KOSAREV ET AUTRES c. RUSSIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 10927/09

TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 10927/09
Vasiliy Tikhonovich KOSAREV et autres
contre la Russie

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 10 novembre 2020 en un comité composé de :

Georgios A. Serghides, président,
Georges Ravarani,
María Elósegui, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 6 décembre 2008,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Les requérants, M. Vasiliy Tikhonovich Kosarev, Mme Olga Leontyevna Senina, Mme Valentina Vasilyevna Mikhaylova, Mme Fariska Misirbiyevna Katsanova sont des ressortissants russes, nés respectivement en 1919, 1955, 1944 et 1940 et résidant à Vladikavkaz. Ils sont représentés devant la Cour par Me T.I. Baskayeva, avocate à Vladikavkaz.

2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. M. Galperine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

A. Les circonstances de l’espèce

3. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

4. Les quatre requérants sont des agents civils, actuellement retraités, d’une unité militaire du ministère de la Défense de Russie. Ensemble avec d’autres collègues ils saisirent le tribunal d’une demande dirigée contre l’unité militaire no 77197 du ministère de la Défense visant à obtenir le paiement des arriérés de traitements supplémentaires.

5. Le 6 avril 2004, le juge de paix de la circonscription no 17 du district Iristonski de Vladikavkaz (république d’Ossetie-du-Nord-Alanie) (ci-après, « le juge de paix ») fit droit à leurs demandes, se fondant notamment sur un arrêté no 379 du 9 octobre 2002, délivré par le commandant de l’unité militaire no 77197, employeur des intéressés. N’étant pas contesté, ce jugement devint définitif.

6. Les 11 mai et 26 juillet 2004 respectivement, des titres exécutoires furent délivrés et mis à exécution. Le 20 décembre 2004, le Trésor public fit un versement des fonds nécessaires pour honorer le jugement au profit de l’unité militaire défenderesse. Le 21 décembre 2004, le chef de l’unité militaire demanda au tribunal d’annuler la décision du 6 avril 2004 en raison des faits nouvellement révélés et de suspendre la procédure d’exécution.

7. Le 17 mars 2005, le juge de paix fit droit à cette demande et annula le jugement en cause. Il estima en effet que l’arrêté no 379, sur lequel le jugement était fondé, était un faux en écriture, circonstance inconnue au moment de l’examen de la demande, et révélée plus tard. En raison de cette annulation, le juge de paix ordonna le renvoi de la demande pour un nouvel examen au fond. Or, après le renvoi, suite à la non- comparution des plaignants aux audiences du tribunal, le 17 mai 2005, le juge de paix déclara l’extinction de l’instance en raison d’un désistement implicite des plaignants, en application de la norme pertinente du code de procédure civile.

8. Selon les requérants, ils n’apprirent l’information relative aux décisions des 17 mars et 17 mai 2005 que le 12 juin 2008 après avoir reçu une lettre de la direction régionale du Trésor public leur adressée suite à la demande d’information formulée, le 20 avril 2008, par leur avocate.

9. Selon l’attestation du 6 décembre 2006, fournie par les requérants au moment de l’introduction de leur requête devant la Cour, le commandant de l’unité militaire, défendeur au litige, informa l’une des plaignantes, qui, quant à elle, n’avait pas introduit la requête devant la Cour, des événements survenus après la décision du 6 avril 2004, notamment, de l’annulation de cette décision ayant eu lieu le 17 mai 2005.

B. Le droit interne pertinent

10. Les dispositions pertinentes relatives à la procédure relative à la réouverture du procès en raison des circonstances nouvelles ou nouvellement révélées sont résumées dans l’arrêt Igor Vasilchenko c. Russie, no 6571/04, § 33, 3 février 2011.

GRIEFS

11. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de la non-exécution du jugement définitif rendu en leur faveur et de l’annulation, selon eux, abusive de ce jugement.

EN DROIT

Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1

1. Thèses des parties

12. Les requérants allèguent que le jugement du 6 avril 2004, revêtu de l’autorité de la chose jugée, n’a pas reçu exécution en raison de l’annulation de ce jugement, le 17 mars 2005. Ils estiment que le fait évoqué par la partie défenderesse n’était pas une circonstance nouvellement révélée parce qu’il n’était pas établi par un jugement pénal. Ils en déduisent que l’annulation était abusive.

13. Le Gouvernement combat la thèse des requérants. Il souligne que le fait que le document principal, l’arrêt no 379 du 9 octobre 2002, sur lequel le tribunal a fondé son jugement en statuant en faveur des requérants, était un faux. Le Gouvernement soutient que, étant donné que cette circonstance a été établie après le prononcé de la décision, elle a été considérée par le tribunal comme une circonstance nouvellement révélée donnant lieu à l’application de la procédure pertinente. Il soutient donc que l’annulation n’était pas abusive. Le Gouvernement affirme que les requérants étaient dûment informés de la décision du 17 mars 2005. Il ajoute que le dossier conservé aux archives du tribunal a été détruit après l’expiration des délais de conservation et que, pour cette raison, il n’est pas en mesure de présenter à la Cour des preuves de signification de ce jugement aux requérants.

2. Appréciation de la Cour

14. En l’espèce, la Cour note que les objections du Gouvernement sont tirées d’un défaut manifeste de fondement de la requête. Elle ne trouve pas nécessaire de les examiner car la requête est de toute manière irrecevable pour une autre raison.

15. Bien que le Gouvernement n’ait pas argué d’une inobservation par les requérants de la règle des six mois, la Cour rappelle que rien ne l’empêche d’examiner proprio motu cette question, qui touche à sa compétence (Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 85, CEDH 2014 (extraits)).

16. En l’espèce, les requérants affirment n’avoir pris connaissance de la situation litigieuse, à savoir, l’annulation du jugement définitif, que le 20 avril 2008, date à partir de laquelle le délai de six mois, imparti par l’article 35 § 1 pour l’introduction de la requête, aurait commencé à courir (paragraphe 8 ci-dessus). La Cour ne partage pas ce raisonnement. Il ressort des pièces du dossier constitué par les requérants devant la Cour que ces derniers étaient informés du déroulement de la procédure d’exécution et de la suspension de cette dernière en raison de l’annulation du jugement en cause bien avant la date indiquée. En effet, il ressort de l’attestation du 6 décembre 2006 dont les requérants étaient en possession, que la situation litigieuse leur était connue depuis cette date (paragraphe 9 ci-dessus). En effet, cette attestation était adressée par le défendeur, l’employeur des requérants à une de leurs collègues. Il est inconcevable que le contenu de ce document soit inconnu à ces derniers étant donné que la destinataire de cette lettre travaillait avec eux au sein de la même unité militaire. Comme les requérants n’affirment pas le contraire, la Cour considère qu’ils connaissaient la situation litigieuse peu après la date indiquée sur cette attestation, c’est-à-dire, le 6 décembre 2006.

17. Il s’ensuit que la requête est tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 3 décembre 2020.

Olga Chernishova                              Georgios A. Serghides
Greffière adjointe                               Président

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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