AFFAIRE MASTROGIANNIS c. GRÈCE (Cour européenne des droits de l’homme) 34151/13

La requête concerne l’exécution tardive de l’arrêt no 2346/2012 de la cour d’appel d’Athènes, publié le 30 novembre 2012. Cet arrêt annula une décision de l’administration de ne pas nommer le requérant à un poste du service public à la place d’un autre candidat, A.A., et renvoya l’affaire à l’administration.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MASTROGIANNIS c. GRÈCE
(Requête no 34151/13)
ARRÊT
STRASBOURG
2 juin 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mastrogiannis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Krzysztof Wojtyczek, président,
Erik Wennerström,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 34151/13) contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Georgios Mastrogiannis (« le requérant »), né en 1975 et résidant à Athènes, représenté au moment de l’introduction de la requête par Me P. Miliarakis, avocat à Athènes, a saisi la Cour le 15 mai 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »), représenté par la déléguée de son agent, A. Dimitrakopoulou, assesseure auprès du Conseil Juridique de l’État, les griefs concernant les articles 6 et 13 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mai 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1. La requête concerne l’exécution tardive de l’arrêt no 2346/2012 de la cour d’appel d’Athènes, publié le 30 novembre 2012. Cet arrêt annula une décision de l’administration de ne pas nommer le requérant à un poste du service public à la place d’un autre candidat, A.A., et renvoya l’affaire à l’administration.

2. A.A., ainsi que l’État, introduisirent des appels contre l’arrêt en cause.

3. Le 6 avril 2017, le Conseil d’État déclara les appels irrecevables au motif que l’arrêt no 2346/2012 n’était pas susceptible de recours (arrêts nos 1047/2017 et 1048/2017).

4. Le 24 juillet 2017, le requérant fut nommé au poste (décision no 3/2017).

5. Le requérant se plaint d’une violation des articles 6 et 13 de la Convention en raison de l’exécution tardive de l’arrêt no 2346/2012 ainsi que de l’absence d’un recours effectif à cet égard.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

6. En premier lieu, le Gouvernement plaide que ce grief est irrecevable ratione materiae, car l’affaire ne concerne pas une contestation sur les droits et obligations du requérant de caractère civil mais le recrutement du requérant dans le service public.

7. En deuxième lieu, le Gouvernement plaide que le requérant n’a pas la qualité de victime et qu’au moment de l’introduction de la requête il n’y avait aucun retard de l’administration de se conformer à l’arrêt no 2346/2012 de la cour d’appel d’Athènes. Il ajoute qu’en tout état de cause, l’administration s’est finalement conformée à l’arrêt en cause.

8. En troisième lieu, le Gouvernement argue que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car il aurait introduit sa requête avant que l’affaire soit examinée par le Conseil d’État et, en plus, il n’aurait pas introduit de demande devant le comité de trois juges en charge du contrôle de la bonne exécution par l’administration des arrêts des juridictions administratives (« le comité de trois juges »). Le Gouvernement ajoute que le requérant n’a pas introduit d’action en dommages-intérêts conformément à l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil devant les juridictions administratives.

9. Le requérant rétorque que la demande devant le comité de trois juges n’est pas un recours effectif à épuiser. Il ajoute que l’administration ne se conformait pas à l’arrêt no 2346/2012 de la cour d’appel d’Athènes sans raison valable.

10. En ce qui concerne l’argument du Gouvernement que ce grief est irrecevable ratione materiae, la Cour note que la procédure en cause porte sur la nomination d’un autre candidat à la place du requérant à un poste du service public. En effet, la cour d’appel d’Athènes a annulé, par son arrêt no 2346/2012, la décision de l’administration de ne pas nommer le requérant à un poste du service public à la place d’un autre candidat, A.A., et a renvoyé l’affaire à l’administration (paragraphe 1 ci-dessus). Les juridictions internes ont ainsi déjà reconnu l’existence d’un droit exécutoire que l’administration était ténue à respecter. Il s’ensuit que l’article 6 est applicable en l’occurrence dans son volet civil (Frezadou c. Grèce, no 2683/12, §§ 21-30, 8 novembre 2018, et Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 102, 19 septembre 2017). Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement.

11. Quant à la qualité de victime du requérant, la Cour rappelle qu’« une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de ’victime’ que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention » (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996–III, p. 846, § 36), ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Elle rejette donc l’exception du Gouvernement à cet égard.

12. La Cour rappelle en outre qu’après la saisine par l’intéressé du comité de trois juges, celui-ci ne peut que constater le refus de l’administration de se conformer à un arrêt et lui imposer, le cas échéant, le versement d’une indemnité à l’intéressé pour cette cause. Elle a déjà considéré qu’il n’est pas suffisant de constater la non-exécution d’un arrêt et elle a rejeté des exceptions préliminaires similaires (voir, à titre d’exemple, Kanellopoulos c. Grèce, no 11325/06, §§ 17-21, 21 février 2008). Quant à la possibilité, pour le requérant, d’introduire une action en dommages-intérêts conformément à l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour note que cette voie de recours a un caractère indemnitaire et n’est pas de nature à entraîner avec certitude l’exécution d’une décision de justice.

13. La Cour rejette par conséquent les exceptions du Gouvernement.

14. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

15. Le requérant soutient qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 de la Convention.

16. Le Gouvernement soutient que l’administration s’est conformée à l’arrêt en cause, que le comité compétent a délibéré en temps utile après la publication des arrêts nos 1047/2017 et 1048/2017 du Conseil d’État et qu’un certain temps était nécessaire afin de constater si le requérant remplissait les critères pour être nommé à un poste. Il ajoute que le requérant n’avait pas soumis de documents concernant son affaire devant ce comité. Il plaide enfin que l’administration était obligée d’examiner si le requérant avait les qualifications nécessaires.

17. Les principes généraux concernant l’inexécution ou l’exécution tardive des arrêts des juridictions internes ont été résumés dans les arrêts Bousiou c. Grèce, no 21455/10, §§ 33-35, 24 octobre 2013, et Vasiliadou c. Grèce, no 32884/09, §§ 33-37, 6 avril 2017.

18. La Cour note que l’administration n’a procédé à l’exécution de l’arrêt no 2346/2012, publié le 30 novembre 2013 et pas susceptible de recours, que le 24 juillet 2017, soit trois ans et huit mois environ après l’arrêt en cause et que rien n’explique ce retard. Il apparaît donc que l’administration a omis de se conformer dans un délai raisonnable à l’arrêt en cause.

19. Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES AU SUJET DESQUELLES IL EXISTE UNE JURISPRUDENCE BIEN ÉTABLIE

20. Le requérant a formulé un grief tiré de l’article 13 de la Convention qui soulève lui aussi des questions sur le terrain de la Convention, selon la jurisprudence bien établie de la Cour. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable. Après examen de l’ensemble des éléments en sa possession, elle conclut qu’il fait également apparaître une violation de l’article 13 de la Convention, eu égard à ses constats dans Kanellopoulos, précité, § 33, et Panagiotis Gikas et Georgios Gikas c. Grèce, no 26914/07, § 44, 2 avril 2009.

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Le requérant demande 30 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

22. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

23. La Cour octroie au requérant 4 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt                       Krzysztof Wojtyczek
Greffière adjointe                       Président

Dernière mise à jour le juin 2, 2022 par loisdumonde

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