AFFAIRE EGLISE DE GRÈCE c. GRÈCE (Cour européenne des droits de l’homme) 25207/13

La requête concerne l’inexécution des arrêts nos 1429/2001, 1430/2001, 1703/2001, 1704/2001 et 1705/2001 de la cour administrative d’appel d’Athènes. Ces arrêts ont annulé le rejet tacite de l’administration d’ordonner la levée des expropriations de terrains appartenant à la requérante et ont renvoyé les affaires à l’administration. La requérante se plaint, sous l’article 6 § 1 de la Convention, que l’inexécution des arrêts des juridictions administratives en cause aurait entrainé une violation de son droit d’accès à un tribunal.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ÉGLISE DE GRÈCE c. GRÈCE
(Requête no 25207/13)
ARRÊT
STRASBOURG
2 juin 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Église de Grèce c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

Krzysztof Wojtyczek, président,
Erik Wennerström,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 25207/13) contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, l’Église de Grèce (« la requérante »), représentée par Me Ch. Apostolopoulos, avocat à Athènes, a saisi la Cour le 8 avril 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »), représenté par les délégués de son agent, K. Georghiades, assesseur auprès du Conseil Juridique de l’État, et Z. Chatzipavlou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l’État, le grief concernant l’article 6 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mai 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1. La requête concerne l’inexécution des arrêts nos 1429/2001, 1430/2001, 1703/2001, 1704/2001 et 1705/2001 de la cour administrative d’appel d’Athènes. Ces arrêts ont annulé le rejet tacite de l’administration d’ordonner la levée des expropriations de terrains appartenant à la requérante et ont renvoyé les affaires à l’administration.

2. Par les décisions nos 46/2012, 48/2012, 49/2012, 50/2012, 51/2012 du comité en charge du contrôle de la bonne exécution par l’administration des arrêts des juridictions administratives (« le comité des trois juges ») de la cour administrative d’appel d’Athènes, le refus de l’administration de se conformer aux arrêts en cause fut reconnu. Des sommes furent allouées à la requérante à ce titre, en vue de sanctionner l’administration de l’inexécution des arrêts en cause.

3. La requérante se plaint, sous l’article 6 § 1 de la Convention, que l’inexécution des arrêts des juridictions administratives en cause aurait entrainé une violation de son droit d’accès à un tribunal.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

4. Le Gouvernement soutient que la requérante n’a pas la qualité de victime car elle n’aurait pas déposé des demandes prévues par l’article 32 § 3 de la loi no 4067/2012 devant le service compétent de la municipalité concernée afin que les plans d’urbanisme soient modifiés.

5. La requérante retorque que le refus de l’administration de se conformer a été constaté par le comité de trois juges. Elle ajoute que, suite à l’introduction de la loi no 4067/2012, l’administration ne lui a pas précisé quelles actions elle devait entreprendre afin de compléter le dossier.

6. La Cour note que le comité de trois juges a constaté l’omission de l’administration de se conformer aux arrêts en cause. Elle rappelle qu’elle a déjà considéré que lorsque l’examen du dossier permet de déduire que l’administration a sollicité la production d’actes juridiques ou de tout autre document comme prétexte pour se soustraire à l’exécution d’une décision de justice définitive ou, de manière dilatoire, pour en retarder la mise en œuvre, l’effet utile de l’article 6 § 1 de la Convention peut s’en trouver gravement diminué (Bousiou c. Grèce, no 21455/10, §§ 30-38, 24 octobre 2013). Elle rejette donc l’exception du Gouvernement.

7. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

8. Les principes généraux concernant l’inexécution ou l’exécution tardive des arrêts des juridictions internes ont été résumés dans les arrêts Bousiou, précité, §§ 33-35, et Vasiliadou c. Grèce, no 32884/09, §§ 33-37, 6 avril 2017.

9. La Cour note que l’administration n’a pas procédé à l’exécution des arrêts nos 1429/2001, 1430/2001, 1703/2001, 1704/2001 et 1705/2001 de la cour administrative d’appel d’Athènes et que rien n’explique ce retard. Il apparaît donc que l’administration a omis de se conformer aux arrêts en cause.

10. Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention.

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

11. La requérante demande 9 210 000 euros pour le préjudice matériel qu’elle estime avoir subi. Elle ne demande pas de somme à titre de préjudice moral.

12. Le Gouvernement indique que la somme réclamée est excessive et injustifiée.

13. La Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre.

14. La Cour rappelle en outre sa jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas de violation de l’article 6 de la Convention, il faut placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition (Lungoci c. Roumanie, no 62710/00, § 55, 26 janvier 2006). Un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique, non seulement de verser à l’intéressé les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer dans la mesure du possible les conséquences, de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 487, CEDH 2004‑VII).

15. Elle rappelle d’emblée sa position constante que l’exécution d’une décision interne demeure le redressement le plus approprié dans le cas des violations de l’article 6 comme celle constatée en l’espèce (Gerasimov et autres c. Russie, nos 29920/05 et 10 autres, § 198, 1er juillet 2014, et Kalinkin et autres c. Russie, nos 16967/10 et 20 autres, § 55, 17 avril 2012). Compte tenu de sa conclusion au paragraphe 10 ci-dessus elle considère donc que l’État défendeur doit garantir, par des mesures appropriées, l’exécution sans délai des arrêts nos 1429/2001, 1430/2001, 1703/2001, 1704/2001 et 1705/2001 de la cour administrative d’appel d’Athènes.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt                          Krzysztof Wojtyczek
Greffière adjointe                           Président

Dernière mise à jour le juin 2, 2022 par loisdumonde

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