Barbotin c. France (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 245
Novembre 2020

Barbotin c. France25338/16

Arrêt 19.11.2020 [Section V]

Article 13
Recours effectif

Recours compensatoire inefficace, vu le faible montant alloué pour les conditions indignes de détention et la mise à la charge du détenu des frais d’expertise, le rendant débiteur de l’État : violation

En fait – Le requérant a reçu une indemnisation des juridictions internes pour le préjudice moral subi en raison des conditions indignes de sa détention durant quatre mois dans une maison d’arrêt. Cependant, le requérant se plaint de l’ineffectivité du recours indemnitaire qu’il a engagé, compte tenu de l’insuffisance de la réparation obtenue résultant du faible montant alloué (500 euros) et de la mise à sa charge des frais d’expertise (773 euros) engagés pour constater l’état des cellules qu’il a occupées.

En droit – Article 13 combiné avec l’article 3 :

a) Recevabilité : Eu égard à la reconnaissance par le juge interne du caractère indigne des conditions de détention subies par le requérant dans sa cellule, ce dernier a soulevé un grief défendable au regard de l’article 13, qui trouve par conséquent à s’appliquer.

b) Fond : À titre liminaire, la Cour rappelle que l’action en responsabilité exercée par le requérant devant les juridictions administratives est une voie de recours indemnitaire disponible et adéquate, présentant des perspectives raisonnables de succès, pour des requérants ayant subi des conditions de détention indignes. Ainsi, elle exige en principe des requérants, une fois libérés ou transférés dans une autre cellule, qu’ils fassent usage de ce recours indemnitaire afin de satisfaire à la règle de l’épuisement des voies de recours internes prévue à l’article 35 § 1 de la Convention.

En l’espèce et en premier lieu, le tribunal administratif puis le Conseil d’État ont statué selon les standards de la Cour en matière de conditions de détention, en tenant compte cumulativement de l’état de surpeuplement de la maison d’arrêt et des problèmes tenant au mauvais état général de la cellule du requérant, et ils ont engagé la responsabilité de l’État dès lors qu’était caractérisé un manquement objectif aux obligations de l’administration pénitentiaire qui découlent du respect de l’article 3. En deuxième lieu, le jugement du tribunal administratif dont le dispositif octroie une somme au requérant en réparation du préjudice moral résultant de la violation de l’article 3, confirmé par le Conseil d’État, a été mis à exécution et le requérant a été effectivement indemnisé. Ainsi, l’économie générale du recours indemnitaire ouvert devant le juge administratif répond, en offrant la perspective d’une réparation adéquate du préjudice subi tant en ce qui concerne l’évaluation de l’indemnisation que le versement effectif des sommes allouées, aux exigences de l’article 13.

Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, et compte tenu de la portée du contrôle juridictionnel exercé par les juridictions administratives respectivement sur les faits de l’espèce, le bien-fondé du « grief défendable » au regard de la Convention ainsi que du droit à une indemnisation des conditions indignes de détention, le requérant a bénéficié d’un recours approprié lui permettant d’obtenir une décision exécutoire lui allouant une indemnité en réparation du dommage subi. Le recours indemnitaire ouvert devant le juge administratif revêt donc, dans son principe, un caractère effectif.

Quant à l’effectivité de ce recours au cas d’espèce, elle doit être appréciée compte tenu du montant net des sommes allouées par les juridictions internes. Il convient dès lors de soustraire de la somme de 500 EUR accordée au requérant en réparation du préjudice moral celle de 773 EUR mise à sa charge au titre des dépens. Le requérant s’est dès lors retrouvé, alors même que la responsabilité de l’État avait été engagée pour réparer le préjudice moral dont il avait été reconnu victime, débiteur de l’État à hauteur de 273 EUR.

S’agissant, d’une part, de l’indemnisation allouée au requérant, compte tenu de la nature de son contrôle de cassation, le Conseil d’État n’a pas remis en cause son montant qui, en dépit de sa faiblesse, ne s’éloignait pas suffisamment des standards d’indemnisation alors en vigueur devant la juridiction administrative. La Cour relève l’extrême modicité de cette somme, qui est inférieure à celle qui serait accordée aujourd’hui dans le cadre du barème progressif consacré par la décision du Conseil d’État du 3 décembre 2018, et qui ne représente qu’un très faible pourcentage de celle qu’elle aurait pu octroyer dans des circonstances similaires. S’agissant, d’autre part, de la mise à la charge du requérant des frais d’expertise, les règles en matière de frais de procédure ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée alors que tel a été le cas en l’espèce. À cet égard, postérieurement à sa décision en l’espèce, le Conseil d’État a jugé qu’il résulte de la loi que, lorsque la partie perdante bénéficie de l’aide juridictionnelle totale, ce qui était le cas du requérant, et hors le cas où le juge décide de faire usage de la faculté, en présence de circonstances particulières, de mettre les dépens à la charge d’une autre partie, les frais d’expertise incombent à l’État.

Dans les circonstances particulières de l’espèce, le résultat auquel a abouti l’action engagée par le requérant qui l’a placé en situation, compte tenu tant de la faiblesse du montant de l’indemnisation allouée que de la mise à sa charge des frais d’expertise, de devoir à l’État une somme de 273 EUR après qu’eut été caractérisée l’existence d’un préjudice moral subi du fait de conditions indignes de détention a privé le recours qu’il a exercé de son effectivité. Pour autant, la Cour ne perd pas de vue que le développement de la jurisprudence du juge administratif sur le recours indemnitaire s’inscrit dans un ensemble de réformes que l’État défendeur doit mettre en place pour faire face au problème de la surpopulation carcérale et pour résoudre les nombreuses affaires individuelles nées de ce problème, donnant ainsi effet au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 2 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi Ananyev et autres c. Russie, 42525/07 et 60800/08], 10 janvier 2012, Note d’information 148 ; Stella et autres c. Italie (déc.), 49169/09, 16 septembre 2014, Note d’information 177 ; Neshkov et autres c. Bulgarie, 36925/10 et al., 27 janvier 2015, Note d’information 181 ; Yengo c. France, 50494/12, 21 mai 2015 ; Angel Dimitrov Atanasov et Aleksandar Atanasov Apostolov c. Bulgarie (déc.), 65540/16 et 22368/17, 27 juin 2017, Note d’information 209 ; Nikitin et autres c. Estonie, 23226/16 et al., 29 janvier 2019 ; Ulemek c. Croatie, 21613/16, 31 octobre 2019, Note d’information 233 ; J.M.B. et autres c. France, 9671/15 et al., 30 janvier 2020, Note d’information 236 ; Sukachov c. Ukraine, 14057/17, 30 janvier 2020, Note d’information 236 ; Shmelev et autres c. Russie (déc.), 41743/17, 17 mars 2020, Note d’information 239, ainsi que la fiche thématique Conditions de détention et traitement des détenus).

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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