AFFAIRE ALI REZA c. BULGARIE (Cour européenne des droits de l’homme) 35422/16

La requête concerne, sous l’angle des articles 3, 8 et 13 de la Convention, la mesure d’expulsion prise contre le requérant pour des motifs liés à la sécurité nationale ainsi que la question de savoir si les recours dont celui-ci disposait à cet égard revêtaient un caractère effectif. Elle porte par ailleurs sur la question de la compatibilité de la rétention imposée au requérant aux fins de son expulsion et des délais d’examen de son recours contre cette rétention avec l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention.


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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ALI REZA c. BULGARIE
(Requête no 35422/16)
ARRÊT

Art 37 § 1 • Radiation du rôle • Assurances des autorités internes • Requérant ne pouvant pas être expulsé sur la base de la décision de 2015 • Toute nouvelle décision en vue de son expulsion susceptible d’un nouveau recours
Art 5 § 1 • Rétention du requérant durant près de sept mois dans l’attente de l’exécution de la mesure d’expulsion • Motif non valable pendant toute la durée de sa privation de liberté • Absence de diligence suffisante des autorités dans l’exécution de cette mesure

STRASBOURG
17 mai 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ali Reza c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Tim Eicke, président,
Yonko Grozev,
Armen Harutyunyan,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pere Pastor Vilanova,
Jolien Schukking,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 35422/16) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant irakien, M. Hamid Ali Reza (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 16 juin 2016,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») les griefs tirés des articles 3, 5 §§ 1 f) et 4, 8 et 13 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 avril 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne, sous l’angle des articles 3, 8 et 13 de la Convention, la mesure d’expulsion prise contre le requérant pour des motifs liés à la sécurité nationale ainsi que la question de savoir si les recours dont celui-ci disposait à cet égard revêtaient un caractère effectif. Elle porte par ailleurs sur la question de la compatibilité de la rétention imposée au requérant aux fins de son expulsion et des délais d’examen de son recours contre cette rétention avec l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1973 et il réside à Sofia. Il est représenté par Mes I. Ganchev et V. Ilareva, avocats à Sofia.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme A. Panova, du ministère de la Justice.

4. Le requérant arriva en Bulgarie en 2000. Par une décision de l’Agence pour les réfugiés du 8 janvier 2002, il se vit accorder une protection subsidiaire (« statut humanitaire ») pour une durée d’un an en raison de la situation de guerre en Irak. Le 2 juin 2003, la protection consentie au requérant fut prolongée et un titre de séjour lui fut délivré.

I. la mesure d’expulsion prise à l’égard du requérant

5. Par un arrêté du 30 juin 2015, l’Agence de sécurité nationale (Държавна агенция « Национална сигурност ») ordonna le retrait du titre de séjour du requérant, son interdiction du territoire pour une durée de cinq ans et son expulsion. Selon cet arrêté, qui se référait à une « proposition » interne à cette administration datée du 29 juin 2015, la présence du requérant sur le territoire constituait une menace pour la sécurité du pays.

6. Avec l’assistance d’un avocat, le 13 juillet 2015, le requérant saisit la Cour administrative suprême d’un recours contre l’arrêté d’expulsion qui le visait. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant arguait que son renvoi en Irak l’exposerait à un risque de mauvais traitements. Sous l’angle de l’article 8 de la Convention, il affirmait qu’il avait tissé des liens avec la Bulgarie et qu’il entretenait une relation durable avec une ressortissante bulgare, et il soutenait que l’expulsion méconnaîtrait par conséquent son droit au respect de la vie privée et familiale. En vertu de la législation applicable, ce recours n’avait pas d’effet suspensif et la mesure était exécutoire de plein droit.

7. Dans le cadre de cette procédure, les avocats du requérant purent prendre connaissance de la proposition interne et d’autres documents classés « secrets » émanant de l’Agence de sécurité nationale, lesquels indiquaient que le requérant était impliqué, en tant que passeur, dans un trafic de migrants clandestins vers l’Europe de l’Ouest.

8. Par un arrêt du 25 novembre 2015, la Cour administrative suprême rejeta ce recours. Elle jugea qu’au vu des documents présentés par l’Agence de sécurité nationale, qui contenaient des éléments factuels concrets sur lesquels était fondé l’arrêté d’expulsion, il existait une forte probabilité que le requérant ait pris part aux activités décrites, qui constituaient selon cette haute juridiction une menace pour la sécurité du pays, en particulier dans un contexte de crise migratoire. Elle observa que les données exposées dans ces documents n’apparaissaient pas comme fantaisistes, que le requérant avait pu en prendre connaissance et les contester dans le cadre d’une procédure contradictoire et qu’elles devaient donc être considérées comme crédibles. La Cour administrative suprême estima, en outre, que le requérant n’avait pas établi l’existence de la vie familiale qu’il alléguait dans la mesure où il n’était pas marié et n’avait pas d’enfants ou de parents vivant en Bulgarie. S’agissant de ses allégations concernant les risques qu’il encourait en Irak, la haute juridiction refusa de les examiner au motif que cette question n’entrait pas en jeu dans la légalité de l’arrêté d’expulsion, qui ne désignait pas le pays vers lequel le requérant devait être renvoyé, ce pays devant être déterminé par une décision distincte de l’administration.

9. Le 11 mars 2016, les avocats du requérant se virent délivrer une attestation indiquant que le recours de leur client avait été rejeté. La procédure ayant été classée secrète, ils ne purent pas obtenir, dans un premier temps, copie de l’arrêt mais ils prirent connaissance de sa motivation au greffe de la Cour administrative suprême.

II. la rétention du requérant

10. Par un arrêté distinct du 30 juin 2015, l’Agence de sécurité nationale ordonna le placement du requérant en rétention administrative (paragraphe 18 ci-dessous) pour une durée de six mois. L’intéressé fut interpellé le même jour et placé dans le centre spécialisé de rétention temporaire des étrangers situé à Busmantsi, près de Sofia.

11. Le 8 juillet 2015, il introduisit un recours contre l’arrêté de placement en rétention. Le tribunal administratif rejeta ce recours le 6 octobre 2015, considérant, d’une part, qu’il existait un risque de fuite et, d’autre part, que le requérant n’était pas en mesure de présenter des garanties suffisantes, telles qu’un emploi et des revenus stables, qui auraient permis de supposer qu’il n’allait pas se soustraire à l’exécution de la mesure. La Cour administrative suprême confirma cette décision le 15 mars 2016.

12. Le 10 décembre 2015, le chef de la direction de la migration du ministère de l’Intérieur ordonna la prolongation de la rétention pour une nouvelle période de six mois à compter du 30 décembre 2015. Le 4 janvier 2016, il transmit le dossier au tribunal administratif pour un contrôle d’office de cette décision. Il indiqua, à cette occasion, que la mesure d’expulsion n’avait pas pu être exécutée étant donné que le requérant ne disposait pas d’un passeport, que l’ambassade d’Irak ne délivrait pas de documents de voyage aux ressortissants de son pays qui s’opposaient à leur renvoi et que le requérant avait catégoriquement refusé de coopérer en vue de son retour dans son pays d’origine.

13. Le 13 janvier 2016, la direction de la migration adressa une lettre à l’ambassade d’Irak pour demander dans quelles conditions celle-ci pouvait délivrer un titre de voyage pour le requérant. Le 21 janvier 2016, l’ambassade indiqua qu’elle ne délivrait pas de documents aux ressortissants irakiens qui ne désiraient pas retourner en Irak.

14. Par une ordonnance du 25 janvier 2016, le tribunal administratif considéra que, même en admettant que la mesure d’expulsion ne pouvait pas être mise en œuvre à cause des retards intervenus dans l’obtention des documents de voyage nécessaires, il apparaissait, d’une part, que le requérant présentait des garanties suffisantes de représentation en ce qu’il justifiait d’un domicile et de ressources adéquates, et, d’autre part, que les autorités bulgares compétentes n’avaient pas fait preuve d’une diligence particulière pour l’obtention de tels documents pendant les six premiers mois de sa rétention. Le tribunal considéra qu’il n’était pas, dès lors, justifié de prolonger la mesure de rétention au regard des conditions prévues par la loi sur les étrangers et par la directive européenne relative au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (2008/115/CE), et il enjoignit à la direction de la migration de placer le requérant sous contrôle administratif.

15. Par un arrêté du 29 janvier 2016, le chef de la direction de la migration annula sa décision du 10 décembre 2015, par laquelle il avait prolongé la mesure de rétention, et il ordonna au requérant de se présenter au commissariat une fois par semaine pour un contrôle administratif. Le requérant fut remis en liberté le jour même.

III. autres faits pertinents

16. Le 6 novembre 2015, l’Agence pour les réfugiés ordonna la révocation de la protection humanitaire accordée au requérant. Le recours que celui-ci interjeta contre cette décision fut rejeté par un arrêt définitif de la Cour administrative suprême du 21 décembre 2017.

17. Le requérant et sa compagne bulgare se marièrent en décembre 2016.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. la loi sur les étrangers

18. Les dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers en République de Bulgarie régissant l’expulsion et la rétention administrative, telles qu’applicables au moment des faits de l’espèce, ont été reproduites dans l’arrêt M.M. c. Bulgarie (no 75832/13, §§ 24-31, 8 juin 2017).

19. À la suite de modifications adoptées le 15 mars 2021, l’article 44, alinéa 1 de la loi sur les étrangers prévoit désormais que l’arrêté d’expulsion doit désigner le pays de destination. Selon le nouveau libellé de l’article 46, alinéa 5 de cette loi, lorsque l’arrêté d’expulsion a été pris au motif d’une menace sérieuse pour l’ordre public, l’introduction d’un recours produit un effet suspensif sur l’exécution de la mesure. Par ailleurs, lorsque l’expulsion a pour motif une menace sérieuse pour la sécurité nationale et que la personne concernée fait valoir, de manière défendable, qu’en cas d’exécution de la mesure, sa vie ou sa liberté seraient menacées ou qu’elle se trouverait exposée à des persécutions, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, la mesure d’expulsion ne peut être mise en œuvre avant que le tribunal n’ait statué sur la nécessité d’en suspendre l’exécution.

II. La loi sur la responsabilité de l’État

20. En vertu de l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommages, les autorités publiques sont responsables des dommages causés du fait de leurs actes, actions ou inactions illégaux commis dans le cadre ou à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. La responsabilité de l’autorité publique à raison d’un acte administratif illégal peut être engagée après que celui-ci ait préalablement été annulé selon les procédures applicables. Il est néanmoins possible d’introduire un recours en annulation et une action en responsabilité simultanément (article 204, alinéas 1 et 2 du code de procédure administrative).

21. Par ailleurs, l’article 2, alinéa 1 de la loi, dans sa version modifiée en vigueur à partir du 15 décembre 2012, permet d’engager la responsabilité de l’État en cas de détention contraire à l’article 5, dans les termes suivants :

« 1. L’État est responsable des dommages causés aux particuliers par les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux du fait :

(1) d’une détention, notamment d’une détention provisoire, d’une assignation à résidence, lorsque celles-ci ont été annulées ; (…) ainsi que dans tous les autres cas de privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 de la Convention (…) ;

(2) d’une violation des droits garantis par l’article 5 §§ 2 à 4 de la Convention ;

(…) »

22. Pour plus de détails concernant la réforme adoptée en 2012 et la jurisprudence relative à l’application de ce texte, la Cour renvoie à l’exposé du droit interne figurant dans la décision Kolev c. Bulgarie (no 69591/14, §§ 12-20, 30 mai 2017) et dans l’arrêt Banevi c. Bulgarie (no 25658/19, §§ 59-62, 12 octobre 2021).

III. Autres dispositions pertinentes

23. L’article 285 du code de procédure administrative dispose que les décisions administratives ne peuvent être exécutées après l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle elles sont devenues exécutoires.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3, 8 et 13 DE LA CONVENTION

24. Invoquant les articles 3 et 8 de la Convention, le requérant soutient que son expulsion vers l’Irak l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants et méconnaîtrait son droit au respect de sa vie privée et familiale. Au regard de l’article 13, il soutient que le recours judiciaire auquel il a eu accès ne revêtait pas de caractère suspensif et dit qu’il n’a pas pu contester de manière effective l’affirmation des autorités selon laquelle il représentait un danger pour la sécurité nationale.

25. Dans ses observations complémentaires du 22 octobre 2021, le Gouvernement expose que l’exécution de l’arrêté d’expulsion du 30 juin 2015 n’était plus possible, le délai de prescription de cinq ans ayant expiré. Il précise qu’il ne serait pas envisageable d’expulser le requérant sans la prise d’un nouvel arrêté, qui serait susceptible d’un recours judiciaire avec effet suspensif sur le fondement de l’article 46, alinéa 5 de la loi sur les étrangers, tel que modifié en mars 2021. Il produit une lettre émanant de l’Agence de sécurité nationale qui indique ce qui suit :

« (…) la validité de l’arrêté en cause (…) a expiré le 1er juillet 2020 et aucune action relativement à son exécution ne peut être entreprise après cette date. (…)

(…) la nouvelle rédaction de l’article 44, alinéa 1, de la loi sur les étrangers, qui oblige l’autorité administrative à indiquer le pays de destination, pourra être appliquée seulement en cas d’édiction d’une nouvelle mesure d’[expulsion], sur la base de nouveaux motifs. Dans ce cas, le nouvel arrêté serait susceptible d’un recours judiciaire en application de l’article 46, alinéa 2 de la loi. »

26. Le requérant n’a pas présenté de commentaires sur cette question.

27. L’article 37 § 1 de la Convention dispose en ses parties pertinentes :

« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

(…)

b) que le litige a été résolu ; ou

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.

2. La Cour peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient. »

28. La Cour observe qu’à de nombreuses reprises, dès lors qu’un requérant menacé d’expulsion avait obtenu un permis de séjour et ne risquait plus d’être expulsé, elle a considéré que le litige avait été résolu au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention et l’a rayé de son rôle (voir, notamment, M.E. c. Suède (radiation) [GC], no 71398/12, §§ 34-35, 8 avril 2015). Par ailleurs, dans certaines affaires où le requérant n’avait pas obtenu de permis de séjour et où la menace d’expulsion n’avait pas complètement disparu, mais où il ressortait des éléments dont elle disposait que l’intéressé ne risquait plus, ni à ce moment-là ni avant longtemps, d’être expulsé, elle a estimé qu’il ne se justifiait plus de poursuivre l’examen de la requête, au sens de l’article 37 § 1 c), et elle a également décidé de rayer celle-ci du rôle (voir, notamment, M.M. c. Bulgarie, no 75832/13, §§ 38-42, 8 juin 2017). La Cour a en effet toujours envisagé cette question sous l’angle d’une violation potentielle de la Convention et, dans la mesure où la menace d’une telle violation disparaît ou n’est plus imminente, la poursuite de l’examen de la requête ne se justifie plus, sous réserve de l’application de l’article 37 § 1 in fine (Khan c. Allemagne [GC], no 38030/12, §§ 33-35, 21 septembre 2016, avec les références de jurisprudence qui y sont citées, et M.M. c. Bulgarie, précité, § 37).

29. En l’espèce, la Cour observe que l’expulsion du requérant ordonnée en 2015 n’a pas été mise en œuvre et que le gouvernement défendeur, ainsi que les autorités internes compétentes ont donné l’assurance que son exécution n’était plus possible selon le droit interne. Ils ont en outre indiqué que si le requérant devait faire l’objet d’une nouvelle décision d’expulsion, celle-ci reposerait sur un nouvel examen des faits et serait susceptible d’un recours avec effet suspensif.

30. La Cour n’aperçoit aucune raison de douter du sérieux de ces assurances expresses, qui ne sont au demeurant pas contestées par le requérant et qui sont corroborées par la disposition de l’article 285 du code de procédure administrative selon laquelle les décisions administratives ne peuvent être mises en application après l’écoulement d’un délai de cinq ans (paragraphe 23 ci-dessus). Par conséquent, la Cour considère que le requérant ne risque pas, actuellement ou dans un futur immédiat, d’être expulsé. Dans l’hypothèse où une nouvelle décision en vue de son expulsion serait prise, il aurait la possibilité d’en contester la légalité devant les juridictions internes et de saisir la Cour d’une nouvelle requête, y compris en demandant l’application de mesures provisoires sur la base de l’article 39 du règlement de la Cour. Dans ces circonstances, elle estime qu’il ne se justifie pas de procéder à un examen de la violation potentielle des articles 3 et 8 de la Convention.

31. Concernant le grief fondé sur l’article 13 de la Convention, la Cour rappelle que le fait que le requérant ne soit pas, à ce jour, menacé d’expulsion n’implique pas nécessairement qu’il ne dispose plus de « grief défendable » à faire valoir au sens de cette disposition. En effet, pour évaluer la situation sous l’angle de cette disposition, la Cour doit se placer au moment où la procédure litigieuse interne s’est déroulée même si, comme en l’espèce, le risque d’expulsion a évolué dans le temps (I.M. c. France, no 9152/09, § 100, 2 février 2012). Toutefois, le point de savoir si une affaire peut être rayée du rôle est indépendant de la question de savoir si un requérant conserve ou non la qualité de victime de la violation alléguée (M.M. c. Bulgarie, précité, § 40, et P.M. c. France (déc.), no 25074/09, 25 mai 2010). En l’espèce, la Cour a constaté que le requérant ne peut pas être expulsé sur la base de la décision prise en 2015 et que toute nouvelle décision en vue de son expulsion serait susceptible d’un nouveau recours. Dans ces circonstances, elle considère qu’il ne se justifie pas non plus d’examiner le grief formulé par le requérant sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

32. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen des griefs formulés sous l’angle des articles 3, 8 et 13 de la Convention. Elle considère, par ailleurs, qu’aucune circonstance particulière touchant au respect des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles n’exige la poursuite de leur examen en vertu de l’article 37 § 1 in fine. S’agissant plus particulièrement du grief du requérant relatif à l’efficacité des recours existant en droit bulgare et à l’absence d’effet suspensif de ces recours, la Cour observe, d’une part, que le droit interne a été modifié sur ce point en 2021 (paragraphe 19 ci-dessus) et, d’autre part, qu’elle a déjà examiné des griefs similaires portant sur l’ancien état de la réglementation et qu’elle a constaté une violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention (M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 124‑133, 26 juillet 2011, et Auad c. Bulgarie, no 46390/10, §§ 117‑123, 11 octobre 2011). Dès lors, il n’y a pas de risque qu’une question d’intérêt général échappe à son examen.

33. Au vu de ce qui précède, la Cour décide de rayer du rôle les griefs fondés sur les articles 3, 8 et 13 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 f) DE LA CONVENTION

34. Le requérant allègue qu’aucune mesure en vue de son expulsion n’a été engagée durant sa rétention et il soutient par conséquent que son maintien en rétention pendant une durée de près de sept mois n’était pas justifié au regard de l’article 5 § 1 f). L’article 5 § 1 de la Convention est ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(…)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

A. Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

35. Le Gouvernement excipe d’un non-épuisement des voies de recours internes, faute pour le requérant d’avoir introduit une demande en dédommagement en application de la loi sur la responsabilité de l’État. Il expose que l’article 1 de cette loi prévoit la possibilité d’engager une action en réparation du préjudice causé par des actes ou des actions illicites des autorités publiques. Il ajoute qu’en vertu de l’article 2, alinéa 1 de la loi, telle que modifiée en décembre 2012, toute personne dont la détention a été exécutée en méconnaissance des paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Convention peut demander réparation du préjudice subi de ce fait. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a obtenu, le 25 janvier 2016, l’annulation de l’arrêté ordonnant la prolongation de sa rétention et qu’il pouvait donc se prévaloir de la loi sur la responsabilité de l’État pour obtenir une indemnisation.

36. Le requérant réplique que l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État ne semble jamais avoir été appliqué à un cas de rétention relevant de l’article 5 § 1 f).

2. Appréciation de la Cour

37. La Cour renvoie aux principes généraux de sa jurisprudence en matière d’épuisement des voies de recours internes rappelés dans l’arrêt Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014), ainsi qu’aux principes exposés dans sa décision Kolev c. Bulgarie (no 69591/14, §§ 34-42, 30 mai 2017) en ce qui concerne plus particulièrement l’efficacité des recours indemnitaires pour des griefs de violation de l’article 5 de la Convention.

38. S’agissant de la présente espèce, elle relève que l’ordonnance du tribunal administratif du 25 janvier 2016, à laquelle se réfère le Gouvernement, n’a pas considéré que la rétention du requérant était irrégulière ab initio et que la Cour administrative suprême a même confirmé, par un arrêt du 15 mars 2016, la régularité du placement initial en rétention du requérant (paragraphes 11 et 14 ci-dessus). Si l’ordonnance du 25 janvier 2016 a effectivement constaté que, compte tenu de l’absence de diligence de la part des autorités dans l’exécution de la mesure d’expulsion, la prolongation de la rétention n’était plus justifiée, elle n’a nullement déclaré que la première période de rétention de six mois devait être considérée comme irrégulière (paragraphe 14 ci-dessus).

39. Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que le requérant pouvait raisonnablement faire valoir, dans le cadre d’une action en responsabilité fondée sur l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État (paragraphe 20 ci-dessus), que sa rétention durant les six premiers mois était fondée sur un acte dont le caractère irrégulier avait été reconnu par une juridiction interne et qui avait été annulé, et demander réparation du préjudice subi de ce fait (voir Djalti c. Bulgarie, no 31206/05, §§ 42-43, 12 mars 2013, et, a contrario, Rahmani et Dineva c. Bulgarie, no 20116/08, § 69, 10 mai 2012). Dans la mesure où la décision de prolonger la rétention a effectivement été annulée (paragraphe 15 ci-dessus), il pouvait, tout au plus, solliciter une indemnisation pour la période postérieure au 30 décembre 2015 et courant jusqu’à sa remise en liberté le 29 janvier 2016. La Cour note cependant que le grief, tel que formulé par le requérant, porte sur toute la durée de sa rétention et pas seulement sur la période postérieure au 30 décembre 2015, de sorte qu’une action fondée sur l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État ne paraît pas, en l’espèce, constituer un recours adéquat, susceptible de couvrir la totalité de la rétention du requérant.

40. Pour ce qui est de l’action en réparation prévue à l’article 2 de la même loi, la Cour observe que cette disposition concerne la responsabilité des autorités du système judiciaire, à savoir les organes d’enquête, le parquet et les tribunaux (paragraphe 21 ci-dessus). Or en l’espèce, la rétention du requérant n’a été ni ordonnée ni prolongée par une telle autorité (paragraphes 10 et 12 ci-dessus), de sorte que cette disposition ne semble pas trouver à s’appliquer. Le Gouvernement n’a, au demeurant, fourni aucun exemple de jurisprudence interne où cette disposition aurait été appliquée dans une situation similaire.

41. Au vu des observations qui précèdent, la Cour n’est pas convaincue que dans les circonstances de l’espèce, les actions en réparation évoquées par le Gouvernement apparaissent comme des recours effectifs qui auraient été susceptibles de fournir un redressement approprié au grief formulé par le requérant sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention et dont l’épuisement était requis au titre de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, il convient de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

42. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

43. Le requérant soutient que son maintien en rétention pendant près de sept mois ne se justifiait pas par la procédure d’expulsion en cours ; il allègue à l’appui de sa thèse que l’exécution de cette mesure était impossible, les autorités irakiennes ayant pour pratique de ne pas délivrer de titres de voyage à leurs ressortissants, sauf en cas de retour volontaire. Il estime qu’il avait clairement exprimé son refus de retourner en Irak, et que par conséquent les autorités bulgares devaient avoir conscience de cette impossibilité.

44. Le Gouvernement allègue que le requérant ne disposait pas d’un titre de voyage, qu’il refusait de coopérer avec les autorités en vue d’un éloignement volontaire et que la délivrance d’un document de voyage par l’ambassade d’Irak avait été retardée, et il en déduit que sa rétention était donc justifiée. Il en conclut que cette rétention était conforme au droit interne et au but visé à l’article 5 § 1 f) de la Convention, à savoir une procédure d’expulsion en cours. Il ajoute que le requérant a été remis en liberté dès qu’il a été constaté que les conditions justifiant la prolongation de sa rétention n’étaient plus réunies.

2. Appréciation de la Cour

45. La Cour rappelle qu’une privation de liberté fondée sur le second volet de l’article 5 § 1 f) ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de cette disposition (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 113, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, CEDH 2009, et Raza c. Bulgarie, no 31465/08, § 72, 11 février 2010). En d’autres termes, la durée de la détention ne doit pas dépasser le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (A. et autres c. Royaume-Uni, ibidem, Amie et autres c. Bulgarie, no 58149/08, § 72, 12 février 2013, et Feilazoo c. Malte, no 6865/19, §§ 103-104, 11 mars 2021).

46. En l’espèce, la Cour constate que le requérant est demeuré détenu pendant près de sept mois dans l’attente de l’exécution de la mesure d’expulsion. Elle note d’emblée que cette durée n’était pas justifiée par une procédure interne relative à l’examen de la régularité de l’expulsion. En effet, en droit bulgare l’expulsion est une mesure exécutoire de plein droit, indépendamment de l’introduction d’un recours (paragraphe 6 ci-dessus ; voir aussi Djalti, précité, § 52, Feilazoo, précité, § 107, et, a contrario, Chahal, précité, §§ 115-117).

47. S’agissant de la diligence dont ont fait preuve les autorités bulgares, la Cour relève que le placement en rétention du requérant a été ordonné au motif que la mesure d’expulsion ne pouvait être mise en œuvre étant donné qu’il ne disposait pas de documents lui permettant de voyager. Si le retard ou l’absence de délivrance d’un titre de voyage ne peut être imputé aux autorités bulgares, il ne ressort pas des éléments au dossier que celles-ci aient entrepris des démarches actives en ce sens. La Cour relève, en effet, que les autorités compétentes ne semblent avoir engagé aucune démarche en vue de la délivrance d’un tel document durant les six premiers mois de rétention du requérant et qu’elles se sont officiellement adressées à l’ambassade d’Irak pour la première fois en janvier 2016 (paragraphe 13 ci-dessus). Les seules démarches accomplies pendant cette période semblent avoir consisté à tenter de convaincre le requérant de retourner de manière volontaire dans son pays. Or l’intéressé avait clairement fait savoir qu’il ne souhaitait pas retourner en Irak en raison des risques encourus et il apparaît, en outre, que les autorités de ce pays refusaient de délivrer des titres de voyage dans une telle situation (paragraphes 6 et 12 ci-dessus). De l’avis de la Cour, les autorités bulgares compétentes auraient dû être conscientes de ces difficultés et vérifier s’il existait encore des perspectives réalistes d’éloignement du requérant (Amie et autres, précité, § 77, et Feilazoo, précité, § 108). Or cela ne semble pas avoir été le cas jusqu’à la décision du tribunal administratif du 25 janvier 2016 (paragraphe 14 ci-dessus), soit après presque sept mois de rétention.

48. Au vu de ces éléments, la Cour estime que le motif ayant initialement justifié la rétention du requérant – la procédure d’expulsion pendante qui le visait – n’est pas demeuré valable pendant toute la durée de sa privation de liberté compte tenu de l’absence de diligence suffisante des autorités dans l’exécution de cette mesure.

49. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

50. Le requérant se plaint du délai d’examen du recours qu’il a introduit pour contester la régularité de son placement initial en rétention. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

51. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes concernant ce grief et il se réfère à l’article 2, alinéa 1 (2) de la loi sur la responsabilité de l’État, en vertu duquel toute personne dont la détention a été exécutée en méconnaissance des paragraphes 2 à 4 de l’article 5 de la Convention peut demander réparation du préjudice subi de ce fait.

52. Le requérant réplique que la disposition évoquée par le Gouvernement ne semble jamais avoir été appliquée à un cas de rétention aux fins d’une expulsion. Il ajoute que les ressortissants étrangers touchés par de telles mesures sont souvent dépourvus de papiers et qu’ils peuvent difficilement engager une procédure civile.

2. Appréciation de la Cour

53. La Cour se réfère aux principes pertinents de sa jurisprudence mentionnés au paragraphe 37 ci-dessus. Concernant la présente espèce, elle rappelle que, dans ses décisions Kolev (précitée, §§ 32-42) et Tsonev (Tsonev c. Bulgarie (déc.), no 9662/13, §§ 52-70, 30 mai 2017), elle a déjà considéré qu’une action indemnitaire en application de l’article 2, alinéa 1 de la loi sur la responsabilité de l’État, tel que modifié en décembre 2012 (paragraphes 21-22 ci-dessus), constituait un recours accessible et adéquat pour les violations alléguées des paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Convention couvertes par le champ d’application de cette loi et lorsque la situation litigieuse, incompatible avec l’article 5 de la Convention, avait déjà pris fin.

54. En l’espèce, rien ne permet à la Cour d’arriver à une autre conclusion. Elle relève, en effet, que la violation alléguée avait pris fin avant l’introduction de la présente requête le 16 juin 2016, le délai à prendre en considération pour les besoins de l’article 5 § 4 ayant commencé à courir à partir de l’introduction du recours du requérant le 8 juillet 2015 et s’étant terminé avec sa libération le 29 janvier 2016 (Stephens c. Malte (no 1), no 11956/07, §§ 102-103, 21 avril 2009, et M.M. c. Bulgarie, précité, § 52). La Cour note, en outre, que la méconnaissance alléguée de l’article 5 § 4 entre apparemment dans le champ d’application de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État dans la mesure où elle relève de la responsabilité d’une juridiction (voir, a contrario, le paragraphe 40 ci-dessus) et a eu lieu après l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition (voir, a contrario, Toni Kostadinov c. Bulgarie, no 37124/10, § 70, 27 janvier 2015).

55. S’agissant de l’absence dans la jurisprudence d’exemples dans lesquels cette disposition aurait été appliquée à des griefs relatifs à l’examen « à bref délai » de la régularité d’une rétention aux fins d’expulsion, la Cour rappelle qu’une telle circonstance ne saurait à elle seule permettre de conclure au caractère ineffectif du recours en question (Kolev, § 37, et Tsonev, § 64, décisions précitées, et Nagovitsyn et Nalgiyev c. Russie (déc.), nos 27451/09 et 60650/09, § 30, 23 septembre 2010). Il existe, en effet, un intérêt à soumettre cette question aux juridictions internes afin de leur permettre de faire application de la nouvelle disposition, d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, celle-ci a été adoptée dans l’objectif spécifique de créer un recours susceptible de porter remède à ce type de grief (Kolev, §§ 39-40, et Tsonev, § 62, décisions précitées, Demir c. Turquie (déc.), no 51770/07, § 32, 16 octobre 2012, et Gürceğiz c. Turquie, no 11045/07, § 31, 15 novembre 2012). Plus généralement, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison suffisante pour justifier la non-utilisation de ce recours (Vučković et autres, précité, § 74).

56. En application de ces principes, dans les décisions précitées Kolev et Tsonev (§§ 37-40 et §§ 62-64 respectivement), puis dans l’arrêt Banevi (précité, §§ 125-126), la Cour a considéré que le recours prévu à l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État offrait des perspectives raisonnables de succès malgré l’absence d’une jurisprudence abondante en application de cette disposition, tout en rappelant que cette conclusion pourrait être réexaminée en fonction de la capacité des juridictions nationales à établir une jurisprudence uniforme et compatible avec les exigences de la Convention (Kolev, décision précitée, § 42, et Banevi, précité, § 126). En l’espèce, si aucun exemple de jurisprudence où la disposition en cause aurait été appliquée à un grief relatif au délai d’examen de la régularité d’une rétention aux fins d’expulsion n’a été produit par le Gouvernement, la Cour ne dispose pas non plus d’exemples en sens contraire, de sorte que rien ne lui permet de réexaminer sa conclusion antérieure sur l’efficacité de ce recours indemnitaire.

57. Il résulte de ce qui précède que l’action en indemnisation fondée sur l’article 2, alinéa 1 (2) de la loi sur la responsabilité de l’État constituait en l’espèce un recours suffisamment accessible, adéquat et effectif et que le requérant était tenu d’en faire usage avant d’introduire sa requête. Partant, il convient de faire droit à l’exception soulevée par le Gouvernement et de rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

58. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

59. Le requérant demande 3 500 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi du fait de la violation de l’article 5 de la Convention.

60. Le Gouvernement invite la Cour à accorder au requérant, en cas de constat de violation, un montant conforme à sa jurisprudence dans des affaires similaires.

61. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer le montant demandé par le requérant à ce titre, soit 3 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

62. Le requérant n’a pas formulé de demande pour frais et dépens. Partant, il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

63. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de rayer du rôle les griefs fondés sur les articles 3, 8 et 13 de la Convention ;

2. Déclare le grief de non-conformité de la rétention du requérant avec l’article 5 § 1 f) de la Convention recevable et le surplus de la requête irrecevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mai 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth                              Tim Eicke
Greffière adjointe                        Président

Dernière mise à jour le mai 17, 2022 par loisdumonde

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