Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 265
Août-Septembre 2022
Arrêt 30.8.2022 [Section IV]
Article 8
Obligations positives
Inefficacité de toutes les procédures à disposition de la requérante alléguant des fautes médicales pour l’ablation d’un sein par un chirurgien suite au diagnostic erroné de cancer d’un oncologue : violation
En fait – La requérante a subi l’ablation d’un sein par un chirurgien suite au diagnostic de cancer posé par un oncologue qui s’est révélé erroné par la suite.
Estimant avoir été victime d’une faute médicale, elle fit usage de toutes les procédures disponibles en droit interne pour mettre en cause la responsabilité individuelle des deux médecins et viser les personnes morales qui les employaient. Elle a utilisé la voie pénale, elle a fait une action en responsabilité médicale fondée sur la loi no 95/2006 et une action en responsabilité civile délictuelle fondée sur le droit commun qui est toujours pendante, et elle a aussi introduit une plainte disciplinaire.
En droit – Article 8 :
1. Les procédures disponibles à la requérante. La requérante a pu soulever devant les autorités internes ses allégations relatives à la faute médicale dont elle estimait avoir été victime.
Cette affaire présente la particularité que la requérante a choisi de faire usage de tous les recours que le droit interne mettait à sa disposition. Et elle entend poursuivre l’action en responsabilité civile délictuelle, toujours pendante devant les tribunaux internes, même si elle émet des doutes sur son issue. Dans ce contexte, la Cour réaffirme que l’exercice d’une procédure permettant d’obtenir une réparation pécuniaire est à privilégier dans une affaire de négligence médicale.
2. La procédure pénale. Des contradictions sont relevées entre les différents rapports d’expertise rendus successivement par les deux commissions de l’organisme compétent : une faute médicale a été premièrement relevée pour les deux médecins puis l’inverse a été exprimé.
Le parquet a essayé de clarifier les circonstances de l’espèce. Il s’est ainsi référé aux décisions rendues, dans le cadre de la procédure fondée sur la loi no 95/2006, par la commission de suivi. Il a constaté que seul l’oncologue avait commis une faute médicale.
Toutefois, les constatations du parquet ont été limitées par l’intervention de la prescription quant à la responsabilité pénale de l’oncologue. À cet égard, les rapports de l’organisme ont été produits lentement, notamment le rapport initial délivré environ trois ans après le déclenchement de la procédure pénale. Et l’examen des tribunaux internes a été limité n’ayant pas pu porter sur les questions de fond soulevées. En matière de négligence médicale, il appartient au Gouvernement de fournir des justifications convaincantes et plausibles pour expliquer les retards et la durée de la procédure interne ce qu’il n’a pas fait en l’espèce.
3. Les procédures visant à établir la responsabilité des médecins pour faute médicale ou civile délictuelle. La personne souhaitant engager la responsabilité médicale en cas de négligence a trois options : la saisine de la commission de suivi régie par la loi no 95/2006, dont la décision peut ensuite être contestée devant les tribunaux ; la saisine directe des tribunaux sur le fondement de la loi no 95/2006 ; et la saisine directe des tribunaux sur le fondement des dispositions du code civil régissant la responsabilité civile délictuelle. Toutefois, la compétence des autorités saisies d’une demande fondée sur les dispositions de la loi no 95/2006 est limitée au constat d’une faute médicale, sans possibilité de demander la réparation du préjudice subi en raison d’une faute médicale. Et les tribunaux ne peuvent examiner ces demandes que sur la base des dispositions du code civil. Ce mécanisme, même s’il a le mérite de donner à la personne intéressée le choix de la voie à suivre, semble lourd, ce qui signifie qu’il prendra forcément du temps. Un problème de coordination pourrait également se poser si la personne intéressée fait usage de toutes les voies de droit que la législation met à sa disposition.
Dans le cas de la requérante, la saisine de la commission de suivi a donné lieu à deux procédures distinctes, en raison des contestations formées par les deux médecins, qui se sont étalées sur plus de neuf ans pour la procédure en responsabilité civile, toujours pendante, et sept ans pour la procédure fondée sur la loi no 95/2006. La requérante, en choisissant d’exercer toutes les procédures que le droit interne mettait à sa disposition a pu contribuer, d’une certaine manière, à ce retard, dans la mesure où des sursis ont été prononcés en raison du déroulement de la procédure pénale. Toutefois, aucun autre élément ne pourrait justifier la lenteur de ces deux procédures.
Plus important encore, dans le cadre de la procédure fondée sur la loi no 95/2006, les avis de la commission de suivi, qui avait initialement conclu à l’existence d’une faute médicale sans motivation, différaient de ceux des tribunaux, qui ont infirmé les décisions de cette commission. Par ailleurs, les tribunaux n’ont pas expliqué de manière convaincante les incohérences entre les expertises médicolégales et les opinions médicales recueillies dans le cas de la requérante. Cela est manifeste dans le cas de la procédure visant l’oncologue, notamment au sujet de savoir si celle-ci avait posé de manière correcte le diagnostic de cancer, compte tenu des opinions différentes recueillies à cet égard. La cour d’appel a tantôt considéré qu’il y avait des contradictions entre ces opinions tantôt estimé que ces contradictions étaient « supposées ». Or, dans le cadre de la procédure disciplinaire, la commission supérieure de discipline du collège des médecins de Roumanie avait jugé qu’une biopsie était nécessaire pour déterminer le diagnostic de la requérante. Et lors de la procédure fondée sur la loi no 95/2006, les tribunaux ont rendu des conclusions différentes de celles dans les autres procédures, pénale et disciplinaire relativement à la responsabilité de l’oncologue. Les autorités n’ont fait aucun effort pour expliquer et justifier cette divergence. La procédure fondée sur la loi no 95/2006 n’a pas été à même de clarifier s’il y avait ou pas faute médicale en l’espèce.
Enfin, la procédure fondée sur la loi no 95/2006 visant à établir l’existence d’une faute médicale et celle en responsabilité civile délictuelle ont des éléments communs, notamment en ce qui concerne l’examen des quatre critères en fonction desquels la responsabilité du médecin peut être engagée : l’existence d’un fait illicite, l’existence d’un préjudice, le lien de causalité entre le fait et le préjudice et la culpabilité de l’auteur. La requérante a fait le choix non critiquable en principe d’exercer tous les recours à sa disposition. Or, dans ces deux procédures dont le but et les critères semblent bien similaires, les cours d’appel ont conclu que les deux médecins n’avaient pas commis de faute médicale et qu’on ne saurait donc leur reprocher un fait illicite. Or, la commission d’un fait illicite est l’un des quatre critères en fonction desquels peut être engagée la responsabilité civile délictuelle.
L’argument de la requérante, qui soutient que l’action civile, actuellement pendante, a peu de chances de succès compte tenu de l’issue de la procédure fondée sur la loi no 95/2006, revêt un poids certain. En cas d’allégations de négligence médicale, la voie civile est à privilégier. Toutefois, le Gouvernement n’a pas soutenu que l’action en responsabilité civile délictuelle pourrait permettre un nouvel examen sur le fond de la question de la responsabilité civile des deux médecins mis en cause. La Cour estime qu’une éventuelle issue favorable à la requérante dans le cadre de la procédure civile pendante ne saurait modifier ses constats parce que la question qui se pose à elle est celle de savoir si, quatorze années après la consultation médicale et l’intervention chirurgicale qu’a subie la requérante, la totalité des procédures disponibles ont offert à l’intéressée une réponse adéquate à ses allégations.
Le mécanisme légal lourd et lent des deux procédures n’a pas permis de clarifier les circonstances factuelles relatives au diagnostic posé et à l’adéquation de l’intervention chirurgicale ultérieure.
4. La procédure disciplinaire. La commission supérieure de discipline du collège des médecins de Roumanie a examiné la question de la responsabilité disciplinaire de l’oncologue et lui a appliqué une sanction. Toutefois, cette procédure s’est étalée sur une longue période de dix ans. De plus, la commission de discipline a dû mettre fin à la procédure à l’encontre du chirurgien, celui‑ci étant décédé dans l’intervalle.
Ensuite, la procédure disciplinaire est limitée à l’examen de l’existence d’une faute disciplinaire et, dans l’hypothèse où la procédure aboutit à un tel constat et à l’éventuelle sanction du médecin visé, la personne intéressée ne peut pas obtenir la réparation de son préjudice dans ce cadre. Elle ne pourrait l’obtenir que par le biais d’une action civile séparée.
La procédure disciplinaire a pu clarifier la question de la responsabilité disciplinaire de l’un des médecins mis en cause, mais en raison de sa nature et du temps qu’elle a pris, cette procédure a présenté des limites qui ont affecté son efficacité.
5. Conclusion. Le cadre règlementaire, qui permet un choix parmi plusieurs procédures à engager, peut apparaître favorable aux justiciables. Toutefois, les procédures introduites ont abouti à des résultats divergents. Ainsi, nonobstant leurs issues respectives, tant la procédure pénale que la procédure disciplinaire ont conclu que l’oncologue avait accompli ses obligations professionnelles de manière déficiente. Toutefois, la procédure fondée sur la loi spéciale no 95/2006 a écarté une telle responsabilité.
Ensuite, le mécanisme légal s’est révélé lent et lourd. Les tribunaux ont prononcé des sursis alors que d’autres procédures étaient pendantes, ce qui a pu entraîner l’intervention de la prescription quant à la responsabilité pénale de l’oncologue ou la fin de la procédure disciplinaire en raison du décès du chirurgien mis en cause. La requérante a certes choisi d’exercer toutes les procédures mises à sa disposition par le cadre règlementaire, mais la Cour ne saurait le lui reprocher. Il est compréhensible qu’elle ait voulu obtenir la clarification de sa situation factuelle ainsi que la réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi. Or, la procédure en responsabilité civile délictuelle, la seule procédure susceptible en théorie de lui procurer une réparation, est toujours pendante, neuf ans après la saisine des tribunaux par la requérante et quatorze ans après la consultation médicale et l’intervention subie par elle. Le mécanisme légal mis en place par le droit interne n’a pas présenté, dans le cas de la requérante, l’efficacité voulue par la jurisprudence de la Cour.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 7 500 EUR pour préjudice moral ; demande de dommage matériel rejetée.
(Voir aussi Eugenia Lazăr c. Roumanie, 32146/05, 16 février 2010, Résumé juridique ; Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], 56080/13, 19 décembre 2017, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le août 30, 2022 par loisdumonde
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