Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 262
Mai 2022
Volodya Avetisyan c. Arménie – 39087/15
Arrêt 3.5.2022 [Section IV]
Article 13
Recours effectif
Ineffectivité des recours judiciaires internes pour se plaindre des conditions de détention : violation
En fait – Le requérant fut maintenu en détention provisoire pendant un an et demi environ. Il alléguait que les cellules de la prison étaient surpeuplées et que ses conditions de détention avaient été marquées par d’autres dysfonctionnements.
Au niveau interne, le requérant saisit le tribunal de droit commun d’un district (« le tribunal de district ») aux fins de faire reconnaître que ses conditions de détention s’analysaient en une violation continue de ses droits garantis par l’article 3, de faire mettre un terme à la violation alléguée et d’obtenir une indemnisation au titre du dommage moral dont ils s’estimait victime. Son recours fut rejeté au motif qu’il échappait à la compétence du tribunal de district et relevait plutôt de celle du tribunal administratif. En appel, la cour d’appel civile annula la décision qui avait été rendue contre le requérant, car elle considérait que la requête que le requérant avait introduite soulevait des points de droit pénal qui relevaient de la compétence des juridictions de droit commun alors que le tribunal de district l’avait examinée sous l’angle des règles de procédure civile. Par la suite, le tribunal de district déclara à nouveau la requête du requérant irrecevable en application des règles de procédure civile. Le requérant saisit la Cour de cassation pour contester cette décision, sans succès.
En droit – Article 13 combiné avec l’article 3 :
Le Gouvernement argue que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Cette question est étroitement liée au fond du grief du requérant, qui consiste à dire qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif pour se plaindre sous l’angle de l’article 3 de ses conditions de détention. La Cour joint dès lors l’exception soulevée par le Gouvernement à l’examen au fond du grief formulé sous l’angle de l’article 13.
La Cour a déjà rejeté des exceptions de non-épuisement des voies de recours internes que le gouvernement arménien avait soulevées dans des affaires qui traitaient des conditions de détention (Kirakosyan c. Arménie, Gaspari c. Arménie). En l’espèce, le Gouvernement a fondé son exception sur un autre argument, consistant principalement à dire qu’en engageant un recours civil plutôt qu’un recours administratif ou pénal, le requérant a opté pour une voie de recours qui de toute évidence était vouée à l’échec. Il omet cependant de présenter des arguments ou des preuves concernant l’effectivité des recours en question relativement aux griefs particuliers soulevés par le requérant.
Premièrement, il est difficile de déterminer quel résultat le requérant aurait pu obtenir, compte tenu de sa situation, s’il avait saisi une autorité judiciaire, administrative ou pénale, pour se plaindre du service et des autorités pénitentiaires. En effet, les questions que l’intéressé soulevait étaient apparemment d’ordre structurel. Le Gouvernement n’a expliqué ni la portée d’un tel contrôle juridictionnel potentiel, ni la nature de la réparation que le requérant aurait pu obtenir s’il avait introduit l’un des recours en question, ni, en particulier, les mesures préventives et compensatoires que les juridictions auraient pu ordonner. Il n’a ni renvoyé à des règles internes spécifiques, ni fourni des exemples de décisions judiciaires internes qui auraient été rendues dans des affaires similaires et pertinentes.
Deuxièmement, il y avait à l’époque des faits confusion dans le droit et la pratique internes quant au type de procédure – administrative ou pénale – devant être engagée par les personnes souhaitant former un recours contre les autorités pénitentiaires. Le tribunal de district et la cour d’appel étaient d’ailleurs en désaccord sur ce point. Le Gouvernement renvoie par ailleurs aux deux voies de recours sans préciser laquelle de ces deux était applicable dans le cas du requérant. Cette ambiguïté a d’ailleurs été reconnue en 2019 par la Cour constitutionnelle, qui a appelé à modifier la loi pour régler ce problème et, en attendant, a, à quelques exceptions près, attribué les affaires de cette nature au tribunal administratif. En outre, la Cour relève qu’à l’époque des faits, les voies de recours évoquées par le Gouvernement n’offraient pas les conditions de clarté requises.
Troisièmement, la Cour ne peut admettre l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant devait saisir la Cour constitutionnelle pour que son grief soit ensuite examiné par le tribunal administratif. En effet, elle a dit dans une affaire antérieure qu’en raison des particularités que revêt le rôle judiciaire exercé par la Cour constitutionnelle arménienne, le recours constitutionnel est généralement considéré comme ne faisant pas partie des voies de recours internes devant être épuisées (Gevorgyan et autres c. Arménie (déc.)), et rien ne justifie en l’espèce qu’elle s’écarte de cette conclusion.
Pour ces motifs, aucune des procédures de contrôle juridictionnel mentionnées par le Gouvernement n’a offert au requérant une voie de recours effective qui lui aurait permis de se plaindre de ses conditions de détention, que ce soit en théorie ou en pratique, et d’obtenir la cessation de la violation alléguée et, le cas échéant, une réparation au titre des dommages subis, ainsi que le commande l’article 13.
Conclusion : exception préliminaire rejetée ; violation (unanimité).
La Cour a également conclu, à l’unanimité, à la violation de l’article 3 (volet matériel), les effets cumulatifs des conditions de détention du requérant, dont la surface de l’espace personnel qui lui était réservé, s’analysant en un traitement dégradant.
Article 41 : 3 900 EUR au titre du dommage moral.
(Voir aussi Kirakosyan c. Arménie, 31237/03, 2 décembre 2008; Gaspari c. Arménie, 44769/08, 20 septembre 2018; Gevorgyan et autres c. Arménie (déc.), 66535/10, 14 janvier 2020)
Dernière mise à jour le mai 3, 2022 par loisdumonde
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