témoins revenant sur sa déposition • Absence d’autres éléments de preuve solides propres à corroborer ces dépositions

STRASBOURG
5 novembre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Panagis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Alena Poláčková,
Péter Paczolay,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Vu :

la requête (no 72165/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Athanasios Panagis (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 11 novembre 2013,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement grec,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 octobre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

inTRODUCTION

1. La requête concerne la condamnation du requérant pour faux et usage de faux, sur la base des dépositions des deux témoins roumaines, données au stade de l’instruction, que le requérant n’a pas pu examiner lors de la procédure devant les juridictions pénales, alors que l’une des deux témoins était revenue sur sa déposition initiale dans une déclaration sous serment faite devant notaire en Roumanie et donnée au requérant qui l’avait versée au dossier devant les tribunaux.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1968 et réside à Corinthe. Il est représenté par Me P. Martzaklis, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État.

4. De décembre 1999 à juillet 2004, le requérant était employé municipal à la mairie de Loutraki. Le 1er septembre 2004, il fut nommé professeur de théologie au collège de Nemea.

5. De 2002 et jusqu’à la date de son départ de la mairie de Loutraki, le travail du requérant consistait à assister des étrangers dans leurs démarches pour qu’ils obtiennent des titres de séjour de six mois leur permettant de travailler en Grèce. Plus précisément, le requérant remplissait les documents administratifs relatifs aux demandes des étrangers et faisait des enregistrements dans un registre spécial. Par la suite, il envoyait ces documents à une autre employée municipale, N.R., qui avait le pouvoir de signature, pour qu’elle signe les attestations de séjour à délivrer aux étrangers.

6. Après son départ de la mairie, les tâches du requérant avaient été confiées à trois autres employés municipaux. Toutefois, en raison du manque d’expérience de ceux-ci, le requérant se rendait de temps en temps à la mairie pour les aider.

7. Entre septembre et octobre 2004, le requérant fit la connaissance d’une ressortissante roumaine, P.L., et lui proposa de l’aider à renouveler son titre de séjour qui avait expiré pendant l’été 2004. Ainsi, à une date non précisée, entre fin septembre et le 19 octobre 2004, le requérant se rendit à la mairie, prit une attestation, la remplit lui-même au nom de P.L., imita la signature de celle-ci et ajouta les mentions nécessaires au registre spécial. Par la suite, il délivra l’attestation de séjour à P.L. contre la somme de 500 euros.

8. Le requérant fut accusé de faux, d’usage de faux et de chantage et renvoyé en jugement devant le tribunal correctionnel de Corinthe. Cinq témoins à charge, P.L. P.C., K.M., N.R. et A.G., et un témoin à décharge P.P., furent cités à comparaître. P.L. et P.C., toutefois, ne se sont pas présentés à l’audience. Le tribunal ne donna aucune explication concernant leur absence. Le tribunal donna, par la suite, lecture de plusieurs documents dont une déposition faite par P.L. et deux dépositions écrites de P.C. faites le 25 février 2005 devant les organes chargés de l’instruction.

9. Le 29 mars 2011, le tribunal correctionnel de Corinthe jugea le requérant coupable de l’infraction de faux et le condamna à une peine de huit mois d’emprisonnement (jugement no 1382/2011).

10. Le requérant forma un appel contre ce jugement devant la cour d’appel de Nauplie.

11. À l’audience du 2 octobre 2012, le requérant se prévalait de l’article 6 § 3 d) de la Convention et de la jurisprudence de la Cour y relative et se plaignait du fait qu’il n’avait eu à aucun stade de la procédure la possibilité d’interroger les témoins à charge P.L. et P.C. Il soutenait qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que les autorités avaient pris les mesures nécessaires afin de faire comparaître à l’audience les témoins P.L. et P.C. Il invitait aussi la cour d’appel à donner lecture à l’audience et à prendre en considération une déclaration sous serment établie en Roumanie le 24 mars 2006 par P.C. devant notaire, traduite en grec et envoyée au requérant, dans laquelle P.C. affirmait que le requérant n’avait aucune implication dans l’affaire du faux. Le requérant précisait que cette déclaration renversait la déposition antérieure de cette témoin, qui lui était défavorable, et confirmait par contre la toute première déposition de celle-ci qui lui était favorable. Il soulignait aussi qu’il y avait beaucoup de contradictions entre les dépositions de P.L. et P.C.

12. En outre, le requérant soutenait qu’aucun document du dossier ne pouvait fonder une décision de culpabilité à son encontre, à part l’une des deux dépositions de P.L. et l’une des quatre dépositions de P.C. Il invitait la cour d’appel à ne pas donner lecture de ces deux dépositions.

13. Trois témoins à charge firent des déclarations. Le premier, K.M., déclara ne pas savoir si c’était le requérant qui avait commis l’infraction. Le deuxième, A.G., qu’il n’était certain de rien et le troisième, P.P., que l’infraction pouvait avoir été commise par toute autre personne.

14. Par la suite, le président donna lecture de plusieurs documents dont deux dépositions sous serment de la témoin P.C., faites les 25 et 26 février 2005, deux dépositions sous serment de N.R., faites les 25 février et 12 avril 2005, deux dépositions sous serment de P.L., faites le 25 février 2005, ainsi que le jugement du tribunal correctionnel de Corinthe.

15. À la fin des débats et à la demande du président aux avocats du requérant « s’ils avaient besoin que l’on procède à des examens ou des éclaircissements supplémentaires », ceux-ci ont répondu par la négative.

16. Par un arrêt no 879/2012 du 2 octobre 2012, la cour d’appel de Nauplie confirma la condamnation mais ramena la peine à six mois d’emprisonnement.

17. Plus précisément, en ce qui concerne d’abord les demandes du requérant que lecture ne soit pas donnée des dépositions de P.L et de P.C. et que la cour prenne en compte la déclaration sous serment du 24 mars 2006, la cour d’appel les rejeta en bloc. Elle releva que les témoins P.L. et P.C. avaient été légalement citées à comparaître tant devant le tribunal correctionnel que la cour d’appel mais qu’elles ne s’étaient pas présentées. La cour d’appel constata que l’organe chargé de la notification de ces citations avait attesté, le 1er mars 2012, que les témoins en cause se trouvaient à l’étranger, leurs adresses n’étant pas connues des autorités. Elle affirma que les efforts des autorités judiciaires de les faire venir à l’audience avaient été infructueux, qu’il y avait impossibilité de les entendre et qu’elle devait alors procéder à la lecture de leurs dépositions faites pendant l’instruction, celles-ci n’étant pas le seul élément de preuve mais devant être appréciées avec les dépositions des trois autres témoins à charge et du témoin à décharge ainsi qu’avec les documents du dossier. La cour d’appel précisa que les dépositions des P.L. et P.C. étaient incluses dans le jugement du tribunal correctionnel et avaient été lues à l’audience par ce tribunal sans que le requérant s’y était opposé.

18. Le 22 octobre 2012, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.

19. Dans un de ses moyens de cassation, le requérant alléguait une violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention, en raison du fait que les juridictions du fond avaient statué sans qu’il lui ait été possible d’examiner à l’audience les deux témoins roumains qui avaient déposé à son encontre lors de l’instruction de l’affaire.

20. Dans un autre moyen de cassation, le requérant soutenait qu’il y avait nullité de la procédure d’audience devant la cour d’appel en raison du refus de celle-ci de donner lecture de la déclaration sous serment faite par la témoin P.C. le 24 mars 2006 et envoyée de la Roumanie. Il soulignait l’importance de cette déclaration car dans celle-ci la témoin revenait sur sa déposition initiale contre le requérant faite pendant l’instruction.

21. Dans un autre moyen de cassation, le requérant se plaignait que les motifs de l’arrêt de la cour d’appel créaient un doute quant à la question de savoir sur quels faits elle s’était fondée pour déclarer le requérant coupable d’usage de faux. Il soulignait qu’il y avait aggravation de la situation de l’accusé lorsque la cour d’appel, sans modifier la nature de l’infraction ou le cadre de la sanction, reconnaissait qu’il y avait circonstance aggravante, celle de l’usage de faux. A l’appui de son allégation, il invoquait plusieurs arrêts de la Cour de cassation dont l’arrêt no 804/2012, totalement similaire à la présente affaire, dans lequel la Cour de cassation avait cassé l’arrêt de la cour d’appel et avait mis un terme aux poursuites contre l’accusé pour cause de prescription.

22. L’audience devant la Cour de cassation eut lieu le 12 février 2013. Le procureur proposa à la Cour de cassation d’accueillir le pourvoi et de mettre fin aux poursuites pour cause de prescription.

23. Le jour de l’audience, le requérant déposa des observations supplémentaires.

24. Par un arrêt 767/2013 du 20 mai 2013, la Cour de cassation cassa partiellement l’arrêt de la cour d’appel concernant les motifs de celui-ci relatifs à la circonstance aggravante de l’usage de faux, mais confirma la condamnation pour l’infraction de faux.

25. Quant au premier moyen de cassation précité du requérant, la Cour de cassation se prononça ainsi :

« Comme il ressort du compte rendu de l’audience de la cour d’appel de Nauplie, celle-ci a donné lecture et a pris en considération, pour rendre sa décision, les rapports d’examen de P.L. du 25 février 2005 (…), et les dépositions sous serment faites par la témoin P.C. les 24 et 25 février 2005 (…) et cela en dépit de l’opposition expresse [du requérant] par les motifs suivants : « En l’espèce, il ressort des récépissés de notification aux deux témoins que celles-ci ont été légalement citées à comparaître tant devant le tribunal de première instance que la cour d’appel mais elles ne se sont présentées à aucune des audiences car, comme il a été attesté (…), elles résidaient à l’étranger à une adresse inconnue. Compte tenu du fait que les efforts de l’autorité judiciaire ont été épuisés sans qu’il ait été possible de faire comparaître les témoins, il faut considérer qu’il y a impossibilité de comparution et d’examen de celles-ci et que la cour doit procéder à la lecture de leurs dépositions faites pendant l’instruction préparatoire. En outre, ces dépositions ne constituent pas l’unique moyen de preuve, mais elles sont prises en considération simultanément avec les dépositions sous serment des trois autres témoins à charge, la déposition du témoin à décharge, ainsi que les documents inclus dans la liste des documents à lire et les autres documents produits par [le requérant]. Par ailleurs, ces dépositions sont contenues dans le jugement du tribunal correctionnel, dont lecture a été donnée sans que l’accusé s’y oppose (…) ». Par conséquent, (…) compte tenu des motifs ayant donné lieu à la lecture des dépositions de P.L. et de P.C. et des preuves de leur citation, du 21 septembre 2012, il n’y a aucun motif de nullité ni de violation de l’article 6 § 3 d) (…) ».

26. Quant au deuxième moyen de cassation précité, la Cour de cassation considéra :

« Par ce (…) moyen de cassation, il est soutenu qu’alors que le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, a produit la déposition sous serment du 24 mars 2006 de P.C. et a demandé à celui qui dirigeait les débats d’en donner lecture, ce document (…) n’a pas été pris en compte et par conséquent il y a motif de nullité selon l’article 510 § 1 b) du code de procédure pénale. Toutefois, comme le requérant n’a pas recouru devant la pleine formation de ce tribunal contre cette omission, il n’y a pas eu défaut d’examen de témoin et partant le moyen doit être rejeté comme mal fondé. »

27. Quant au troisième moyen précité, la Cour de cassation précisa ce qui suit :

« Il ressort du dossier (…) que par l’arrêt no 879/2012 du tribunal correctionnel de Corinthe, le requérant a été condamné pour faux à une peine d’emprisonnement de huit mois et a interjeté appel. L’arrêt d’appel qui fait l’objet du pourvoi a condamné le requérant à une peine d’emprisonnement de six mois pour l’infraction d’usage de faux et non de simple faux, infraction pour laquelle il avait été condamné en première instance, l’usage de faux constituant une circonstance aggravante. En statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu l’article 470 du code de procédure pénale et a empiré la situation du [requérant], même si la peine qu’elle lui a imposé était moins sévère que la peine imposée en première instance, dans la mesure où la circonstance aggravante (…) a une incidence défavorable sur la décision du tribunal concernant la sévérité de la peine. Partant, en empirant la situation du [requérant], la cour d’appel a commis un abus de pouvoir en exerçant sa juridiction au-delà de celle qui lui est attribuée par la loi. »

28. La Cour de cassation renvoya l’affaire à la cour d’appel pour qu’elle se prononce à nouveau, dans une composition différente. L’audience devant la cour d’appel fut fixée au 22 octobre 2013. Toutefois, la cour d’appel ne tint pas audience et l’affaire fut classée en application de l’article 8 § 4 de la loi no 4198/2013 entrée en vigueur le 11 octobre 2013 et stipulant notamment que les peines privatives de liberté d’une durée jusqu’à six mois, qui ont été prononcées par des arrêts rendus jusqu’à la publication de la présente loi, et lorsque ces arrêts n’avaient pas encore été définitifs et les peines prononcées n’avaient pas encore été purgées, ne sont pas exécutées (paragraphe 31 ci-dessous). En conséquence, le requérant n’a pas eu à purger la peine de six mois prononcée à la suite de sa condamnation par la cour d’appel.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

29. Les articles pertinents du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 170 § 2

« La procédure à l’audience est sujette à annulation également dans le cas où l’accusé ou son avocat ou le procureur ont demandé à exercer un droit qui leur est garanti par la loi et le tribunal a rejeté la demande ou a omis de se prononcer. »

Article 171 § 1

« Le tribunal peut prononcer la nullité de la procédure, même d’office et à tous les stades de la procédure, voire même lorsque l’affaire est pendante devant la Cour de cassation, lorsque :

N’ont pas été respectées les dispositions relatives : (…) d) à la comparution, la représentation et la défense de l’accusé ainsi que l’exercice des droits qui lui sont conférés par la loi, la Convention européenne des droits de l’homme (…) »

Article 334 § 2

« [Celui qui dirige les débats] peut aussi rejeter toutes les demandes qui ne servent nullement à la découverte de la vérité et provoquent une prolongation intempestive de la procédure. »

Article 364 § 1

« À l’audience, lecture est donnée des rapports des agents ayant effectué l’instruction (…) ainsi que les autres documents qui ont été déposés lors de la procédure d’administration de preuves et dont l’authenticité n’a pas été contestée. Lecture est donnée seulement des parties importantes de ces documents telles que déterminées par le président. En cas de désaccord avec l’appréciation du président, les parties peuvent en recourir devant la pleine formation de la juridiction. (…) »

Article 365 § 1

« Au cas où la comparution d’un témoin à l’audience est impossible pour cause de décès, vieillesse, maladie longue et grave, résidence à l’étranger ou autre obstacle particulièrement important (…), lecture est donnée à l’audience, si une demande a été faite en ce sens, de la déposition sous serment faite pendant l’instruction, faute de quoi la procédure est annulée. (…) »

Article 371 § 3

« En premier lieu, un vote a lieu concernant la culpabilité ou l’innocence de l’accusé par rapport à l’acte commis tel qu’il ressort de la procédure et la qualification de l’acte. Si l’accusé est déclaré coupable une discussion a immédiatement lieu sur la question de la peine qui devra être prononcée (…) »

Article 511

« Lorsque le pourvoi en cassation est déclaré recevable et celui qui l’a introduit est présent (…) la Cour de cassation prend d’office en considération l’autorité de chose jugée et, lorsque un des moyens de cassation est considéré comme fondé, elle prend aussi d’office en considération la prescription survenue après la publication de l’arrêt attaqué. (…) »

30. Interprétant les dispositions précitées, la Cour de cassation (arrêt no 1395/2006) a considéré qu’il n’y avait pas nullité de la procédure lorsque le tribunal, d’office ou à la suite d’une demande, donnait lecture et prenait en considération la déposition sous serment d’un témoin faite pendant l’instruction, à condition qu’il ait souligné dans sa décision l’impossibilité de la comparution du témoin et même si l’accusé s’y était opposé. L’opposition de l’accusé constituait une circonstance qui tombait dans le champ d’application de l’article 334 § 2 et pouvait ne pas être prise en considération si elle faisait obstacle à la découverte de la vérité. Cela était particulièrement évident lorsque le témoin était décédé ou sa recherche et sa comparution à l’audience étaient impossible ou difficile à obtenir et la déposition de celui-ci au stade de l’instruction était absolument nécessaire à la découverte de la vérité. Dans ce cas, l’opposition de l’accusé à la lecture de cette déposition aboutissait à faire obstacle au bon déroulement de la procédure.

31. Le 11 octobre 2013, la loi no 4198/2013 est entrée en vigueur, dont l’article 8 § 4 prévoit :

« a) Les peines privatives de liberté d’une durée jusqu’à six mois, qui ont été prononcées par des arrêts rendus jusqu’à la publication de la présente loi, et lorsque ces arrêts n’avaient pas encore été définitifs et les peines prononcées n’avaient pas été purgées (…), sont prescrites et ne sont pas exécutées, à condition que le condamné ne commette pas avec dol dans deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, une nouvelle infraction pour laquelle il serait condamné irrévocablement à une peine privative de liberté supérieure à six moi (…).

b) Les arrêts qui n’ont pas été exécutés selon les dispositions précitées sont classés par décision du procureur compétent (…) ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

32. Le requérant se plaint qu’il n’a jamais eu, à aucun stade de la procédure, l’occasion d’examiner les deux témoins à charge roumaines, P.L. et P.C., dont les dépositions écrites au stade de l’instruction, constituaient les seules éléments de preuve sur lesquels était fondée sa condamnation, et alors que la comparution de ces témoins aux audiences était possible. Il se plaint aussi du refus de la cour d’appel de donner lecture de la déclaration sous serment par laquelle la témoin P.C. revenait sur sa déposition initiale contre le requérant et de la prendre en considération avant de rendre sa décision. Il cite l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, ainsi libellé dans ses passages pertinents en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)

(…)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(…)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. ».

A. Sur la recevabilité

33. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

34. Le requérant soutient que le droit grec prévoit comme motifs valables de non comparution des témoins à l’audience, le décès, les problèmes de santé, l’impossibilité de les localiser, le besoin de les protéger et le droit de ceux-ci de refuser de témoigner devant une juridiction. Or, en l’espèce, aucun de ces motifs n’était pertinent quant à P.L. et P.C. En ce qui concerne P.C., le requérant affirme que lui-même, en tant qu’individu, a pu la localiser en Roumanie et quant à P.L. c’est l’État grec qui l’a expulsée en Roumanie. Le requérant soutient qu’aucune déclaration des quatre témoins qui ont déposé à l’audience n’était de nature à établir sa culpabilité : si toutes les dépositions et les documents concernaient la question de savoir s’il y avait eu établissement d’un faux, seuls les témoignages de P.C. et de P.L. le désignaient comme l’auteur de ce faux.

35. En outre, le requérant souligne qu’il avait déposé de manière légale et régulière devant la cour d’appel la déclaration sous serment de P.C. et que celle-ci aurait dû la prendre en considération et l’évaluer compte tenu de son contenu et du fait que cette témoin n’avait jamais été examinée contradictoirement et que sa déposition initiale, défavorable au requérant, était lue à l’audience. Le requérant affirme que ce n’est pas le président qui a pris la décision de ne pas tenir compte de cette déclaration, mais la cour d’appel en tant que juridiction.

36. Le Gouvernement soutient qu’il a été établi que jusqu’à l’audience devant la cour d’appel de Nauplie, le 2 octobre 2012, toutes les démarches avaient été entreprises afin d’assurer la comparution des deux témoins à l’audience. Toutefois malgré tous les efforts déployés à cet égard, la présence des celles-ci s’est avérée impossible. Le Gouvernement ajoute que la lecture des dépositions faites pendant l’instruction, n’a pas constitué l’unique élément de preuve sur lequel s’est fondé la cour d’appel. En revanche, celle-ci a pris en considération d’autres éléments et notamment les dépositions faites à l’audience des trois autres témoins à charge, la déposition du témoin à décharge et l’ensemble des documents contenus dans le dossier. Il souligne que la Cour de cassation a relevé que l’arrêt de la cour d’appel indique que les dépositions des témoins absentes étaient incluses dans le jugement du tribunal correctionnel et lecture avait alors été donnée de celles-ci sans que le requérant s’y était opposé.

37. Enfin, le Gouvernement admet que le président de la cour d’appel n’a pas donné lecture de la déclaration sous serment établie le 24 mars 2006 par la témoin P.C., mais souligne que le requérant n’a pas recouru contre ce refus du président devant la pleine formation de la cour d’appel. Par conséquent, la Cour de cassation a eu raison de rejeter le moyen de cassation du requérant tiré de ce fait.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux pertinents

38. La Cour rappelle d’emblée que les principes concernant l’utilisation de déclarations faites par un témoin absent ont été dégagés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, CEDH 2011) et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne ([GC], no 9154/10, CEDH 2015 et Seton c. Royaume-Uni, no 55287/10, 12 septembre 2016).

39. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni précité, § 118). Elle examinera donc le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Schatschaschwili précité, § 100). De plus, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Schatschaschwili, précité, § 101). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense, mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins (ibidem). La Cour rappelle également que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (Van Wesenbeeck c. Belgique, nos 67496/10 et 52936/12, §§ 65-66 et 88, 23 mai 2017).

40. Elle rappelle aussi que l’article 6 § 3 d) de la Convention consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe avoir été produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et les références qui y sont citées, et Schatschaschwili, précité, §§ 103-105).

41. La Cour rappelle avoir conclu que l’admission à titre de preuve de la déposition faite avant le procès par un témoin absent et constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emportait pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Néanmoins, eu égard aux risques inhérents aux dépositions de témoins absents, l’admission d’une preuve de ce type est un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 146-147).

42. Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, précité, et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili (précité, §§ 111-131), l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes. Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery, l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes (ibidem, § 152). La Cour doit rechercher :

i. s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition (ibidem, §§ 119-125) ;

ii. si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation (ibidem, §§ 119 et 126-147) ; et

iii. s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (ibidem, § 147).

La Cour a, en outre, considéré que :

i. L’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin, si elle ne peut en soi rendre un procès inéquitable, n’en demeure pas moins un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès ; pareil élément est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d).

ii. Il convient de vérifier qu’il existait des éléments compensateurs suffisants non seulement dans les affaires dans lesquelles les déclarations d’un témoin absent constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation du défendeur, mais aussi dans celles où les déclarations en question revêtaient un poids certain, et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent.

iii. En règle générale, il sera pertinent d’examiner les trois étapes du critère Al-Khawaja dans l’ordre défini dans cet arrêt. Toutefois, les trois étapes du critère sont interdépendantes et, prises ensemble, servent à établir si la procédure pénale en cause a été globalement équitable. Il peut donc être approprié, dans une affaire donnée, d’examiner ces étapes dans un ordre différent, notamment lorsque l’une d’elles se révèle particulièrement probante pour déterminer si la procédure a été ou non équitable.

43. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 116).

b) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

i. Motif sérieux justifiant la non-comparution des témoins

44. La Cour rappelle qu’un motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin au procès et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition doit exister du point de vue du tribunal du fond, c’est‑à-dire que celui-ci doit avoir eu de bonnes raisons, factuelles ou juridiques, de ne pas assurer la comparution du témoin au procès. S’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin au sens ainsi défini, il s’ensuit qu’il existerait une raison valable ou une justification pour que le tribunal du fond admît à titre de preuve la déposition non vérifiée du témoin absent.

45. En l’espèce, la Cour relève qu’au stade de l’instruction de l’affaire, P.L. a été entendue à deux reprises, le 25 février 2005, par les organes chargés de l’instructeur et P.C. aussi à quatre reprises les 24 et 25 février 2005. Les deux témoins ont désigné le requérant comme étant l’auteur du faux. Citées à comparaître à l’audience devant le tribunal de Corinthe et à celle devant la cour d’appel de Nauplie, P.L. et P.C ne se sont pas présentées. Le tribunal correctionnel n’a donné aucune explication quant à leur absence et procéda à entendre les trois autres témoins à charge et un témoin à décharge. En revanche, la cour d’appel, après avoir constaté que les deux témoins avaient été légalement citées à comparaître, a affirmé qu’elles n’ont pas pu être présentes car elles résidaient à l’étranger à une adresse inconnue. La cour d’appel a rajouté que compte tenu du fait que les efforts de l’autorité judiciaire ont été épuisés sans qu’il ait été possible de faire comparaître les témoins, il fallait considérer qu’il y avait impossibilité de comparution et d’examen de celles-ci et que la cour devait procéder à la lecture de leurs dépositions faites pendant l’instruction.

46. Rappelant que la non-comparution d’un témoin à un procès peut s’expliquer par diverses raisons (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 120‑125 , Bobeş c. Roumanie, no 29752/05, §§ 39-40, 9 juillet 2013, Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 58, 18 juillet 2013, et Schatschaschwili, précité, § 119) et qu’il ne lui incombe pas de se substituer au juge national pour décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin, la Cour comprend que, aux yeux des juridictions nationales, l’interrogation des P.L. et de P.C. à l’audience n’était pas indispensable à l’établissement de la vérité. Toutefois, la Cour a déjà considéré que si les autorités de poursuite décident qu’une personne particulière est une source d’information importante et s’appuient sur sa déposition à l’audience, et si la déposition de ce témoin est utilisée par le tribunal pour fonder une décision de culpabilité, il devrait être présumé que la comparution personnelle et l’examen de ce témoin est nécessaire, sauf si sa déposition est manifestement non pertinente ou redondante (Cevat Soysal c. Turquie, no 17362/03, § 77, 23 septembre 2014).

47. En premier lieu, la Cour relève qu’à l’audience de première instance, le tribunal correctionnel n’a fait aucune remarque quant à la non‑comparution des P.L. et P.C. et n’a pas répondu à la doléance du requérant selon laquelle les autorités n’avaient pris aucune mesure pour les faire comparaître (paragraphe 11 ci-dessus). Par ailleurs, aucune démarche n’a été entreprise non plus par la suite pour les retrouver en Roumanie et à l’audience du 2 octobre 2012, la cour d’appel, sur les motifs de laquelle la Cour de cassation s’est fondée, n’a fait que se référer au récépissé de notification de la citation qui constatait que les témoins étaient introuvables à leur adresse antérieure en Grèce.

48. Toutefois, la Cour estime que cette absence de volonté des juridictions d’examiner plus en profondeur le sérieux du motif justifiant l’absence de ces deux témoins n’est pas à elle seule déterminante.

ii. Si les dépositions litigieuses constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation

49. La Cour note aussi que dans son arrêt, la cour d’appel, sur les motifs de laquelle la Cour de cassation s’est fondée, a indiqué que les dépositions de P.L. et de P.C. ne constituaient pas l’unique moyen de preuve, mais elles étaient prises en considération simultanément avec les dépositions sous serment des trois autres témoins à charge, la déposition du témoin à décharge, ainsi que les documents inclus dans la liste des documents à lire et les autres documents produits par le requérant. La Cour rappelle à ce propos que pour déterminer le degré d’importance des témoins absents, et, en particulier, si ces dépositions ont constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant, la Cour doit avoir égard avant tout à l’appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales (Schatschaschwili, précité, § 141).

50. En l’espèce, la Cour observe que, si les dépositions de P.L. et de P.C. n’ont pas été l’unique élément à charge, les juridictions nationales n’ont pas indiqué clairement si elles les considéraient comme « déterminantes », au sens qu’elle a donné à ces termes dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery, c’est-à-dire comme une preuve dont l’importance est telle qu’elle est susceptible d’emporter la décision sur l’affaire (Schatschaschwili, précité, § 142). Bien que les juridictions nationales aient mentionné s’être fondées sur l’ensemble des preuves du dossier considérées comme un tout, aux yeux de la Cour, il est indéniable que les dépositions de P.L. et de P.C ont joué un rôle déterminant dans la condamnation du requérant (Kuchta c. Pologne, no 58683/08, § 58, 23 janvier 2018).

51. En effet, la Cour relève que les deux témoins étaient les seules à avoir désigné le requérant comme étant l’auteur de l’infraction. Quant aux autres témoins à charge, lors de l’audience devant la cour d’appel, le premier témoin, K.M., a déclaré ne pas savoir si c’était le requérant qui avait commis l’infraction, le deuxième, A.G., qu’il n’était certain de rien et le troisième, P.P., que l’infraction pouvait avoir été commise par toute autre personne (paragraphe 13 ci-dessus). Les témoignages des témoins à charge lors de l’audience devant le tribunal correctionnel ne contenait rien de plus compromettant à l’encontre du requérant à part le fait qu’il était présent de temps en temps sur les lieux de la mairie. En outre, ni les juridictions, ni le Gouvernement n’indique si un ou plusieurs des documents lus à l’audience étai(en)t déterminant(s) pour fonder la culpabilité du requérant.

iii. Sur l’existence éventuelle d’éléments compensateurs

52. Se tournant maintenant vers l’existence éventuelle d’éléments compensateurs, la Cour observe d’emblée que la cour d’appel refusa de lire à l’audience et d’apprécier la pertinence de la déclaration sous serment établie devant notaire par P.C. par laquelle celle-ci revenait sur sa première déposition concernant le requérant. Cette déclaration, qui était versée au dossier devant la cour d’appel, revêtait toute son importance pour le requérant dans les circonstances de la cause, car elle était de nature à ébranler la conviction que le requérant était l’auteur de l’infraction. Même si à la fin de la procédure la cour d’appel devait encore statuer de manière défavorable au requérant, elle aurait pu expliquer pour quel motif elle ne trouvait pas fiable la révocation par P.C. de sa première déposition faite pendant l’instruction. De l’avis de la Cour, la lecture et l’examen de cette déclaration constituaient des mesures qui auraient pu être de nature à compenser l’impossibilité d’interroger les deux témoins et qui auraient permis à la cour d’appel de s’éclairer davantage sur la crédibilité de celles-ci et sur la valeur probante de leur témoignages. La Cour souligne cependant qu’elle n’entend pas, par ce constat, se prononcer sur l’appréciation de ce moyen de preuve, laquelle appréciation est une prérogative des juridictions internes, mais relève que cette lecture et cet examen auraient pu constituer un élément compensateur et qu’aucun autre élément de cette nature n’existe en l’espèce.

iv. Appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble

53. Compte tenu de ce qui précède et surtout de l’absence d’éléments compensateurs, la Cour ne peut que constater le caractère déterminant des dépositions faites par P.L. et P.C. dans le cadre de l’instruction et lus à l’audience devant la cour d’appel. En l’absence dans le dossier d’autres éléments de preuve solides propres à corroborer ces dépositions, l’équité de la procédure dans son ensemble a été compromise.

54. Par conséquent, la Cour juge que les droits de la défense du requérant ont subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable. Il y a eu, dès lors, violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

55. Le requérant se plaint aussi d’une violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1. Il soutient que contrairement à ce qu’elle avait décidé dans une affaire similaire à la sienne (arrêt no 804/2012 – paragraphe 21 ci-dessus), la Cour de cassation n’a pas prononcé la prescription de sa culpabilité et a cassé partiellement l’arrêt de la cour d’appel sans lui donner l’opportunité de prendre position sur la question de prescription qu’elle a abordée d’office.

56. Eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur les autres griefs (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

57. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

58. Pour dommage moral, le requérant invite la Cour à lui accorder toute somme que celle-ci considère comme « juste » pour la réparation de sa détresse émotionnelle et la souffrance auxquelles il a été soumis.

59. Le Gouvernement considère que le constat de violation constituerait une satisfaction suffisante.

60. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. Statuant en équité, elle octroie au requérant 2 000 euros (EUR) à ce titre.

B. Frais et dépens

61. Le requérant réclame 5 597 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et 1 000 EUR pour frais de transport. Il admet que depuis le moment des faits il ne dispose plus des factures correspondantes mais déclare se baser sur les barèmes fixés par le code des avocats.

62. Le Gouvernement soutient que les frais réclamés n’ont pas de lien de causalité avec les violations alléguées et invite la Cour à ne lui accorder aucune somme à cet égard.

63. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour note que ceux-ci sont des frais normalement encourus dans le cadre de la procédure litigieuse. En outre, la Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés pour la procédure devant les juridictions nationales. Il convient donc d’écarter cette demande (voir parmi beaucoup d’autres, Vlachos c. Grèce, no 20643/06, § 43, 18 septembre 2008).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention s’agissant de la non-comparution des témoins ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la prise en considération d’office par la Cour de cassation de la question de la prescription ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel Campos                             Ksenija Turković
Greffier                                     Présidente

Dernière mise à jour le décembre 4, 2020 par loisdumonde

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