AFFAIRE ZOIDAKI-GEORGANTOPOULOU c. GRÈCE (Cour européenne des droits de l’homme) 44038/13

La requête concerne, en premier lieu, l’exécution tardive de l’arrêt no 4040/2005 du Conseil d’État, publié le 30 novembre 2005. Par cet arrêt, la haute juridiction administrative accepta un recours introduit par la requérante afin d’annuler un permis de construire sur un terrain adjacent au sien, appartenant à une certaine A.K.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ZOIDAKI-GEORGANTOPOULOU c. GRÈCE
(Requête no 44038/13)
ARRÊT
STRASBOURG
2 juin 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Zoidaki-Georgantopoulou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Krzysztof Wojtyczek, président,
Erik Wennerström,
Ioannis Ktistakis, juges

et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 44038/13) contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet État, Mme Aggeliki Zoidaki-Georgantopoulou (« la requérante »), née en 1938 et résidant à Athènes, représentée par Me A. Papakonstantinou, avocat à Athènes, a saisi la Cour le 1er juillet 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »), représenté par la déléguée de son agent, S. Papaioannou, assesseure auprès du Conseil Juridique de l’État,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mai 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1. La requête concerne, en premier lieu, l’exécution tardive de l’arrêt no 4040/2005 du Conseil d’État, publié le 30 novembre 2005. Par cet arrêt, la haute juridiction administrative accepta un recours introduit par la requérante afin d’annuler un permis de construire sur un terrain adjacent au sien, appartenant à une certaine A.K.

2. En deuxième lieu, elle concerne l’exécution tardive de l’arrêt no 302/2009 de la cour d’appel de Tripoli, publié le 10 juillet 2009, annulant une décision du Préfet de Corinthe de 2007 de ne pas procéder à la démolition du bâtiment d’A.K.

3. Le 31 mai 2013, la requérante introduisit une demande devant la cour d’appel de Tripoli, demandant l’annulation de l’omission de l’administration de se conformer à la démolition du bâtiment en cause.

4. Le 19 juillet 2016, la cour d’appel de Tripoli donna gain de cause à la requérante, annula l’omission de l’administration de démolir le bâtiment et renvoya l’affaire à l’administration afin de procéder à la démolition (arrêt no 302/2016).

5. Une demande de tierce intervention introduite par A.K. contre l’arrêt no 302/2016, fut rejetée (arrêt no 99/2017 de la cour administrative d’appel de Tripoli).

6. A.K. introduisit un appel contre les arrêts nos 302/2016 et 99/2017.

7. Le 9 janvier 2019, le Conseil d’État rejeta l’appel (arrêt no 25/2019).

8. Le 16 juillet 2021, le bâtiment en cause fut démoli.

9. La requérante se plaint d’une violation des articles 6 et 13 de la Convention en raison de l’exécution tardive des arrêts en cause ainsi que de l’absence d’un recours effectif à cet égard.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

10. Le Gouvernement soutient que la requérante n’a pas respecté le délai de six mois car elle a introduit sa requête plus de six mois après les décisions des juridictions internes la concernant.

11. Il ajoute que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes car elle n’a pas introduit ni de demande devant le comité de trois juges en charge du contrôle de la bonne exécution par l’administration des arrêts des juridictions administratives (« le comité de trois juges »), ni d’action en dommages-intérêts conformément à l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil devant les juridictions administratives.

12. La requérante rétorque qu’aucune question ne se pose en l’espèce concernant le respect du délai de six mois, car l’administration ne s’est pas encore conformée aux arrêts en cause. Elle ajoute que ni la demande devant le comité de trois juges ni l’action en dommages‑intérêts ne sont des recours effectifs à épuiser.

13. En ce qui concerne le respect du délai de six mois, la Cour note que l’affaire concerne notamment l’exécution tardive de l’arrêt no 4040/2005 du Conseil d’État et que l’administration ne s’est conformée à cet arrêt que le 16 juillet 2021. Il s’ensuit qu’il s’agissait en l’espèce d’une allégation d’une violation continue jusqu’au 16 juillet 2021.

14. Quant à l’épuisement des voies de recours internes, la Cour rappelle qu’après la saisine par l’intéressé du comité de trois juges, celui-ci ne peut que constater le refus de l’administration de se conformer à un arrêt et lui imposer, le cas échéant, le versement d’une indemnité à l’intéressé pour cette raison. Elle a déjà considéré qu’il n’est pas suffisant de constater la non-exécution d’un arrêt sans plus et elle a rejeté des exceptions préliminaires similaires (voir, à titre d’exemple, Kanellopoulos c. Grèce, no 11325/06, §§ 17-21, 21 février 2008). Quant à la possibilité, pour la requérante, d’introduire une action en dommages-intérêts conformément à l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour note que cette voie de recours a un caractère indemnitaire et n’est pas de nature à entraîner avec certitude l’exécution d’une décision de justice.

15. La Cour rejette par conséquent les exceptions du Gouvernement.

16. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

17. Le Gouvernement soutient que l’administration a procédé à plusieurs actions afin de se conformer aux arrêts en cause. Toutefois, le bâtiment d’A.K. n’a pas été démoli en raison du fait que la propriétaire aurait exercé ses droits de manière à empêcher la démolition jusqu’à la publication de l’arrêt no 302/2016 de la cour d’appel de Tripoli. Le Gouvernement ajoute que même après la publication de cet arrêt, l’administration ne pouvait pas se conformer de manière automatique mais devait suivre la procédure prévue en l’espèce, qui était complexe et de longue durée, et qui s’est terminée en 2019. Le Gouvernement plaide en outre que l’administration ne disposait pas des ressources nécessaires afin de procéder à la démolition du bâtiment en cause.

18. La requérante rétorque que l’administration n’avait aucune intention de se conformer aux arrêts en cause. Elle ajoute que ni le manque de ressources, ni les actes d’A.K., ni la complexité de la procédure ne peuvent justifier ce retard.

19. Les principes généraux concernant l’inexécution ou l’exécution tardive des arrêts des juridictions internes ont été résumés dans les arrêts Bousiou c. Grèce, no 21455/10, §§ 18-21, 24 octobre 2013, et Vasiliadou c. Grèce, no 32884/09, §§ 33-37, 6 avril 2017).

20. La Cour note que l’administration a procédé à l’exécution de l’arrêt no 4040/2005, publié le 30 novembre 2005, le 16 juillet 2021, soit quinze ans et plus de sept mois après l’arrêt en cause et que rien n’explique ce retard. Il apparaît donc que l’administration a omis de se conformer dans un délai raisonnable à l’arrêt en cause.

21. Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES AU SUJET DESQUELLES IL EXISTE UNE JURISPRUDENCE BIEN ÉTABLIE

22. La requérante a formulé un grief tiré de l’article 13 de la Convention qui soulève lui aussi des questions sur le terrain de la Convention, selon la jurisprudence bien établie de la Cour. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable. Après examen de l’ensemble des éléments en sa possession, elle conclut qu’il fait également apparaître une violation de l’article 13 de la Convention, eu égard à ses constats dans Kanellopoulos, précité, § 33, Panagiotis Gikas et Georgios Gikas c. Grèce, no 26914/07, § 44, 2 avril 2009.

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

23. La requérante demande 70 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi. Elle réclame également 2 800 EUR au titre des frais et dépens, sans produire de facture.

24. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

25. La Cour octroie à la requérante 6 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt. Compte tenu de l’absence de justificatif y relatif, la Cour rejette la demande présentée au titre des frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois, 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt                               Krzysztof Wojtyczek
Greffière adjointe                                Président

Dernière mise à jour le juin 2, 2022 par loisdumonde

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