Pârvu c. Roumanie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 265
Août-Septembre 2022

Pârvu c. Roumanie – 13326/18

Arrêt 30.8.2022 [Section IV]

Article 2
Article 2-1
Enquête effective
Article 2-2
Recours à la force

Recours à la force meurtrière, alors que celui-ci n’avait pas été rendu absolument nécessaire, au cours d’une opération de police menée contre un individu ayant été identifié à tort comme un dangereux fugitif, et enquête ineffective : violations

En fait – Le mari de la requérante (M. Pârvu) fut mortellement touché à la tête par une balle tirée par un policier (D.G) alors qu’il conduisait une voiture. Les faits se produisirent au cours d’une intervention programmée par des policiers afin d’arrêter un fugitif international qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen et était considéré comme dangereux à raison des crimes qui lui étaient reprochés, à savoir meurtre et vol aggravé. M. Pârvu avait été pris à tort pour cet individu.

Une enquête pénale fut ouverte sur le meurtre du mari de la requérante. Elle dura en tout plus de onze ans et se conclut par une décision dans laquelle le parquet estimait que D.G. avait agi en état de légitime défense afin d’empêcher M. Pârvu de mettre en danger la vie d’autres policiers qui se trouvaient sur place, et qualifiait les tirs d’accidentels. La requérante contesta sans succès cette décision.

En droit – Article 2 :

a) Volet matériel – Les actes de D.G. avant et pendant les tirs mortels ont fait l’objet d’une double explication combinant :

– l’argument de la légitime défense, au tout début de l’opération de police lorsque les actes de M. Pârvu auraient mis en danger les policiers qui risquaient d’être heurtés par le véhicule de celui-ci et que D.G. aurait chargé son pistolet, puis

– des coups de feu accidentels ayant mortellement touché M. Pârvu à la tête au moment où D.G. aurait perdu l’équilibre lorsque la porte de la voiture aurait heurté son coude en s’ouvrant et que le pistolet aurait été involontairement déchargé.

Au vu des défaillances dans l’enquête interne, exposées ci-dessous, la Cour exprime des doutes quant au caractère absolument nécessaire et justifié du recours à la force meurtrière, et quant au point de savoir si l’on pouvait considérer que D.G., qui coordonnait l’opération de police, pouvait sincèrement avoir pensé que les autres policiers, qui étaient eux-mêmes armés, étaient exposés à un danger clair et immédiat. En effet, au moment où D.G. a tiré le coup mortel, le véhicule s’était déjà arrêté et les policiers dont D.G. avait pensé qu’ils risquaient d’être heurtés avaient déjà réussi à éviter tout impact. Un avis de l’Institut national de médecine légale, délivré près de sept ans après le début de l’enquête sur le décès de M. Pârvu, semble également étayer les doutes de la Cour quant au caractère accidentel des tirs. Les enquêteurs ont, par ailleurs, omis de demander à un neurologue une expertise, alors même que deux juridictions internes l’avaient ordonnée, afin de déterminer si un coup sur le coude tel que celui décrit pouvait avoir déclenché le tir mortel.

Concernant la conduite de l’opération elle-même, l’enquête n’a pas examiné de manière adéquate pourquoi D.G. est intervenu. Celui-ci ne faisait pas partie de l’équipe de policiers spécialement entraînés dont la mission était d’immobiliser le suspect, et il est apparemment intervenu en dehors de sa propre mission qui était d’identifier le suspect.

En outre, l’opération n’a pas été préparée de manière à réduire au minimum tout recours à la force meurtrière. D’importantes forces de police ont été déployées mais celles-ci ont agi sur la base de l’information erronée selon laquelle la personne qui conduisait la voiture était un fugitif. Il s’agit d’une erreur significative qui n’est devenue évidente pour la police qu’après les coups de feu mortels. Il y a également eu des lacunes dans l’enquête menée sur cette erreur et la décision du procureur n’a expliqué que superficiellement comment celle-ci avait été possible. Cette erreur d’identification est un facteur important qui a engagé la responsabilité des autorités relativement au décès de M. Pârvu. Par ailleurs, rien ne montre qu’au moment de la préparation de l’opération de police des mesures d’atténuation ont été envisagées de manière à appliquer le principe de proportionnalité et à éviter le risque de tuer un innocent par erreur. De surcroît, il existe des doutes quant au point de savoir si les policiers impliqués dans les événements étaient clairement identifiables comme appartenant aux forces de police, et aucune disposition n’avait été prise pour qu’une ambulance fût présente, raison pour laquelle la victime dut attendre environ quinze minutes jusqu’à l’arrivée des secours arrivent.

Enfin, le Gouvernement n’a pas démontré qu’un cadre législatif et administratif adéquat était en place pour offrir aux citoyens des garanties contre l’arbitraire et l’abus de la force.

Partant, la manière dont la police a réagi ne saurait être considérée comme ayant été « rendu[e] absolument nécessaire » afin d’empêcher la fuite de M. Pârvu et de l’arrêter ou de prévenir la menace qu’il pouvait représenter.

Conclusion : violation (unanimité).

b) Aspect procédural – Examinant l’incident et la procédure dans son ensemble, la Cour estime, entre autres, qu’il y a eu des omissions frappantes dans la conduite de l’enquête, lesquelles ont été relevées par les tribunaux compétents, et qu’un certain nombre de questions relatives à des éléments factuels essentiels de l’affaire sont restées sans réponse. Par ailleurs, l’enquête pénale sur les coups de feu qui ont coûté la vie à M. Pârvu a duré plus de onze ans, et l’affaire a été renvoyée quatre fois au parquet à raison d’omissions significatives dans l’enquête. Les autorités d’enquête n’ont, en outre, examiné que superficiellement la question de la préparation et du contrôle de l’opération. Enfin, plus de six ans après les faits, une juridiction interne a établi que les procédures opérationnelles de police étaient contenues dans un document secret auquel le parquet n’avait pas accès.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 65 000 EUR pour dommage moral.

Article 46 : Le constat de violation du droit à une enquête effective au sens de l’article 2 auquel est parvenu la Cour dans la présente affaire est similaire à celui qu’elle a fait dans des affaires antérieures contre la Roumanie. Des mesures générales au niveau national s’imposent indubitablement dans l’exécution du présent arrêt relativement au droit à une enquête effective sur le recours par la police à une force potentiellement meurtrière. L’État défendeur doit donc respecter les exigences de l’article 46, en tenant compte des principes énoncés par la jurisprudence de la Cour en la matière et exposés dans le présent arrêt. La Cour se réfère également aux indications données par le Comité des Ministres et le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements et peines inhumains ou dégradants (CPT) relativement à la Roumanie. Elle laisse toutefois à l’État défendeur le soin de faire, sous le contrôle du Comité des Ministres, les démarches concrètes qu’il estimera nécessaires pour atteindre les buts recherchés par ces indications et compatibles avec les conclusions contenues dans le présent arrêt.

(Voir aussi Wasilewska et Kałucka c. Pologne, 28975/04 et 33406/04, 23 février 2010 ; Soare et autres c. Roumanie, 24329/02, 22 février 2011, Résumé juridique ; Gheorghe Cobzaru c. Roumanie, 6978/08, 25 juin 2013)

Dernière mise à jour le août 30, 2022 par loisdumonde

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