Goulandris et Vardinogianni c. Grèce – 1735/13 (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 263
Juin 2022

Goulandris et Vardinogianni c. Grèce – 1735/13

Arrêt 16.6.2022 [Section I]

Article 4 du Protocole n° 7
Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois

Procédure pénale ayant donné lieu à la duplication d’une amende administrative pour construction illégale mais pas à la duplication de l’amende annuelle due en cas de conservation de la construction en question : violation, non-violation

En fait – Les requérants, un couple marié, construisirent deux murs de pierre sur leur propriété sans le permis de construire requis. Un procès-verbal d’inspection des lieux déclara les ouvrages illégaux et infligea au premier requérant une amende pour construction illégale (« l’amende pour la construction ») et aux deux requérants une amende annuelle pour chacune des années pendant lesquelles le mur avait été maintenu en place (« l’amende pour la préservation » ). Les amendes ne firent l’objet d’aucune contestation.

Le procès-verbal d’inspection des lieux fut transmis au parquet et un acte d’accusation fut dressé contre les deux requérants. Ils furent condamnés à sept mois d’emprisonnement pour avoir conjointement et intentionnellement bâti les murs en violation du permis de construire applicable, sanction qui fut convertie en peine pécuniaire. Les requérants saisirent en vain la Cour de cassation, se disant notamment victimes d’une répétition de poursuites contraire au principe ne bis in idem.

Les ouvrages litigieux des requérants furent ensuite régularisés en vertu du régime prévu par le droit interne en la matière.

En droit – Article 4 du Protocole n° 7 :

a) La procédure relative aux amendes administratives était-elle pénale par nature ?

Les amendes administratives étaient infligées aux propriétaires ou copropriétaires solidairement et indépendamment de l’obligation pour eux de démolir les ouvrages illégaux. L’amende pour la construction devait être réglée même dans l’hypothèse où l’ouvrage aurait été ensuite démoli ou régularisé et elle n’était donc pas subordonnée au rétablissement de la légalité et du statu quo ante. Elle doit donc être considérée non pas comme une réparation pécuniaire du dommage causé, mais plutôt comme une forme de sanction infligée aux contrevenants. Elle avait un caractère aussi bien dissuasif que punitif. L’amende pour la préservation, calculée sur la base de la période allant de la date de construction à la date de toute démolition ou régularisation ultérieure, resterait à régler : toute régularisation éventuelle ne valait que pour l’avenir et non pas ex tunc. La Cour ne peut admettre que cette amende n’ait été qu’indirectement appliquée ou qu’elle n’ait été conçue qu’à titre de réparation pécuniaire : parce qu’elle était infligée annuellement et que son montant augmentait progressivement chaque année, elle visait aussi à punir les auteurs d’ouvrages bâtis sans le permis de construire requis et à dissuader les autres de faire de même.

Les amendes pouvaient être infligées à n’importe quelle personne propriétaire d’immeubles ou d’ouvrages irrégulièrement bâtis. Par ailleurs, si les amendes d’urbanisme n’étaient pas qualifiées de « pénales » en droit interne, elles pouvaient parfois être lourdes, elles n’avaient pas de plafond et elles comportaient sans doute un élément punitif, ce qui suffit à qualifier de pénale la procédure d’imposition des amendes litigieuses.

b) Les amendes administratives s’analysent-elles en un « jugement définitif » ?

Le délai de trente jours pour l’introduction d’une réclamation courait à compter du lendemain de la réception du procès-verbal d’ouvrage illégal et a expiré le 4 décembre 2004. Les requérants n’ayant pas contesté les amendes, la décision administrative par laquelle elles avaient été infligées était devenue « définitive », au sens du Protocole n° 7, le 5 décembre 2004, et non à la date de paiement des amendes.

Il s’ensuit que la « condamnation » à une amende pour la construction et la « condamnation » à une amende pour la préservation étaient devenues « définitives » avant l’ouverture des poursuites pénales en juillet 2006, une fois l’acte d’accusation émis.

c) Les infractions étaient-elles de même nature (idem) ?

Les faits à l’origine de l’amende administrative pour la construction ainsi que des poursuites et de la condamnation pénale des requérants sont la construction de deux murs d’enceinte en pierre en violation du permis de construire applicable. Ils doivent être réputés substantiellement identiques. L’infraction pénale englobait les éléments de l’amende pour la construction dans leur intégralité et, à l’inverse, l’imposition de l’amende pour la construction ne reposait sur aucun élément absent de l’infraction pénale, aux fins du Protocole n° 7.

En revanche, les faits à l’origine des poursuites pénales et de la condamnation n’étaient pas les mêmes ou substantiellement les mêmes que ceux à l’origine de l’imposition de l’amende pour la conservation imposée à l’issue d’une procédure administrative. Cette amende a été infligée parce que les contrevenants avaient préservé les ouvrages illégaux et continué d’enfreindre la législation en matière d’urbanisme, un élément de fait important dans la procédure administrative qui était absent de la condamnation des requérants pour construction illégale. La Cour en conclut que la procédure pénale ne portait pas sur les mêmes infractions ni sur la même période que pour l’imposition de l’amende pour la préservation et qu’elle était suffisamment distincte pour constater la non-violation de l’article 4 du Protocole n° 7 à cet égard.

La Cour poursuit l’examen de la question de l’existence d’une répétition de poursuites à l’égard de la seule procédure administrative relative à l’amende pour la construction et du seul premier requérant.

d) Y a-t-il eu répétition de poursuites (bis) ?

Concernant le lien matériel entre l’amende pour la construction et la procédure pénale, ainsi que les différentes sanctions infligées au premier requérant, les objectifs des deux peines étaient dissuasifs et punitifs. L’amende pour manquement aux règles d’urbanisme infligée dans le cadre d’une procédure administrative était toutefois propre au comportement en cause et se distinguait ainsi du « noyau dur du droit pénal » car elle n’avait pas de caractéristiques infamantes. Les deux procédures ont donc traité les questions de l’ouvrage illégal et du manquement aux prescriptions légales en matière d’urbanisme en poursuivant des finalités complémentaires.

Quant à la prévisibilité des conséquences du comportement du requérant, celui-ci n’était pas censé ignorer que des poursuites pénales et l’imposition d’une amende étaient possibles, voire probables, au vu des faits de l’espèce puisqu’elles figuraient parmi les sanctions prononcées en droit grec pour non-respect de la législation en matière d’urbanisme.

Quant au déroulement de la procédure, une audience a eu lieu devant le tribunal pénal de première instance et une autre devant la cour d’appel pénale, au cours desquelles le procureur a présenté des conclusions et un témoin a été entendu. Chacune des procédures conduites devant les autorités pénales et administratives a suivi son propre cheminement distinct dans le système juridique grec et est devenue définitive indépendamment l’une de l’autre. Les juridictions pénales ont recueilli et analysé les preuves et des sanctions pénales ont été prononcées indépendamment de l’imposition de l’amende d’urbanisme.

La cour d’appel a vu dans l’imposition de l’amende antérieure non pas comme un motif de réduction de la sanction pénale, mais un élément confirmant la responsabilité pénale du requérant. La Cour de cassation a également tenu une audience dans cette affaire et n’a reconnu aux amendes administratives aucun effet contraignant dans le cadre d’une procédure pénale.

En ce qui concerne la proportionnalité de la peine globale infligée, le jugement du tribunal pénal de première instance n’a fait nulle part mention de ce que le requérant avait déjà été condamné à une amende. Le fait que la cour d’appel a fixé la peine en tenant compte, entre autres, de la situation financière des requérants en général ne signifie pas que les amendes administratives antérieures aient été prises en considération à cette fin, et on ne peut pas en conclure qu’il y avait dans la procédure pénale un mécanisme permettant d’assurer la proportionnalité des peines globales. De plus, si le sursis à l’exécution de la peine a été prononcé, c’est parce que les requérants n’avaient pas fait l’objet d’une condamnation pénale définitive et qu’une peine privative de liberté de plus d’un an leur avait été infligée.

Au vu du lien temporel qui unit les procédures, elles ont globalement duré près de huit ans. L’acte d’accusation a été émis plus d’un an et demi après que la décision relative à l’amende administrative dans la première procédure était devenue définitive. Le requérant a été condamné en première instance plus de trois ans et neuf mois après que l’amende administrative était devenue « définitive » et la procédure pénale a été finalement close par la Cour de cassation environ sept ans et neuf mois après que la première amende était devenue définitive. La procédure pénale n’était donc pas pendante à la procédure administrative relative à l’amende pour la construction : elle a été engagée bien longtemps après la « condamnation » administrative. Ce laps de temps n’est pas imputable au requérant et le lien temporel entre les deux procédures ne peut être considéré comme suffisant pour éviter une répétition de poursuites.

Nonobstant la complémentarité de leurs finalités et la prévisibilité des conséquences du comportement du requérant, les deux procédures n’étaient donc pas suffisamment liées d’un point de vue matériel et temporel pour être considérées comme s’inscrivant dans un régime global de sanctions en matière de construction illicite en droit grec, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits. Au contraire, ayant été sanctionné deux fois pour le même comportement, le premier requérant a subi un préjudice disproportionné résultant de la répétition des poursuites et des peines qui ne s’intégrait pas à un ensemble cohérent et proportionné en l’espèce.

Conclusion : non-violation ; violation à l’égard du premier requérant (unanimité).

Article 41 : Rejet de la demande au titre de la satisfaction équitable.

Dernière mise à jour le juin 16, 2022 par loisdumonde

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